Pages

samedi 18 juillet 2015

Antoine et Cléopâtre de Tagio Rodrigues


Antonio et Cleopatra ; photo Christophe Raynaud de Lage source

Antonio et Cléopatra est un grand poème écrit par Tiago Rodrigues, auteur et metteur en scène portugais, d’après la pièce de Shakespeare et La vie des hommes célèbres de Plutarque.
En lisant l’interview de Tiago Rodrigues sur sa pièce, j’avoue que le discours philosophique du metteur en scène sur la dimension cosmogonique de sa création, sur son refus de jouer sur les grands sentiments… m’a fait peur! Peur, oui, de me retrouver  face à un spectacle où ne passerait aucune émotion et où la réflexion intellectuelle assècherait le ressenti. Disons le tout de suite, il n’en est rien!

Dans les première instants de la représentation, Antoine parle de Cléopâtre et Cléopâtre d’Antoine mais ils ne sont pas présents, pas ensemble! Côte à côte sur la scène, oui, mais non dans leur histoire. Ils existent pourtant grâce aux gestes des comédiens, Sofia Dias et Vitor Roriz, qui sont aussi des danseurs et dont les bras levés, les mains appuyées sur le vide, semblent dessiner les formes de l’autre. Séparés, ils racontent et les mots du poème, commencent : « Antoine respire, Cléopâtre respire. ». J’ai alors pensé que ces répétitions risquaient de devenir bien vite ennuyeuses mais les phrases se déroulent, incantatoires, et happent, et fascinent. On se sent emporté par cette litanie, peut-être d’autant plus forte qu’elle se déroule en portugais (le spectacle est surtitré) et que les sonorités étrangères résonnent, un peu ésotériques, une musique qui s’insinue en nous.
Et l’histoire d’Antoine et de Cléopâtre nous est racontée, une belle histoire d’amour entre deux êtres que leur grandeur et leur pouvoir vont séparer. Antoine représente Rome, il sera accusé de trahison, de lâcheté, il se pliera un instant au jeu politique en acceptant d’épouser Octavie, la soeur de César- Octave mais il reviendra vers Cléopâtre. La Reine d’Egypte défend son pays mais elle ne peut se défaire de son amour pour le général romain. Dès lors, ils se retrouvent face à face, ensemble sous le regard des autres, dans un espace qui se réduit jusqu’à ne plus pouvoir respirer, ils sont condamnés; d’où l’importance des mots : « Antoine respire, Cléopâtre respire. » jusqu’à l’agonie finale, difficile, longue, la mort qui est la seule issue, le moment suprême où la respiration cesse.
Beaucoup d’émotion passe dans ces jeux de scènes, dans ces mots qui reviennent et qui chantent et qui pleurent. Ce qui est étonnant, c’est cette manière subtile de nous faire sentir le sable du désert, l’eau tiède du Nil ; de nous faire voir la bataille navale, ces vaisseaux romains et égyptiens qui s’affrontent; de faire vivre des personnages qui n’apparaîtront jamais sur scène mais qui par l’intermédiaire des comédiens existent à nos yeux : Enobarbus, le fidèle d’Antoine et qui pourtant le trahira, l’eunuque de Cléopâtre fasciné par la beauté de sa maîtresse, le messager, personnage d’une force extraordinaire, qui vient annoncer le mariage d’Antoine et sait qu’il en mourra mais ne peut mentir à sa reine.
La scénographie sobre, aux lignes pures, contribue à la beauté du spectacle et donne un sens profond à cette tragédie individuelle :  une grande toile, le ciel, où se reflètent les lumières du lever de soleil, du jour et de la nuit, un mobile avec de grands disques colorés et changeants qui tournent dans l’espace représentant le mouvement des planètes, l’inexorable passage du temps, la petitesse de l’homme face à l’univers.
Un spectacle d’une grande beauté, un spectacle envoûtant!

PS
Et si je n’ai pas aimé la mise en scène du Roi Lear par Olivier Py, je peux dire que j’aime sa programmation en tant que directeur du festival d’Avignon.


Comment Va le Monde? SOL/ Michel Bruzat au théâtre des Carmes

Marie Thomas dans le rôle de Sol

Marc Favreau humoriste québécois est plus connu sous le nom de Sol, un personnage de clown clochard. Le metteur en scène Michel Bruzat (compagnie Le théâtre de la Passerelle) reprend certains textes de Sol dans Comment va le monde?, au théâtre des Carmes, et les confie à sa comédienne fétiche, Marie Thomas, que nous voyons depuis longtemps au festival d’Avignon. Je me souviens du très beau et très cruel Un riche trois pauvres de Calaferte. Et comme d’habitude c’est un feu d’artifice, une union entre le texte brillant, fou, délirant et la comédienne inspirée.
Ce spectacle, à la fois émouvant et comique, est un véritable hommage à la langue française, un jeu sur les mots incessant. Sol  a des difficultés avec le langage et c’est de cette façon qu’il devient d’une efficacité redoutable quand il fait le bilan de l’état de notre planète, de l’injustice sociale, du rejet de l’autre, de l’exclusion et quand il nous raconte son enfance de mal-aimé. Il déforme les mots, les tord, en forme des nouveaux, c’est d’une irrésistible drôlerie, c'est douloureux aussi. La comédienne joue sur cette ambiguïté avec brio. Une heure et plus à jongler avec les mots comme avec des balles, à les lancer à la tête du public pour mieux les rattraper, à les rendre redoutables, corrosifs. Un excellent travail de mise en scène et d’interprétation, un texte qui est à la fois celui d’un clown et d’un poète.

Sol Marc Favreau

Quelques extraits des textes de Sol glanés sur le Net. Ces livres sont épuisés.

Si tous les poètes voulaient se donner la main, ils toucheraient enfin des doigts d'auteur!

Je persifle et je singe.

 Les photographes font tout un plat de leurs lentilles, et ensuite ils courent travailler au noir. Ça n'impressionne personne! »


Être un patron ça me déplairait pas…
Il est bien le patron.
D’abord il n’a pas besoin d’aller à l’école
il a sa classe à lui tout seul
c’est la classe digérante…
Oui passque le patron il mange
il mange très énormément tous les jours
dans une grande assiette fiscale…


Quand j’étais petit mon perplexe me disait toujours :
« La santé ça passe avant tout! »
Et c’est vrai qu’elle passe la santé.
Même que des fois elle nous dépasse, et on court
on court pour la rattraper, et pluss on court,
pluss on est fatigué…
et moins on la rattrape…
et quand on l’a perdue de vue la santé,
quand on l’a perdue pour de bon…
quand on se retrouve dans un fauteuil croulant,
c’est là qu’on comprend que dans la vie
c’est la santé qu’a le pluss d’impotence…



Comment Va le monde?
SOL/Bruzat
Théâtre des Carmes à 13H30 
durée 1H10
relâche 23 Juillet.