Les eaux printanières de Tourguéniev conte l’histoire d’une vie gâchée par un moment d’égarement passager. Dimitri Sanine, amer et désenchanté, sent, au seuil de la vieillesse, qu’il est passé à côté du bonheur. Un bijou retrouvé par hasard lui remet en mémoire ce qu’il a toujours essayé d’occulter, le moment où sa vie a basculé définitivement.
Revenant d’Italie, il passe à Francfort et fait connaissance de Gemma Rosseli, une jeune italienne qui avec sa mère, son petit frère et un vieux serviteur, tient un commerce de confiserie. La beauté de la jeune fille, son charme rieur, sa gaieté et la bonne humeur qui règne dans cette famille chaleureuse enchantent le jeune Russe, de noblesse terrienne, solitaire et qui a peu d’amis.
Lorsqu’il apprend que la jeune fille est fiancée, il s’efface d’abord mais s’aperçoit bien vite qu’il s’agit d’un mariage de raison, la famille Roselli étant désargentée après la disparition du père. Le jeune homme a toutes ses chances, et ceci d’autant plus que le fiancé se révèle un pleutre doublé d’un imbécile.
Sanine obtient donc la main de la jeune fille et comme il a besoin d’argent pour se marier, il se rend chez un ami dont la femme, très riche, pourrait lui acheter sa propriété en Russie. Le couple se livre sur lui à un jeu pervers et fait le pari que le jeune homme tombera dans les pièges de la baronne, coquette et dépravée, qui cherche à le séduire pour le plaisir du jeu.
Ce court roman psychologique dépeint avec finesse, à la fois, la sincérité du jeune russe, pur et candide dans ses émois amoureux, mais aussi sa naïveté et sa fragilité. Son amour pour Gemma, sans calcul, ne s’embarrasse pas de questions de classe sociale et c’est sans regrets qu’il est près à vendre ses biens en Russie et à s’installer avec sa bien-aimée. On peut dire que ce côté irréfléchi et spontané -qui le rend très sympathique- témoigne aussi d’une nature immature aussi bien dans la gestion de ses biens que dans sa vie amoureuse..
Aussi lorsqu’il tombe dans les rets de ce couple machiavélique qui n’est pas sans rappeler celui des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, on comprend bien vite qu’il n’est pas de taille à lutter. Il devient le jouet de cette femme cruelle qui règne sur lui par les sens, et qui aime dominer les hommes, se plaît à les humilier et les dégrader. Elle fait de ses amants ses mignons et ceux-ci doivent abdiquer toute fierté pour obtenir une caresse. Aussi ce n’est pas seulement Gemma, son amour de jeunesse, que Dimitri perd mais aussi l’estime de soi, le sens de l'honneur qu'il était pourtant toujours prêt à défendre, au péril de sa vie, ce dont il ne pourra jamais guérir. Un roman d’initiation qui coupe les ailes de celui qui prenait juste son essor.
Les eaux printanières ont cessé de l’être, entraînant dans leurs flots la jeunesse, l’illusion, l’espoir, la foi en la beauté de la vie pour devenir les eaux glacés de l’hiver, de la vieillesse, du désespoir. Et tout ceci raconté avec l’élégance de la plume de Tourgueniev, c’est peu dire qu’il faut le lire!
J'ai beaucoup lu Tourguéniev, quand j'étais au lycée, mais j'en ai gardé assez peu de souvenirs (au point que je ne sais plus si j'ai lu ou non celui-là). A relire, donc..
RépondreSupprimerLe temps me dira si je me souviens de celui-ci ! Je suppose que lorsqu'on lit beaucoup de livres d'un auteur, on en se souvient que des ses chefs d'oeuvre. Je me souviens pourtant toujours du premier livre que j'ai lu de Tourguéniev, Premier amour. Il m'a marquée.
SupprimerC'est aussi avec celui-là que je l'ai découvert ! Je sais que je l'ai lu, mais c'est à peu près tout..
SupprimerAvec Lili, vous me donnez envie de lire ces auteurs russes. J'ai commencé un nouveau roman mais je me lancerai après ( pourquoi pas, guerre et paux :-)))
RépondreSupprimerC'est vrai, Lilly et moi, nous aimons beaucoup la littérature russe. Je l'ai beaucoup lue quand j'étudiais le russe mais des classiques seulement. Et je reviens toujours aux classiques et toujours avec le même bonheur.
SupprimerJe note ce titre, ayant peu lu Tourgueniev, même si ce sont de nouvelles Illusions perdues.
RépondreSupprimerOui, mais pas rapport à Balzac, c'est un roman si court qu'il pourrait être une nouvelle et tout y ramassé en peu de temps.
Supprimer"Il ne pourra jamais guérir". Je ne crois pas que cela soit vrai, avec de la résilience et de la résignation...
RépondreSupprimerRésilience n'est pas le terme pour ce qui est arrivé au jeune homme. Quant à la résignation, quel horrible concept ! Mais sans rapport, je crois, avec ce que montre le récit. Il ne s'agit pas de deuil ou d'avoir échappé à un accident, à un attentat. C'est plus insidieux. Bien sûr, il a continué à vivre, à fréquenter la société de ses pairs, et même à y être brillant (on le voit au début du roman) mais il a été marqué et l'image dégradée qu'il a de lui-même ne peut être réparée.
SupprimerTout ce qui nous arrive nous transforme, nous sommes toujours en mutation de l'enfance à la vieillesse, et même si nous parvenons à surmonter des traumatismes nous ne serons jamais plus comme avant. Vivre c'est aussi perdre ses illusions sur la vie et sur soi-même et disait Montaigne : "il y a autant de différence de nous à nous-même que de nous à autrui.". Je crois que c'est ce que veut dire Tourguéniev et en tous cas, c'est ainsi que j'ai compris l'histoire.
Il faut aussi se replacer dans le siècle et la société de l'époque. Le jeune noble fait passer son honneur avant sa vie ce qui explique le nombre important de jeunes gens qui mouraient en duel. Dimitri Sanine, le récit nous le confirme, n'avait que mépris pour ceux qui préféraient la vie à l'honneur comme, par exemple, le fiancé de Gemma. Mais en trahissant la parole donnée à la jeune fille et en acceptant d'être traité comme un chien dressé, en rivalité avec un autre amant de la comtesse, il perd son honneur, et cela, c'est définitif.
Tu m'avais fait lire "Pères et Fils", tu vas me faire lire également celui-ci. Il a l'air formidable.
RépondreSupprimerOui ... mais beaucoup plus nouvelle (longue) que roman et par goût j'aime les longs développements,dont "Père et fils" reste mon préféré.
SupprimerAu début de ton billet, je pensais bien sûr "aux liaisons dangereuses" comme tu le soulignes plus loin. Je regarderai s'il est à la bibliothèque quand on retrouveras une vie plus normale (et de la concentration en ce qui me concerne, là elle est en berne).
RépondreSupprimerla ressemblance est flagrante sauf que la jeune fille séduite est ici un jeune homme.
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