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dimanche 29 avril 2018

Guido Gezelle : poète flamand


J'aurais aimé en savoir plus sur Guido Gezelle, poète flamand romantique, dont la statue est détruite par un attentat dans le roman de Pieter Aspe : Chaos sur Bruges. Le mois de littérature belge m’a appris combien il est difficile de trouver les traductions françaises des poètes flamands en bibliothèque. j'ai voulu acheter celle de Liliane Wouters de Gezelle mais elle est indisponible. Et je n’ai trouvé que quelques poèmes sur le net. Je vous fais part de ceux-ci.

Ce soir et cette rose
 
Auguste Renoir

Ce soir et cette rose
                                                    À Eugène van Oye.

                                                
Près de toi j’ai passé tant d’heures,
      d’instants élus,
et près de toi jamais une heure
      ne m’a déçu :
pour toi j’ai choisi tant de fleurs,
      avec toi, tel
l’abeille, j’en ai bu le miel,
      avec toi. Mais
jamais heure ne fut plus belle,
      plus triste aussi
au moment du départ que celle
      où j’entendis
ce soir-là, se parler nos âmes
      dans le secret.
Jamais plus douce fleur par toi
      cherchée, élue,
que celle qui brillait sur toi,
      par moi reçue.
Bien que pour toi, bien que pour moi,
      toutes les heures
qui passent entre toi et moi
      trop tôt se meurent,
bien que pour toi, bien que pour moi,
      rare et choisie
cette rose venant de toi
      sera flétrie.
Pourtant mon cœur, tant qu’il vivra,
      de ces trois choses
verra l’image : toi, ce soir
      et cette rose.


Guido Gezelle Poèmes, chants et prières, 1862.

Traduit du néerlandais par Liliane Wouters.

poésie que j'ai lu ici



Petite Mère (Moederke, 1891)

Aurélia Frey


Petite mère,
de ton visage
n'ai pu garder
l'image.
Sur cette terre
pas un dessin,
rien de gravé,
de peint.
Pas un portrait,
pas un cliché,
pas une pierre
sculptée,
hormis les traits
empreints en moi
et que tu m'as
laissés.
O que je puisse
toujours garder
inaltérés
ces traits
jusqu'à ma mort
que leur éclat
demeure encore
en moi.


Traduit par Liliane Wouters


Guido Gezelle


Personnalité riche et complexe, Guido Gezelle, (1830-1899) écrivain belge d'expression néerlandaise, exerça une profonde influence sur l'évolution culturelle des Flandres. Originaire d'un milieu populaire brugeois, il s'orienta vers le sacerdoce, mais ne put devenir missionnaire comme il le souhaitait. Professeur à Roeselare, il eut plus de succès auprès de ses élèves que de ses supérieurs. C'est à cette époque qu'il se tourne vers le lyrisme romantique. Il forme alors une nouvelle école poétique. Mais ses premiers essais personnels demeurent théoriques et didactiques. En revanche, Poèmes, chants et prières (Gedichten, Gezangen en Gebeden, 1862) témoignent d'une inspiration religieuse originale, d'un contact intime avec la nature, d'une intériorité ardente. Entre 1860 et 1880, le folklore, avec Autour du foyer (Rond den Heerd, 1865), le journalisme, les recherches linguistiques ainsi que les traductions semblent prendre la meilleure part de son temps. Il s'agit là en réalité d'une longue période de crise et de maturation d'où son génie poétique ressurgira sous l'influx chaleureux et fraternel du milieu courtraisien (il avait été nommé à Courtrai). La Couronne du temps (Tijdkrans, 1893), sorte de célébration cyclique des saisons... 



jeudi 26 avril 2018

Pieter Aspe : Chaos sur Bruges


Le commissaire Van In, grande gueule au cœur tendre et buveur de bière impénitent, son adjoint, le perspicace Versavel, et la belle Hannelore Martens, substitut du procureur. Un trio de choc pour déjouer une série d'affaires qui sème la panique dans la bourgeoise ville de Bruges. Une fois de plus, le pas très politiquement correct Van In s'apprête à jeter le trouble en haut lieu, où l'on semble peu pressé de le voir résoudre son enquête... (4ième de couverture)
Chaos sur Bruges de Pieter Aspe ne m’a pas entièrement convaincue. Cela tient d’abord au personnage principal, le fameux commissaire Van In avec lequel je faisais connaissance et qui m’a grandement ennuyée. En dehors de son alcoolisme et de son amour immodéré de la bière (cela m’a du moins appris le nom d’une d’entre elles la Duvel ! ), de sa saleté, de ses vêtements froissés et tachés et de son mauvais caractère, je ne sais pas ce que l’on peut lui trouver ! Ajoutons que lorsqu’il sort du lit de la belle Hannelore, c’est pour mieux entrer dans celui d’une prostituée, si bien que lorsqu’il demande Hannelore en mariage, on se dit qu’elle ferait mieux de fuir ! Tout cela pour dire que l’on ne peut pas vraiment croire aux sentiments de l’un ou de l’autre et que l’analyse psychologique des personnages paraît superficielle dans ce roman.
Voyons l’intrigue maintenant. Là aussi, j’ai eu beaucoup de mal à m’y intéressée, du moins au début. Je trouve qu'elle traîne en longueur. Ensuite, je suis bien entrée dans l’histoire mais elle me paraît compliquée. Il y est fait allusion aux différends entre wallons et flamands. Piste abandonnée par la suite.. mais qui m’intéressait.

Bref! En gros, l’alchimie n’a pas eu lieu. Peut-être dans un autre de ses romans ?



dimanche 15 avril 2018

Maurice Carème : Poèmes


Fjaestad Gustav peintre suédois
Maurice Carème est un poète et écrivain  belge né en 1899 à Wavre. En 1918, il devient instituteur à Anderlecht. La découverte des poèmes d'enfants le bouleverse et change son style. Désormais, il recherche la plus grande simplicité. (voir ici)


Le givre
 
Fjaestad Gustav peintre suédois


Mon Dieu ! comme ils sont beaux

Les tremblants animaux

Que le givre a fait naître

La nuit sur ma fenêtre


Ils broutent des fougères

Dans un bois plein d’étoiles,

Et l’on voit la lumière

A travers leurs corps pâles.


Il y a un chevreuil

Qui me connaît déjà ;

Il soulève pour moi

Son front d’entre les feuilles.


Et quand il me regarde,

Ses grands yeux sont si doux

Que je sens mon cœur battre

Et trembler mes genoux.


Laissez moi, ô décembre !

Ce chevreuil merveilleux.

Je resterai sans feu

Dans ma petite chambre.



Il a neigé
 
Pekka Halonen : peintre finnois


Il a neigé dans l'aube rose
Si doucement neigé,
Que le chaton noir croit rêver.
C'est à peine s'il ose
Marcher.

Il a neigé dans l'aube rose
Si doucement neigé,
Que les choses
Semblent avoir changé.

Et le chaton noir n'ose
S'aventurer dans le verger,
Se sentant soudain étranger
A cette blancheur où se posent,
Comme pour le narguer,
Des moineaux effrontés.

                         
Vent




Vent qui rit,
Vent qui pleure
Dans la pluie,
Dans les cœurs ;


Vent qui court,
Vent qui luit
Dans les cours,
Dans la nuit ;


Vent qui geint,
Vent qui hèle
Dans les foins,
Dans les prêles ;


Dis-moi, vent
Frivolant,
À quoi sert
Que tu erres


En sifflant
Ce vieil air
Depuis tant,
Tant d’hivers ?

Il pleut

Van Gogh : la pluie

Il pleut sur les longs toits de tuiles,
Il pleut sur les fleurs du pommier,
Il pleut une pluie si tranquille
Qu’on entend les jardins chanter.

Il pleut comme au temps de Virgile,
Comme au temps de Berthe aux longs pieds,
Il pleut sur les longs toits de tuiles,
Il pleut sur les fleurs du pommier.

Il pleut du bleu doux sur la ville
Il pleut et, dans le ciel ouaté,
Tous les colombiers sont mouillés.
Les pigeons semblent, sur les tuiles
Des bouquets de  fleurs de pommiers

Le brouillard
 
Aurélia Frey

Le brouillard a tout mis

Dans son sac de coton ;

Le brouillard a tout pris

Autour de ma maison

Plus de fleurs au jardin,

Plus d'arbres dans l'allée ;

La serre des voisins

Semble s'être envolée.

Et je ne sais vraiment

Où peut s'être posé

Le moineau que j'entends

Si tristement crier.


                                      
Le soleil et le chat

Jean Luçart
Le chat ouvrit les yeux,
 

Le Soleil y entra.
 

Le chat ferma les yeux,
 

Le Soleil y resta. 

 

Voilà pourquoi le soir,
 

Quand le chat se réveille,
 

J’aperçois dans le noir
 

Deux morceaux de Soleil. 


 

dimanche 7 août 2016

Festival In d'Avignon 2016 : Tristesses - Anne-Cécile Vandalem /Les âmes mortes - Gogol et Kirill Serebrennikov/Babel 7.16 – Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet



Un dernier billet sur les spectacles du festival d’Avignon que j’ai vus cette année dans le IN car il est temps d’en finir et je pars en vacances en Lozère!

La 70e édition en chiffres :
La 70e édition du Festival IN d'Avignon a réuni 63 spectacles en 289 représentations dans 39 lieux. Sur 126 000 billets proposés à la vente, 120 000 billets ont été délivrés (+ 6,55% par rapport au total de l’édition 2015), soit un taux de fréquentation de 95%.
 Les manifestations gratuites ont comptabilisé 47 000 entrées libres.
 Fréquentation totale au 23 juillet 2016 :
167 000 entrées
La 70e édition : lucidité et espérance 
Ce Festival a incarné particulièrement cette année l’esprit de mobilisation, les spectateurs toujours plus nombreux préférant le partage de l’intelligence au silence de la peur ou à la violence du rejet.

Tristesses/ Anne-Cécile Vandalem auteure et metteuse en scène belge



"En passe de devenir Premier ministre, Martha Heiger, dirigeante du Parti du Réveil Populaire, retourne sur son île natale, Tristesses, pour enterrer sa mère retrouvée morte dans des circonstances qui restent encore à éclaircir. Après la faillite des abattoirs de Muspelheim, la candidate retrouve son village, exsangue, et profite de la situation pour jeter les bases d'un projet de propagande. Dans l'ombre, deux adolescentes décident de prendre les armes... Inspirée par la violence de la montée des nationalismes en Europe, la dernière création d'Anne-Cécile Vandalem dissèque avec humour ce qu'elle envisage comme l'une des plus redoutables « armes » de la politique contemporaine : « l'attristement des peuples ». Comment ? En liant de manière inextricable la tristesse à la comédie sociale, la politique à l'enquête de moeurs, l'émotion à sa propre résistance. En imaginant cette fable comme un polar nordique, animiste et surnaturel, la metteuse en scène croise la fiction et la réalité, le théâtre et le cinéma, les vivants et les morts. Un thriller où le passé télescope le présent, où les personnages sont pris dans des postures drôles et cruelles, et où le pouvoir insidieux des médias domine. « Un des états de la tristesse ».

LA DEPÊCHE AVIGNON (AFP) -  la dépêche voir ICI
C'est la pièce la plus terrifiante et la plus aboutie à ce stade du festival d'Avignon: "Tristesses", de la Belge Anne-Cécile Vandalem, raconte la prise de pouvoir d'une dirigeante d'extrême droite sur les habitants d'une petite île au Danemark.

Mon avis :  Effectivement Tristesses est un beau, triste mais nécessaire spectacle, polar nordique comme le disent les critiques, mais surtout théâtre politique, ancré dans notre temps. Le spectacle montre le triomphe de l’extrême-droite et comment, au nom de cette idéologie pernicieuse, Martha, chef du parti du Réveil populaire et son père, triste individu sans scrupules, n’hésite pas à faire sombrer  économiquement les habitants de cette petite île pour récupérer le pouvoir.  Rien ne pourrait être plus d'actualité et la mise en scène entre vidéo et théâtre est très réussie.

Les âmes mortes d’après Gogol : Kirill Serebrennikov metteur en scène russe

 

"Dans la Russie des années 1820, Tchitchikov homme ordinaire mais astucieux, cherche fortune et applique une idée peu commune : acheter à très bas prix les titres de propriété de serfs décédés mais non encore enregistrés comme tels par l'administration, pour les hypothéquer et en retirer bien plus d'argent qu'ils n'en valent en réalité. Au fil des tractations et des transactions de ce personnage, Nikolaï Gogol construit une oeuvre monumentale en forme de galerie de portraits dont la trivialité d'abord drôle devient vite inquiétante. L'écrivain semble nous dire que le pire n'est pas que les âmes vivantes marchandent celles des morts... mais qu'elles se révèlent toutes corrompues par le jeu, l'alcool et la cupidité. S'inspirant de cette oeuvre historique qui attira tant de haine à l'auteur qu'il la renia, le metteur en scène Kirill Serebrennikov fait défiler les habitants de la ville de « N. » dans un décor de contreplaqué qui laisse résonner les travers de l'humanité de toutes les époques, de la Russie à toutes les régions du monde. Castelet pour dix acteurs qui, comme des pantins, endossent les innombrables rôles du roman ou misérable cercueil pour des âmes aux intérêts si morbides qu'elles sont dénuées de vitalité, cette boîte est le théâtre d'un humour grinçant et d'une choralité absurde. Un espace-temps où les relations humaines sont sans perspective sur le moindre changement."

Mon avis : Même avec beaucoup d’idées et une grande inventivité, la mise en scène m’a laissée en dehors. Je ne suis pas arrivée à entrer dans cette pièce. J’ai trouvé que c’était long et surtout répétitif en particulier lors de chaque achat d’âmes mortes. Je n’ai apprécié vraiment que la fin beaucoup plus poétique lorsque les ombres des âmes mortes reviennent sur scène. A noter que le manque de climatisation et la chaleur suffocante de la Fabrica n’ont rien arrangé!

 Babel 7.16 –  Sidi Larbi Cherkaoui chorégraphe flamand -marocain et Damien Jalet chorégraphe franco-belge


"Babel 7.16 : réactualisation ou recréation ? Aujourd'hui, pour les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, il ne s'agit plus de voir la pièce dans les mêmes dispositions que celle de 2010 du triptyque composé avec Foi et Myth. L'extension du titre en est l'incarnation : 7.16 fait autant référence aux codes des logiciels qu'aux versets d'un texte sacré, à une date contemporaine qu'au pouvoir d'une numérologie archaïque. La pièce convoque le choc des langues et des corps porteurs de différentes nationalités, la diversité et la difficulté à être dans la coexistence et confronte l'unicité à la communauté. Elle questionne notre rapport au changement où la technologie modifie constamment nos empathies et nos connexions. Babel 7.16, tout comme la pièce originale, met en scène des danseurs qui partagent avec humour leurs héritages immuables mais en métamorphose constante. Danser cette contradiction, c'est comme explorer les mots par le corps, éviter l'écueil de l'indicible grâce au geste et à l'action. Dans le mythe initial, il est dit que Dieu ne voulait pas partager son territoire, les hommes, eux, voulaient se rapprocher de Lui. « Le partage est une décision, une attitude, face aux événements traumatiques notamment. Ces instants où l'extrême solidarité se confrontent à la peur de partager ». En invitant au plateau l'intégralité des danseurs qui ont fait de Babel une référence chorégraphique, les deux chorégraphes issus d'une Belgique flamande et francophone, divisée et unitaire, ont placé la masse, l'histoire et le territoire dans la Cour d'honneur du Palais des papes. Dans le centre des centres, là où les murs continuent à nous raconter des histoires de prérogatives et d'immuabilité du pouvoir et de la religion mais subliment et accueillent le vivant dans sa complexité."
LA CROIX critique : 
"Les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet réactualisent à Avignon, à travers Babel 7.16, l’un de leurs succès, dans un tourbillon de langues, de nationalités et de trouvailles souvent réjouissantes, parfois étourdissantes.
La cour d’honneur du palais des Papes a frémi mercredi soir, quand, alors que l’obscurité achevait d’envelopper ses hauts murs, les danseurs de Babel 7.16 se sont alignés.
Vingt hommes et femmes, qui, les uns après les autres, ont planté leurs poings dans le sol en criant le mot « terre » dans différentes langues, avant de danser aux rythmes d’énormes tambours japonais.
Cette saisissante entrée en matière marque le moment du récit de la tour de Babel où Dieu, punissant les hommes d’avoir voulu élever leur édifice jusqu’aux cieux, confond leur langage afin qu’ils ne s’entendent plus. 
Si la pièce se trouve réadaptée six ans plus tard à Avignon, c’est parce que les tensions qu’elle explore, avec un humour salvateur, agitent plus que jamais notre actualité. Tous les danseurs ayant donné vie à Babel (words) se rassemblent pour une version XXL, où voisinent dix-sept langues et vingt nationalités.
 Voir la suite de l'article ICI

Mon avis :  encore un très beau spectacle, une chorégraphie éblouissante dans le cadre magnifique de la cour d'Honneur. Et toujours comme beaucoup de spectacles du In comme du Off, un théâtre engagé dans l'actualité. Décidément le Festival a amené cette année à une réflexion sur toutes les questions que nous nous posons sur notre société.

dimanche 7 avril 2013

Simenon : Le chat dans Le Monde de Simenon présenté par Pierre Assouline





Résultat de l'énigme n°62
Les vainqueurs du jour sont : Dasola, Dominique, Eeguab, K'gire, Keisha, Miriam, Pierrot Bâton, Syl ...  Et merci à tous !

le roman: le chat de Simenon
                    
Le film : Le chat de Pierre Granier-Deferre Interprètes: Simone Signoret et Jean Gabin et... le chat!


 Le chat de Simenon

Simenon ne croyait guère au mariage, reflet d'une morale hypocrite chrétienne et bourgeoise. Dans Le Chat, deux veufs se sont remariés pour meubler leur solitude, mais leur vie de couple vire très vite à l'enfer. Tout les oppose à commencer par leur origine sociale. Emile est un ouvrier, retraité du bâtiment, qui a perdu sa femme d'origine modeste qu'il aimait. Il s'attarde volontiers au café pour boire un verre de rouge, fumer des cigares qui empestent et par dessus tout il adore son chat que sa nouvelle épouse, Marguerite, déteste. Marguerite est d'une autre milieu social, fille d'une bourgeoisie industrielle en partie ruinée, elle a reçu une bonne éducation chrétienne, elle a appris le piano et l'équitation. Elle vénère son défunt mari, premier violon à l'Opéra de Paris. De fait, elle méprise Emile et ses habitudes. Pourquoi ces deux êtres dissemblables se sont-ils mariés ? Certainement pas par attirance physique, entre les deux personnages, il n'y a aucune relation sexuelle mais par peur de finir sa vie seul, malade et abandonné. Pour Marguerite, avare, Emile représentait la possibilité d'avoir un homme à tout faire sous la main, corvéable, sans avoir à débourser. Peu à peu la cohabitation se transforme en haine. Marguerite empoisonne le chat,  Emile se venge sur le perroquet de sa femme. Les deux époux décident de ne plus s'adresser la parole, ils communiquent rarement et uniquement par écrit. Emile et Marguerit ne peuvent divorcer parce qu'ils sont chrétiens. Il leur est impossible de se séparer parce que  la souffrance, la perversité, la haine permettent de combler le vide de leur existence. 
"C’était devenu leur vie. Il leur était aussi naturel, aussi nécessaire, de s’envoyer des billets venimeux, qu’à d’autres échanger des politesses ou des baisers".

Le chat de Pierre Granier- Deferre.


L'adaptation de Granier-Deferre et de Pascal Jardin a gardé du roman le cadre décrit par Simenon : un modeste pavillon situé dans une impasse, dans une banlieue en reconstruction. Mais le scénario ne s'attarde pas sur l'aspect social, il  s'attache à  montrer l'usure d'un vieux couple, Julien et Clémence, marié depuis plus de 25 ans. Lui était typographe, fier de son travail. Elle était trapéziste mais une chute l'a obligée à quitter le cirque. Depuis elle traîne la jambe et se laisse aller à boire un peu trop. Le couple a vécu des jours heureux mais le temps a fait son oeuvre, les sentiments se sont désagrégés, la lassitude et l'ennui ont remplacé peu à peu à l'amour. Toute l 'affection de Julien va se porter sur  un chat errant qu'il adopte. Clémence devient jalouse de l'animal et dans une crise de folie elle l'abat. Julien décide de ne plus adresser la parole à son épouse. Les deux êtres vont vivre l'un à côté de l'autre, menant une guerre silencieuse. Ils restent ensemble pas uniquement par habitude, la haine qui s'exprime n'a pas tué complètement l'amour qui a existé comme l'indique le dénouement. Le film, le meilleur réalisé par Granier-Deferre, bénéficie de la présence de deux monstres sacrés du cinéma français : Simone Signoret et Jean Gabin. Les deux acteurs ont reçu conjointement, L'Ours d'argent du festival de Berlin pour leur remarquable interprétation.
Tout en conservant la trame du roman et jusqu'à certains détails, Granier-Deferre a réalisé un film personnel, s'intéressant à l'érosion de l'amour dans un vieux couple, mais aussi à la lassitude qui guette la vieillesse, émousse les sentiments et enlève le goût de vivre. Marguerite aime encore son mari, elle souffre qu'il ne l'aime plus et elle est encore plus malheureuse de ne pas comprendre pourquoi il n'a plus d'amour pour elle, plus le goût de manifester un semblant d'intérêt pour elle. Lui n'a rien à répondre. Il est fini, incapable de ressentir un sentiment sauf envers ce vieux chat qu'il a pris sous sa protection. Le film est très dur parce que le couple se déchire, les paroles amères, haineuses, fusent et pourtant ils ne sont rien l'un sans l'autre. Contrairement à Granier-Deferre, Simenon règle ses comptes à une société dont il fait partie et qu'il n'aime pas. Il crie sa haine du mariage (bien qu'il se soit marié trois fois!) et d'une classe sociale, la bourgeoisie, dont il hait les mesquineries et l'hypocrisie. Mais s'il n'y a pas d'amour au départ dans le roman comme dans le film, le sentiment de haine est bien là et l'enfer du couple est décrit d'une main de maître.
Dans les deux oeuvres, roman et film, le décor, cette rue pavillonnaire, avec ses maisons tranquilles et ses jardins est en train de disparaître, éventrée par les engins d'un chantier, symbole d'un monde qui s'écroule, remplacé par un autre qui, on le pressent, ne sera pas forcément meilleur.
Texte commun : Wens/ Claudialucia




dimanche 18 mars 2012

Un Livre/ Un film : réponse à l'énigme N° 26 Simenon, L'horloger de Saint Paul


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Les gagnants sont : Aifelle, Asphodèle, Eeguab, Dasola, Keisha, Jeneen, Nanou, Pierrot Bâton, Somaja.
Le livre :  L'horloger  d'Everton de Simenon
Le film : l'horloger de Saint Paul de Tavernier
 Merci à tous et toutes pour votre participation et une petite pensée, en particulier, aux collables, collés et englués! Et oui tout ça!

Lorsque Simenon écrit l'Horloger d'Everton, il est aux Etats-Unis où il est parti s'installer après la guerre jusqu'en 1955. C'est pourquoi le récit du roman se situe à Everton, une petite ville du Missouri. Et la cavale des enfants poursuivis par la police se poursuit à travers deux états jusqu'en Indiana.

La vie de Dave Galloway, horloger à Everton se poursuit paisible dans cette petite ville jusqu'au jour où en rentrant de sa partie de cartes hebdomadaire chez son ami Musak, il s'aperçoit que son fils Ben, seize ans, est parti en empruntant sa voiture. Il a bien vite des nouvelles de Ben et de sa petite amie Lillian qui sont partis pour se marier. Ben a tué un homme pour lui voler son argent et tous les deux sont traqués d'un état à l'autre par la police. Pendant cette chasse à l'homme tragique, Dave Galloway accompagne son fils en pensée. Lui qui croit si bien connaître son enfant qu'il a élevé seul après le départ de sa femme, s'interroge sur les causes de cette violence, il essaie de comprendre comment Ben en est arrivé là.

Ce roman de Simenon n'a rien de policier, c'est surtout un roman d'analyse psychologique où Simenon explore les rapports d'un père avec son enfant. La symbiose étroite qui existait entre le garçon élevé par un père qui lui tient lieu de tout vole en éclats d'une manière brutale, imprévisible. Aucun prémisse ne l'a annoncé. Galloway en porte-t-il la responsabilité? C'est ce qu'on lui reproche pendant le procès de son fils. Pourquoi ne s'est-il pas remarié après le départ de sa femme, pourquoi a-t-il privé l'enfant d'une présence féminine?
Galloway retourne dans le passé et nous en apprenons plus sur la personnalité de Ruth, cette femme qu'il a choisie d'épouser contre l'avis de tous, en sachant lui-même qu'il faisait une erreur et que cela ne pouvait pas marcher! Pourquoi ce choix malgré sa lucidité? L'interrogation sur la filiation l'amène aussi à explorer ses propres rapports avec son père bien-aimé à qui il s'identifiait totalement mais qui est mort quand il était encore enfant. Sa mésentente avec sa mère et surtout avec son beau-père après le remariage de sa mère est aussi analysée.Trois générations, le grand père, Dave, Ben, trois êtres qui se ressemblent malgré leur différence, et qui portent tous trois le germe de la révolte plus ou moins étouffé en eux, sans pouvoir totalement se libérer, voilà ce qui peut expliquer l'acte de Ben!

Les différences avec le film sont notables. Il y a d'abord le lieu, bien sûr, mais surtout l'époque! Le film transpose le récit d'Everton à Lyon dans la société français d'après 68. Dave Galloway devient Michel Descombes (Philippe Noiret), le fils Ben devient Bernard (Sylvain Rougerie). Le film prend alors une toute autre coloration car Tavernier en fait un film engagé. Les motivations de Bernard, quand il tue le patron de Liliane (Christine Thomas) sont à la fois sentimentales et politiques. Il veut venger l'humiliation peut-être même le viol de son amoureuse et l'injustice de son renvoi même  s'il le nie. La victime devient le symbole de l'oppresseur, du patron qui abuse de son pouvoir, du harcèlement des femmes dans les entreprises. Les jeunes amies de Liliane en témoignent. Dimension politique absolument absente du roman. Nous sommes ancrés dans un quartier populaire de Lyon, le quartier de Saint Paul. Michel Descombes est un anar sympathique qui refusera , en accord avec son fils, d'utiliser  cette histoire à des fins politiques. Son meilleur ami Antoine (Jacques Denis) est communiste et la conversation quand tous se rencontrent roulent autour de faits sociaux ou politiques, des élections par exemple. Ce qui, à l'origine était une faiblesse (Tavernier n'avait pas le financement pour tourner aux Etats-Unis) devient force en s'intégrant ainsi à la réalité quotidienne de la France des années 1970, dans la France de Pompidou et  les mentalités de l'époque.

Dans le film comme dans le roman le thème de l'amitié est largement développé : Musak, le bourru, le taiseux du roman se montre solide et sûr quand l'horloger a besoin de lui, de la même manière que  Antoine dans le film, même si les personnalités des amis sont très dissemblables.
 Le rôle du policier dans le film prend une ampleur qu'il n'a pas dans le roman. Dans le livre il n'apparaît qu'une fois et témoigne de la sympathie et de la compréhension pour Galloway. Il lui dit : 
Je crains bien, monsieur Galloway, que tous, tant que nous sommes, soyons les derniers à  connaître nos enfants mais il disparaît bien vite. Alors que dans le film, le commissaire Guibout est un personnage important, humain, compatissant, interprété avec finesse par Jean Rochefort. L'horloger et le policier pourraient presque devenir amis si ce n'était les circonstances et si leur analyse des faits ne divergeait pas autant (voir chez Wens la vidéo de la fameuse discussion, si poétique et si émouvante, avec les belles voix de Noiret-Rochefort, sur le petit garçon méchant). Le commissaire est celui qui doit arrêter Edouard, donc l'ennemi. Cette amitié est d'autant plus impossible que nous sommes encore dans la mentalité soixante-huitarde où "tout flic est un homme à abattre".

dimanche 11 mars 2012

Un Livre/ Un film : Réponse à l'énigme N° 25 , Stanislas Steeman Légitime défense

Suzy Delair (Jenny Lamour) dans Quai des Orfèvres




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Le grand prix du Tra la la, est attribué à  : Aifelle, Dasola, Eeguab, Gwenaelle, Jeneen, Keisha, Pierrot Bâton, Miriam, Maggie,  Somaja.
Et merci à tous et toutes pour votre participation.

Le roman : Stanislas André Steeman : Légitime défense
le film : Henri-Georges Clouzot : Quai des orfèvres (voir chez Wens)

Stanislas André Steeman est un écrivain belge né en 1908 à Liège. Il a  écrit de nombreux romans policiers dont 27 ont pour héros le commissaire Wencelas Vorobeitchik alias Wens (et oui  vous  saurez ainsi où Wens a pioché son pseudo). Au départ l'ami Wens voulait s'appeler Marlowe mais c'était déjà très pris et puis en revoyant L'assassin habite au 21, un film plein d'humour qu'il aime beaucoup, il a opté pour Wens. Ce qui vous prouve qu'au début Wens devait être un commissaire de police mais qu'il a mal tourné comme vous le savez tous!

Steeman a remporté le second prix du roman d'aventures en 1931. Il est mort en 1970.
Le livre a pour titre original : Légitime défense et c'est un roman sans Wens. C'est son adaptation à l'écran sous le titre de Quai des orfèvres qui l'a rendu célèbre et à juste titre car le film me paraît supérieur au roman.

Le récit du livre Légitime défense et du film Quai des Orfèvres a bien sûr des similitudes mais il comporte  beaucoup de différences, ce que nous allons voir.

L'intrigue du livre :  Noël Martin en rentrant chez lui trouve un mot de sa femme Belle qui lui dit être partie chez sa mère malade. En lisant machinalement la lettre d'une amie de sa femme, il apprend que cette dernière a peut-être une aventure avec un certain M. Weyl, ami du couple. Maladivement jaloux, il téléphone chez sa belle mère et s'aperçoit que personne ne répond. Il décide alors de se rendre chez Weil et, s'il le faut, de le tuer. Il gare sa voiture intentionnellement sur un parking interdit, devant un cinéma, et prend un billet d'entrée pour avoir un alibi puis il se rend chez son rival. Quand il arrive il voit une femme qui s'enfuit et croit reconnaître Belle. Il entre. Weil est endormi sur le canapé. Martin prend un maillet et lui fracasse le crâne...  Martin va se croire coupable alors que ce n'est pas lui qui a tué. Ce n'est qu'à la fin du roman que le coupable sera révélé.

Dès ce moment le récit diverge dans les faits. Dans le film, le héros qui ne porte pas le même nom, Maurice Martineau, a un revolver mais il ne s'en sert pas parce qu'il trouve le vieux Brignon  (Weyl dans le roman), son rival, mort. Il se sait donc qu'il est innocent mais ce qu'il ignore c'est que sa femme Jenny (Belle) a frappé la victime pour se défendre de ses assiduités. Pourtant toutes les traces vont mener vers Martineau, d'autant plus que sa voiture lui a été volée à l'endroit du meurtre. Maurice Martineau sera donc accusé et l'on ne saura qu'à la fin qui est le coupable ... or ce n'est pas le même que dans le livre!

Pourtant, si l'intrigue est un peu différente, ce n'est pas ce qui est plus important. Les modifications de Clouzot concernent essentiellement les personnages qu'il étoffe, qu'il dote d'un passé, dont il approfondit le caractère. Enfin il place l'action dans le contexte  français de l'après guerre (1947) ce qui lui permet de livrer un vision de la société parfois assez pessimiste où sa sympathie va nettement aux plus humbles.

La jeune femme Jenny Lamour (Suzy Delair) est issue d'un milieu ouvrier. Elle a souffert de la pauvreté, de la promiscuité dans un logement trop petit. Doté d'un talent de chanteuse de variété, elle est prête à tout pour réussir! A tout? Non, car elle aime sincèrement son mari, le pauvre "Biquet" ( Bernard Blier n'est pas gâté par le rôle de mari jaloux et faible, gentil pourtant!). Elle se contente de jouer la coquette et de donner des espérances à ces messieurs pour obtenir le coup de pouce nécessaire pour réussir mais sans être infidèle jusqu'au jour où cela tourne mal. C'est une jeune femme gracieuse, rieuse et coquette, un peu vulgaire mais sympathique.
Le mari, Maurice Martineau, appelé "Biquet" par sa femme,  surnom qui le ridiculise un peu et montre la faiblesse de son caractère, est d'un milieu bourgeois. Son mariage avec une femme de ce milieu, qui de plus avait eu des amants, a été sévèrement critiqué par con entourage. Il a dû rompre avec ses parents. Il a fait des études au conservatoire, ce qui lui permet d'accompagner sa femme au piano. Dans le roman, c'est un peintre mais Clouzot par le choix de la musique nous introduit dans le milieu pittoresque du Show Bizz et du cabaret qu'il décrit largement  d'où par exemple le célèbre "avec mon tra la la", air chanté par Suzy Delair.

 Louis Jouvet (l'inspecteur Antoine) et Simone Renant ( Dora)

Le rôle de la jeune femme amie du couple est aussi très différent. Dans le livre, Renée d'Humain qui dirige un institut de beauté, est une femme séduisante, amoureuse de Noël, et qui essaie de le récupérer au détriment de Belle. Dans le film, Dora, photographe, est une amie d'enfance de Martineau mais elle est amoureuse de Suzy Delair. Elle intervient dans l'action en essayant de sauver la jeune femme, ce qui lui vaut d'être soupçonnée elle aussi. Clouzot aborde ainsi discrètement le thème de l'homosexualité, du secret qui s'y attache à l'époque et de la souffrance de l'amour refoulé. C'est à elle que s'adresse la fameuse réplique de Jouvet : "Je vous aime bien parce que vous êtes un type comme moi, vous n'avez pas de chance avec les femmes!"

Enfin l'un des personnages sur lequel Clouzot a le plus brodé et qui bénéficie de l'interprétation magistrale de Louis Jouvet est l'inspecteur Antoine du Quai des Orfèvres, jamais passé commissaire parce qu'il est trop fort en gueule. Lui aussi de famille modeste, il a dû revoir ses ambitions à la baisse, en devenant inspecteur de police, c'est à dire en gagnant le droit de crever de faim et de se faire éventuellement tuer! Il y a une très belle scène d'altercation entre Suzy Delair et  Louis Jouvet, tous deux issus des classes populaires.  Ils s'affrontent, l'une affirmant qu'elle n'aime pas les flics. "Vous n'aimez pas les flics, lui répond l'inspecteur mais vous les appelez quand c'est vous qui vous faites assassiner ". Dans le livre, le policier est loin d'avoir un tel rôle. On ne connaît de lui que sa corpulence et le fait qu'il a un enfant parce qu'il sort d'un magasin de jouets. Clouzot utilise ce détail pour faire de l'inspecteur le père d'un petit garçon noir adopté quand il était soldat dans les colonies. Et cet amour est très beau car malgré l'amertume, le cynisme du vieil inspecteur, il donne un sens et une richesse à sa vie.. 

Altercation entre Jenny Lamour et L'inspecteur Antoine

Le roman est une histoire policière qui joue sur le suspense et le mystère du crime mais où les personnages ne sont que des silhouettes. Dans le film, les personnages  sont des êtres humains avec leurs faiblesses et leur mesquinerie mais aussi leurs qualités. Si l'amour sincère envers son mari permet à Jenny d'être un personnage sympathique malgré ses ambitions et ses compromis, c'est l'amour de son petit garçon qui sauve l'inspecteur Antoine de la sècheresse des sentiments.
 A partir du roman policier intéressant de Steeman, Clouzot a réalisé un chef d'oeuvre!

lundi 17 octobre 2011

François Emmanuel : Cheyenn

Cheyenn, non, ce livre de François Emmanuel, ne vous amènera pas, dans les grandes prairies de l'Ouest américain, chevauchant votre appaloosa à la recherche de bisons. Cheyenn est le nom que s'est donné Sam Montana-Touré, SDF, un homme au regard silencieux qui hante l'imaginaire du narrateur de cette histoire, un cinéaste, auteur de documentaire pour la télévision. Et si cette recherche vous entraîne vers de grands espaces, "ce sont ceux des chantiers ceints de palissades, routes et trottoirs défoncés, alignement de façades sinistres... dans cette demi-friche industrielle qui longe le canal sur près de quatre kilomètres,  paysages de délabrement urbain", usines désaffectées peuplées d'êtres à la dérive, de skinhead haineux, un univers entre misère et violence.

Le cinéaste a rencontré une première fois Cheyenn dans une usine de filature désaffectée où il venait filmer Lukakowsky, un de ses compagnons d'infortune. Cheyenn n'apparaît dans ce premier documentaire  que de loin en loin, il n'est pas le sujet principal. Pourtant, déjà, au cours d'un plan fixe qui le saisit, le réalisateur remarque son regard intense, qui semble détenir un secret, peut-être tout simplement le secret d'une vie. Peu de temps après Cheyenn est sauvagement assassiné. Le narrateur, hanté par ce regard, décide alors de réaliser un second documentaire et de partir ainsi à la recherche de Cheyenn, de ses origines, de son passé, bref, de l'homme qu'il était au-delà des apparences.

"Parfois Cheyenn vient s'asseoir à côté de moi dans mon rêve. Nous sommes tous les deux assis  sur un banc, adossés au mur, et nous regardons les arbres du parc où nous nous trouvons; (...) Je ne me retourne pas vers Cheyenn mais je sens qu'il est à côté de moi, il pourrait être mon frère, mon ami de toujours, mon compagnon tranquille. C'est la récurrence de ce rêve qui m'a convaincu d'écrire."

 Le cinéaste mène alors son enquête auprès des personnes qui l'ont connu, la soeur de Cheyenne, de Mauda, la femme qui l'a aimé mais qui n'a pas pu l'empêcher de sombrer, des skinhead qu'il soupçonne de l'avoir tué. Il rencontre le juge d'instruction qui mène l'enquête. Mais si tous deux s'acharnent à la découverte de la vérité, il ne s'agit  pourtant pas de la même. L'un veut découvrir les coupables, l'autre, la victime. Une exigence qui le prend tout entier, un quête plus qu'une enquête, une obsession. Mais comment filmer l'absence? Comment aller au-delà des apparences? Comment aussi être entièrement honnête vis à vis de l'image, ne pas tomber dans le voyeurisme, respecter l'intime. Ce sont ces interrogations philosophiques qu'égrène le livre mais pas seulement. Il aborde aussi les aspects économiques du cinéma documentaire, un producteur qui veut des résultats, du sensationnel et qui exige la rapidité.  Ainsi quand le cinéaste filme le regard de Cheyenn :

Or la démarche du cinéaste qui est à la recherche d'une vérité ne peut se faire qu'en laissant le temps au temps, le temps de connaître les gens, d'établir des relations humaines, de vrais contacts, le temps du respect et de l'estime : c'est ce qui se passe entre Mauda et le réalisateur. Ceci me rappelle la démarche de Raymond Depardon dans sa trilogie de Profils Paysans qui a demandé plusieurs années à Canal Plus pour filmer les agriculteurs lozériens ou ardéchois. Une démarche authentique qui cherche à entrer au coeur de l'Humain, à l'antipode de cette culture journalistique "qui recherche avant tout l'émotion"

Cheyenn a existé comme le prouve la dédicace de François Emmanuel qui s'adresse à Bernard Mottier, photographe français installé en Belgique : A Bernard Mottier qui a aimé Cheyenn. Y a-t-il eu réellement un documentaire? Je ne le sais pas. Par contre le livre de François Emmanuel est une  réflexion intéressante sur l'image. C'est aussi un bel hommage  à Cheyenn de même qu'à  tous les hommes qui, comme lui, sont tombés dans la déchéance.


mardi 28 avril 2009

Festival d’Avignon : la chambre d’Isabella et le bazar du homard de Jan Lauwers

                                         

Jan Lauwers est né à Anvers en 1957. Plasticien, il a étudié à l'école des Beaux Arts de Gand et pratique toutes les disciplines Il  a créé Needcompany avec Grace Ellen Barkey, à Bruxelles, en 1987.
J'ai consulté le site de Needcompany  dont je cite des extraits :
"Jan Lauwers s’inscrit ainsi dans le mouvement de renouveau radical du début des années quatre-vingts en Flandre..."
"Le langage scénique de Jan Lauwers s’oriente vers la démultiplication des pôles d’intérêt et des moyens mis en scène : théâtre, discours intime, danse, chanson, et vidéos sont intimement mêlés avec la musique et le langage pour éléments structurants."             .
" Les premières productions de Needcompany, Need to Know (1987) et ça va (1989) – pour laquelle Needcompany a obtenu le Mobil Pegasus Preis – sont encore très visuelles, mais dans celles qui suivent, la ligne narrative et la notion de thème central gagnent en importance, même si la construction fragmentée est conservée."
La Chambre d'Isabella et surtout le bazar du homard illustrent totalement ce genre de théâtre. C'est pourquoi il m'a été difficile de les lire et d'éprouver un intérêt soutenu. Le récit, en effet, n'a qu'une trame narrative très faible, le langage s'il est un élément structurant  n'a rien en soi d'exaltant. On peut aimer  certaines pièces en les lisant - que ce soit du  théâtre classique ou contemporain - parce que la langue est belle, poétique, fascinante, parce que l'histoire est forte, provoque l'émotion, exalte des idées mais ce n'est pas le cas ici.
Je suppose que pour juger ce genre de théâtre où le langage et l'histoire deviennent secondaires, il faut le voir et non le lire? L'intérêt doit consister dans la scénographie, la danse, les costumes, les chants? C'est ce qui m'a frappé en lisant des critiques sur Isabella, les gens parlent beaucoup d'une chanson qui les a marqués mais qui ne figure pas dans la pièce!
La Chambre d'Isabella : une vieille dame  aveugle enfermée dans une chambre qui contient toutes sortes d'objets africains évoque ses souvenirs.  Elle convoque ainsi ses fantômes, les personnes qu'elle a connues et aimées, disparues avant elle. Avec sa vie, c'est toute l'histoire du XXème siècle qui défile...

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Le bazar du homard : Axel, mari de Thérésa, est généticien et a déjà créé un clone humain et le clone d'un ours; mais il n'a pu le faire avec son fils Jef, mort accidentellement.  Le thème est celui de la perte d'un enfant. Toutes sortes d'aventures et de personnages rocambolesques  gravitent autour du couple.


voir video : La chambre d'isabella
Une critique de :  la chambre d'Isabella
Une critique de :   Le bazar du homard