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mardi 17 mars 2020

Tourgueniev : Les eaux printanières


Les eaux printanières de Tourguéniev conte l’histoire d’une vie gâchée par un moment d’égarement passager. Dimitri Sanine, amer et désenchanté, sent,  au seuil de la vieillesse, qu’il est passé à côté du bonheur. Un bijou retrouvé par hasard lui remet en mémoire ce qu’il a toujours essayé d’occulter, le moment où sa vie a basculé  définitivement.

Revenant d’Italie, il passe à Francfort et fait connaissance de Gemma Rosseli, une jeune italienne qui avec sa mère, son petit frère et un vieux serviteur,  tient un commerce de confiserie. La beauté de la jeune fille, son charme rieur, sa gaieté et la bonne humeur qui règne dans cette famille chaleureuse enchantent le jeune Russe, de noblesse terrienne, solitaire et qui a peu d’amis.

Lorsqu’il apprend que la jeune fille est fiancée, il s’efface d’abord mais s’aperçoit bien vite qu’il s’agit d’un mariage de raison, la famille Roselli étant désargentée après la disparition du père. Le jeune homme a toutes ses chances, et ceci d’autant plus que le fiancé se révèle un pleutre doublé d’un imbécile.
Sanine obtient donc la main de la jeune fille et comme il a besoin d’argent pour se marier, il se rend chez un ami dont la femme, très riche, pourrait lui acheter sa propriété en Russie. Le couple se livre sur lui à un jeu pervers et fait le pari que le jeune homme tombera dans les pièges de la baronne, coquette et dépravée, qui cherche à le séduire pour le plaisir du jeu.

Ce court roman psychologique dépeint avec finesse, à la fois, la sincérité du jeune russe, pur et candide dans ses émois amoureux, mais aussi sa naïveté et sa fragilité. Son amour pour Gemma, sans calcul, ne s’embarrasse pas de questions de classe sociale et c’est sans regrets qu’il est près à vendre ses biens en Russie et à s’installer avec sa bien-aimée. On peut dire que ce côté irréfléchi et spontané -qui le rend très sympathique- témoigne aussi d’une nature immature aussi bien dans la gestion de ses biens que dans sa vie amoureuse..
Aussi lorsqu’il tombe dans les rets de ce couple machiavélique qui n’est pas sans rappeler celui des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, on comprend bien vite qu’il n’est pas de taille à lutter. Il devient le jouet de cette femme cruelle qui règne sur lui par les sens, et qui aime dominer les hommes, se plaît à les humilier et les dégrader. Elle fait de ses amants ses mignons et ceux-ci doivent abdiquer toute fierté pour obtenir une caresse. Aussi ce n’est pas seulement Gemma, son amour de jeunesse, que Dimitri perd mais aussi l’estime de soi, le sens de l'honneur qu'il était pourtant toujours prêt à défendre, au péril de sa vie, ce dont il ne pourra jamais  guérir. Un roman d’initiation qui coupe les ailes de celui qui prenait juste son essor.
Les eaux printanières ont cessé de l’être, entraînant dans leurs flots la jeunesse, l’illusion, l’espoir, la foi en la beauté de la vie pour devenir les eaux glacés de l’hiver, de la vieillesse, du désespoir. Et tout ceci raconté avec l’élégance de la plume de Tourgueniev, c’est peu dire qu’il faut le lire!