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lundi 1 février 2021

Mario Vargas Llosa : La fête au bouc


  La fête au Bouc de Mario Vargas Llosa est depuis longtemps sur mes étagères et je ne me décidais pas à lire ce roman politique sur la dictature de Rafael Leonidas Trujillo à Saint Domingue. Je craignais que cela ne soit trop rébarbatif ou trop démonstratif. C’est donc dans le cadre du défi lancé par Ingammic ICI et Goran ICi nous invitant à explorer la littérature latino-américaine, que j’ai découvert ce livre et là il n’était plus possible de résister à la force et à l’habileté narrative d’un grand écrivain qui vous tient en haleine et vous retourne comme une crêpe !

Le récit se déroule dans la partie orientale de l’île Hispanolia, dans la République de Saint Domingue dont la frontière divise en deux l'île avec, à l’ouest,  Haïti. Nous sommes en 1961, date de l'attentat contre Trujillo, mais l'écrivain va nous promener du présent au passé et inversement, sans ordre chronologique,  depuis la prise de pouvoir du dictateur et jusqu'après sa mort.

"L'ouvrage est caractéristique du roman du dictateur, représenté entre autres par Miguel Ángel Asturias (El señor Presidente), Augusto Roa Bastos (Moi, le Suprême) et Gabriel García Márquez (L'Automne du patriarche)" (Wikipédia). 

Le roman présente des personnes fictifs mais fortement ancrés dans l’histoire du pays comme Urania Cabral et son père Agusto Cabral, ministre de Trujillo. Urania revient voir son père mourant à Saint Domingue après trente cinq années d’exil aux Etat-Unis, absence pendant laquelle elle a toujours refusé de répondre à ses lettres et à celles de sa famille. Pourquoi revient-elle ? Elle se le demande elle-même mais ce n’est certainement pas par amour si l’on en juge par la violence qui émane de ses propos quand elle parle à celui qui fut son père, certes, mais surtout l’ancien ministre de Trujillo…  

Rafael Leonidas Trujillo

Face à ces personnages fictifs, des personnages historiques comme le dictateur Rafael Leonidas Trujillo qui a fait régner la terreur à Saint Domingue, rebaptisée alors, Ciudad Trujillo, de 1930 à 1961, et ses ministres dévoués jusqu’à la servilité : emprisonnement, tortures, assassinats, massacre des immigrants haïtiens, viols, accaparation des biens et des terres des opposants et des industries, main mise sur la presse et tous les moyens de communication, culte de la personnalité… D’autres personnages historiques aussi, sont ceux qui en 1961, ont fomenté l'attentat contre le dictateur.
Mais peu à peu, le réel et la fiction se mélangent et tous deviennent les héros d’un roman puissant qui nous fait revivre toutes ces années de dictature, mêlant les différentes strates du présent et du passé. La technique narrative de l’auteur est surprenante. Dans un même paragraphe, nous passons de la vision subjective du « je », - le personnage se raconte-, au « Il » du narrateur extérieur - le personnage est vu - ; de plus, les points de vue se multiplient, les uns et les autres sont observés et racontés par plusieurs personnages, amis, ennemis, victimes, bourreaux,  dressant une multiplicité de portraits et de récits qui submergent le lecteur  de sensations et d’émotions.
De même, à certains moments de la narration, le présent et le passé sont mis sur un seul plan et ont lieu en même temps. Ce procédé donne des scènes saisissantes, comme celles où Urania racontent à sa tante et à ses cousines pourquoi elle a fui Saint Domingue et où nous assistons à la fois à son récit au passé et à son déroulement dans le présent, ce  qui a pour effet de dédoubler la scène en lui donnant une force inouïe.
Le récit est donc puissant, en particulier lorsqu’il interroge sur le pouvoir. Comment expliquer la fascination exercée par le dictateur sur la collectivité et sur l’individu ? La peur ne suffit pas à expliquer cet amour, cette admiration, cette soumission au chef !  Urania dit qu’elle peut comprendre pourquoi le peuple se laisse berner, pris dans le culte de la personnalité, privé par son manque d’instruction d’un jugement clair, obnubilé par la propagande mensongère du gouvernement, coupé de la réalité par l’absence de médias. La Boétie au XVI siècle en arrivait  déjà à cette conclusion, entre autres  car lui aussi pensait que l'explication en était plus complexe :

Le Grand Turc s’est bien avisé de cela que les livres et la doctrine donnent plus que tout autre chose aus hommes, le sens de se reconnoistre, et d’hair la tirannie; j’entens qu’il n’a en ses terres gueres de gens scavants, ni n’en demande. (  De la servitude volontaire)

Mais comment ceux qui ont l’instruction, les classes sociales supérieures, instruites, éclairées, peuvent-ils perdre toute volonté, toute dignité, toute morale, pour complaire au despote ? se demande Urania. Il y a l’argent, l’intérêt, l’attrait du pouvoir, certes, mais encore quelque chose au-delà, qui touche au plus profond de la personnalité, quelque chose qui fait que l’on n'est rien sans le regard bienveillant du despote, que c'est lui qui vous fait exister !
Un grand roman, donc ! 

Et surtout, ne faites pas comme moi,  n’ayez pas peur de Mario Vargas Llosa !

Pérou : Mario Varga Llosa

Mario Vargas Llosa

Mario Varga Llosa est un écrivain péruvien naturalisé espagnol. Il est l’auteur de romans, de pièces de théâtre, de biographies et d’essais politiques. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 2010.
Il a été un écrivain engagé toute sa vie, d’abord proche du communisme, il soutient Fidel Castro. Ensuite déçu par la révolution cubaine, il se tourne vers le libéralisme. En avril 2011, lors des élections présidentielles péruviennes, il appuie le vote du candidat nationaliste Ollanta Humala. En 1990, il se présente à la présidence de la république péruvienne à la tête d’une formation Le Front démocratique mais il perd, face à Alberto Fujimori qui dirigera le Pérou de 1990 à 2000. Plus tard il s’affirmera comme conservateur, ultra-libéraliste, selon ses détracteurs, soutenant les régimes de José María Aznar en Espagne et même de Silvio Berlusconi en Italie. (Wikipédia)

Quelques titres :
La ville et les chiens(1963) , La maison verte (1966), Conversation à la cathédrale(1969) , La tante Julia et le scribouillard( 1977), La guerre de la fin du monde (1982), Qui a tué Palomino Molero ?(1986), la fête au bouc (2000),