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lundi 26 novembre 2018

Dany Laferrière : Le goût des jeunes filles


Quand on lit Dany Laferrière, on se demande toujours (enfin je me demande), ce qui est vraiment autobiographique et ce qui ne l’est pas. Ce qui est certain c’est qu’il met beaucoup de lui-même dans tous ses romans et que sa famille a tendance, pour notre plus grand plaisir, à être envahissante.
La preuve ? Nous sommes à Miami où Dany Laferrière s’est installé pendant dix ans pour écrire nombre des romans dont Le goût des jeunes filles. Il rend visite à sa tante Raymonde (un personnage que j’adore malgré ou pour ? son irascibilité). Quand il prend congé, elle lui lance :
"De toute façon, tu as assez de matériau aujourd’hui pour pouvoir écrire pendant toute une semaine." "Elle porte son doigt à sa tempe pour me rappeler qu’elle n’est pas encore folle."
Et il est vrai que la relation de cette visite à tante Raymonde qui constitue l’opus 1 du roman est savoureuse à souhait.  Puis le coup de téléphone d’une ancienne amie, Miki, lui permet de reprendre contact avec son passé. Son passé, non ! mais celui d’un adolescent de quinze ans, Fanfan, à Haiti, au temps de la dictature de Duvalier et des tontons Macoutes. Le narrateur est donc à le fois Dany Lafferière qui rend visite à ses tantes, lit les lettres de sa mère mais aussi le héros du livre nommé Fanfan, devenu adulte. Dans quelle mesure Dany et Fanfan ne font-ils qu’un dans la vie ? C’est ce que je ne sais pas. Nous sommes en pleine « autofiction » selon le terme employé à propos de son oeuvre.

Dany Laferrière à l'académie française
1971 Haïti reproduit, avec dix ans de retard, les années soixante en France, l’émancipation sexuelle, le bouillonnement des idées, la remise en cause des valeurs traditionnelles, Françoise Sagan, les groupes et la musique comme moyen d’expression, une jeunesse en ébullition…

Fanfan observe, de la fenêtre de sa chambre, le va-et-vient de jeunes filles dans la maison d’en face. Elle sont belles, sensuelles mais inaccessibles à ses yeux et nourrissent les fantasmes du garçon. Pourtant, lorsqu’il est poursuivi par la police, c’est chez elles qu’il va se réfugier. Nous faisons la connaissance de Miki, Pasqualine, Chouquette, Marie-Erna, Marie-Flore.
C’est à travers le regard de l’adolescent que nous apparaissent ces filles des quartiers pauvres - qu’il  considère comme des déesses - belles mais sans éducation, vulgaires, jalouses, voleuses, intrigantes, prêtes à se déchirer et à se rouer de coups, sans compassion mais aussi sans tabous. Il admire leur liberté, leur manière d’utiliser leur corps selon leur bon plaisir en n’ayant de compte à rendre à personne et surtout pas aux hommes qu’elles tiennent sous leur coupe et qu’elles exploitent à l’occasion. Toutes ont une vie dure et ont affronté depuis leur enfance la misère et le combat pour la vie. Elles se réfugient chez Miki car celle-ci a un amant haut placé et riche qui n’est pas souvent là.
A leur groupe, s’ajoute Marie-Michèle qui appartient à une classe sociale riche qui vit dans « le cercle doré » de Port-au-Prince. Elle tient un journal. Le regard affûté de la jeune fille de « bonne famille »  qui n’a que mépris pour sa mère et les amies de celle-ci, nous permet de découvrir l’autre face de la société haïtienne. Son sens de l’observation, sa lucidité et son intelligence débusquent les travers, l’égoïsme, la froideur de cette classe bourgeoise, imbue d’elle-même, à l’abri de la pauvreté et de la promiscuité, retranchés dans ses riches villas, avec voiture et chauffeur et collaborant sans état d’âme aux crimes du dictateur Duvalier et de son successeur, son fils, Baby Doc, ainsi qu’aux exactions de la police, une société pleine de mépris pour les humbles, dominatrice et peu concernée par la terreur qui règne sur le peuple et la misère qui se creuse toujours plus.
« Choderlos de Laclos, écrit Marie Michèle, en décrivant l’aristocratie de son époque, a du même coup décrit la bourgeoisie haïtienne de la mienne. En fait, les privilégiés de toutes les époques et de toutes les races se conduisent toujours de la même manière. Ils passent leur temps à discuter sérieusement de futilités sans prêter aucune attention aux gens qui crèvent autour d’eux. »
C’est ainsi que  nous découvrons les deux faces complètement opposées de la société de Port-au-Prince. Complètement opposées ? Certes, mais, remarque Marie-Michèle, il y a la même cruauté, la même méchanceté dans les rapports entre sa mère et  ses amies. Cependant, alors que chez les filles, les animosités s’expriment avec des mots orduriers et des crêpages de chignon, dans la haute bourgeoisie, personne n’élève le ton, tout se fait insidieusement et avec le sourire, dans la plus grande politesse et la plus parfaite hypocrisie.

Roman politique et social, Le goût des jeunes filles, n'est pas que cela ! C'est aussi un roman d’initiation : le jeune garçon de 15 ans découvre au milieu de ces filles la sexualité mais aussi, son amour pour la poésie. La littérature  tient un grand rôle ici, comme toujours, dans les romans de Dany Laferrière, en particulier avec Magloire Saint-Aude, poète que le narrateur ne peut s’empêcher d’aimer, bien qu’il ait été proche de Duvalier et le poète René Depestre, un ami des humbles.
 
J’ouvre le livre de Magloire Saint-Aude? Comme ça. Une page au hasard. Je lis  :

 Poème du prisonnier
Au glas des soleils remémorés.

C’est fou ! J’arrive ici et je tombe sur un vers qui exprime exactement mon état d’âme. Ce que je ressens dans l’instant. Un poème est bon quand il parle uniquement de nous au moment où nous le lisons.

Le goût des jeunes filles est donc un roman riche, intéressant. Il nous fait découvrir un moment de l’Histoire d’Haïti et c’est extraordinaire comment Dany Laferrière parvient à se glisser dans la mentalité d’une jeune fille de 17 ans de la haute bourgeoise et fait de ce témoignage l’un des aspects les plus passionnants du roman !



mardi 6 novembre 2018

Dany Laferrière : Tout bouge autour de moi


Le 12 Janvier 2010, Dany Laferrière est attablé au restaurant d’un hôtel, avec des amis, invité à un festival littéraire à Port-au-Prince, quand un fracas épouvantable retentit semblable à "une mitrailleuse" ou "comme un train". C’est le début du terrible tremblement de terre qui a secoué Haïti et fait plus de trois cent mille morts, autant de blessés et un million et demi de sans abri. Il a pourtant duré moins d’une minute !

« On s’est tous les trois retrouvés à plat ventre au centre de la cour. Sous les arbres. La terre s’est mise à onduler comme une feuille de papier que le vent emporte. Bruits sourds des immeubles en train de s’agenouiller. Ils n’explosent pas. Ils implosent, emprisonnant les gens dans leur ventre. »

La première sensation dont a conscience l’écrivain après le séisme, c’est le silence, la sidération. Puis les cris, les premiers secours, les nuits angoissantes passées sous les étoiles dans la peur des des répliques, avec une seconde secousse presque aussi forte que la première qui est arrivée « comme un coup derrière la tête» . L’affolement des familles qui se cherchent, la découverte des morts, la perte d’un parent, d’un ami, et la prise de conscience de l’étendue du désastre. Laferrière part dans le quartier de sa famille dont la maison a été épargnée. Il y retrouve sa mère, sa soeur, ses tantes, des personnages récurrents de ses romans que nous connaissons un peu comme des amis.
Les voisins n’ont pas tous cette chance. Partout les ruines, l’horreur, la désolation et l’incertitude de l’avenir.
Dany Lafferière note : « Les gens, comme les maisons, se situent dans ces trois catégories : ceux qui sont morts, ceux qui sont gravement blessés, et ceux qui sont profondément fissurés à l’intérieur et qui ne le savent pas encore. Ces derniers sont les plus inquiétants. Le corps va continuer un moment avant de tomber en morceaux un beau jour. Brutalement. Sans un cri. »

Il analyse ce qu’il a ressenti pendant le tremblement de terre  : « le vernis de  civilisation que l’on m’a inculqué est parti en poussière - comme cette ville où j’étais.  Tout cela a duré dix secondes. Est-ce le poids réel de la civilisation ? Pendant ces dix secondes, j’étais un arbre, une pierre, un nuage ou le séisme lui-même. Ce qui est sûr, c’est que je n’étais plus le produit d’une culture ».

Après son retour à Montréal, il en découvre les séquelles : « Je panique à l’idée d’avoir absorbé une dose d’anxiété si forte qu’elle pourrait s’incruster dans ma chair. J’ai vu juste, car plus d’un mois après le séisme mon corps reste sensible à la moindre vibration du corps.»

Pourtant, malgré la peur, le deuil, la faim et la souffrance, Dany Lafferière remarque la dignité des haïtiens, ce qui le rend fier de ce peuple qui semble toujours se relever de ses cendres, pas de scènes de pillage, de désordre  :  «  Au lieu de cela, on a vu un peuple digne, dont les nerfs sont assez solides pour résister aux plus terribles privations. Quand on sait que les gens avaient faim bien avant le séisme, on se demande comment ils ont fait pour attendre si calmement l’arrivée des secours. De quoi se sont-ils nourris durant le mois qui a précédé la distribution de nourriture ? Et tous ces malades sans soin qui errent dans la ville? »

La vie reprend peu à peu le dessus dans ce pays "jamais à cours de malheurs" où " c’est mieux d’être divers et ondoyant " :

"... si en Haïti on a peur une minute, il arrive qu’on danse la minute d’après. Cette technique empêche de sombrer dans une névrose collective".

En fait, pour commenter ce livre, il faudrait que je le cite en entier ! Je ne m'arrêterais pas tant il est riche de réflexions et d'humanité. Un beau texte donc qui nous plonge au coeur d'un peuple touché par le malheur lors d'une catastrophe que nous vivons à hauteur d'homme, par l'intérieur. Quand tout bouge, ce n'est pas seulement la terre qui tremble, les immeubles qui s'écroulent, mais toutes nos certitudes intimes, tout ce qui fait la stabilité d'une civilisation. Tout bouge autour de moi nous permet de connaître plus avant la société haïtienne, ses croyances, sa force de résistance, ses pouvoirs de résilience et tout simplement son amour de la vie. Enfin, il nous amène à une réflexion générale sur l'être humain, sur sa fragilité et sur la tendresse du monde. C'est le titre de son dernier chapitre.

Et puis, pour le plaisir et parce que je partage entièrement cette idée, je termine par une phrase que j'aime beaucoup car elle montre la force de la  littérature quand elle permet de survivre : c'est l'enfant lisant Dumas sous une tente, et qui se laisse transporter bien loin de cette habitation si fragile dont le caractère provisoire s'éternise ; c'est l'écrivain lisant la poésie d'Amos Oz :

« Ma confiance dans la poésie est sans limite. Elle est seule capable de me consoler de l’horreur du monde. »

Montaigne formulait ainsi cette idée : les livres "c'est la meilleure des munitions que j'aie trouvées en cet humain voyage". J'en ai fait la devise de mon blog.

 Lectures communes avec :

 LC d’un roman  de Dany Laferrière au choix, avec Kathel, Valentyne, Anne, Enna  !




 Dany Laferrière lit un passage de Tout bouge autour de moi




samedi 30 janvier 2016

Myriam Beaudoin : Hadassa





Voilà ce que dit l’éditeur (Bibliothèque Québécoise)  à propos de Hadassa, roman de Myriam Beaudoin, écrivaine québécoise :  
« Une jeune femme, professeure de français dans un établissement pour écolières juives orthodoxes, découvre tout au long de l’année scolaire un monde à part, enveloppé de mystère et d’interdits, mais séduisant et rassurant. Au fil des conversations chuchotées avec les jeunes élèves, dans un franglais parsemé de yiddish, dans l’apprivoisement, dans la surprise et dans l’inconfort de la différence, se détache alors le visage d’une enfant boudeuse, rêveuse, fragile prénommée Hadassa. Le choc des cultures peut-il être un choc amoureux ? Oui, puisque se tisse en parallèle une histoire d’amour entre un jeune épicier récemment immigré de Pologne et une Juive mariée, effrayée par la violence de ses sentiments. C’est le prix de la liberté qui est ici remis en question – une liberté dont nous ne savons parfois plus que faire. Drôle et émouvant, vif et nostalgique, Hadassa est le roman du respect et de l’ouverture. Myriam Beaudoin confronte en douceur les valeurs de l’Occident et celles d’une culture millénaire qui fait tout pour préserver les siennes, y compris se refermer sur elle-même. »

Il est certain que c’est avec douceur, ouverture et respect que Myriam Beaudoin explore les traditions, les croyances et les moeurs de cette communauté de juifs hassidites d’un quartier de Montréal. Elle tombe littéralement sous le charme des ces petites filles qui n’ont que onze ans. Elles ont encore gardé une relative spontanéité et une fraîcheur qui les emmènent à s’intéresser à leur professeure de français (une goyim) et a « l’avoir dans le coeur » comme le fait Hadassa! Myriam Beaudoin rend compte de ces rapports de l’adulte et des enfants avec finesse, poésie et humour. Les échanges de l’enseignante et de ses jeunes élèves qui parlent une mélange de yiddish, d’anglais et de français malmené sont savoureux. L’on ne peut qu’aimer ces fillettes si différentes les unes des autres, intelligentes et intéressantes, attachantes dans leur naïveté et leur curiosité, sachant qu’à douze ans, après leur Bat Mitzva, leur enfance sera terminée :

«  A partir de douze ans, on devient des Kalemyd, des filles à marier, et on doit se comporter en femme, il faut être jolie toujours, le mariage va venir, le shadchen cherche un mari pour nous.. (…) Quand une fille devient Bat Mitzva, c’est la fin de l’école primaire, le début d’une longue préparation au mariage, et surtout, surtout, la séparation définitive avec les non-juifs. »

Pourtant quand on affirme que ce monde est « rassurant » alors je m’interroge. En quoi, un repli communautaire est-il bienfaisant quand il protège ses traditions en refusant tout contact avec ceux qui ne sont pas de la même religion, considérant l’Autre, celui qui est différent, comme impur? En quoi est-il positif qu'un enseignement interdise  "tout évènement historique ou scientifique qui date de plus de six mille ans", négation de l'évolutionnisme, et bien d'autres choses encore? En quoi est-il bon quand il s’oppose à la liberté des femmes, en les retranchant dès leur enfance de tout contact avec la vie extérieure et en les tenant pour inférieures?
Après s’être lavé les mains, son époux revêtit son châle de prière, enroula à son front et à son son bras gauche deux écrins de cuir noir, se tournant vers Jérusalem, pieds joints, récita la prière du matin, et il rendit grâce à Dieu de ne pas avoir été fait femme : «  L’homme est né de la terre et la femme d’un os. Les femmes ont besoin de parfum et non les hommes : la poussière du sol ne se corrompt pas tandis qu’il faut du sel pour conserver la viande…

 Pour ma part, et au nom de la tolérance et de la liberté, j’ai été glacée par un repli communautaire qui entraîne la négation de l’étranger, interdit tout rapport avec lui même par le regard. J’ai été choquée par le mépris de la femme et par sa mise sous tutelle, son absence de liberté physique mais aussi intellectuelle. Il faut l’empêcher de penser par elle-même. Et que l’on justifie cela par le « confort » que cela lui procure (elle n’est pas en proie au doute, elle est heureuse parce qu’elle a des certitudes, elle sait où est sa place etc…) me paraît bien triste parce que même si la liberté n’est pas de tout repos, elle fait de nous des êtres humains à part entière.

C’est d’ailleurs ce que prouve l’autre aspect du roman de Myriam Beaudoin, celui qui montre une femme juive tourmentée par l’amour qu’elle éprouve pour un goyim.  Ses souffrances permettent de comprendre ce qu’éprouvent les femmes qui ne savent pas se couler dans un moule. En France, encore jusqu'au XIX siècle, les femmes différentes, qui s’opposaient à la tutelle toute puissante de leur mari, ou ne voulaient pas être mariées contre leur gré, ou ne voulaient pas être mères, bref! qui étaient différentes, étaient considérées comme folles et parfois enfermées dans des asiles ou des couvents.
Finalement toutes les religions, chrétienne, musulmane, juive… ont mené à ce résultat. Pas à l’origine, certainement, mais parce qu’elles ont toutes été prises en main et codifiées par des hommes. Saint Augustin  affirme :« Homme, tu es le maître, la femme est ton esclave, c'est Dieu qui l'a voulu. » Ben, voyons! Dieu serait-il anti-féministe?
Nous avons évolué chez nous depuis, bien heureusement? Pourtant quand un membre d’une association humanitaire, en France, affirme refuser de serrer la main à une femme et ceci sur un plateau de télévision, l’on ne nous dit même pas si cette association continue à recevoir de subventions de l’état français au nom de sa « modération ». En Belgique, des députés musulmans « modérés »  ont refusé de regarder les journalistes féminines et de répondre à leurs questions.

Ma conclusion est que l'extrémisme religieux est dangereux car il s’attaque à la liberté, en général, et aux droits de la femme. Je ne vois pas pourquoi l’on accepterait chez l’un, ce que l’on combat chez l’autre. L’on me dira que les Hassidites ne  sont pas violents mais n’est-ce pas une violence en soi que de refuser les autres sous prétexte de se protéger. Et peut-on dire que les femmes ont le choix et qu’on ne leur fait pas violence en les privant de leur libre arbitre, en leur refusant à l'école tous les sujets qui pourraient former leur sens critique? D'ailleurs je suis étonnée que le gouvernement canadien autorise un enseignement aussi restrictif, aussi passéiste et aussi inégalitaire; ce n'est pas possible en France même dans des écoles confessionnelles agréées par l'Etat (du moins, je l'espère!!). Lisez ce livre, vous n'en reviendrez pas! C’est pourquoi je n’ai pas été convaincue par les termes employés par le critique, Benoît Jutras, à propos de la communauté décrite dans le roman de Myriam Beaudoin, admirant «la dignité sans nom d’être autre ».

Ceci dit, vous comprendrez qu’étant donné toutes les questions que soulève ce livre, et qui sont de plus au coeur de nos préoccupations actuelles, et sans oublier l’écriture de Myriam Beaudoin,  il ne peut être que très intéressant de lire "Hadassa".

Merci à Aifelle pour l’envoi de ce roman son billet est ICI  

mardi 21 juillet 2015

C't'à ton tour, Laura Cadieux de Michel Tremblay

festival avignon 2015  théâtre des Corps Saints C't'à ton tour, Laura Cadieux de Michel Tremblay
C't'à ton tour, Laura Cadieux de Michel Tremblay

"Montréal. Laura Cadieux, mère de famille à la langue bien pendue, se rend chez son "génie-coloye" : elle suit depuis 10 ans un traitement pour maigrir, prétexte pour retrouver ses copines dans la salle d'attente. Tout y passe : le métro, les hommes, le clergé, l’obésité, le sexe, le corps... Laura Cadieux, aux rondeurs décomplexées, nous livre une incroyable galerie de personnages à la fois désopilants et touchants. Tiré d'un récit du dramaturge québécois à succès Michel Tremblay."

J’avais envie d’aller voir ce texte de Michel Tremblay parce que j’avais vu et aimé : A toi pour toujours ta Marie Lou en 2012, pièce qui revient cette année au collège de La Salle.
Dans C't'à ton tour, Laura Cadieux, Cécile Magnet est seule sur scène et interprète fort bien tous les personnages qui se trouvent dans la salle d’attente. Le livre a été écrit par l’écrivain dans les années 1970 au moment où la société québécoise se défaisait de la domination étouffante de l’église catholique d’où un fort sentiment anticlérical. Michel Tremblay lui-même issu d’un milieu populaire présente une galerie de portraits de femmes du peuple, truculentes et qui n’ont pas la langue dans la poche! On passe un bon moment. Cependant, je n’ai pas trouvé la pièce entièrement convaincante peut-être parce que ces personnages me paraissent anecdotiques et trop datés, peut-être aussi parce qu’il s’agit de l’adaptation d’un roman non d’une pièce écrite pour le théâtre? Je vous conseille donc si vous hésitez, d’aller plutôt voir A toi pour toujours ta Marie Lou. L’action se déroule à la même époque mais présente une critique sociale et un drame humain qui en font une pièce forte, servie pas de bons comédiens et où vous retrouverez d’ailleurs Cécile Magnet. Voir mon billet ICI

C't'à ton tour, Laura Cadieux
Michel Tremblay
 Théâtre des Corps Saints
du 4 au 26 juillet
18h15
durée : 1h15


Un obus dans le coeur de Wajdi Mouawad/ Catherine Cohen




"Wahab est réveillé en pleine nuit par un coup de téléphone lui apprenant que sa mère, malade d’un cancer, agonise. En s’acheminant vers l’hôpital, Wahab se prépare à dompter la mort, à nouveau, la dernière fois il avait 7 ans. Tout le mène à ce face à face avec la mort, avec sa peur d’enfant, qu’il doit terrasser pour enfin se libérer. Le chemin de Wahab est un chemin douloureux, où se côtoient l’innocence, la colère, l’incompréhension, la tendresse et aussi l’humour."

Wajdi Mouawad, dramaturge libano-canadien, est né au Liban qu’il a fui avec ses parents quand il était jeune pour trouver refuge au Québec. Dans cette pièce, Un obus dans le coeur, mise en scène par Catherine Cohen, son personnage, Wahab, porte en lui les peurs d’un enfant qui a connu la guerre, qui a vu des évènements si terribles qu’il n’a jamais pu les oublier. C’est à l’occasion d’un autre évènement, la mort annoncée de sa mère à l’hôpital que Wahab va se trouver face à face avec « cette femme aux bras de bois », personnification de la Mort, qu’il vu apparaître pour la premier fois lors d’un attentat au Liban et qu’il va affronter à nouveau au chevet de sa mère.
Wajdi Mouawad est un écrivain grandiose, qui possède un langage à la fois puissant, poétique, évocateur. Quand il décrit une horde de loups surgissant dans une salle d’hôpital, quand il montre un enfant mourant dans un bus incendié, vous le voyez! J’adore lire ses pièces mais c’est la première fois que j’en vois une sur scène bien qu’il soit venu dans le In il y a quelques années. 
Le comédien, Grégori Baquet, porte ce texte si beau et si douloureux avec intensité. Il a une force d’intériorisation remarquable. Il n’a pas besoin de grande démonstration pour nous communiquer les sentiments qu’il éprouve face à la mort de sa mère, aux débordements de sa famille, ses colères, ses frustrations, son chagrin et surtout la peur de l’enfance, celle qui ne peut être vaincue que par un autre peur d’enfance encore plus grande. La mise en scène et la scénographie jouent aussi sur la sobriété, un rideau de fond qui sert d’écran, des chaises soudées entre elles qui deviennent personnages.
Un théâtre où l’on se sent concerné, où l’on éprouve une grande émotion et d’où l’on sort le coeur serré. Un théâtre comme je l’aime.

MOLIÈRE 2014 – Révélation masculine Grégori Baquet

Un obus dans le coeur de Wajdi Mouawad
Mise en scène : Catherine Cohen
Interprète : Grégori Baquet
Théâtre Le Balcon 12H15
durée 1H10





samedi 18 juillet 2015

Comment Va le Monde? SOL/ Michel Bruzat au théâtre des Carmes

Marie Thomas dans le rôle de Sol

Marc Favreau humoriste québécois est plus connu sous le nom de Sol, un personnage de clown clochard. Le metteur en scène Michel Bruzat (compagnie Le théâtre de la Passerelle) reprend certains textes de Sol dans Comment va le monde?, au théâtre des Carmes, et les confie à sa comédienne fétiche, Marie Thomas, que nous voyons depuis longtemps au festival d’Avignon. Je me souviens du très beau et très cruel Un riche trois pauvres de Calaferte. Et comme d’habitude c’est un feu d’artifice, une union entre le texte brillant, fou, délirant et la comédienne inspirée.
Ce spectacle, à la fois émouvant et comique, est un véritable hommage à la langue française, un jeu sur les mots incessant. Sol  a des difficultés avec le langage et c’est de cette façon qu’il devient d’une efficacité redoutable quand il fait le bilan de l’état de notre planète, de l’injustice sociale, du rejet de l’autre, de l’exclusion et quand il nous raconte son enfance de mal-aimé. Il déforme les mots, les tord, en forme des nouveaux, c’est d’une irrésistible drôlerie, c'est douloureux aussi. La comédienne joue sur cette ambiguïté avec brio. Une heure et plus à jongler avec les mots comme avec des balles, à les lancer à la tête du public pour mieux les rattraper, à les rendre redoutables, corrosifs. Un excellent travail de mise en scène et d’interprétation, un texte qui est à la fois celui d’un clown et d’un poète.

Sol Marc Favreau

Quelques extraits des textes de Sol glanés sur le Net. Ces livres sont épuisés.

Si tous les poètes voulaient se donner la main, ils toucheraient enfin des doigts d'auteur!

Je persifle et je singe.

 Les photographes font tout un plat de leurs lentilles, et ensuite ils courent travailler au noir. Ça n'impressionne personne! »


Être un patron ça me déplairait pas…
Il est bien le patron.
D’abord il n’a pas besoin d’aller à l’école
il a sa classe à lui tout seul
c’est la classe digérante…
Oui passque le patron il mange
il mange très énormément tous les jours
dans une grande assiette fiscale…


Quand j’étais petit mon perplexe me disait toujours :
« La santé ça passe avant tout! »
Et c’est vrai qu’elle passe la santé.
Même que des fois elle nous dépasse, et on court
on court pour la rattraper, et pluss on court,
pluss on est fatigué…
et moins on la rattrape…
et quand on l’a perdue de vue la santé,
quand on l’a perdue pour de bon…
quand on se retrouve dans un fauteuil croulant,
c’est là qu’on comprend que dans la vie
c’est la santé qu’a le pluss d’impotence…



Comment Va le monde?
SOL/Bruzat
Théâtre des Carmes à 13H30 
durée 1H10
relâche 23 Juillet.



mardi 1 octobre 2013

Christine Eddie : Les carnets de Douglas





C'est dans le cadre du mois de la littérature québécoise  que j'ai lu Les carnets de Douglas de Chrstine Eddie

Le roman est conçu comme  s'il s'agissait d'un tournage de film: repérages/ gros plan/plan d'ensemble/Plongée, etc… Générique par ordre d'apparition. Je dois dire que ce procédé un peu trop gratuit n'ajoute rien au roman. Je le verrai plutôt comme un conte mais un conte triste, pourvu d' une petite musique tragique.

Romain appartient à la fameuse dynastie des Brady, profiteurs de guerre, enrichis par le malheur des autres. Mal aimé de sa famille à qui il ne fait pas honneur, il fuit dans la forêt pour y vivre en ermite, de la chasse et la pêche. Eléna fait sa conniaissance dans la forêt de la Rivière-aux-Oies. Elle donne à Romain le nom d'un arbre : Douglas. Les deux jeunes gens s'aiment et vivent dans la forêt.   C'est là que la petite Rose vient au monde et …  je ne vous en dis pas plus.

Curieux roman! On s'attend d'abord  à un roman rousseauiste  dans lequel la vie dans la nature magnifiée serait idéalisée. Et certes la nature est belle! Mais elle est aussi dure, inhospitalière  et meurtrière. Eléna et Douglas vont l'apprendre à leur dépens.

Le roman est bien écrit, d'une manière sobre, assez poétique mais curieusement, malgré les qualités d'écriture,  je suis restée extérieure à cette histoire. Je ne me suis pas réellement intéressée aux personnages. Et pourtant ce roman fait l'unanimité dans de nombreux blogs mais je l'ai trouvée un peu léger, sans grande consistance.

Née en France en 1954, Christine Eddie a grandi en Acadie avant de se poser au Québec où elle vit depuis plus de trente ans. Elle a d’abord publié des nouvelles et un conte pour enfants (La croisade de Cristale Carton, Hurtubise HMH, 2002) Son premier roman, Les carnets de Douglas, est paru en 2007. Parapluies, le second roman est paru en 20111. (wikipédia)




vendredi 20 septembre 2013

Jacques Poulin : Le coeur de la baleine bleue



 Tout de suite après L'homme qui entendait siffler une bouilloire de Michel Tremblay me voici, avec Le coeur de la baleine bleue de Jacques Poulin, confrontée à deux des plus célèbres écrivains québécois.* Et sur des sujet sinon similaires mais du moins présentant quelques points communs!

Le personnage de Michel Tremblay, cinéaste, victime d'acouphène est opéré d'une tumeur dans l'oreille interne et celui de Jacques Poulin, Noël, écrivain, reçoit en greffe le coeur d'une jeune fille de quinze ans. L'occasion pour les deux hommes d'être confrontés aux spectres de la maladie et la mort, de faire un retour sur soi-même, de s'interroger sur leurs rapports avec les autres et aussi sur leurs rapports à la création. Mais les ressemblances s'arrêtent là. Car les deux écrivains me paraissent être aux antipodes tant par leur style que par leur manière de traiter le sujet.
Alors que Tremblay reste accroché au réel, Jacques Poulin nous amène dans un récit poétique où la frontière entre réel et fantastique n'est pas nettement tranchée. Car ce coeur de jeune fille qu'il vient de recevoir va perturber le malade, le transformer. D'où lui vient cette douceur qui ne faisait pas partie de son caractère auparavant?  Et d'où sont issues ces étranges visions qui interfèrent avec son présent? Jacques Poulin fait vivre des personnages dont on ne sait jamais vraiment s'ils sont réels ou s'ils sont sortis tout droit de l'imagination de Noël. Bref! il fait en sorte que nous nous demandions toujours s'il s'agit d'un roman dans le roman ou encore d'un roman qui rejoint la réalité ou d'une réalité qui se fait roman, avec, par exemple, l'apparition de Charlie la baleine bleue… Jacques Poulin y insère paraît-il des passages d'un de ses romans Jimmy que je ne connais pas. 

Le livre est donc une réflexion sur  la création littéraire :

- pourquoi un homme commence-t-il à écrire?
-Peut-être parce qu'il a du mal à vivre

Et puis j'aimais trop les histoires, ça devait venir de l'enfance encore; une histoire c'est comme une maison. C'est étrange vous vous laissez aller; tout de suite vous dérivez vers l'enfance ou vers une maison.

Je commençais à croire qu'on n'inventait rien d'autre, en écrivant, que les images endormies de nous-mêmes.

Cela ressemblait plutôt à une idée fixe . On aurait dit que les mots constituaient en même temps la seule issue possible, une sorte d'initiation, un rite de passage comme certaines tribus primitives en faisaient subir aux adolescents qui prétendaient devenir des hommes.

Le roman de Jacques Poulin est aussi la chronique d'une mort annoncée. Dès le début, il est y question de rejet pour parler en termes médicaux ou de reflux pour emprunter au vocabulaire poétique du narrateur. Peu à peu, Noël comprend que cette douceur qui est en lui "était le sentier qui menait à la mort et aussi que la mort était comme un fleuve", une rivière sans retour (River of no return, allusion au film d'Otto Preminger ) qui vous ramène  à  l'enfance, vers "le pôle intérieur de soi-même" selon les mots d'André Breton, sans possibilité de revenir jamais en arrière

Encore une chose que j'ai comprise; la douceur la plus grande, c'est la mort.

Et cette douceur, elle résonne comme une petite musique triste tout au long de ce lent cheminement vers la solitude car la mort ne peut être partagée. Retour vers l'intérieur de soi-même mais aussi dans la ville de Québec que l'écrivain aime et semble connaître si bien. Cette marche dans la vieille cité est un plaisir supplémentaire pour le lecteur, qui, comme moi, reste nostalgique de ses voyages québécois;   supplémentaire mais pas anecdotique car le lieu physique comme celui intérieur joue un rôle important dans les errances de Noël.

Si par goût, je préfère la narration de Michel Tremblay parce qu'elle raconte une histoire solide, construite, avec des personnages bien réels dont on se sent proche et un langage pittoresque et savoureux (ce qui n'exclut pas la profondeur), je dois dire que je lis Le coeur de la baleine bleue  d'une autre manière. J'en détache certains passages parce que je les trouve beaux, je m'arrête à des pensées, des mots pour mieux les goûter. Ce roman doit se lire comme un poème.

De toutes façons, j'aimais les mots. Ce qui m'échappait, c'était les rapports entre les choses. Léo Ferré disait que les poètes écrivaient leur révolte avec des pattes d'oiseau; dans ma poitrine vivait cette chose nouvelle que Saint-Denys Garneau décrivent comme un oiseau; Goethe disait que les idées avaient des pattes de colombe. Sans pouvoir comprendre, je devinais que les poètes nous laissaient parfois derrière eux sur une route faiblement éclairée, comme celle que j'avais empruntée pour écrire mon histoire et qui menait infailliblement au rejet et à...





*Rien d'étonnant nous sommes en plein mois de septembre québécois chez Karine et il s'agit ici d'une lecture commune autour des oeuvres de Jacques Poulin.

lundi 16 septembre 2013

Michel Tremblay : L'homme qui entendait siffler une bouilloire





Drôle de sujet que celui choisi par l'écrivain canadien Michel Tremblay : L'homme qui entendait siffler un bouilloire et peut-être en grande partie inspiré par une expérience personnelle si l'on en juge par la dédicace :  Pour les docteurs Jean-Jacques Dufour et Gérard Mohr qui m'ont sauvé la vie.
 Le personnage de Michel Tremblay, Simon Jodoin, cinéaste reconnu, est en plein tournage lorsqu'il est brutalement assailli par un sifflement aigu et entêtant au fond de l'oreille. La persistance de ce bruit  obsédant, impossible à oublier, va presque le conduire au bord de la folie. L'opération d'une tumeur décelée dans l'oreille interne lui permettra-t-il d'être délivré de ces acouphènes?

 A priori, le sujet peut paraître anecdotique. Non que la souffrance infligée par les acouphènes soit négligeable mais parce qu'il s'agit d'un vécu qui paraît très personnel et d'un cas clinique particulier.  Pourtant, Michel Tremblay  va faire en sorte que nous sentions tous  concernés. En analysant les sentiments de son personnage, ses peurs face à l'opération, ses angoisses devant la maladie, le handicap et la mort, il écrit un roman où chacun peut se retrouver.  Le personnage cesse alors d'être un cas médical pour devenir un homme comme nous tous, avec ses faiblesses, ses regrets, son désespoir car la maladie est une rupture dans la vie qui permet un arrêt sur image : l'occasion de constater ses erreurs, de prendre conscience de son insignifiance car tout ce qui était primordial jusqu'alors cesse d'être important. Une véritable remise en cause au niveau professionnel. Qu'en est-il par exemple de sa réputation artistique?  L'occasion aussi de faire le point sur ses rapports avec son ex-femme, ses deux fils et son ami d'enfance Jean-Marc ainsi qu'avec ses collègues de travail, un travail sur soi-même qui est un véritable bouleversement. La maladie permet à Simon Jodoin de faire aussi l'expérience douloureuse du renoncement et c'est en pleurant qu'il comprend que jamais plus, il ne pourra écouter, comme avant, la musique qui est une part essentielle de sa vie. Mais elle l'oblige aussi, non sans révolte, à la patience, la maîtrise de soi. L'écrivain emprunte d'ailleurs à notre La Fontaine ces vers mis en exergue : "Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage".

Grâce au talent de Michel Tremblay qui sait rendre compte de tous les registres des sentiments vécus par son personnage et peut passer de l'émotion à l'humour, nous nous suivons avec passion les implications douloureuses et traumatisantes de cette maladie complexe qui laisse perplexes les médecins eux-mêmes et, au-delà, nous nous sentons en empathie, avec ce personnage qui est bien notre semblable, notre frère!

Du même auteur, j'ai vu au Festival d'Avignon : la pièce de théâtre A toi pour toujours Marie Lou ICI



Roman lu dans le cadre de Québec, le mois de Septembre 2013 chez Karine

mardi 17 juillet 2012

Festival OFF avignon 2012 : A toi pour toujours Marie Lou de Michel Tremblay

A toi pour toujours Marie Lou de Michel Tremblay


Né à Montréal en 1942, Michel Tremblay vit sa jeunesse dans un appartement de sept pièces du quartier Plateau Mont-Royal avec trois familles totalisant 12 personnes. Considérant avoir eu une enfance heureuse, il grandit entouré de femmes, qu'il observe, discrètement. Le milieu culturel dans lequel il se développe, ses proches et le quartier du Plateau-Mont-Royal seront à la source de son œuvre. (source wikipédia)
Son oeuvre a été couronnée de nombreux prix. Il est actuellement traduit en 35 langues.

La pièce de Michel Tremblay A toi pour toujours ta Marie-Lou mise en scène par Christina Bordeleau à Essaïön est une pièce très forte et l'on n'en sort pas indemne tant elle propose une vision noire et pessimiste de la société québécoise des années 70 mais aussi une réflexion plus générale sur l'amour, la sexualité, les rapports entre les couples et leurs conséquences tragiques sur les enfants. Michel Tremblay critique ici l'aliénation sociale de l'ouvrier exploité, rivé à sa machine toute sa vie, esclave d'un patron à qui il n'ose pas demander une augmentation et qui trouve une consolation dans l'alcool. Mais la femme de l'ouvrier n'est pas mieux lotie, opprimée par la morale catholique, l'obéissance au prêtre, la honte de sa sexualité et la maternité non désirée. Entre eux la haine a remplacé l'amour.

Carmen et Marie-Lou revoient la dernière journée de leurs parents Marie-Louise et Léopold il y a de cela dix ans. Les quatre personnages sont sur scène en même temps mais les deux jeunes filles n'appartiennent pas à la même époque ce que traduit la mise en scène qui les place en retrait, en arrière de la scène où elles sont tout à tour adultes, dans le présent, ou enfants, dans le passé, épiant leurs parents, toutes les deux atteintes, chacune à sa manière par les disputes, les scènes qui opposent leurs parents, la violence.
Le père et la mère sont tous deux assis à chaque extrémité de la scène, l'un à une table de bistro, l'autre tricotant dans son salon, ils ne se regardent pas, ils se parlent pourtant mais comme s'ils étaient à une grande distance l'un de l'autre. Une mise en scène sobre mais efficace qui nous permet d'emblée de situer les personnages dans leur univers et de comprendre la nature de leurs relations, le fossé infranchissable qui les sépare.
 Les acteurs tous excellents interprètent ces personnages avec une grande intériorité et une vérité criante. Il n'ont pas besoin de bouger pour nous faire sentir leur aliénation. Un geste, une attitude suffisent. La misère morale, sociale et sexuelle de ces personnages et les répercussions sur Carmen qui est parvenue à s'émanciper et Marie-Louise confite en dévotion qui ne peut, ni ne veut oublier, est touchante. On sort de ce spectacle le coeur serré.  Une réussite !
Texte commun rédigé par Wens et Claudialucia


A toi pour toujours Marie Lou
Michel Tremblay
Essaïon
du 7 au 28 Juillet à 12H30
Durée 1H20

dimanche 19 février 2012

Rita Mestokosho : Gardienne de la terre


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Emily Carr, peintre canadien (détail)

Dans son discours pour le prix Nobel, JMG Le Clézio cite les noms des écrivains, des poètes, qui "font" la littérature et dont il se sent proche. Parmi eux, Rita Mestokosho que j'ai eu envie de découvir à mon tour.
Rita Mestokosho est née en 1966  sur la côte Nord-est du Saint-Laurent dans la communauté des innus d’Ekuanitshit (Mingan) au Québec.
Elle doit son inspiration à la fois à la nature avec laquelle elle établit un contact fusionnel et à sa grand mère, mémoire de son peuple. Elle écrit en langue innue des poèmes qu'elle traduit elle-même en français.

L’homme est comme un saumon, le saumon remonte toujours la rivière où il est né, c’est cela le vrai mystère. Peu importe où l’homme va, il n’oublie jamais d’où il vient. Peu importe le nombre de kilomètres parcourus, le nombre de villes traversées, peu importe le temps qu’il met pour trouver une destination, il n’oublie jamais ses origines.


Sous un feu de rocher

J’ai appris à lire entre les arbres
À compter les cailloux dans le ruisseau
À donner un nom à tous les métaux
Tel que le quartz ou le marbre.
J’ai appris à nager avec le saumon
À le suivre dans les grandes rivières
À monter le courant de peine et de misère
Sans me plaindre et sans sermon.
J’ai appris à prendre le visage de chaque saison
À goûter la douceur d’un printemps sur mes joues
À savourer la chaleur d’un été sur mon cou
À grandir dans l’attente d’un automne coloré et long.
Mais, c’est uniquement sous un feu de rocher
À l’abri d’un hiver froid et solitaire
Que j’ai entendu les battements de la terre



Poème transféré de mon ancien blog

dimanche 8 janvier 2012

Emile Nelligan, le Rimbaud québécois

 


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Aujourd'hui j'ai envie de présenter un des poètes les plus célèbres du Québec, Emile Nelligan. Je l'ai découvert dans une librairie près de mon hôtel, dans le quartier de  Côte-des-Neiges, lors d'un séjour à Montréal, ville où il est né en 1879. Regardez son portrait. De Rimbaud, il a cet air d'extrême jeunesse et de fragilité que l'on observe chez le poète français au même âge. Il est aussi précoce que lui. Ses premiers vers sont publiés alors qu'il a seize ans. Sa voix s'éteindra aussi très vite mais pas pour les mêmes raisons. Emile Nelligan est atteint de troubles mentaux très graves. Il est interné  en 1899 et c'est à l'asile qu'il mourra en 1941. On sent dans ses poèmes l'influence non seulement de Rimbaud mais aussi de Baudelaire, Nerval, Verlaine...
J'ai choisi son poème le plus connu Soir d'hiver  qui est mon préféré.

Alexander V. Jackson : Les Laurentides (peintre québécois , groupe des sept)

Soir d'hiver

Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
A la douleur que j’ai, que j’ai !
*
Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire : Où vis-je ? où vais-je ?
Tous ses espoirs gisent gelés ;
Je suis la nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés.
*
Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.
*
Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
A tout l’ennui que j’ai, que j’ai !...
**

Et puis un autre petit poème en prime!

Quelqu'un pleure dans le silence

Quelqu'un pleure dans le silence
Morne des nuits d'avril ;
Quelqu'un pleure la somnolence
Longue de son exil ;
Quelqu'un pleure sa douleur
Et c'est mon coeur !


Poème publié dans mon ancien blog en 2010.

mardi 27 septembre 2011

François Barcelo : Les Plaines à l'envers



Voici le compte rendu d'un livre que j'ai acheté et lu pendant mon voyage au Québec à Montréal.

Près de mon hôtel Terrasse Royale, dans la rue Notre-Dame-des-Neiges à Montréal, la librairie-restaurant Olivieri est un lieu de perdition, s'il en est ! Le pire c'est que même quand vous allez manger au fond de la librairie, vous êtes encore et toujours soumis à la tentation. 
C'est comme cela que j'ai acheté, entre autres, Les plaines à L'envers de François Barcelo.

 Le titre fait allusion à la fameuse bataille des plaines d'Abraham qui en 1759 a établi la victoire de l'Angleterre sur la France au Québec. 


L'intrigue est double : un écrivain est engagé par erreur pour écrire le scénario qui devra servir de base à un film sur la bataille des Plaines d'Abraham. Nous assistons à ses difficultés et à toutes les étapes de son travail, prétexte à une satire du monde du cinéma que notre personnage découvre avec consternation. Parallèlement nous suivons l'histoire d'un jeune homme qui veut être engagé comme figurant sur le film.
 
Hélas! Le tournage du film sera un échec puisqu'il aboutira, par un concours de circonstances que je ne vais pas vous dévoiler (ménageons le suspense, mais imaginez la pagaille), à  des Plaines à L'envers, c'est à dire à un résultat contraire à la réalité Historique. Et oui, vous m'avez bien compris, dans le film, à la suite d'une erreur, les français l'emportent sur les anglais !

 Fiasco donc pour le scénariste, héros de ce livre, mais petite satisfaction pleine d'humour pour l'auteur, François Barcelo, qui offre à ses lecteurs québécois et français une revanche sur l'Histoire! Pas un grand livre peut-être, mais un moment d'humour savoureux!

Quand on voit combien cette bataille a marqué les Québécois dans leur mémoire collective (il suffit de visiter le pays pour en prendre conscience), on comprend que Les plaines à l'envers, qualifié par ailleurs de thriller humoristique, a dû être bien accueilli.. au Québec!


Auteur : François Barcelo
Ouvrage : Les Plaines à L'Envers
 éditions "Bibliothèque Québécoise"

voir site de la bataille des plaines d'Abraham

mercredi 14 avril 2010

Des Ombres sur un rocher : le Saint-Laurent

Taguée par Mango , je publie la sixième photo que j'ai prise moi-même et que j'ai publiée dans mon blog.
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Le Saint Laurent à Québec

Certes, cette photo n'a rien d'extraordinaire et elle ne rend pas l'impression d'espace, d'immensité du spectacle qui s'étendait devant mes yeux : Le fleuve Saint Laurent, semblable à la mer, vu du haut du rocher de la ville de Québec. Nous avions séjourné à Montréal deux semaines  au mois de juin 2007 pendant que mon mari faisait passer le bac, option cinéma, aux élèves du lycée français. Lors d'une journée de congé, nous avions pris le car pour Québec. Il faisait une chaleur torride, digne de la Provence au mois d'août, pendant que nous grimpions sous le soleil vers la vieille cité jusqu'au belvédère qui domine la ville neuve. Mais quelle récompense!
J'ai publié cette photo dans mon blog  pour illustrer le roman de Willa CatherDes ombres sur un rocher dont l'intrigue se déroule au début du XVIIIème siècle dans la ville de Québec.
Je tague à mon tour les blogs suivants :  Pallier de Graine de maison, des textes pleins d'humour qui racontent la rénovation d'une maison en Creuse tout en égrenant des allusions-devinettes littéraires ou cinématographiques; le blog d'une photographe Aurélia frey qui allie photographies oniriques et textes poétiques; celui de Miriam dans Voix Nomades, récits passionnants de voyages et de lectures liés aux pays visités; Rencontres en art et littérature de Catherine Hollocou qui a commencé son blog, très agréable, il y a peu de temps, L'expérience du désordre de Sophie-Ficelle, auteur et blogueuse que je lis avec beaucoup d'intérêt, le Skriban  de Gwenaëlle que je viens de découvrir avec plaisir.

mercredi 30 avril 2008

André de Richaud et autres livres : lectures du mois d’avril 2008


La douleur d'André de Richaud : récit autobiographique se déroulant près  d'Avignon , au bord de la Sorgue.
Pendant la guerre de 14-18 : mort du père. Amour fusionnel entre un enfant et sa mère qui tourne à la tragédie quand la mère prend pour amant un prisonnier allemand. Point de vue du petit garçon.
La campagne provençale sert de contrepoint poétique et gaie à l'atmosphère lourde et triste de l'intrigue; parfois une impression de déjà vu dans le personnage féminin, une Emma Bovary provençale doublée d'une Thérèse Raquin (pour sa sensualité) ; mais l'écrivain a une plume puissante; il s'agit d'un premier roman qui a fait scandale à l'époque. Il s'est vu refuser un prix littéraire pour immoralité! je n'ai rien lu d'autres de cet auteur sauf des textes - très beaux- sur Carpentras et Avignon.
André de Richaud à 20 ans
J'ai très envie de lire ses autres écrits car ce premier ouvrage paru en 1931 était prometteur. J'aimerais savoir pourquoi après avoir fini sa vie tristement dans une maison de retraite, pauvre, alcoolique, abandonné de tous, son oeuvre est tombée plus ou moins dans l'oubli.


Mémoires d'un touriste de Stendhal : lu les passages de son arrivée à Avignon et son séjour dans la ville.
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Les filles d'Avignon d'Aubanel :
Les poésies traduites en français perdent beaucoup par rapport au provençal.
Théodore Aubanel, félibre d'Avignon


Les yeux bleus de Mistassini :
 
 Jacques Poulin, auteur québécois installé à Paris. Son personnage un vieux libraire est atteint de la maladie "d'Einsenhower", triste maladie dont il oublie toujours le nom. J'ai d'abord aimé le début, la vieille librairie du Vieux-Montréal qui accueille tous les marginaux, les désargentés, auprès d'un poêle ronflant, une librairie où les livres aimés sont placés à l'entrée pour qu'il puissent être volés avec facilité. La suite du roman qui se passe à Paris m'a déçue. Pour résumer mon sentiment il faut aller sur le site de cette lectrice dont le texte correspond tout à fait à ce que j'ai ressenti.
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Le Vieux Chagrin de Jacques Poulin (Editions Actes Sud)



Vert Venin (Editions Actes Sud) : Ornela Vorpsi

Le personnage, une albanaise qui vit à Paris, part à l'aide d'un ami malade à Sarajevo.

O' Pionner de Willa Cather




J'ai continué la lecture de Yoko Ogawa :

Trois courts romans, fonctionnant comme des nouvelles avec une chute qui vous laisse pantois :
La Grossesse
Les Abeilles
La Piscine
l'Hôtel Iris (éditions Actes Sud ): j'ai peu aimé ce récit d'une passion sado-maso très éloigné de l'univers de Yoko Ogawa que j'avais découvert dans Amours en marge et Parfum de glace.








Le musée du silence de Yoko Ogawa      16052.1221335014.jpg
La part du diable : André de Richaud
L'or des mots sous la direction de Eve Duperray : La Sorgue Baroque
: Retour aux ondes thessaliques


Le Quintette d'Avignon de Lawrence Durrell : Monsieur ou le Prince des Ténèbres ( Livre 1)


Une terrible vengeance et trois autres récits fantastiques de Mrs Ridell
Charlotte Ridell est un écrivain de l'époque victorienne; elle a été aussi célèbre de sont temps que George Eliot et très prolixe. Mais elle a été oubliée par la suite.
Ces nouvelles : la porte ouverte, Walnut-Tree House, Nut Bush Farm, Une terrible vengeance sont des histoires  fantastiques avec intervention du surnaturel et revenants. Mais il y a toujours un personnage qui mène une enquête pour comprendre le phénomène étrange auquel il assiste si bien que le récit fantastique se double d'une intrigue policière.