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vendredi 26 février 2021

Guillermo Arriaga : Le sauvage


Dans un quartier violent de Mexico, Unidad Modelo, Juan Guillermo qui vit dans une famille aimante, est en admiration devant son brillant frère aîné, Carlos, trafiquant de drogues. Lorsque celui-ci est assassiné par « les bons garçons » un groupe de fanatiques religieux, appuyé par le commandant de police Zurita, il jure de le venger. Sa grand-mère, ses parents, minés par le chagrin, vont mourir à leur tour, le laissant seul à l’âge de 17 ans.
Parallèlement se déroule l’histoire d’Amaruq, un trappeur inuit qui poursuit un loup à travers les forêts du Yukon.

Comment rendre compte d’un livre comme Le sauvage de l'écrivain mexicain Guillermo Arriaga ? Un roman fleuve touffu (700 pages) qui coule impétueusement pour ne pas dire sauvagement (et oui, le titre du roman !) emportant tout sur son passage, un roman qui dépose, comme des alluvions, des pensées philosophiques, de Confucius à Jim Hendrix, des considérations mythologiques, étymologiques, ethnologiques, englobant toutes les civilisations, de la Grèce à Rome, en passant par l’Afrique ou la Chine et les peuples amérindiens, les aztèques du Mexique, un récit qui enchevêtre savamment deux histoires, sans aucun ordre, et surtout pas chronologique  :  
Celle du jeune Juan Guillermo dans un quartier populaire de Mexico
et celle d’Amaruq, un trappeur inuit, qui traque un loup géant dans les forêts enneigées du Yukon, loup qui n’est autre que son double.

A priori, rien de commun entre ces deux histoires si ce n’est que le lecteur se doute bien qu’elles se rejoindront un jour, ce qui n’empêche pas l’effet de surprise lorsque cela arrive.
Mais le lecteur va voir bien vite que le fil directeur de ces deux récits est le loup. Le loup sauvage et libre que traque Amaruq, mais aussi la bête sauvage et muselée, enlevée à sa forêt, enchaînée, que l’homme n’est pas parvenu à domestiquer. C’est celle qu’affronte Juan Guillermo, solitaire, dans sa maison dévastée, un combat qui oppose l’adolescent de 17 ans qui a perdu toute sa famille à l’animal indompté que lui ont donné ses voisins. La ressemblance entre les deux, la bête et le jeune homme est frappante.

Et puis il y a l’homme, un loup lui aussi, celui qui torture et assassine au nom de Dieu. Ainsi, les« Bons garçons », groupuscule de droite catholique, fanatisé, armé par l’église, protégé par le gouvernement, qui font la chasse aux communistes, aux athées, aux juifs, aux homosexuels, aux prostituées … Bref ! à tous ceux qui, à leurs yeux, offensent la morale. Ceux qui ont laissé le frère de Juan, Carlos, mourir noyé dans la citerne où il s’était caché.
Et enfin la police, en la personne de Zurita, partisan de la justice expéditive, complice de tous les crimes y compris du trafic de drogues pourvu que l’on sache l’acheter ! Zurita qui monte en grade, toujours plus puissant, récompensé par le gouvernement pour ses bons et loyaux services chaque fois qu’il accomplit un travail « d’épuration ». Car tout est pourri au Mexique, tout est corrompu, du plus bas de l’échelle au plus haut. La Justice n’existe pas, c’est celui qui a le plus d’argent qui l’emporte. La corruption règne. Pas étonnant, alors, que Juan décide de venger son frère par ses propres moyens en tuant de ses mains Humberto, le chef des Bons garçons.
La Vengeance, l'un des thèmes importants du roman, avec la corruption, et ses questionnements : la vengeance est-elle légitime ? Peut-elle laisser indemne ? Celui qui se venge ne descend-il pas au niveau de de celui qui a commis le crime ? Que va-t-il arriver à Juan quand sa vengeance sera assouvie ? Sera-t-il toujours le même homme ? Vengeance étroitement liée à notion de culpabilité et de responsabilité. Aux yeux de l’adolescent, son grand frère Carlos si beau, si intelligent, si cultivé (il adore la lecture), si plein d’humour, est auréolé d’innocence. Il n’est pas coupable de vendre de la drogue puisque les gens sont libres d’en consommer ou pas. Ce sont les drogués qui sont responsables de leurs vices mais pas Carlos. La question se reposera quand Juan récupèrera l’argent de la drogue après la mort de son frère.

Tout n’est pas au même niveau dans ce livre. Il y a des moments si forts, si prenants, qu’ils vous retiennent prisonniers, puis des passages, non de la lassitude mais de relâchement, où vous sentez que vous n’êtes pas aussi impliqués. La mort de Carlos dans la citerne orchestrée par les coups de poing qu’il donne dans les parois, résonnant comme un glas, est hallucinante; celle du combat féroce entre le loup et Juan l’est tout autant. Et que dire, de la vision hallucinante d’Humberto, le fanatique, au pied du cercueil de sa mère, dans le logement empuanti par l’odeur du cadavre ! Les nuits redoutables d’Amaruq dans la forêt du Yukon, hantées par les esprits des morts, cernées par les loups, sont aussi très impressionnantes. Ces scènes présentent une forme de grandeur par rapport à la violence des villes. Là, c’est une confrontation entre la Nature et l’Homme et la manifestation de la toute puissance de la Nature par rapport à la fragilité humaine. Pourtant l’Homme lui oppose la force de sa volonté. Et ce n’est pas rien ! Ainsi en est-il de la marche forcée d’Amaruq dans la neige pour sauver son loup, et de la chasse de la dernière chance qu’il mène pour se procurer à manger, au bord d’une falaise verglacée, à la poursuite d’une chèvre. C’est de la grandeur de l’homme qu’il s’agit malgré sa faiblesse. C’est aussi de liberté. Tout ce qui manque à Juan Guillermo dans la jungle de Mexico.
Le roman se termine par une note d’espoir dans lequel Juan, aidé en cela par son amour, Chelo, va peut-être retrouver, avec la liberté, le goût de vivre ?

Guillermo Arriaga


 Guillermo Arriaga Jordán est un acteur, réalisateur, scénariste et producteur mexicain pour le cinéma, et un écrivain. Il est né et a grandi dans le quartier populaire Unidad Modelo, l'un des plus violents de la ville de Mexico. À l'âge de 13 ans, il perd le sens de l'odorat à la suite d'une bagarre de rue. Il se servira à plusieurs reprises de cette expérience dans ses scénarios. Arriaga est diplômé d'une licence en sciences de la communication et d'une maîtrise d'histoire de l'université ibéro-américaine. Il fut un temps professeur dans cette université, où il rencontre Alejandro González Iñárritu, puis à l'Institut de technologie et d'études supérieures de Monterrey.

Son premier livre traduit en français "Un doux parfum de mort" est paru chez Phébus en 2003. Il est l’auteur des scénarios de 21 Grammes, Amours Chiennes et Babel d’Alejandro González Iñárritu.
Il a également écrit le scénario et a joué dans le premier long-métrage réalisé par Tommy Lee Jones, Trois Enterrements, pour lequel il a remporté le Prix du scénario au Festival de Cannes 2005. Il a depuis écrit le scénario de El Bufalo De La Noche, qu’il a également produit. (Babelio)


 

 

vendredi 5 février 2021

Carlos Fuentes : En inquiétante compagnie

 

Carlos Fuentes est un écrivain mexicain. Le livre que je présente ici est, d’après la quatrième de couverture, « dans un genre inhabituel ».  C’est ce que je ne saurais dire puisque c’est le premier livre que je lis de lui. Il s’agit d’un recueil de nouvelles qui exploite le thème du fantastique, de la folie, de la mort, des vampires d’où le titre « En inquiétante compagnie ».

 Je n’ai pas apprécié toutes les nouvelles. Voici mes trois préférées.


Dans L’amoureux du Théâtre, le personnage, un jeune mexicain solitaire installé à Londres, shakespearien passionné, tombe amoureux d’une jeune fille qu’il voit évoluer de sa fenêtre, dans l’appartement voisin. Non seulement, ils n’échangeront aucune parole mais elle refuse de rencontrer son regard. Plus tard, en allant au théâtre, il découvre qu’elle joue le rôle d’Ophélie dans Hamlet. Mais elle est réduite au silence par un metteur en scène mégalomane qui est aussi acteur  narcissique et ne lui permet pas de parler ! Jusqu’ici ça va, je suis en terrain connu avec le In du festival d’Avignon ! J’ai moi-même assisté à une mise en scène du roi Lear où une Cordélia baîllonnée, en tutu et sur pointes, ne pouvait prononcer une seule parole, misogynie assumée (?) par le metteur en scène Olivier Py !
Mais dans la nouvelle de Carlos Fuentes, il y a autre chose : Ophélie est-elle vraiment la jeune femme observée à la fenêtre ? Est-elle réellement muette ? Meurt-elle sur scène comme le croit le personnage ? Quelle est cette fleur qu’elle lance à notre jeune spectateur, symbole de la vie, et qui ne se fâne jamais ? Pourquoi les journaux racontent-ils des mensonges sur ce qui s’est passé au théâtre?  A moins que le jeune mexicain n’ait sombré dans la folie ? C’est au lecteur de conclure.
Une autre de ces nouvelles qui s’intitule En bonne compagnie  fait écho ironiquement au titre général du recueil. A la mort de sa mère qui vit en France, à Paris, son fils Alexandro de la Guardia va rejoindre ses deux tantes à Mexico. Deux bien étranges vieilles demoiselles qui ne veulent pas se croiser tout en vivant dans la même maison et qui demandent à leur neveu de ne jamais entrer par la porte principale mais par une entrée plus discrète à l’arrière. Que veulent-elles cacher ? Pourquoi toutes ces cachotteries et bizarreries ? Sont-elles folles, dangereuses ? Pourquoi semblent- elles parler à un petit garçon et non à un adulte quand elles s’adressent à lui ? 

Dans Calixta Brand, la jeune fille, personnage éponyme de la nouvelle, est une jeune américaine venue au Mexique pour poursuivre ses études de langue. Estéban, jeune hidalgo de bonne famille l’épouse. Mais il est très vite jaloux de l’intelligence, de la culture et de la supériorité intellectuelle et morale de sa femme. La haine va peu à peu remplacer l’amour. C’est une des nouvelles qui pourrait ne pas être fantastique si ce n’était la fin. L’analyse des sentiments du jeune homme, la peinture d’un monde machiste où la femme doit rester à sa place et où l'homme doit dominer, le mépris manifesté aux inférieurs, sont ancrés dans une classe sociale imbue d’elle-même. La cruauté des rapports humains et le personnage fier et digne de la femme en font un texte très intéressant.
Mais c’est vraiment avec La chatte de ma mère, la Belle au bois dormant, et la dernière nouvelle, Vlad (dracula) que nous plongeons dans le fantastique (trop) attendu avec l’apparition de morts-vivants, les cercueils des vampires cachés dans l’obscurité d’un tunnel et les morsures dans le cou. J’ai moins aimé ces trois nouvelles parce que le fantastique y est plus affirmé et ne laisse pas au lecteur la liberté d’imaginer et d’apporter sa réponse personnelle.
Donc ce recueil n’est pas un coup au coeur pour moi et il me faudra lire d’autres nouvelles de Carlos Fuentes pour mieux le connaître.

Mexique : Carlos Fuentes Macías

Carlos Fuentes Macías naît au Panama en 1928  mais est de nationalité mexicaine. Ses parents sont diplomates d'origine mexicaine. Il partage son enfance entre Quito, Montevideo, Rio de Janeiro, Washington, Santiago du Chili et Buenos Aires. Adolescent, il retourne vivre au Mexique où il fait des études de droit à l'Université de Mexico. Il les poursuit à l'Institut de hautes études internationales et du développement de Genève. 
Il commence par écrire des nouvelles et publie ainsi Jours de carnaval en 1954. Il publie son premier roman en 1958, La Plus Limpide Région, qui critique la société mexicaine. Il poursuit son œuvre avec d'autres romans comme Le Chant des aveugles, Peau neuve, Terra Nostra, La Tête de l'hydre et Le Vieux Gringo qui lui offrent une renommée internationale.
Il a écrit des essais critiques comme La Maison à deux portes et Cervantès ou la Critique de la lecture ainsi que des essais politiques comme Temps mexicain. Ses essais sur la politique et la culture paraissent également dans le journal espagnol El País. Il est un critique virulent de l'impérialisme culturel et économique des États-Unis, en particulier vis-à-vis de l'Amérique latine.
Son roman Terra Nostra a obtenu en 1977 le prix Rómulo Gallegos, la plus haute distinction littéraire d’Amérique latine. Carlos Fuentes a reçu en 1987 le prix Cervantes, la plus haute distinction littéraire de langue espagnole, pour l’ensemble de son œuvre. (Wikipédia)


 

Rufino Tamayo, peintre mexicain

(1899-1991)


Bien sûr, quand on parle de peintres mexicains, on pense tout de suite, à Frida Kahlo et Diego Rivera.

Diego Rivera
 
Frida Khalo

Mais  c'est un peintre que je ne connais pas que je veux présenter ici  et que je découvre sur le net : 

 Rufino Tamayo
(1899-1991)

Rufino Tamayo est né à Tlaxiaco (Oaxaca) le 25 août 1899 et est mort à Mexico le 24 juin 1991. 

 Bien qu'il ait peint des peintures murales avec des sujets révolutionnaires, art mural dont Diego Rivera avec  Siqueiros y Orozco étaient les plus grands représentants au Mexique, Rufino Tamayo s'est démarqué des artistes de sa génération en créant un style personnel.

Bien qu'on le considère souvent comme un artiste ultra-mexicain en raison de son approche des cultures préhispaniques, il a vécu à Paris dans les années 50 et s'est parfaitement intégré dans le mouvement culturel de l'époque.

Dualidad peinture murale

 "Dualidad » est un des muraux les mieux conservés de Tamayo; il se trouve au Musée National d’Anthropologie et d’Histoire. C’est une impressionnante fresque peinte en 1964, de 12 mètres de large, que les visiteurs peuvent admirer à l’auditorium Jaime Torres Bodet.
Tamayo s’inspira de la cosmogonie náhuatl des opposés et complémentaires pour interpréter la mythologie précolombienne; l’œuvre fut aussi le résultat du contexte politique et social de l’époque."

 

 

Moon dog  Rufino Tamayo

 
 

 

 




dimanche 10 octobre 2010

Guillermo Arriaga : Mexico quartier sud

 

Mexico quartier sud, le titre est explicite car c'est bien ce quartier qui est le sujet  de ce recueil de nouvelles de Guillermo Arriaga. Dans  la grande avenue Retorno au sud de Mexico vit une population mêlée. C'est là que Arriaga place ses personnages, le Viking, un enfant à qui la rue a appris la violence, Lilly une jeune fille handicapée, Séraphina, une femme de ménage enceinte, un vieux marin en proie à une insupportable douleur... Mais aussi des notables qui acceptent mal tout ce qui perturbe leur tranquillité ainsi le docteur Diaz qui est un personnage récurrent et sinistre sous ses dehors de respectabilité. Car si c'est la rue qui inspire Arriaga, il nous fait pourtant pénétrer dans les intérieurs des maisons et découvrir derrière les façades fermées la réalité des faits et des actes, une réalité très souvent violente.

La première de ces nouvelles, en effet, intitulée Lilly est d'une telle violence qu'on la reçoit comme un coup de poing. On se demande si l'on sera capable d'en supporter beaucoup plus. Heureusement et d'une manière surprenante, la suivante, La veuve Diaz, est une belle  et triste histoire d'amour contée avec beaucoup d'émotion, tout comme celle de La Nouvelle Orléans, poignante, décrivant la douleur intolérable de ce père dont la fille s'est noyée, ou encore ce petit garçon marqué à jamais par la mort de sa petite soeur, Laura, dont les parents inconsolables ont fait disparaître jusqu'au souvenir dans Le Visage effacé. A côté de ces thèmes de la Mort et l'Amour étroitement liés qui courent dans les nouvelles que j'ai le plus aimées, il y aussi l'image d'une société injuste, terrible et implacable qui apparaît dans d'autres récits : Dans La Nuit bleue le docteur Diaz qui a tué une jeune femme en pratiquant un avortement qu'il savait dangereux marchande avec la police pour acheter son silence. Dans Légitime Défense, le docteur Diaz aide son voisin à se  débarrasser du corps du jeune voleur que ce dernier a tué! Ainsi le meurtre semble bien aisé quand on est riche et considéré face à une police corrompue, et le cynisme des classes dominantes envers les victimes si elles sont humbles et sans appuis paraît sans bornes.
J'ai été frappée par la diversité des sujets et du style de Guillermo Arriaga qui change selon les récits dont j'ai apprécié la force même s'ils ne sont pas tous au même niveau..

 Merci à BOB et aux éditions Phébus