Tout de suite après L'homme qui entendait siffler une bouilloire de Michel Tremblay me voici, avec Le coeur de la baleine bleue de Jacques Poulin, confrontée à deux des plus célèbres écrivains québécois.* Et sur des sujet sinon similaires mais du moins présentant quelques points communs!
Le personnage de Michel Tremblay, cinéaste, victime d'acouphène est opéré d'une tumeur dans l'oreille interne et celui de Jacques Poulin, Noël, écrivain, reçoit en greffe le coeur d'une jeune fille de quinze ans. L'occasion pour les deux hommes d'être confrontés aux spectres de la maladie et la mort, de faire un retour sur soi-même, de s'interroger sur leurs rapports avec les autres et aussi sur leurs rapports à la création. Mais les ressemblances s'arrêtent là. Car les deux écrivains me paraissent être aux antipodes tant par leur style que par leur manière de traiter le sujet.
Alors que Tremblay reste accroché au réel, Jacques Poulin nous amène dans un récit poétique où la frontière entre réel et fantastique n'est pas nettement tranchée. Car ce coeur de jeune fille qu'il vient de recevoir va perturber le malade, le transformer. D'où lui vient cette douceur qui ne faisait pas partie de son caractère auparavant? Et d'où sont issues ces étranges visions qui interfèrent avec son présent? Jacques Poulin fait vivre des personnages dont on ne sait jamais vraiment s'ils sont réels ou s'ils sont sortis tout droit de l'imagination de Noël. Bref! il fait en sorte que nous nous demandions toujours s'il s'agit d'un roman dans le roman ou encore d'un roman qui rejoint la réalité ou d'une réalité qui se fait roman, avec, par exemple, l'apparition de Charlie la baleine bleue… Jacques Poulin y insère paraît-il des passages d'un de ses romans Jimmy que je ne connais pas.
Le livre est donc une réflexion sur la création littéraire :
- pourquoi un homme commence-t-il à écrire?
-Peut-être parce qu'il a du mal à vivre
Et puis j'aimais trop les histoires, ça devait venir de l'enfance encore; une histoire c'est comme une maison. C'est étrange vous vous laissez aller; tout de suite vous dérivez vers l'enfance ou vers une maison.
Je commençais à croire qu'on n'inventait rien d'autre, en écrivant, que les images endormies de nous-mêmes.
Cela ressemblait plutôt à une idée fixe . On aurait dit que les mots constituaient en même temps la seule issue possible, une sorte d'initiation, un rite de passage comme certaines tribus primitives en faisaient subir aux adolescents qui prétendaient devenir des hommes.
Le roman de Jacques Poulin est aussi la chronique d'une mort annoncée. Dès le début, il est y question de rejet pour parler en termes médicaux ou de reflux pour emprunter au vocabulaire poétique du narrateur. Peu à peu, Noël comprend que cette douceur qui est en lui "était le sentier qui menait à la mort et aussi que la mort était comme un fleuve", une rivière sans retour (River of no return, allusion au film d'Otto Preminger ) qui vous ramène à l'enfance, vers "le pôle intérieur de soi-même" selon les mots d'André Breton, sans possibilité de revenir jamais en arrière
Encore une chose que j'ai comprise; la douceur la plus grande, c'est la mort.
Et cette douceur, elle résonne comme une petite musique triste tout au long de ce lent cheminement vers la solitude car la mort ne peut être partagée. Retour vers l'intérieur de soi-même mais aussi dans la ville de Québec que l'écrivain aime et semble connaître si bien. Cette marche dans la vieille cité est un plaisir supplémentaire pour le lecteur, qui, comme moi, reste nostalgique de ses voyages québécois; supplémentaire mais pas anecdotique car le lieu physique comme celui intérieur joue un rôle important dans les errances de Noël.
Si par goût, je préfère la narration de Michel Tremblay parce qu'elle raconte une histoire solide, construite, avec des personnages bien réels dont on se sent proche et un langage pittoresque et savoureux (ce qui n'exclut pas la profondeur), je dois dire que je lis Le coeur de la baleine bleue d'une autre manière. J'en détache certains passages parce que je les trouve beaux, je m'arrête à des pensées, des mots pour mieux les goûter. Ce roman doit se lire comme un poème.
De toutes façons, j'aimais les mots. Ce qui m'échappait, c'était les rapports entre les choses. Léo Ferré disait que les poètes écrivaient leur révolte avec des pattes d'oiseau; dans ma poitrine vivait cette chose nouvelle que Saint-Denys Garneau décrivent comme un oiseau; Goethe disait que les idées avaient des pattes de colombe. Sans pouvoir comprendre, je devinais que les poètes nous laissaient parfois derrière eux sur une route faiblement éclairée, comme celle que j'avais empruntée pour écrire mon histoire et qui menait infailliblement au rejet et à...
*Rien d'étonnant nous sommes en plein mois de septembre québécois chez
Karine et il s'agit ici d'une lecture commune autour des oeuvres de Jacques Poulin.