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mardi 23 octobre 2012

George Sand : Cora, une satire du romantisme


 Théodore Chasseriau

Cora est un très court roman de George Sand. Il paraît en 1833, la même année que Lélia. Certes, ce n'est pas une oeuvre majeure dans l'immense production littéraire de l'écrivaine mais on y découvre une plume alerte, assez méchante envers les moeurs provinciales et pleine d'ironie envers les passions amoureuses. L'utilisation de la première personne entretient une ambiguïté. C'est sans nul doute le jeune homme qui dit "je" mais parfois on a l'impression que l'auteure se substitue à lui surtout quand il s'agit de s'amuser aux dépens du jeune homme tout en pratiquant l'auto-dérision. Il me semble à cet égard significatif que l'écrivain et son personnage portent le même prénom.

Georges est une jeune homme candide qui revient de l'île Bourbon et n'est pas trop au fait des coutumes des petites villes de Province française. Il a trouvé du travail dans l'administration des postes. Cependant, bien vite, il se fait admettre dans la société et il rencontre au bal une belle jeune fille nommée Cora dont il tombe follement amoureux. Mais Cora ne répond pas à son amour.


 George Sand

Une critique de la ville provinciale

George Sand pratique à l'égard de la petite ville de province qu'elle ne nomme pas un ironie certaine qui s'étend, avec plus de tendresse, à son héros dont la naïveté l'amuse.
L'apparition d'une nouvelle figure est un événement dans une petite ville, et, quoique mon emploi fût des moins importants, pendant quelques jours je fus, après un phoque vivant et deux boas constrictors, qui venaient de s'installer sur la place du marché, l'objet le plus excitant de la curiosité publique et le sujet le plus exploité des conversations particulières
Les exigences de la mode et ses ridicules sont ainsi dénoncés. Les habitants la petite ville le méprisent tant qu'il n'est pas habillé à la française;  tout le monde  se moque de sa tenue vestimentaire mais l'apprécie quand il se vêt d'une manière qu'il juge pourtant ridicule! L'habit fait le moine, il devient alors fréquentable.
 La satire du bal provincial est aussi très nette, ce qui fait ressortir l'ingénuité du jeune homme prêt à tout admirer dans son enthousiasme juvénile :
La salle était un peu froide et un peu sombre, un peu malpropre; les banquettes étaient bien tachées d'huile ça et là, les quinquets jouaient bien un peu, sur les têtes fleuries et emplumées du bal, le vieux rôle de l'épée de Damoclès, le parquet n'était pas fort brillant, les robes des femmes n'étaient pas toutes fraîches(…) et pourtant c'était une charmante fête, une aimable réunion…

Une satire du romantisme

Jeune romantique Désiré François Laugée

George Sand s'amuse aussi en faisant de son personnage un jeune romantique rêveur, tellement nourri de lectures qu'il perd de vue la réalité, idées romantiques qu'il transforme parfois en clichés. Ainsi quand il parle du suicide et du poison dans une coupe, il s'interrompt :
 Je dis coupe parce qu'il n'est pas séant et presque impossible de s'empoisonner dans un vase qui porte un autre nom quelconque.

Il me rappelle Théophile Gautier, Gérard de Nerval et leurs amis, jeunes romantiques exaltés, en train de boire dans un crâne que Gérard a volé à son père, chirurgien aux armées!.
 Le jeune homme s'exalte en comparant son amoureuse qui est fille d'un épicier à une "reine espagnole", à "l'ange de Rembrand" et en faisant l'héroïne d'un roman du "grand" Walter Scott, la Juliette de Shakespeare ou un être magique issu des contes d'Hofmann :
Pour mon malheur aucune créature sous le ciel ne semblait être un type plus complet de la beauté fantastique et de la poésie allemande que Cora aux yeux verts et au corsage diaphane.

L'écrivaine ménage même une digression pour disserter des goûts littéraires de la jeunesse actuelle en opposition à ceux des vieux bourgeois. Là encore elle me rappelle le Gautier du petit Cénacle!

La cristallisation amoureuse

aquarelle de MAG  : la cristallisation (source)

Sand décrit avec une précision admirable le coup de foudre ressenti par le jeune homme, autrement dit le processus de cristallisation de l'amour comme si elle s'était imprégnée du texte de Shendhal :
Aux mines de sel de Salzbourg, on jette dans les profondeurs abandonnées de la mine un rameau d'arbre effeuillé par l'hiver ; deux ou trois mois après, on le retire couvert de cristallisations brillantes (…) Ce que j'appelle cristallisation, c'est l'opération de l'esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l'objet aimé a de nouvelles perfections  écrit Stendhal.

Voilà l'application de cette analyse à notre héros Georges dans les sentiments qu'il éprouve pour Cora:
Elle était extraordinairement brune pour le climat tempéré où elle était née; mais sa peau était fine et unie comme la cire la mieux moulée.

Quand on sait que, au XIXe siècle, la blancheur du teint est un critère de beauté absolu, on comprend combien le processus d'idéalisation est puissant!

La cristallisation donne lieu à des situations cocasses : Quand Georges s'aperçoit que Cora lit des romans sans valeur et qu'elle est inculte: "je rentrai chez moi enthousiasmé de Cora dont l'ignorance était si candide et si belle. 
Quand Cora lui tend un billet, il croit à une déclaration d'amour alors que c'est une note d'épicerie, il en tombe presque malade et puis : "Ingrat! pensais-je, tu te révoltes parce qu'un mémoire de savon et de chandelle a été rédigé et présenté par Cora, tandis que tu devrais baiser la belle main

Un roman d'initiation

Le roman est donc un roman d'initiation amoureuse où Georges,"de nature inflammable et contemplative" va faire connaissance de l'amour et de ses revers. Cette expérience va le transformer et peut-être lui ôter sa naïveté et sa sincérité en tout cas ses illusions. Sand fait preuve d'une connaissance assez désabusée de la nature humaine et la fin du roman est bien pessimiste. Si le jeune homme a beaucoup souffert, la femme mariée et mère ne s'en sort pas mieux. La peinture de la condition féminine en province au XIXe siècle n'est pas enviable!