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jeudi 30 mars 2023

Alena Mornstajnova : Hana

 

  La première partie du roman Hana de Alena Mornstajnova, écrivaine tchèque, a pour titre :  Moi Mira et se situe entre 1954 et 1963.  Mira raconte son histoire en commençant par cette date 1954, jour d’anniversaire de sa mère, Rosa, où ses parents, son frère et sa soeur, sont victimes d’une épidémie de thyphus qui les tuera, épidémie liée à l'eau souillée d'un puits.  Elle est épargnée par la maladie et la petite rebelle fait connaissance de la solitude et de la douleur de l'absence mais aussi de la culpabilité, sachant qu'elle ne doit la vie qu'à sa désobéissance et à la punition qui s'ensuivit.. 

Il n’y avait plus personne pour m’interdire de monter au grenier, de descendre à la cave ou d’aller du côté de la rivière. Personne pour m’aimer.

Elle est d’abord recueillie par Ivana Horackova qu’elle ne connaît pas mais qui se prétend amie de sa mère. Pourquoi cette étrangère s'occupe-t-elle de la fillette ? Cette dernière doit compter sur les réticences de Jaroslav Horacek, le mari d’Ivana, qui n’est pas ravi de l’accueillir chez lui et sur l’animosité des enfants, Ida et son frère Gustav. Mais un jour, sa tante Hana vient la chercher. Or, cette femme est étrange, bizarre, sans que la fillette comprenne pourquoi. 

Moi j’avais peur de tante Hana. Elle restait assise sur une chaise comme un grand papillon de nuit tout noir, le regard fixe.

Le récit se termine à l'époque du mariage de Mira, sa grossesse et son installation dans l’ancienne maison de ses parents. Il a pour toile de fond la vie dans la démocratie populaire tchèque, les défilés obligatoires pour célébrer l’anniversaire de l’URSS ou du 1er Mai,  et la nécessité de se taire quand on est en désaccord, ce que son mari va apprendre à ses dépens : 

Il n’avais pas compris qu’il pouvait penser certaines choses, mais en aucun cas de les dire à haute voix ou les écrire.

La deuxième partie se situe entre 1933 et 1945 et s’intitule : Ceux qui m’ont précédée  

Mira y découvre  à travers ceux qui l'ont précédée, tout ce qui échappait à sa compréhension lorsqu’elle était enfant. La mort des membres de sa famille juive dans un camp de concentration, le retour d’Hana, seule survivante, les liens qui existaient entre Hana et les Horacek. Elle apprend comment sa mère, Rosa, a échappé à la déportation. C’est ainsi que ce second récit vient éclaircir les zones d’ombre qui existaient dans le premier récit.

La troisième partie donne la parole à la tante : Moi Hana de 1942 à 1963 et présente des évènements que nous connaissons mais sous un point de vue différent, celui d’Hana et le récit prend alors toute sa forme, toute son ampleur tragique. Hana n’est pas seulement marquée par la déportation, elle est en proie à la culpabilité, se jugeant coupable à deux reprises de la mort de sa famille. Pourtant, et bien qu’elle ait des difficultés à l’exprimer, c’est l’amour qu’elle ressent pour Mira et, plus tard, pour le fils de celle-ci, qui va la tirer du côté de la vie.

Des souvenirs viennent toujours me rendre visite. Il y a en a encore beaucoup de pénibles, mais il y en a de plus en plus qui me donnent envie de vivre.

Hana est un beau roman, aux personnages attachants et dont on suit la vie avec intérêt.  L'antisémitisme, la déportation et l'holocauste sont évidemment au centre du récit mais, au-delà, le roman raconte l'histoire d'une famille sur plusieurs générations :  les arrière-grands parents de Mira, des juifs très pratiquants ; ses grands-parents : Elsa Helerova et Ervin Heler, ce dernier s'éloignant de la religion, et leurs filles, Hana et  Rosa ; ses parents Rosa et Karel Karasek. A travers eux, ce sont trente ans de l'Histoire du pays, traversé par une guerre mondiale, qui nous sont présentés. Enfin, Hana est une histoire d'amour et d'amitié trahies mais cette trahison a des conséquences terribles.  L'un des thèmes principaux du livre est d'ailleurs la culpabilité, sentiment partagé à des degrés divers et pour des raisons différentes par Hana, Ivana et Mira. La construction à plusieurs voix et en trois parties qui se chevauchent et s’éclairent alternativement donne densité et force à ce récit tragique raconté dans une langue sobre et limpide. 

Hana prix du livre tchèque en 2018

LC  avec Eva, Fabienne  

 



 

mardi 28 mars 2023

Zygmunt Miloszewski : Inestimable.

 

 En quête d’un livre en librairie pour le rendez-vous de la littérature des pays de l’Est, je tombe sur cet auteur polonais que je ne connaissais pas (mais qui connaît bien la France) Zygmunt Miloszewski et ce roman intitulé Inestimable. La critique de Télérama en quatrième de couverture me décide : « Une course-poursuite haletante sur fond de changement climatique ». Allez,  pourquoi pas ? je le prends et voilà  ! Il est lu !

A noter d’abord que ce livre est assez inclassable : un roman d’aventures, d’espionnage médical, de science-fiction, un thriller selon les uns,  un policier ? Un roman tout fou, tout délirant et plein d’humour et qui nous mène par le bout du nez avec des revirements incessants. Quels sont les méchants et les gentils ? Peu importe puisque l’un peut rapidement se révéler l’autre et vice versa.

Difficile aussi de le résumer sans déflorer le sujet. Je note cependant que le personnage récurrent Zofia Lorentz, spécialiste d’Art, éminente directrice du musée national de Varsovie (plus pour longtemps !) a déjà fait des apparitions dans des romans précédents (que je n’ai pas lus). Ici, elle part à la recherche des artefacts perdus des Aïnous dans l’île Sakhaline, au coeur de la Caverne du Songe bleu. Ne serait-ce que le nom et les aventures qu’elle y vit en font un roman à la Indiana Jones mais… ce n’est qu’une infime partie d’un tout et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on voyage sans cesse dans ce roman, de la Pologne à la Sibérie à Paris jusqu’à Abidjan, perdu au milieu de la taïga Sibérienne ou des tempêtes de l’Altlantique ! Sofia est accompagné du scientifique Bogdan Smuga dont on comprend vite que ce n’est ni l’art, ni la passion ethnologique qui le guident. Alors, un trésor ?  la richesse ?  le Pouvoir ? Encore moins ! Autour des ces personnages centraux fourmillent une nuée d’individus plus ou moins probables dont certains hautement en couleurs;  et de beaux personnages secondaires inattendus, surprenants, le Père André, qui parle de la foi et de Dieu en se mettant à la portée de tous et un autre que j’aime beaucoup, le vieux Martin Meller, le canadien de Sudbury, le seul "loup de mer de l’Ontario "!

Je dis tout cela et je n’ai pas encore rien dit  ! Revenons au terme de science-fiction mais pas si fiction que cela, hélas ! On peut même dire que l’on est en plein dedans : le réchauffement climatique avec les conséquences tragiques qui mèneront à l’extinction de l’humanité. En effet, comme le remarque Zygmunt Miloszewski, ce n’est pas la planète qui est menacée, c’est nous ! Elle ? Elle continuera à tourner bien longtemps après que nous aurons disparu ! 

Alors, si l’on trouvait un élixir pour remédier au Mal ? Et là, on est presque dans le conte de fées sauf que non, c’est scientifique !  Mais si le remède était pire que le Mal ? ou pas mieux ? Car la science a ses limites et ses fanatismes surtout si elle est sans conscience et l’on ne peut faire le bien -ou ce que l’on croit être le bien- des gens sans leur consentement.  C'est ce qu'affirme le mari de Zofia :

 « Et puis, je suis un humaniste, je crois que l’Histoire nous enseigne l’existence. Chaque fois que quelqu’un a tenté de changer le monde pour le bien de l’humanité, ça s’est mal terminé, même si au début, ça allait dans le bon sens. Songe à l’Empire romain, à l’Eglise catholique, à Lénine ou à Napoléon. »

L’écrivain en profite pour dénoncer l’âpreté, la malhonnêteté, des grands trusts pharmaceutiques et la dépendance des chercheurs financés par ces multinationales toutes puissantes. D’une manière plus générale, il critique le cynisme des Riches, ceux qui, responsables bien souvent des catastrophes climatiques, construisent pour eux et leurs semblables, des abris souterrains qui leur permettront de survivre après le cataclysme qui aura eu raison de la vie sur terre. Et oui, nous sommes dans la réalité !

Pour ma part, j’ai eu un début un peu hésitant car le récit paraît décousu dans les premiers chapitres et,  parfois, j'ai ressenti quelques longueurs. Mais ce n’est qu’une impression car tout se tient et tout se met en place au fur et à mesure. Le roman propose des réflexions intéressantes et qui nous concernent tous, sur la morale scientifique, les rapports de force qui interagissent sur la planète et nous transforment obligatoirement en perdants et en pions sur un échiquier truqué. Nous nous croyons libres dans un monde où tous nos gestes sont espionnés et analysés. Et puis j’ai adoré l’humour. Ah! cette chasse à l’ours hilarante en pleine taïga ou encore le repêchage de Zofia en plein océan, l’invraisemblance, le rocambolesque et la démesure faisant partie des ressorts comiques ! Enfin, pour ce roman, on peut  dire : Sérieux, s'abstenir ! ...  et pourtant, c'est sérieux, car au-delà du rire et par le biais de la fiction,  c'est bien du devenir de l'humanité dont il est question !