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vendredi 19 août 2011

Milan Kundera : L’ignorance



L'ignorance met en scène deux émigrés d'origine tchèque, l'une, Iréna, installée à Paris, l'autre, Josef, au Danemark. Tous deux se retrouvent dans l'avion qui va les ramener à Prague après vingt ans d'exil. Dans cette Tchéquie post-communiste, ils partent à la recherche de leur passé respectif, de leur famille, de leurs amis et de leurs souvenirs.
C'est le thème du Grand Retour à la manière d'Ulysse qui lui aussi pendant vingt ans n'a eu de cesse de regagner Ithaque et de retrouver Pénéloppe, le thème de la nostalgie glorifiée par Homère mais qui, somme toute, nous dit Milan Kundera, se révèle bien décevante car il est impossible de faire revivre le passé
"On ne comprendra rien à la vie humaine si on persiste à escamoter la première de toutes les évidences : une réalité telle qu'elle était quand elle n'est plus, sa restitution est impossible."
La mémoire est incapable de ressusciter le passé car elle n'a pas de dimension temporelle. Elle est figée sur des images immobiles qui ne se déroulent pas puisqu'elles n'ont pas la durée. C'est en vain, par exemple, que Josef va essayer de faire revivre les souvenirs de sa femme disparue.
Le roman de Kundera nous livre donc une réflexion sur la mémoire humaine pour en constater la pauvreté.
"Elle n'est capable de retenir du passé qu'une misérable petite parcelette sans que personne ne sache pourquoi justement celle-ci et non pas une autre, ce choix, chez chacun de nous, se faisant mystérieusement, hors de notre volonté et de nos intérêts"
Ainsi Iréna se souvient très bien de Josef qui était amoureux d'elle et à qui elle a renoncé pour épouser son fiancé, Martin, dont elle maintenant veuve. Elle a toujours eu l'impression d'être passée à côté du grand amour. Josef, lui, ne se souvient pas du nom d'Iréna même s'il feint le contraire par politesse d'abord et peut-être aussi par calcul, plus tard, pour mieux la mettre dans son lit. Comment expliquer ses particularités de la mémoire?
"L'un se souvient de l'autre plus que celui-ci ne se souvient de lui; d'abord parce que la capacité de la mémoire diffère d'un individu à l'autre(....) mais aussi parce qu'ils n'ont pas l'un pour l'autre la même importance.
Le retour d'Iréna et de Josef dans leur pays natal est donc un échec et ils vont de même échouer dans la tentative de nouer entre eux des liens amoureux. Chacun retournera dans son pays d'accueil avec la certitude d'avoir été floué. C'est ce qu'a dû éprouver Ulysse en rentrant auprès des siens.
Alors de quoi peut-on être certain? Cerainement pas de l'avenir qui se dérobe à nous :
 Toutes les prévisions se trompent, c'est l'une des rares certitudes qu'il a été données à l'homme. Mais si elle se trompent, elles disent vrai sur ceux qui les énoncent, non pas sur leur avenir mais sur leur temps présent; Pendant ce que j'appelle la première vingtennie (entre 1918 et 1938) les Tchèques ont pensé que leur République avait devant elle un infini. Ils se trompaient mais, justement parce qu'ils se trompaient, ils ont vécu ces années dans une joie qui a fait fleurir leurs arts comme jamais auparavant. Après l'invasion russe, n'ayant pas la moindre idée de la fin prochaine du communisme, de nouveau ils se sont imaginé habiter un infini et ce n'est pas la souffrance de leur vie réelle mais la valeur de leur avenir qui a pompé leurs forces, étouffé leur courage et rendu cette troisième vingtennie si lâche, si misérable.
Donc le présent est tout aussi difficile à appréhender que l'avenir.
L'homme ne peut être sûr que du moment présent. Mais est-ce bien vrai? Peut-il vraiment le connaître, le présent? est-il capable de le juger? Bien sûr que non. Car comment celui qui ne connaît pas l'avenir pourrait-il comprendre le sens du présent? Si nous ne savons pas vers quel avenir le présent nous mène, comment pourrions-nous dire que ce présent est bon ou mauvais, qu'il mérite notre adhésion, notre méfiance ou notre haine?
Ainsi, au final, la seule certitude que nous puissions avoir est celle de notre ignorance à propos du monde qui nous entoure et de ce que nous sommes.
Je viens de noter ici ce que le roman -du moins tel que je l'ai compris et reçu- signifie pour moi; maintenant, il y a ce que j'ai ressenti. Les deux livres de Milan Kundera dont je parle dans ce blog La Plaisanterie et l'Ignorance sont riches à analyser, on a l'impression de ne pas arriver à les saisir dans leur intégralité, c'est donc un plaisir pour l'intelligence; mais pas un plaisir pour les sentiments. Le pessimisme de Kundera est tel que je referme toujours ses romans avec le moral en berne. Les personnages sont affectivement desséchés, ils n'ont aucune chance d'être heureux, de trouver un sens à leur vie. Les rapports humains oscillent entre l'indifférence ou l'égoïsme, l'envie ou la haine. Les rapports amoureux sont fichus d'avance. Les femmes, parfois, veulent y croire, sont plus sincères, mais en vain. Elles apparaissent souvent comme des victimes des hommes, ceux-ci étant particulièrement odieux. Tous sont des êtres tourmentés, enfermés en eux-mêmes, dans un monde qui n'a rien à envier à l'enfer dantesque.