En 1856 dans le Livre III des Contemplations Victor Hugo dénonçait le travail des enfants avec son poème:
Melancholia (extrait)
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent.
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent.
Enfants mineurs
Au XIX ème siècle la journée de travail des adultes était très longue et celle des enfants l'était tout autant. Il étaient employés dans des usines, des manufactures, des filatures et dans les mines. Ainsi en 1834, les enfants à partir de six ans, travaillaient 14H et demi en moyenne à Roubaix. A Rouen, à Saint Quentin et en Alsace la durée du travail effectif était de 13 heures et demi soit des journées de 15 heures de présence à l'usine; la société industrielle de Mulhouse estimait à 17H la journée des enfants. La journée des forçats dans les bagnes n'était pas plus longue. La croissance et la santé des enfants en étaient tragiquement affectées et la mortalité était très grande. voir article Le travail des enfants au XIX isècle ICI
Aujourd'hui, je veux vous faire découvrir le poète et chansonnier Jehan Rictus qui dénonce à sa façon les souffrances que le capitalisme naissant et âpre au gain fait subir aux enfants. Il faut passer sur la surprise de la langue populaire employée par Jehan Rictus pour pouvoir ressentir et la sensibilité à fleur de peau du poète et le tragique de ces vies brisées d'autant plus d'actualité à notre époque qu'il y a encore des millions d'enfants au travail de par le Monde..
Jehan Rictus
Jehan Rictus est né en 1867 et est mort à Paris en 1933. Très jeune, délaissé par son père, il fuit une une mère caractérielle et hostile, et se retrouve à la rue, côtoie les clochards, expérience dont il tirera plus tard Les soliloques du pauvre. Il exerce des petits métiers, retombe ensuite dans la précarité. Mais il a alors l'idée d'écrire des poèmes dans lesquels un clochard s'adresserait à son public dans le français populaire de l'époque. Il début en 1895 au cabaret montmartrois des Quat'zarts et c'est le succès dès 1896. Il chante dans des cabarets, dans des réunions syndicales et politiques et même dans des diners mondains et toujours il prend la défense du pauvre sous le pseudonyme de Jehan Rictus.
Farandole des pauv’s ’tits fan-fans morts
(Ronde parlée)
Nous, on est les pauv’s tits fan-fans,
les p’tits flaupés, les p’tits foutus
à qui qu’on flanqu’ sur le tutu :
les ceuss’ qu’on cuit, les ceuss’ qu’on bat,
les p’tits bibis, les p’tits bonshommes,
qu’a pas d’ bécots ni d’ suc’s de pomme,
mais qu’a l’ jus d’ triqu’ pour sirop d’ gomme
et qui pass’nt de beigne à tabac.
Les p’tits vannés, les p’tits vaneaux
qui flageol’nt su’ leurs tit’s échâsses
et d’ qui on jambonn’ dur les châsses :
les p’tits salauds, les p’tit’s vermines,
les p’tits sans-cœur, les p’tits sans-Dieu,
les chie-d’-partout, les pisse-au-pieu
qu’il faut ben que l’on esstermine.
Nous, on n’est pas des p’tits fifis,
des p’tits choyés, des p’tits bouffis
qui n’ font pipi qu’ dans d’ la dentelle,
dans d’ la soye ou dans du velours
et sur qui veill’nt deux sentinelles :
Maam’ la Mort et M’sieu l’Amour.
Nous, on nous truff’ tell’ment la peau
et not’ tit’ viande est si meurtrie
qu’alle en a les tons du grapeau,
les Trois Couleurs de not’ Patrie...
Qué veine y z’ont les z’Avortés !
Nous, quand on peut pus résister,
on va les retrouver sous terre
ousqu’on donne à bouffer aux vers.
Morts ou vivants c’est h’un mystère,
on est toujours asticotés !
Nous, pauv’s tits fan-fans d’assassins,
on s’ra jamais les fantassins
qui farfouillent dans les boïaux
ou les tiroirs des Maternelles
ousqu’y a des porichinelles !
Car, ainsi font, font, font
les petites baïonnettes
quand y a Grève ou Insurrection,
car ainsi font, font, font
deux p’tits trous.... et pis s’en vont.
Nous n’irons pas au Bois, non pus
aux bois d’ Justice... au bois tortu,
nous n’irons pas à la Roquette !
Et zon zon zon... pour rien au monde,
Et zon, zon, zon, pipi nous f’sons
et barytonnons d’ la mouquette
su’ la Misère et les Prisons.
Nous, pauv’s tits fan-fans, p’tits fantômes !
Nous irions ben en Paladis
si gn’en avait z’un pour les Mômes :
Eh ! là, yousqu’il est le royaume
des bonn’s Nounous à gros tétons
qui nous bis’ront et dorlott’ront ?
Car « P’tit Jésus » y n’en faut pus,
lui et son pat’lin transparent
ousqu’on r’trouv’rait nos bons parents,
(On am’rait mieux r’venir d’ son ciel
dans h’eun’ couveuse artificielle !)
Gn’y en a qui dis’nt que l’ Monde, un jour,
y s’ra comme un grand squar’ d’Amour,
et qu’ les Homm’s qui vivront dedans
s’ront d’ grands Fan-fans, des p’tits Fan-fans,
des gros, des beaux, des noirs, des blancs.
Chouatt’ ! Car sans ça les p’tits pleins-d’-giffes
pourraient ben la faire à la r’biffe ;
quoique après tout, on s’en-j’-m’en-fous
pisqu’on sait ben qu’un temps viendra
où qu’ Maam’ la Mort all’ mêm’ mourra
et qu’ pus personne y souffrira !
Mais en guettant c’te bonn’ nouvelle
sautez, dansez, nos p’tit’s cervelles ;
giclez, jutez, nos p’tits citrons.
Aign’ donc, cognez ! On s’ fout d’ la Vie
et d’ la Famill’ qui nous étrille,
et on s’en fout d’ la République
et des Électeurs alcooliques
qui sont nos dabs et nos darons.
Nous, on est les pauv’s tits fan-fans,
les p’tits flaupés, les p’tits fourbus,
les p’tits fou-fous, les p’tits fantômes,
qui z’ont soupé du méquier d’ môme
qui n’en r’vienn’nt pas... et r’viendront plus.
Le coeur populaire (1914)
(Ronde parlée)
Nous, on est les pauv’s tits fan-fans,
les p’tits flaupés, les p’tits foutus
à qui qu’on flanqu’ sur le tutu :
les ceuss’ qu’on cuit, les ceuss’ qu’on bat,
les p’tits bibis, les p’tits bonshommes,
qu’a pas d’ bécots ni d’ suc’s de pomme,
mais qu’a l’ jus d’ triqu’ pour sirop d’ gomme
et qui pass’nt de beigne à tabac.
Les p’tits vannés, les p’tits vaneaux
qui flageol’nt su’ leurs tit’s échâsses
et d’ qui on jambonn’ dur les châsses :
les p’tits salauds, les p’tit’s vermines,
les p’tits sans-cœur, les p’tits sans-Dieu,
les chie-d’-partout, les pisse-au-pieu
qu’il faut ben que l’on esstermine.
Nous, on n’est pas des p’tits fifis,
des p’tits choyés, des p’tits bouffis
qui n’ font pipi qu’ dans d’ la dentelle,
dans d’ la soye ou dans du velours
et sur qui veill’nt deux sentinelles :
Maam’ la Mort et M’sieu l’Amour.
Nous, on nous truff’ tell’ment la peau
et not’ tit’ viande est si meurtrie
qu’alle en a les tons du grapeau,
les Trois Couleurs de not’ Patrie...
Qué veine y z’ont les z’Avortés !
Nous, quand on peut pus résister,
on va les retrouver sous terre
ousqu’on donne à bouffer aux vers.
Morts ou vivants c’est h’un mystère,
on est toujours asticotés !
Nous, pauv’s tits fan-fans d’assassins,
on s’ra jamais les fantassins
qui farfouillent dans les boïaux
ou les tiroirs des Maternelles
ousqu’y a des porichinelles !
Car, ainsi font, font, font
les petites baïonnettes
quand y a Grève ou Insurrection,
car ainsi font, font, font
deux p’tits trous.... et pis s’en vont.
Nous n’irons pas au Bois, non pus
aux bois d’ Justice... au bois tortu,
nous n’irons pas à la Roquette !
Et zon zon zon... pour rien au monde,
Et zon, zon, zon, pipi nous f’sons
et barytonnons d’ la mouquette
su’ la Misère et les Prisons.
Nous, pauv’s tits fan-fans, p’tits fantômes !
Nous irions ben en Paladis
si gn’en avait z’un pour les Mômes :
Eh ! là, yousqu’il est le royaume
des bonn’s Nounous à gros tétons
qui nous bis’ront et dorlott’ront ?
Car « P’tit Jésus » y n’en faut pus,
lui et son pat’lin transparent
ousqu’on r’trouv’rait nos bons parents,
(On am’rait mieux r’venir d’ son ciel
dans h’eun’ couveuse artificielle !)
Gn’y en a qui dis’nt que l’ Monde, un jour,
y s’ra comme un grand squar’ d’Amour,
et qu’ les Homm’s qui vivront dedans
s’ront d’ grands Fan-fans, des p’tits Fan-fans,
des gros, des beaux, des noirs, des blancs.
Chouatt’ ! Car sans ça les p’tits pleins-d’-giffes
pourraient ben la faire à la r’biffe ;
quoique après tout, on s’en-j’-m’en-fous
pisqu’on sait ben qu’un temps viendra
où qu’ Maam’ la Mort all’ mêm’ mourra
et qu’ pus personne y souffrira !
Mais en guettant c’te bonn’ nouvelle
sautez, dansez, nos p’tit’s cervelles ;
giclez, jutez, nos p’tits citrons.
Aign’ donc, cognez ! On s’ fout d’ la Vie
et d’ la Famill’ qui nous étrille,
et on s’en fout d’ la République
et des Électeurs alcooliques
qui sont nos dabs et nos darons.
Nous, on est les pauv’s tits fan-fans,
les p’tits flaupés, les p’tits fourbus,
les p’tits fou-fous, les p’tits fantômes,
qui z’ont soupé du méquier d’ môme
qui n’en r’vienn’nt pas... et r’viendront plus.
Le coeur populaire (1914)