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vendredi 16 février 2018

Hans Christian Andersen : Peer-La-Chance



Peer-la-Chance de Christian Andersen, publiée en 1870, est la dernière oeuvre de  l’écrivain. Il meurt en 1875.
Malgré le titre qui fait penser à un conte de fées,  Peer-la-Chance est un court roman dans lequel l'auteur met beaucoup de lui-même.

Les inégalités sociales

 

Hans Christian Andersen

Peer naît dans une mansarde le même jour que Félix, fils de riches négociants, dont le grand appartement est situé au premier étage du même immeuble.  Le père de Peer meurt quand il est enfant, sa mère est lavandière. L’éducation des enfants a lieu en parallèle, l’une modeste et étriquée, l’autre luxueuse et raffinée.
Vous pourriez penser que Hans Christian Andersen compose là un roman réaliste et s’insurge contre l’inégalité sociale et l’injustice.  Ce serait bien mal connaître Andersen ! Les deux enfants sont certes élevés différemment, ce qui donne lieu a des comparaisons ironiques qui permettent à Andersen de pratiquer un humour noir  mais l’affection et les soins attentifs dont il est entouré compense pour Peer l’inégalité sociale. L’amour pour Andersen, écrivain chrétien, est finalement ce qu’il y a de plus important. La révolte serait une injure à Dieu.

Pourtant il y a quelques phrases dissonantes que l'enfant pauvre reçoit comme des humiliations; ainsi la mère de Félix juge que le métier d’artiste est « une voie excellente  pour un garçon comme Peer, bien fait de sa personne, honnête et sans avenir ».
Une autre scène, d’ailleurs assez forte, oppose Peer et Félix lorsqu’ils sont plus âgés.  Tous deux, au cours d'un bal, se disputent les faveurs d’une jeune fille. Peer est obligé de s’effacer devant le plus riche. C’est le seul moment de révolte du jeune homme vite maîtrisé pour l’amour de Dieu, de sa mère et de sa grand-mère qui l'en félicitent.
Bref, on voit que Hans Andersen n’a rien d’un révolutionnaire ! Ce qui ne l’empêche pas de porter un regard lucide sur cette société ce qui donne lieu à des portraits très réussis comme ceux, satiriques, du précepteur de Peer et de son épouse, les Gabriel, qui représentent la petite bourgeoisie hypocrite et conventionnelle, dans toute sa suffisance et sa sottise. Le monde de la grande bourgeoisie n’est pas épargnée avec le portrait de la baronne-veuve, cultivée et raffinée, mais vaine et artificielle. Andersen sait manier l'ironie et ne s'en prive pas.
J’ai beaucoup aimé aussi le personnage du maître de chants qui possède grandeur et dignité et une bonté qu’il refuse d’afficher. Il  est juif. Dans cette fin du XIX siècle si antisémite, Andersen se distingue en faisant preuve d’un remarquable respect pour la religion juive et d’une grande ouverture d’esprit quand il commente le Talmud. C’est assez rare pour être souligné.

Une vocation artistique ou littéraire

Andersen lisant ses contes à des jeunes filles (1860)
Le thème principal du roman est la réussite de Peer. Depuis son enfance, Peer a de la chance. Un maître de chant découvre sa voix prometteuse alors que l’enfant est attiré par le chant, la musique et l’opéra après avoir commencé une carrière de danseur.  Plus tard, ses études sont payées par un bienfaiteur et Peer va devenir un grand ténor et un compositeur d’opéra célèbre.
 A travers lui, Hans Christian Andersen revit sa propre réussite dans le monde des lettres. Dans son autobiographie, il affirme :   « Ma vie est un beau conte de fées, riche et heureux ».   Peer est un peu Hans Christian. Tous deux sont nés dans une famille pauvre mais aimante, ont perdu leur père quand ils étaient enfants. Tous deux ont la passion du théâtre, ont commencé la danse, ont été distingués par leur don, sont allés faire des études dans une pension privée grâce à un mécène.Tous deux ont réussi, l’un dans la musique l’autre dans la littérature.  Peer-la-Chance est donc une réflexion sur la vocation, l’accomplissement d’une destinée, sur le sens de l’art et de la littérature. C’est le regard d’un vieil homme qui se retourne sur son passé.

Je dois ajouter que si j’ai bien aimé le roman, le dénouement, abrupt, m’a laissée surprise voire décontenancée. Non, je ne vous le raconte pas!
J'ai pensé qu'Andersen exploitait une veine romantique, celle du bonheur impossible, de la fragilité de toutes choses. J’ai lu par la suite l'explication suivante : Andersen, c’était une inquiétude constante chez lui, pensait que le succès est fragile. Il avait peur de voir son inspiration tarir et de tomber dans l'oubli. Ces personnages émettent souvent l’idée qu’il vaut mieux mourir en plein bonheur.