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lundi 30 juin 2014

Molière : L'école des femmes et la critique de l'école des femmes


Isabelle Adjani interprète Agnès dans l'Ecole des femmes

Dans L'école des femmes, Arnolphe, un vieux célibataire obsédé par la peur du cocuage, prétend qu’une femme ne peut être vertueuse et fidèle que si elle est ignorante et sotte. Aussi, pour avoir une épouse qui ne le mette pas en danger, il fait élever sa jeune pupille, Agnès, hors du monde, en la maintenant dans la plus profonde ignorance, sous la garde d’un valet et d’une servante qui sont comme elle.  Elle a maintenant 16 ans et il est décidé à l'épouser.
La jeune Agnès, malgré l'isolement dans lequel elle est tenue, aperçoit un jour, par la fenêtre, un beau jeune homme, Horace, qui la salue. Elle lui répond avec innocence et se laisse émouvoir par la prestance du jeune homme et ses protestations d' amour. Mais Horace, qui est le fils d'un ami d'Arnolphe,  prend le barbon pour confident  et lui avoue son amour. Arnolphe ne va avoir de cesse d'empêcher les deux jeunes gens de s'aimer mais chaque fois ses tentatives se soldent par un échec. Et bien sûr l'amour triomphe tandis que la jeune fille se libère et accède à la connaissance en même temps qu'à l'amour.

L'école des femmes


L'école des femmes est une pièce des des plus passionnantes de Molière en ce qui concerne le thème de la femme, une belle réflexion sur la condition féminine au XVIIème siècle et sur la légitimité des aspirations des femmes à la connaissance et au choix de leur époux. Elle est très riche à tous les égards et Arnolphe en barbon amoureux (il a 45 ans!) est un personnage complexe, odieux et touchant, ridicule et tragique à la fois dans son amour pour la jeune fille. Mais c'est à Agnès que je vais m'intéresser dans ce billet : un magnifique personnage de femme qui s'éveille à la vie et à la pensée par le miracle de l'amour. Car dit Horace :

Il le faut avouer, l’amour est un grand maître :
Ce qu’on ne fut jamais il nous enseigne à l’être ;
 (III, 4, )

 Arnolphe prend en charge Agnès à l'âge de 4 ans dans le but avoué de la faire élever pour en faire son épouse; on voit déjà qu'aucune loi ne protège une fillette orpheline, issue d'un milieu pauvre, de la concupiscence de l'adulte.

Dans un petit couvent, loin de toute pratique,
Je la fis élever, selon ma politique,
C’est-à-dire ordonnant quels soins on emploierait,
Pour la rendre idiote autant qu’il se pourrait.
Dieu merci, le succès a suivi mon attente.. Acte I scène 1


Agnès est donc maintenue dans l'isolement et l'ignorance par un tuteur qui  se réserve le droit d'agir envers elle comme si elle n'avait pas d'existence propre, de volonté :

En un mot, qu’elle soit d’une  ignorance extrême ;
Et c’est assez pour elle, à vous en bien parler,
De savoir prier Dieu, m’aimer, coudre, et filer. (Acte I scène 1)


Il veut donc en faire sa "chose", une poupée docile et malléable. C'est ce qu'il exprime très clairement dans la scène 3 de l'acte III :

Je ne puis faire mieux que d’en faire ma femme.
Ainsi que je voudrai je tournerai cette âme ;
Comme un morceau de cire entre mes mains elle est,
Et je lui puis donner la forme qui me plaît. (III, 3, )


 Complexe de Pygmalion? Non, plutôt la  folie d'un homme en proie à son obsession,  - ici la peur d'être un mari trompé- , et qui comme tous les personnages de Molière se laisse gouverner par son idée fixe (Harpagon, Tartuffe, Alceste, Dom Juan...). 

Agnès Sourdillon (Agnès) et Pierre Arditti (Arnolphe)

 En 2001, au festival d'Avignon, le metteur en scène Didier Bezace soulignait le tragique de cette Agnès interprétée par Agnès Sourdillon, qui apparaissait comme une poupée de son secouée et manipulée par Arnolphe (Pierre Arditti), une marionnette dont il tirait les ficelles.

Dans l'acte I scène 2,  l'on voit en effet, qu'il a réussi. Agnès apparaît d’une incroyable innocence, une petite sotte qui demande "si les enfants qu'on fait se faisaient par l'oreille". Elle ne s'ennuie jamais, dit-elle, et semble passer sa vie à coudre des chemises et des cornettes, sans distraction, sans même pouvoir rencontrer une personne sensée, en dehors des deux nigauds qui lui servent de geôliers. Elle vit son emprisonnement comme une chose naturelle puisqu'elle n' a jamais connu autre chose. Elle ne souffre pas car elle n'est pas maltraitée;  elle est endormie dans un espace sans consistance, une belle au bois dormant en dehors de la vie.
 Mais les sentiments qu'elle commence à éprouver pour Horace, la font, on va le voir bien vite, évoluer.  Elle s'éveille à la sensualité et est troublée par la nouveauté d’une telle expérience :

Il jurait qu’il m’aimait d’une amour sans seconde,

Et me disait des mots les plus gentils du monde,

Des choses que jamais rien ne peut égaler,

Et dont, toutes les fois que je l’entends parler,

La douceur me chatouille et là-dedans remue

Certain je ne sais quoi dont je suis tout émue. (II, 5, v. 559-564)

Désormais c'est en vain qu'Arnolphe essaie d'employer la crainte pour la remettre dans le droit chemin et lui fait étudier la liste des devoirs du mariage.

Il est aux enfers des chaudières bouillantes
Où l’on plonge à jamais les femmes mal vivantes. (III, 2, v. 727-728)

Elle reçoit Horace dans sa chambre, elle répond à son amour malgré les menaces que son tuteur fait peser sur elle. Peu à peu, elle se révolte, et avec intelligence et vivacité, elle retourne les préceptes de son tuteur contre lui-même lorsqu' il lui reproche de suivre un galant pour se marier :

J’ai suivi vos leçons, et vous m’avez prêché
Qu’il se faut marier pour ôter le péché.

 La naïveté d'Agnès  et sa franchise sans détour sont des  ressorts comiques car elles  renvoient Arnolphe  à sa propre responsabilité. C'est lui qui a voulu que Agnès ne sache rien de l'amour.

Elle va même plus loin, en refusant d'être considérée comme un ingrate et  déclare qu'elle ne doit rien à un homme qui l'a traitée comme une esclave.  Elle semble même ignorer la cruauté dont elel fait preuve  en lui répondant comme elle le fait...  à moins qu'elle n'en soit parfaitement consciente et manifeste ainsi sa colère et sa révolte :

Chez vous le mariage est fâcheux et pénible
Et vos discours en font une image terrible :
Mais las! Il le fait lui si rempli de plaisirs
Que de se marier il en donne l'envie Acte IV scène 4

Elle prend  aussi conscience de l'étendue de son ignorance et du fait qu'elle est un sujet de raillerie pour les autres. Elle  souffre d'être tenue pour sotte et ose le dire en face à son tuteur accédant ainsi au tragique de l'existence.

Croit-on que je me flatte et qu'enfin dans ma tête,
Je ne juge pas bien que je suis une bête?
Moi-même j'en ai honte et dans l'âge où je suis
je ne veux plus passer pour sotte si je puis. (Acte V scène 4)

Dans la scène 8 de l'acte V,  elle  ne veut plus être celle qui accepte passivement les ordres d'un maître et cherche à prendre en main son destin quitte à mettre ses jours en danger. Ainsi la domestique, Georgette, vient avertir Arnolphe de la rebellion d'Agnès :

Monsieur si vous n'êtes auprès
Nous aurons de la peine à retenir Agnès,
Elle veut à tous coups s’échapper, et peut-être
Qu’elle se pourrait bien jeter par la fenêtre. Acte V scène 8


L'évolution d 'Agnès est achevée. Elle est devenue adulte. C'est une femme consciente, intelligente et courageuse qui lutte pour son amour et pour sa liberté.


La critique de l'école des femmes

 

L'école des femmes est parue en 1662 et a obtenu un vif succès populaire avec de très nombreuses représentations. Elle a suscité aussi de violentes controverses menées par les détracteurs de Molière, des mondains qui déclarent la pièce trop leste et peu respectueuse de la morale, et aussi par d'autres comédiens  (la troupe des grands comédiens de l'Hôtel de Bourgogne) jaloux de Molière. C'est la fameuse querelle de L'école des femmes. Celui-ci décide de répondre à ses ennemis par une oeuvre  d'un acte intitulée : La critique de l'école des femmes.
Dans son salon, Uranie et Elise, sa cousine, reçoivent des amis qui représentent les différents types de la société mondaine parisienne, Climène, précieuse et prude,  le petit marquis ridicule et fat, Lysisdas, l'auteur jaloux, Dorante, l'honnête homme. Toutes les conservations roulent sur le même sujet : la pièce de Molière que tout le monde critique mais que tout le monde va voir! Uranie et Dorante prennent la défense de la pièce et récuse l'accusation d'obscénité. La suite du débat portesur les règles que l'on reproche à Molière de n'avoir pas respectées, ce qui est vrai, par exemple pour la règle des trois unités.  La réponse que donne Molière est un véritable manifeste  qui donne un aperçu global de ses idées sur le théâtre.

Réponse sur le respect des règles : scène 6

Dorante.- Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles dont vous embarrassez les ignorants, et nous étourdissez tous les jours. (...) Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire ; et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin.


Uranie.- Pour moi, quand je vois une comédie je regarde seulement si les choses me touchent, et lorsque je m’y suis bien divertie, je ne vais point demander si j’ai eu tort, et si les règles d’Aristote me défendaient de rire.

Réponse sur la hiérarchie des genres . Le XVII siècle considérait la comédie comme inférieure à la tragédie scène 6

Uranie.- Ce n’est pas mon sentiment, pour moi. La tragédie, sans doute, est quelque chose de beau quand elle est bien touchée ; mais la comédie a ses charmes, et je tiens que l’une n’est pas moins difficile à faire que l’autre  .

Dorante.- Assurément, Madame, et quand, pour la difficulté, vous mettriez un plus du côté de la comédie peut-être que vous ne vous abuseriez pas. Car enfin, je trouve qu’il est bien plus aisé de se guinder sur de grands sentiments, de braver en vers la Fortune, accuser les Destins, et dire des injures aux dieux, que d’entrer comme il faut dans le ridicule des hommes, et de rendre agréablement sur le théâtre les défauts de tout le monde. Lorsque vous peignez des héros, vous faites ce que vous voulez ; ce sont des portraits à plaisir, où l’on ne cherche point de ressemblance ; et vous n’avez qu’à suivre les traits d’une imagination qui se donne l’essor, et qui souvent laisse le vrai pour attraper le merveilleux. Mais lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d’après nature; on veut que ces portraits ressemblent ; et vous n’avez rien fait si vous n’y faites reconnaître les gens de votre siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n’être point blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens, et bien écrites : mais ce n’est pas assez dans les autres ; il y faut plaisanter ; et c’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens.

Mais La critique de L'école des femmes n'est pas seulement un manifeste. C'est aussi une comédie avec des portrait qui ressemblent, où Molière entre comme il faut dans le ridicule des hommes et d'une manière agréable, pour nous faire rire.

LC avec Maggie 


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