J'ai moins aimé le dernier livre de Christian Bobin : Les Ruines du ciel même si certains passages m'ont beaucoup intéressée et si j'ai trouvé passionnant tout ce qui a trait à l'Histoire.
J'ai moins aimé et je le dis avec tristesse, moi qui suis à l'écoute de sa voix lorsqu'elle est poésie pure, témoignage pour un brin d'herbe, écrit sur une tasse de café noir, lorsqu'elle arrache au temps qui passe, à l'oubli, à la mort, tous ces petits instants qui paraissent insignifiants et qui pourtant permettent de résister au monde, de tenir devant lui et d’opposer à sa fureur une patience active.
Dans les Ruines du ciel Christian Bobin écrit autour d'un évènement historique qui est la destruction du couvent de Port Royal par Louis XIV. Le roi Soleil veut ainsi extirper de la mémoire des hommes le souvenir d'un ordre qu'il considère comme hérétique et faire oublier les religieux et les religieuses dont le pouvoir spirituel lui fait ombrage.
Et certes, il y a de beaux passages dans le livre, en particulier dans les portraits de ces hommes et de ces femmes qui sont restés fidèles à leurs idées malgré les persécutions et aussi dans la manière dont Christian Bobin ressuscite l'Histoire en entrant par la petite porte... ou par la petite histoire!
La soeur de Pascal religieuse à Port Royal, pressée par les autorités de signer un formulaire contraire à sa foi, écrit dans le calme atomique de sa cellule : " Puisque les évêques ont des courages de filles, les filles doivent avoir des courages d'évêque."
Au début du grand siècle, la mode est aux cheveux longs. Lorsque Louis XIV, atteint de loupes, adopte la perruque "à cheveux vifs" qui demande un crâne rasé, cette coiffure saute sur touts les têtes comme une méduse monstrueuse de poids et de crasse. La mode est un bourreau que ses victimes acclament.
J'aime aussi beaucoup les passerelles établies entre les époques et les lieux, une traversée dans le temps, du passé au présent, des religieuses de Port Royal à une sépulture romain par exemple, du Paris du Grand siècle au Creusot d'aujourd'hui.
Des Petites Ecoles de Port Royal broyées par Louis XIV, ne restent que les vers de Racine qui y fut élève et le souvenir du passage, pour la première fois en France, des plumes d'oie aux plumes métalliques - ces petits becs énervés qui, trois siècles durant, boiront dans les encriers de porcelaine blanche. Après la mort de mon père, je trouvai dans ses affaires une boîte à cigares remplie de plumes en acier de toutes formes, servant pour le dessin technique. Certaines ressemblaient à des hippocampes, d'autres à des scarabées ou à de minuscules sarcloirs.
Mais ce que j'ai moins apprécié, c'est ce qui d'habitude me retient le plus dans Bobin : ces aphorismes poétiques qui sont, ici parfois tellement poussés, travaillés, ciselés, qu'ils se révèlent d'une préciosité pas toujours de bon goût :
Les gens de Port Royal sont les vanniers de l'absolu. Ils font du langage un panier de silences dorés.
Une trace de pied nu sur la farine du cerveau.
Ecrire-voler la bague en or au doigt d'osselets de la mort.
Les nuages en aubes blanches se rendent aux offices de la lumière.
Pas de joie plus grande que de trouver le mot juste : c'est comme venir au secours d'un ange qui bégaie.
La harpe est le rideau de perles du paradis.
A croire que Christian Bobin a oublié ce qu'il écrivait dans Autoportrait au radiateur :
Mozart écrit à propos d’un de ses concertos : "C'est brillant mais ça manque de pauvreté"
Je n'aime pas le mot "religieux". Je lui préfère le mot "spirituel". Est spirituel ce qui en nous, ne se suffit pas du monde, ne s'accommode d'aucun monde. C'est quand le spirituel s'affadit qu'il devient du "religieux".