Suzy Delair (Jenny Lamour) dans Quai des Orfèvres
Le grand prix du Tra la la, est attribué à : Aifelle, Dasola, Eeguab, Gwenaelle, Jeneen, Keisha, Pierrot Bâton, Miriam, Maggie, Somaja.
Et merci à tous et toutes pour votre participation.
Le roman : Stanislas André Steeman : Légitime défense
le film : Henri-Georges Clouzot : Quai des orfèvres (voir chez Wens)
Stanislas André Steeman est un écrivain belge né en 1908 à Liège. Il a écrit de nombreux romans policiers dont 27 ont pour héros le commissaire Wencelas Vorobeitchik alias Wens (et oui vous saurez ainsi où Wens a pioché son pseudo). Au départ l'ami Wens voulait s'appeler Marlowe mais c'était déjà très pris et puis en revoyant L'assassin habite au 21, un film plein d'humour qu'il aime beaucoup, il a opté pour Wens. Ce qui vous prouve qu'au début Wens devait être un commissaire de police mais qu'il a mal tourné comme vous le savez tous!
Steeman a remporté le second prix du roman d'aventures en 1931. Il est mort en 1970.
Le livre a pour titre original : Légitime défense et c'est un roman sans Wens. C'est son adaptation à l'écran sous le titre de Quai des orfèvres qui l'a rendu célèbre et à juste titre car le film me paraît supérieur au roman.
Le récit du livre Légitime défense et du film Quai des Orfèvres a bien sûr des similitudes mais il comporte beaucoup de différences, ce que nous allons voir.
L'intrigue du livre : Noël Martin en rentrant chez lui trouve un mot de sa femme Belle qui lui dit être partie chez sa mère malade. En lisant machinalement la lettre d'une amie de sa femme, il apprend que cette dernière a peut-être une aventure avec un certain M. Weyl, ami du couple. Maladivement jaloux, il téléphone chez sa belle mère et s'aperçoit que personne ne répond. Il décide alors de se rendre chez Weil et, s'il le faut, de le tuer. Il gare sa voiture intentionnellement sur un parking interdit, devant un cinéma, et prend un billet d'entrée pour avoir un alibi puis il se rend chez son rival. Quand il arrive il voit une femme qui s'enfuit et croit reconnaître Belle. Il entre. Weil est endormi sur le canapé. Martin prend un maillet et lui fracasse le crâne... Martin va se croire coupable alors que ce n'est pas lui qui a tué. Ce n'est qu'à la fin du roman que le coupable sera révélé.
Dès ce moment le récit diverge dans les faits. Dans le film, le héros qui ne porte pas le même nom, Maurice Martineau, a un revolver mais il ne s'en sert pas parce qu'il trouve le vieux Brignon (Weyl dans le roman), son rival, mort. Il se sait donc qu'il est innocent mais ce qu'il ignore c'est que sa femme Jenny (Belle) a frappé la victime pour se défendre de ses assiduités. Pourtant toutes les traces vont mener vers Martineau, d'autant plus que sa voiture lui a été volée à l'endroit du meurtre. Maurice Martineau sera donc accusé et l'on ne saura qu'à la fin qui est le coupable ... or ce n'est pas le même que dans le livre!
Pourtant, si l'intrigue est un peu différente, ce n'est pas ce qui est plus important. Les modifications de Clouzot concernent essentiellement les personnages qu'il étoffe, qu'il dote d'un passé, dont il approfondit le caractère. Enfin il place l'action dans le contexte français de l'après guerre (1947) ce qui lui permet de livrer un vision de la société parfois assez pessimiste où sa sympathie va nettement aux plus humbles.
La jeune femme Jenny Lamour (Suzy Delair) est issue d'un milieu ouvrier. Elle a souffert de la pauvreté, de la promiscuité dans un logement trop petit. Doté d'un talent de chanteuse de variété, elle est prête à tout pour réussir! A tout? Non, car elle aime sincèrement son mari, le pauvre "Biquet" ( Bernard Blier n'est pas gâté par le rôle de mari jaloux et faible, gentil pourtant!). Elle se contente de jouer la coquette et de donner des espérances à ces messieurs pour obtenir le coup de pouce nécessaire pour réussir mais sans être infidèle jusqu'au jour où cela tourne mal. C'est une jeune femme gracieuse, rieuse et coquette, un peu vulgaire mais sympathique.
Le mari, Maurice Martineau, appelé "Biquet" par sa femme, surnom qui le ridiculise un peu et montre la faiblesse de son caractère, est d'un milieu bourgeois. Son mariage avec une femme de ce milieu, qui de plus avait eu des amants, a été sévèrement critiqué par con entourage. Il a dû rompre avec ses parents. Il a fait des études au conservatoire, ce qui lui permet d'accompagner sa femme au piano. Dans le roman, c'est un peintre mais Clouzot par le choix de la musique nous introduit dans le milieu pittoresque du Show Bizz et du cabaret qu'il décrit largement d'où par exemple le célèbre "avec mon tra la la", air chanté par Suzy Delair.
Louis Jouvet (l'inspecteur Antoine) et Simone Renant ( Dora)
Le rôle de la jeune femme amie du couple est aussi très différent. Dans le livre, Renée d'Humain qui dirige un institut de beauté, est une femme séduisante, amoureuse de Noël, et qui essaie de le récupérer au détriment de Belle. Dans le film, Dora, photographe, est une amie d'enfance de Martineau mais elle est amoureuse de Suzy Delair. Elle intervient dans l'action en essayant de sauver la jeune femme, ce qui lui vaut d'être soupçonnée elle aussi. Clouzot aborde ainsi discrètement le thème de l'homosexualité, du secret qui s'y attache à l'époque et de la souffrance de l'amour refoulé. C'est à elle que s'adresse la fameuse réplique de Jouvet : "Je vous aime bien parce que vous êtes un type comme moi, vous n'avez pas de chance avec les femmes!"
Enfin l'un des personnages sur lequel Clouzot a le plus brodé et qui bénéficie de l'interprétation magistrale de Louis Jouvet est l'inspecteur Antoine du Quai des Orfèvres, jamais passé commissaire parce qu'il est trop fort en gueule. Lui aussi de famille modeste, il a dû revoir ses ambitions à la baisse, en devenant inspecteur de police, c'est à dire en gagnant le droit de crever de faim et de se faire éventuellement tuer! Il y a une très belle scène d'altercation entre Suzy Delair et Louis Jouvet, tous deux issus des classes populaires. Ils s'affrontent, l'une affirmant qu'elle n'aime pas les flics. "Vous n'aimez pas les flics, lui répond l'inspecteur mais vous les appelez quand c'est vous qui vous faites assassiner ". Dans le livre, le policier est loin d'avoir un tel rôle. On ne connaît de lui que sa corpulence et le fait qu'il a un enfant parce qu'il sort d'un magasin de jouets. Clouzot utilise ce détail pour faire de l'inspecteur le père d'un petit garçon noir adopté quand il était soldat dans les colonies. Et cet amour est très beau car malgré l'amertume, le cynisme du vieil inspecteur, il donne un sens et une richesse à sa vie..
Altercation entre Jenny Lamour et L'inspecteur Antoine
Le roman est une histoire policière qui joue sur le suspense et le mystère du crime mais où les personnages ne sont que des silhouettes. Dans le film, les personnages sont des êtres humains avec leurs faiblesses et leur mesquinerie mais aussi leurs qualités. Si l'amour sincère envers son mari permet à Jenny d'être un personnage sympathique malgré ses ambitions et ses compromis, c'est l'amour de son petit garçon qui sauve l'inspecteur Antoine de la sècheresse des sentiments.
A partir du roman policier intéressant de Steeman, Clouzot a réalisé un chef d'oeuvre!