Lire pour le festival d’Avignon 2022
Voici encore un spectacle que j’aimerais voir au festival d’Avignon cette année : Dans ce jardin qu’on aimait de Pascal Quignard adapté par Marie Vialle.
Simeon Pease Cheney |
Dans ce jardin qu’on aimait Pascal Quignard s’intéresse à un personnage hors du commun, le pasteur Simeon Pease Cheney, musicien de génie qui eut le premier l’idée de noter tous les chants d’oiseaux qui venaient chanter dans sa cure au cours des années qui vont de 1860 à 1880. Et pas seulement des oiseaux :
"Il n’y a pas que les oiseaux qui chantent!
Le seau où la pluie s’égoutte, qui pleure sous la gouttière de zinc, près de la marche en pierre de la cuisine est un psaume ! L'arpège en houle, tourbillonnant du porte-manteau couvert de pèlerines et de chapeaux, l’hiver, quand on laisse un instant la porte d’entrée ouverte dans le corridor de la cure, lui aussi constitue un Te Deum !"
La sauterelle dans Wood Notes Wild |
Mais il ne réussit jamais à faire imprimer son recueil Wood Notes Wild. C’est son fils, le poète Vance John Cheney, dans la vie réelle (ou sa fille dans l’oeuvre de P Quignard) qui le fit publier à compte d’auteur. Antonin Dvorak s’en inspira pour son quatuor à cordes n°12. Cent ans après, Olivier Messiaen eut la même idée et nota les chants d'oiseaux.
Le pasteur Cheney a beaucoup de points communs avec un autre personnage de Pascal Quignard dont je vous parlerai bientôt, Monsieur de Sainte Colombe, le musicien de Tous les matins du Monde.
Musicien, le pasteur Cheney s’inspire de la Nature qu’il aime d’un amour absolu, cadeau de Dieu, délaissant même ses paroissiens qui s’en plaignent ! Il a lui aussi perdu son amour, sa femme Eva et demeure inconsolable. Comme Monsieur de Colomb, il voit l’esprit de son épouse lui apparaître:
« Comme une fleur coupée sur la tablette en verre de la salle de bain,
Comme une petite photo que l’amoureux a posée sur la table de chevet en bois près du lit de la chambre d’amour,
elle se tient toute mince et menue dans le cadre de la porte
La jeune mère morte autrefois semble plus transparente, plus fine…. »
Il se montre très dur avec sa fille Rosamunde et lui demande de quitter la maison quand elle dépasse l’âge qu'avait sa toujours jeune épouse quand elle est morte en couches.
"En plus, tu lui ressembles de plus en plus.
Tu lui ressembles - avec retard- de plus en plus. (Il crie.) Tu ne peux pas savoir combien ça m’est insupportable de te voir vivante ! »(…)
Rosamund hurle longuement de douleur.
Elle se met à quatre pattes, se lève à son tour, tourne dans le salon de sa cure, devenu complètement rouge dans l’aurore."
Mais ce n’est pas un manque d’amour envers sa fille. Lui-même vit dans un labyrinthe, symbole d’un enfermement où il se sent heureux mais dont il faut que sa fille s’échappe pour vivre vraiment.
"C’est ce jardin mon labyrinthe. Ce n’est pas elle en personne, Eva, ta mère, bien sûr, je ne suis pas fou. Mais ce jardin, c’est elle qui l’a conçu, c’est son visage. (…)
C’est un merveilleux visage invieillissable !"
On ne saurait définir le genre de cet ouvrage, biographie qui retrace la vie d'un musicien, roman qui nous raconte une histoire, pièce de théâtre, poésie, et le tout à la fois.
Pièce de théâtre puisque les personnages, le pasteur Cheney et Rosemund dialoguent ou monologuent. Parfois intervient un récitant, l’auteur, qui raconte, qui nous fait voir les personnages, donne son point de vue. Et puis quelques courts textes qui ressemblent à didascalies.
Poésie car le style ne cesse d’être une ode : à la musique, à la nature et ses éléments, au jardin, aux oiseaux, à la beauté… Un poème qui introduit la nostalgie, fait sentir la souffrance, mais où l’amour est le plus fort : l’amour envers l’épouse disparue, vécu comme indestructible, l’amour filial aussi qui est parvenu à sauver de l’oubli l’oeuvre de ce musicien incompris.
En fait chaque texte pourrait être lu comme un poème indépendant :
La mare
Etang de Montgeron Claude Monet |
"Il faisait si chaud dans le silence et dans l’après midi,
dans la torpeur.
Il se dénudait entièrement,
il se glissait
dans l’eau opaque de la mare.
Il y est bien, c’est tiède. Il pose la tête blanche sur la mousse.
Il y a quelque chose de plus ancien que soi dans cet étang,
cette petite roselière,
ce bruant qui en assure la garde, ces menthes,
ces mûres noires,
quelque chose de calme, de liquide, de doux,
quelque chose de mort un peu peut-être, ici,
en tout cas quelque chose qui n’est pas très vivant, qui n’est pas très bruyant,
qui n’est pas froid, - un peu tiède,
quelque chose dont la morphologie est plus
proche des oiseaux que celles des hommes,
quelque chose qui chante à peine,
dans le bec,
qui glisse entre les ondes
qui suit un si petit sillage,
qui court comme une minuscule araignée sur
la surface de l’eau de l’onde que ses pieds ne pénètrent pas,
qui cherche sa part de pollen tombé de la lumière que le ciel répand.
Pour le ciel,
pour le jadis qui est dans le ciel,
comme pour les amoureux qui entrent dans
la chambre sombre en se tenant par la main,
leur corps tremblant déjà de la nudité
qui se fait plus proche,
le nombre deux n’existe pas."
Dans ce jardin qu’on aimait, mise en scène par Marie Vialle au festival d'Avignon 2022
En adaptant le récit de Pascal Quignard, Dans ce jardin qu’on aimait,
la metteuse en scène et comédienne Marie Vialle nous fait entrer dans
un univers sonore où la solitude devient une écoute absolue du monde, et
le souvenir d’un être aimé la manifestation d’une cruauté inattendue.
Inspiré de la vie du compositeur américain Simon Pease Cheney,
interprété par Yann Boudaud, ce spectacle déploie un espace épuré où les
chants d’oiseaux éveillent à la conscience d’un monde infini. Pour
cette cinquième collaboration avec Pascal Quignard, Marie Vialle déroule
le fil, d’hier à aujourd’hui, d’un récit émouvant, qui fait entendre la
beauté d’une langue littéraire à travers les portraits d’êtres
solitaires dévoués à la création. Programmation festival avignon 2022 ICI