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lundi 8 mars 2021

Olga Tokarczuk : Les enfants verts



Au XVIIe siècle, William Davisson, un botaniste écossais, devenu médecin particulier du roi polonais Jean II Casimir, suit le monarque dans un long voyage entre la Lituanie et l'Ukraine. Esprit scientifique et  observateur, il étudie les rudesses climatiques des con ns polonais et les coutumes locales.
Un jour, lors d'une halte, les soldats du roi capturent deux enfants. Les deux petits ont un physique inhabituel : Outre leur aspect chétif, leur peau et leurs cheveux sont légèrement verts. (quatrième de couverture)

En cherchent un roman d’Olga Tokarsucz à la médiathèque pour le mois de littérature des pays de l’Europe de l’Est, j’ai trouvé un tout petit livre intitulé Les enfants verts paru aux éditions de La Contre Allée, collection fictions d’Europe.
Drôle de petit bouquin ! Il tient à la fois d’un récit de voyage ancré dans le passé aussi bien par le style lorsqu’il s’adresse à nous : « Sache, cher lecteur, que les hivers en Pologne sont rudes, si rudes que l’on prend un chemin de traverse sur la Baltique gelée pour aller en Suède… » que par l’Histoire : nous sommes au XVII siècle sous le règne de Jean Casimir II (1609_1679) qui est monté sur le trône à partir de 1648. C’est une période de guerre qui oppose la Pologne aux cosaques d’Ukraine alliés aux Russes qui menacent la frontière à l'est mais aussi aux Suédois qui envahissent une partie du pays à la frontière ouest.
Mais la guerre n’est pas le sujet du roman. Elle sert seulement de décor dans le voyage du botaniste écossais William Davisson qui suit le roi dans ses déplacements à travers la Pologne en tant que médecin. Le thème central est la découverte des enfants verts et et s'apparente alors à un conte traditionnel : Qui sont ces enfants étranges ? Pourquoi leurs cheveux et même leur peau sont-ils verts ? Appartiennent-ils à un peuple des bois, elfes, esprits des arbres ?

 Pendant l'hiver, ils perdent du poids, mais dès que la première lune de printemps se lève, ils montent tous sur les sommets des arbres, et, durant des journées entières exposent leur corps à la lumière afin qu'ils reverdissent.

 Bien sûr, notre narrateur, scientifique, ne peut croire à ces balivernes, lui, qui observe ces enfants sauvages et les étudie de très près. La maladie qui les touche La plica polonaise*, détail réaliste, est d’ailleurs un sujet d’étude pour lui.  Pourtant le « conte » finit comme celui du Joueur de flûte de Hamelin : tous les enfants disparaissent !

C’est aussi vers le conte philosophique que s’oriente le livre. Ces êtres différents, non seulement à cause de leur couleur paraissent impossibles à comprendre pour "les gens normaux", ceux qui habitent le centre du monde "là où tout prend immédiatement du sens et s’organise en un ensemble cohérent et facile à interpréter. ". On s’aperçoit ensuite que ces enfants ne sont pas de sauvages, qu'ils ont un langage, des qualités, (ils savent soulager la douleur) et que leurs coutumes expliquent leurs différences. Il est donc possible de saisir et de comprendre l'altérité. D'ailleurs, si  tous les enfants du village disparaissent, c'est que cette civilisation, celle qui est « périphérique », selon les termes d’Olga Tokarczuk, leur paraît plus attirante que la nôtre. D’où la  mélancolie  qui s’empare du narrateur quand lui-même retourne au centre  !
Et je compte maintenant sur le lecteur pour m’aider à comprendre ce qui s’est réellement passé, car les périphéries du monde nous marquent à jamais d’une mystérieuse langueur. 

La plique polonaise

 *La plique polonaise : maladie des cheveux ou/et manque d’hygiène ?
Je n’avais jamais entendu parler de la plique polonaise, affection qui sévissait en particulier en Pologne jusqu'à la fin du XIX siècle et semble rare de nos jours. J’en ai cherché explication dans Wikipédia : « Dans toutes ces descriptions, on voit que la plique était caractérisée principalement par l'abondance, la longueur et l'enchevêtrement des cheveux, devenus gras, inextricables, rassemblés en nattes, en touffes, en chignons, peuplés de poux et de lentes, et exhalant une odeur infecte; quelquefois même on a noté la même altération des poils des aisselles et du pubis. On a décrit également chez les malades atteints de ces lésions pileuses un malaise général, des douleurs et de l'engourdissement dans les membres, un sentiment d'abattement et même quelquefois du délire et de la fièvre, phénomènes qui semblaient accuser l'influence de la maladie capillaire sur la santé générale »  Alfred Hardy

 

 Olga Tokarczuk


Née en 1962 à Sulechow à l’ouest de la Pologne dans une famille d’enseignants, Olga Tokarczuk a fait des études de psychologie à l’université de Varsovie, couronnées par une thèse de doctorat sur Carl Gustav Jung. L’écrivaine reconnaît explicitement sa fascination pour les idées de ce psychiatre suisse dont son œuvre se fera l’écho. Une fois diplômée elle a exercé pendant quelques années en tant que psychothérapeute avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Voir  la suite : BNF ici