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jeudi 1 décembre 2011

Reif Larsen: l'extravagant voyage du jeune et prodigieux TS Spivet



Tecumseh Sansonnet Spivet (ces deux prénoms sont tout une histoire!) vit dans un ranch à Divide, Montana, avec sa famille composée de membres un peu disparates, entre un père cow boy plutôt rustique et une mère, le Dr Clair, entomologiste passionnée. Celle-ci a compris les dons extraordinaires de son fils et les encourage en le confiant au docteur Yorn, un savant qui devient une sorte de père spirituel. Jeune cartographe surdoué de douze ans, passionné de sciences, TS Spivet apprend qu'il a gagné un prix prestigieux décerné par le musée Smithsonian à Washington pour la qualité exceptionnelle de ses illustrations scientifiques. Il décide alors sans avertir ses parents et son mentor de partir à Washington pour recevoir son prix mais là-bas personne ne sait qu'il est un enfant. C'est le début d'une longue traversée des Etats-Unis, caché dans un train de marchandise comme un véritable vagabond  de la Grande Dépression, un hobo.

Disons tout de suite que le personnage principal, TS, jeune garçon surdoué est très attachant. Le contraste entre sa maturité intellectuelle et son comportement parfois enfantin amusent mais est émouvant car il révèle sa fragilité et sa solitude. Son voyage sera une épreuve, il affrontera beaucoup de dangers, il lui faudra patience, intelligence et courage pour réussir.

Le roman est divisé en trois parties qui correspondent à trois moments de la vie de TS et aussi à trois étapes géographiques :  1°L'Ouest  2° la traversée 3 °L'Est.  Au cours de ces trois étapes, Reif Larsen présente à la fois les paysages de l'Amérique mais aussi son passé à travers la saga de sa famille car TS va découvrir, dans un carnet qu'il a volé à sa mère, l'histoire d'Emma, son arrière grand-mère.  Ce récit dans le récit mêle à la fois le passé et le présent et établit des parallèles entre deux destins, celle d'Emma et du Dr Clair, la mère de TS. Scientifiques de haut niveau, elles sont en tant que femmes vouées à l'échec, en butte à la suprématie masculine. Prises au piège de l'amour pour des hommes qui ne leur ressemblent en rien, elles sont retenues au foyer et élèvent leurs enfants. Un parallèle existe aussi entre Emma et son arrière petit-fils. Tous deux ont besoin d'un père spirituel, d'un mentor pour les guider dans le domaine des sciences. Le jeune garçon réussira-t-il là où Emma a échoué? On verra quand il arrivera au Smithsonian que la question se pose. L'enfant, comme la femme, a à affronter des difficultés et déjouer des chausses-trappes inhérents à son fragile statut social. TS rencontre, en effet, la jalousie des scientifiques adultes mais excite aussi leur concupiscence car l'image de l'enfant prodige peut être médiatisée et rapporter gros. Le jeune garçon est transformé en bête de cirque, exposé à la curiosité de tous, exploité. Heureusement pour lui, son père, le vrai, interviendra pour le sortir des griffes de cette "maffia". Vision assez pessimiste de Reif Larsen visant l'une des Instituions les plus prestigieuses du pays!

C'est en ce sens que l'on peut dire que ce voyage est initiatique pour TS. Il va découvrir la vérité des personnes qui l'entourent cachée derrière l'apparence. Pas seulement celle des scientifiques mais aussi celle de ses parents. Il y a un grand sens du tragique dans cette famille dont les membres sont incapables d'exprimer leurs sentiments que ce soit pour dire leur amour ou crier leur désespoir. Entre un père taciturne et un peu primaire, une mère, savante et secrète qui s'enferme dans de vaines recherches pour un insecte qui n'existe vraisemblablement pas, il se sent coupable de la mort tragique de son grand frère Layton dont personne ne parle dans une sorte de déni de la réalité. Sa longue traversée lèvera le voile et lui fera mieux comprendre sa mère et découvrir les sentiments de son père, ce qui tempère la tristesse de l'enfant. Mais l'humour le dispute au tragique avec tout autant de force  car les personnages de cette famille sont si inattendues, si étranges, si extravagants que l'on ne peut s'empêcher d'en rire.... Gracie, la grande soeur, la seule "normale" de la famille fait parfois ce qu'elle appelle un une retraite "anti-abrutis" quand elle ne peut plus les supporter. Elle s'enferme dans sa chambre dont elle ne sort plus même pour prendre ses repas.

Elle y restait des heures, jusqu'à trente-six le jour où je l'avais électrocutée (par accident) avec le polygraphe que j'avais fabriqué moi-même et que, par la suite, j'ai pris la sage décision de démonter. Ce jour-là, je n'avais pas réussi à lui faire abandonner son cocon de pop sucrée qu'en lui offrant presque cent cinquante mètres de chewing-gum en ruban (et toute mon allocation mensuelle de l'Institut de surveillance géoloque y était passée.

 Notons aussi et c'est un des faits remarquables du roman que les connaissances scientifiques de Reif Larsen, son sens du détail, de la précision, lui permet de nous faire découvrir un monde passionnant  dans lequel il nous introduit par l'intermédiaire  de son petit héros à la curiosité insatiable. De plus, l'écrivain mène  une réflexion sur la science avec une telle ferveur qu'il nous la fait aimer. Et quand il demande si celle-ci est bien utile, c'est l'éclat de rire de Mr Englethorpe, le mentor d'Emma, qui répond :
C'est le mot "utile" qui me chiffonne. Toute ma vie ce mot m'a tracassé. Voyager, par exemple, est-ce "utile". Je n'en suis pas certain, mais bon Dieu (..), bon Dieu que c'est passionnant"!

Les marges du livre sont agréablement illustrés et présentent les schémas mais aussi des réflexions scientifiques de TS, des anecdotes familiales... Ceci a été parfois un peu déstabilisant pour moi  (pourtant c'est un des charmes du livre!) car j'avais l'impression d'être détournée de ma lecture, arrêtée dans la progression du récit par tous ces détails foisonnants. Quand je m'y suis habituée, je me suis rendue compte que la plupart de ces notes servait  le récit. Je me suis demandée si les difficultés que j'avais éprouvées pour progresser dans ma lecture étaient liées à cette manière d'écrire un peu partout comme s'il s'agissait d'un carnet de notes prises sur le vif ou si certains passages étaient moins réussis d'où une attention moins soutenue? Par exemple, je n'ai pas aimé cette histoire de société secrète du Mégatherium auquel adhère TS. Je ne vois pas trop où menait cette histoire , ce que l'auteur voulait dire? Mais malgré cette restriction, ce roman est riche, passionnant par bien des aspects.

de Sylire et LIsa

Magritte, le double secret


 Magritte Le double secret est un album de l'atelier des enfants et musée national d'art moderne du Centre Georges Pompidou dans la collection l'Art en jeu. Ce livre se propose de faire comprendre aux jeunes lecteurs le tableau de Magritte intitulé Le Double secret (1927)et de les faire pénétrer dans l'oeuvre de l'artiste.
Une silhouette se détache  devant une fenêtre. Est-ce un homme? Est-ce une femme? Que pense-t-il? Parle-t-il? Imaginons que l'on regarde à l'intérieur par des petits trous pour connaître son secret. Mystère! c'est l'obscurité absolue! Alors découpons ce visage pour voir à l'intérieur, posons le morceau à côté de la tête et voilà ce que l'on découvre :

Le double secret

Des petits grelots, une série de petits grelots?  Mais qu'est-ce que cela signifie? Le livre amène à une interrogation ludique sur le sens de cette image. Qu'a voulu dire le peintre? On peut imaginer avec l'enfant que la dame (?) a de la musique de la tête, Pourquoi? Parce qu'elle est vide, qu'elle n'a pas de place pour la pensée et le sentiment ou parce qu'elle est gaie, toujours en train de voir la vie du bon côté?
On peut imaginer aussi que l'on  découvre  dans cette tête ouverte autre chose :  L'empire des Lumières (1954), La vie secrète (1928) La Mémoire (1948), Le Modèle rouge (1935) Le Libérateur (1947)

L'empire des lumières

L'album nous amène alors vers d'autres découvertes des oeuvres de Magritte et grâce au découpage du premier tableau nous pouvons emplir la tête du personnage de tout l'univers bizarre et mystérieux  de Magritte.  Il s'en passe des choses dans une tête!


La Mémoire et le Modèle rouge

L'album est donc une exploration agréable et enrichissante de l'univers surréaliste du peintre. Il interroge l'enfant sur le sens de ce qu'il voit autour de lui et peut être prétexte à attiser son imagination.  Pourquoi la maison est dans la nuit en plein jour? Pourquoi la mémoire a-t-elle une tache de sang sur le visage .... ?
Un bel album à partager avec son enfant.


Pour Magritte, peindre était une méthode pour mieux connaître l'existence : des grelots, une pomme verte, des chaussures, une maison, des arbres, les oiseaux, les nuages, le jour et la nuit; tout cela est familier et on ne regarde plus vraiment ce que l'on connaît très bien ou que l'on croit connaître. Si tout à coup les chaussures deviennent des pieds, la pomme devient si grosse qu'elle remplit la pièce, si la nuit tombe au milieu du jour, si une grosse boule flotte dans l'air de la chambre comme une énorme lune, si les grelots tintent dans une tête, alors, on s'arrête... On se dit : Quoi??... que se passe-t-il? Est-ce vraiment une pomme? et les chaussures, et la maison? Ai-je bien regardé? Ai-je réellement bien compris?
Catherine Prat-Okuyama et Kimihilo Okuyama




Les peintures sont comme des fenêtres ouvertes sur un monde qui est notre monde et pourtant, le temps n'y est pas le même que celui de nos montres, les lieux y semblent différents, et ainsi on se réveille, on a presque peur et le secret des choses peut nous apparaître. C. et K. OKuyama


Le mot : secret