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mardi 24 juin 2014

Glaz 4 est paru!


Glaz le magazine numérique collectif de Gwenaelle vient de sortir. Il est consacré à la Bretagne! Ne manquez pas d'aller le lire. En voici le sommaire :

Sommaire

Flâneries Nantaises 6
Les Côtes d’Armor 10
La Gacilly, une cité d’art en pays de Redon 14
Contemplations 16
L’Ecole des Filles 22

Escales en littérature
 
Rencontre avec Fabienne Juhel 29
Le corps perdu de Suzanne Thover 34
Georges Perros, un homme discret 38
Xavier Grall 42
Anatole Le Braz 44
Ernest Renan 48
Promenade en Bretagne 50
avec Chateaubriand
Noir en Bretagne 56
Liscorno 60
 
Les Nouvelles 62
 
Les Voyageurs 63
Pourquoi le Mont-Saint-Michel est normand... 65
Le loup de la Dosenn 67
Le Renard 70

et beaucoup de belles photographies!

Gwenaelle attend vos avis et vos suggestions pour le numéro suivent : Glaz 5

lundi 24 mars 2014

Glaz n° 3 magazine littéraire de Gwenaelle : Appel à texte Glaz n°4

Glaz n° 3 magazine littéraire collectif  de Gwenaelle est sorti. Certains d'entre vous en ont peut-être déjà pris connaissance : le thème était Le Passage

Sommaire
Au Passage  4
Sur le pont d’Avignon 7
Ponts & autres curiosités 13
Livres 16
 Passage dans tous ses états  22
Le pont dans le film de guerre 25
Passage dans un village fantôme 28
Les Nouvelles sur le thème du Passage 30
Passage Magique  31
Pas au bon endroit  32
La Gaboteuse  34
Le temps est précieux 38
Train-train  42

Appel pour Glaz N°4

Sous le signe de la Bretagne

Bretagne

Je relaie ici le texte d'appel de Gwenaelle.
"Glaz... avec un nom pareil, vous ne serez pas étonnés d'apprendre que le numéro 4 de la revue sera placé sous le signe de la Bretagne, avec un spécial "crustacés, ciré et kouign-amann".
1. En ce qui concerne l'appel à textes, le sujet est libre mais l'action devra impérativement se dérouler en Bretagne. Que ce soit dans le passé, le présent ou le futur. Vous n'êtes pas obligés d'écrire des nouvelles noires, sanglantes et désespérées. Vous pouvez aussi écrire des choses drôles, légères, voire carrément "caliente" puisque le numéro 4 est prévu pour sortir en Juin 2014 (et comme chacun sait, l'été est chaud, en Bretagne!). Le texte ne devra pas dépasser 1500 mots et sera à envoyer à glazmagazine(arobase)gmail(point)com pour le 18 mai au plus tard. Les conditions de participation figurent dans le bandeau, en haut de la page d'accueil du blog de Glaz.


2. Pour la partie "articles" du magazine, plusieurs thèmes seront abordés :

 •   livres et littérature en Bretagne. Si vous avez lu un super roman, si vous souhaitez interviewer un auteur ou un éditeur, si vous connaissez une librairie exceptionnelle, c'est le moment de prendre votre plume pour nous en parler.
    •  festivals... là encore, nous comptons sur vous pour évoquer le Festival Interceltique, Les vieilles Charrues et tous les autres évènements qui se déroulent en terre celte.
   •  artistes bretons, musées, galeries, expositions... toute suggestion est bienvenue!
  • cuisine et gastronomie : nous comptons sur vous pour nous parler en quelques mots de vos adresses préférées, de vos producteurs fétiches, des plats bretons qui vous font saliver...
   •  des photos, récentes ou anciennes, avec de préférence un regarde tendre, original, décalé...


Afin que je puisse m'organiser, contactez-moi si vous souhaitez participer pour m'indiquer le sujet choisi, afin notamment d'éviter les doublons et de me retrouver avec trop d'articles - je ne peux pas dépasser un certain nombre de pages...
La longueur des articles devra être comprise entre 500 et 600 mots à peu près, sauf pour les bonnes adresses gastronomiques (200/300 mots) et comporter tous les renseignements nécessaires (jours et heures d'ouverture, adresse, téléphone, etc...). Quelques photos d'illustrations seront également bienvenues.
J'aimerais recevoir toutes les participations avant le 25 mai 2014."
                                                                                                                        GWEN


Alors, amoureux de la Bretagne,  Bretons ou non Bretons participez!




lundi 28 janvier 2013

Jean-Marie Déguignet : Mémoires d'un paysan Bas-Breton Billet de Mireille chez Claudialucia



Voici un billet de Mireille que vous connaissez tous. Elle n'a pas de blog mais elle vient nous rendre très sympathiquement visite dans les nôtres. Bretonne, elle vit à Ergué-Gabéric et c'est pourquoi elle avait promis d'écrire un billet sur son illustre compatriote Jean-Marie Déguignet dans le cadre du challenge breton. Voilà ce qu'elle m'écrivait alors C'est une association de la ville d'Ergué-Gabéric qui a eu en sa possession les manuscrits  du paysan bas-breton Jean-Marie Déguignet et les a fait éditer ainsi que d'autres oeuvres du même auteur. Bref, conclut Mireille, Déguignet est la gloire d'Ergué et son livre_la version courte_ a été traduit en américain.

                      
                             Jean-Marie  Déguignet                                       



C’est grâce à l’association ARKAE,  association gabéricoise de recherches historiques du patrimoine que ces Mémoires ont pu être éditées. Les recherches ont débuté en 1979 et, après des « appels à témoins », un trésor , les manuscrits sont trouvés dans le grenier d’une H.L.M. de Quimper : Quarante trois cahiers, soit quatre mille pages.
Dans un premier temps, Arkaë n’a pas publié l’intégrale de « Histoire de ma vie » à cause des trop nombreuses digressions et diatribes contre les nobles et les curés, les politiciens et Anatole Le Braz.

  Jean-François Déguignet est né le 29 juillet 1834 alors que son père, petit fermier pauvre, venait d’être complètement ruiné par plusieurs mauvaises récoltes successives suivies de la mortalité des bestiaux . C’est la misère, les taudis, la mendicité.
Il fait état d’un accident, grave, le troisième déjà, dont il fut guéri au bout de trois semaines. « quatre jours et nuits dans un état qui n’était ni la mort, ni la vie, du moins en ce qui concerne mon corps ».    De cet accident, il conserva « une large cicatrice en forme d’entonnoir » dans la tempe gauche.  Il est persuadé que cette blessure contribua à faire développer ses facultés mentales d’une façon extraordinaire.
Doté également d’une excellente mémoire, il apprend le catéchisme à neuf ans. 
 Cela ne fut pas difficile, puisque maintenant, tout ce que j’entendais ou que je voyais me restait gravé aussitôt dans ma mémoire.
Sa mère savait lire le breton et n’eut pas de mal à lui apprendre ce qu’elle savait.
Le jeune Jean-François mendiait dans les environs de son habitation et un jour, à neuf ans, une mendiante professionnelle se chargea de lui apprendre le métier. La vieille me faisait entendre que j’allais commencer le plus digne et le plus noble état du monde puisque Dieu l’avait pratiqué lui-même et qu’il fut pratiqué également par nos plus grands saints. 
Ils étaient bien reçus. Ces aumônes avaient toujours un but intéressé et égoïste, elles n’étaient jamais données au nom de l’humanité, chose inconnue des bretons, mais seulement au nom de Dieu .

En 1844, c’est la maladie de la bonne pomme –de –terre rouge et de nouveau la misère. Il a quatorze ans, il est petit et chétif et sa plaie due à son accident continue de couler. Il est soigné à l’hospice de Quimper où il entend raconter des légendes. La fracture du crâne ne s’est jamais bien soudée.
A dix-sept ans, il rencontre un professeur d’agriculture qui possède une ferme modèle où il reçoit ses élèves. Il est engagé comme vacher, travail très contraignant de chaque instant, de nuit comme de jour. Mais, grâce à des papiers que les élèves laissent tomber, il apprend seul à déchiffrer quelques mots de français. A écrire aussi, mais la main sera moins habile que le cerveau.
Il a ensuite la chance d’entrer comme domestique chez le maire de Kerfunteun où il peut perfectionner sa lecture du français à l’aide des journaux qui traînent et d’un dictionnaire. C’est une bonne période, oui, mais il s’engage dans l’armée, non pas pour faire la guerre, mais pour voir du pays. Il gagne Lorient à pied en trois jours.
Il sera soldat de 1853 à 1868 et participera à la guerre de Crimée, aux campagnes d’ Italie, de Kabylie et du Mexique.
Il connaîtra les maladies : scorbut, dysenterie, typhus, mais aussi le bonheur de côtoyer un voisin de chambre érudit qui lui apprendra beaucoup de choses. Il ira au pèlerinage de Jérusalem et y détestera les ordres religieux qui profitent honteusement de la foi et de la naïveté des pèlerins.
Avant de rejoindre l’Italie, il apprend rapidement l’italien et constate que c’est plus facile que le français pour lui qui savait lire le latin de messe.
 … la prononciation est également très facile tous les mots se prononçant du bout de la langue et des lèvres , contrairement aux  langues saxonnes qui se prononcent du gosier, ce qui prouve que ces langues ont été communiquées aux hommes par des fauves, tandis que les latines leur ont
été par des oiseaux .
En Kabylie, il aime l’arabe : L’accent arabe est le même que l’accent breton et tous les mots de cette langue ont les mêmes terminaisons que les mots bretons .
Il rentre en Bretagne en 1868 où il  redevient cultivateur jusqu’en 1882

Je passe sur les difficultés, le travail intense, le mariage, la relative aisance puis l’incendie (criminel ?)de sa ferme, la fin de son bail alors qu’il a travaillé quinze ans pour le seigneur propriétaire.
  Un très grave accident « sa charrette lui roule sur le corps, »le laisse pour mort une nouvelle fois. Il reste immobilisé plusieurs mois, guérit de ses blessures et, estropié, ne peut plus effectuer de travaux de force. Il réussit à se faire engager en tant que placeur de contrats d’assurances et donne satisfaction. En revanche, sa femme s’adonne à la boisson, sombre dans l’alcoolisme et meurt à l’hospice, laissant quatre enfants. Le dernier n’a que six ans.
Après avoir tenu avec succès un bureau de tabac à Pluguffan, il s’en trouve chassé par les manigances du curé et des bigots. Qui n’est pas pratiquant et affiche son mépris pour les gens d’église est vite mis à l’écart! L’emprise des curés est telle que Jean-Marie ne s’est peut-être pas considéré à tort comme persécuté.
Dès lors, sans travail, il retourne à Quimper, vit dans un grenier avec ses enfants puis, lorsque ceux-ci le quittent, il écrit l’histoire de sa vie « à la bonne franquette, sans prétention littéraire, en y intercalant ça et là mes réflexions et mes opinions politiques et religieuses, mes pensées morales, sociales, économiques et philosophiques.
Il finit en ville dans un autre grenier,  un trou de 6m cubes de capacité dont il est expulsé au bout de dix ans après avoir souffert de l’extrême chaleur et du froid intense. Il sera hospitalisé pendant quatre mois et décèdera en 1905, face à l’hospice .
Une vie commencée et achevée dans la misère mais qui fut remplie d’évènements et de péripéties.

Cet ouvrage est un témoignage unique sur la fin du XIX è siècle



Merci à Mireille pour ce billet  qui nous fait connaître un auteur sorti du peuple, contrairement à la plupart des écrivains du XIX siècle, un homme qui a été mendiant, paysan, domestique, commerçant, soldat et nous donne donc un point de vue tout à fait inédit sur  son époque.

mercredi 16 janvier 2013

Sur les traces de Chateaubriand de Saint Malo à Combourg, Les mémoires d'Outre-tombe


Je ne pouvais pas aller à Saint Malo sans chercher la maison où est né François-René de Chateaubriand le 4 Septembre 1768. A vrai dire, il n'est pas trop difficile de la trouver!

Saint Malo



La maison qu'habitaient alors mes parents est située dans une rue sombre et étroite de Saint−Malo, appelée la rue des Juifs : cette maison est aujourd'hui transformée en auberge. La chambre où ma mère accoucha domine une partie déserte des murs de la ville, et à travers les fenêtres de cette chambre on aperçoit une mer qui s'étend à perte de vue, en se brisant sur des écueils. J'eus pour parrain, comme on le voit dans mon extrait de baptême, mon frère, et pour marraine la comtesse de Plouër, fille du maréchal de Contades. J'étais presque mort quand je vins au jour. Le mugissement des vagues, soulevées par une bourrasque annonçant l'équinoxe d'automne, empêchait d'entendre mes cris : on m'a souvent conté ces détails ; leur tristesse ne s'est jamais effacée de ma mémoire. Il n'y a pas de jour où, rêvant à ce que j'ai été, je ne revoie en pensée le rocher sur lequel je suis né, la chambre où ma mère m'infligea la vie, la tempête dont le bruit berça mon premier sommeil, le frère infortuné qui me donna un nom que j'ai presque toujours traîné dans le malheur. Le Ciel sembla réunir ces diverses circonstances pour placer dans mon berceau une image de mes destinées. (Livre 1 chapitre Mémoires d'Outre−tombe)


La cour intérieure de la maison telle qu'elle était au XIX ème siècle.

Combourg




En sortant de l'obscurité du bois, nous franchîmes une avant−cour plantée de noyers, attenante au jardin et à la maison du régisseur ; de là nous débouchâmes par une porte bâtie dans une cour de gazon, appelée la Cour Verte. A droite étaient de longues écuries et un bouquet de marronniers ; à gauche, un autre bouquet de marronniers. Au fond de la cour, dont le terrain s'élevait insensiblement, le château se montrait entre deux groupes d'arbres. Sa triste et sévère façade présentait une courtine portant une galerie à mâchicoulis, denticulée et couverte. Cette courtine liait ensemble deux tours inégales en âge, en matériaux, en hauteur et en grosseur, lesquelles tours se terminaient par des créneaux surmontés d'un toit pointu, comme un bonnet posé sur une couronne gothique.
Quelques fenêtres grillées apparaissaient çà et là sur la nudité des murs. Un large perron, raide et droit, de vingt−deux marches, sans rampes, sans garde−fou, remplaçait sur les fossés comblés l'ancien pont−levis ; il atteignait la porte du château, percée au milieu de la courtine. Au−dessus de cette porte on voyait les armes des seigneurs de Combourg, et les taillades à travers lesquelles sortaient jadis les bras et les chaînes du pont−levis.
La voiture s'arrêta au pied du perron ; mon père vint au−devant de nous. La réunion de la famille adoucit si fort son humeur pour le moment, qu'il nous fit la mine la plus gracieuse.
(Livre 1 chapitre 7 Mémoires d'Outre−tombe)




Les distractions du dimanche expiraient avec la journée ; elles n'étaient pas même régulières. Pendant la mauvaise saison, des mois entiers s'écoulaient sans qu'aucune créature humaine frappât à la porte de notre forteresse. Si la tristesse était grande sur les bruyères de Combourg, elle était encore plus grande au château : on éprouvait, en pénétrant sous ses voûtes, la même sensation qu'en entrant à la chartreuse de Grenoble. Lorsque je visitai celle−ci en 1805, je traversai un désert, lequel allait toujours croissant ; je crus qu'il se terminerait au monastère ; mais on me montra, dans les murs mêmes du couvent, les jardins des Chartreux encore plus abandonnés que les bois. Enfin, au centre du monument, je trouvai enveloppé dans les replis de toutes ces solitudes, l'ancien cimetière des cénobites ; sanctuaire d'où le silence éternel, divinité du lieu, étendait sa puissance sur les montagnes et dans les forêts d'alentour.  Le calme morne du château de Combourg était augmenté par l'humeur taciturne et insociable de mon père. Au lieu de resserrer sa famille et ses gens autour de lui, il les avait dispersés à toutes les aires de vent de l'édifice. (livre 3 chapitre 3 Mémoires d'Outre−tombe)





La terre de Combourg n'avait pour tout domaine que des landes, quelques moulins et les deux forêts, Bourgouët et Tanoërn, dans un pays où le bois est presque sans valeur. Mais Combourg était riche en droits féodaux ; ces droits étaient de diverses sortes : les uns déterminaient certaines redevances pour certaines concessions, ou fixaient des usages nés de l'ancien ordre politique ; les autres ne semblaient avoir été dans l'origine que des divertissements.
Mon père avait fait revivre quelques−uns de ces derniers droits, afin de prévenir la prescription. Lorsque toute la famille était réunie, nous prenions part à ces amusements gothiques : les trois principaux étaient le Saut des poissonniers, la Quintaine, et une foire appelée l'Angevine. Des paysans en sabots et en braies, hommes d'une France qui n'est plus, regardaient ces jeux d'une France qui n'était plus. Il y avait prix pour le vainqueur, amende pour le vaincu.
La Quintaine conservait la tradition des tournois : elle avait sans doute quelque rapport avec l'ancien service militaire des fiefs. Elle est très−bien décrite dans du Cange (Voce Quintana). On devait payer les amendes en ancienne monnaie de cuivre, jusqu'à la valeur de deux moutons d'or à la couronne de 25 sols parisis chacun.
La foire appelée l'Angevine se tenait dans la prairie de l'étang, le 4 septembre de chaque année, le jour de ma naissance. Les vassaux étaient obligés de prendre les armes, ils venaient au château lever la bannière du seigneur ; de là ils se rendaient à la foire pour établir l'ordre, et prêter force à la perception d'un péage dû aux comtes de Combourg par chaque tête de bétail, espèce de droit régalien. A cette époque, mon père tenait table ouverte. On ballait pendant trois jours : les maîtres, dans la grand−salle, au raclement d'un violon ; les vassaux, dans la Cour Verte, au nasillement d'une musette. On chantait, on poussait des huzzas on tirait des arquebusades. Ces bruits se mêlaient aux mugissements des troupeaux de la foire ; la foule vaguait dans les jardins et les bois et du moins une fois l'an, on voyait à Combourg quelque chose qui ressemblait à de la joie.
Ainsi, j'ai été placé assez singulièrement dans la vie pour avoir assisté aux courses de la Quintaine et à la proclamation des Droits de l'Homme ; pour avoir vu la milice bourgeoise d'un village de Bretagne et la garde nationale de France, la bannière des seigneurs de Combourg et le drapeau de la Révolution. Je suis comme le dernier témoin des moeurs féodales. (Livre 2 chapitre 2)





Le soir je m'embarquais sur l'étang, conduisant seul mon bateau au milieu des joncs et des larges feuilles flottantes du nénuphar. Là, se réunissaient les hirondelles prêtes à quitter nos climats. Je ne perdais pas un seul de leurs gazouillis : Tavernier enfant était moins attentif au récit d'un voyageur. Elles se jouaient sur l'eau au tomber du soleil, poursuivaient les insectes, s'élançaient ensemble dans les airs, comme pour éprouver leurs ailes, se rabattaient à la surface du lac, puis se venaient suspendre aux roseaux que leur poids courbait à peine, et qu'elles remplissaient de leur ramage confus. La nuit descendait ; les roseaux agitaient leurs champs de quenouilles et de glaives, parmi lesquels la caravane emplumée, poules d'eau, sarcelles, martins−pêcheurs, bécassines, se taisait ; le lac battait ses bords ; les grandes voix de l'automne sortaient des marais et des bois : j'échouais mon bateau au rivage et retournais au château. Dix heures sonnaient. (Livre 3 chapitres 12 et 13)




La vie que nous menions à Combourg, ma soeur et moi, augmentait l'exaltation de notre âge et de notre caractère. Notre principal désennui consistait à nous promener côte à côte dans le grand Mail, au printemps sur un tapis de primevères, en automne sur un lit de feuilles séchées, en hiver sur une nappe de neige que brodait la trace des oiseaux, des écureuils et des hermines. Jeunes comme les primevères, tristes comme la feuille séchée, purs comme la neige nouvelle, il y avait harmonie entre nos récréations et nous.
Ce fut dans une de ces promenades, que Lucile, m'entendant parler avec ravissement de la solitude, me dit : " Tu devrais peindre tout cela. " Ce mot me révéla la muse, un souffle divin passa sur moi. Je me mis à bégayer des vers, comme si c'eût été ma langue naturelle ; jour et nuit je chantais mes plaisirs, c'est−à−dire mes bois et mes vallons ; je composais une foule de petites idylles ou tableaux de la nature. J'ai écrit longtemps en vers avant d'écrire en prose : M. de Fontanes prétendait que j'avais reçu les deux instruments.
(Livre 3 chapitre 7)

Le grand Be


Le Grand Be : tombeau de Chateaubriand

Saint−Malo n'est qu'un rocher. S'élevant autrefois au milieu d'un marais salant, il devint une île par l'irruption de la mer qui, en 709, creusa le golfe et mit le mont Saint−Michel au milieu des flots. Aujourd'hui, le rocher de Saint−Malo ne tient à la terre ferme que par une chaussée appelée poétiquement le Sillon. Le Sillon est assailli d'un côté par la pleine mer, de l'autre est lavé par le flux qui tourne pour entrer dans le port. Une tempête le détruisit presque entièrement en 1730. Pendant les heures de reflux, le port reste à sec, et à la bordure est et nord de la mer, se découvre une grève du plus beau sable. On peut faire alors le tour de mon nid paternel. Auprès et au loin, sont semés des rochers, des forts, des îlots inhabités ; le Fort−Royal, la Conchée, Cézembre et le Grand−Bé, où sera mon tombeau ; j'avais bien choisi sans le savoir : be, en breton, signifie tombe. (L 1 Chapitre 3)  


Lettre de remerciement au maire de Saint Malo :
Je n'avais jamais prétendu et je n'aurais jamais osé espérer, Monsieur, que ma ville natale se chargeât des frais de ma tombe. Je ne demandais qu'à acheter un morceau de terre de vingt pieds de long sur douze de large, à la pointe occidentale du Grand-Bé. J'aurais entouré cet espace d'un mur à fleur de terre, lequel aurait été surmonté d'une simple grille de fer peu élevée, pour servir non d'ornement, mais de défense à mes cendres. Dans l'intérieur je ne voulais placer qu'un socle de granit taillé dans les rochers de la grève. Ce socle aurait porté une petite croix de fer. Du reste, point d'inscription, ni nom, ni date. La croix dira que l'homme reposant à ses pieds était un chrétien : cela suffira à ma mémoire.






mercredi 28 novembre 2012

La légende d'Ys de Charles Guyot : Lecture commune avec Aymeline et Miriam


La submersion de la ville d'Ys, advenue au Ve siècle, n' a pas eu la fortune d' inspirer plus tard un Chrestien de Troyes, écrit Charles Guyot, dans son avant-propos, et de prendre place dans le trésor immense des romans du Moyen-âge. Ni la douce Marie de France chantant la départie amoureuse de Gradlon, ni le moine Albert de Morlaix narrant, dans la Vie des Saints de la Bretagne armorique, la juste perdition de la cité maudite, n'auraient sauvé leurs héros de l'oubli. Mais la tradition populaire, profondément attachée à son patrimoine poétique, n a pas laissé périr la plus tragique de ses fables. Nous avons fait leur part, dans ce récit, aux différentes versions de la légende, en donnant à celle-ci tout le développement que méritent son importance et sa beauté.

La légende

 Gradlon, Dahut, Saint Guénolé et le cheval Morvach d' Evariste Luminais

Gradlon est roi de Cornouailles. Il ne se console pas de la disparition de sa femme, une"Walkirie" du Nord, la belle et farouche Malgven qu'il a tant aimée, morte en couches. Face à sa fille Dahut dont la beauté rappelle celle de sa mère, cet homme qui est pourtant un valeureux guerrier fait preuve d'une grande faiblesse.  Bien qu'il soit gagné à la foi chrétienne et qu'il bâtisse de nombreuses églises sur ses terres, il cède à tous les caprices de Dahut et lui fait édifier la cité d'Ys, la plus belle et la plus riche de toute la Bretagne. La ville est protégée de l'océan par un système de digues dont les lourdes portes sont maintenues fermées par une clef d'argent. Dahut  vit dans la débauche, prend un amant chaque soir et le fait périr le lendemain en livrant son corps à la mer. Ses péchés lui feront finalement encourir la colère divine et la cité d'Ys sera engloutie. Seul Gradlon, sur Morvach son cheval magique, parviendra à se sauver à condition qu'il rejette dans les flots sa fille Dahut qu'il porte en croupe :
Gradlon, Gradlon, tu te perds, si tu veux vivre, rejette le démon qui est derrière toi lui demande Saint Guénolé qui d'un coup de bâton rejette Dahut dans les flots.

Le site

 Le site de la cité d'Ys fait l'objet de maintes spéculations mais il est communément admis que son emplacement est à Douarnenez, près de l'île Tristan. On dit que jalouse de sa rivale, Lutèce prit le nom de " Par Ys ", et lorsque l'orgueilleuse capitale sera à son tour engloutie, Ys ressurgira des flots.

L'affrontement de deux religions

La christanisation de la Bretagne

Comme toute légende remontant à des temps reculés, elle peut recevoir plusieurs interprétations. Il s'agit bien sûr d'un combat entre le Bien et le Mal  mais surtout elle raconte l'affrontement entre deux religions,  le paganisme celtique et le christianisme. La christianisation de la Bretagne par des moines irlandais au Ve siècle de notre ère est très présente dans la légende. On y voit, en effet, l'ermite Ronan que Gradlon rencontre dans les forêts de Cornouailles, Corentin que le roi fait évêque de Quimper et qui impose la morale et les lois chrétiennes à la Bretagne, Guénolé à qui il attribue le moustier de Landevennec.

Dahut représente la résistance à la christianisation.

 Mais Dahut ne plia point; comme cavale sous le fouet, elle frémit et se cabra; ses prunelles soudain furent pleines d'orage :
Naguère, s'écria-t-elle, on trouvait en Quimper aise et liberté; chacun portait habits et joyaux à sa guise et il m'advenait d'y rencontrer figures riantes, coiffures de fête, bandes joyeuses. Aujourd'hui ce ne sont que robes de bure, crânes rasés, grises mines. Les jeunes gens ressemblent aux vieillards, gaieté n'a plus d'asile.

Le Merveilleux païen et le merveilleux chrétien

 La cité d'Ys de Lionel Falher

Dahut reste fidèle aux anciennes divinités celtiques, c'est pourquoi, dans cette légende, le Merveilleux païen et le Merveilleux chrétien se répondent et se combattent.
 Dahut va sur l'île de Sein voir les prêtresses du culte ancien d'Armorique, les Sènes. Celles-ci avaient des enchantements pour exciter ou apaiser les tempêtes, dévoiler les aventures périlleuses, guérir les maladies mortelles.
Mais le dieu venu d'Orient avait troublé leurs fêtes et dispersé leur assemblée, et les vierges de l'île, délaissées sur le roc sauvage n'avaient plus pour hôtes que les oiseaux de mer.
Dahut leur demande de construire une digue pour protéger les habitants la ville d'Ys? Ce sont les korrigans qui vont lui venir en aide et bâtir les digues et un château merveilleux pour elle. Ce sont eux qui maintiendront les portes fermées  à l'océan par leurs pouvoirs magiques.
Dahut célèbre ses épousailles avec l'Océan en jetant son anneau d'or dans la mer; dans la grotte où elle se baigne son divin époux vient la caresser de ses vagues.
Le cheval que son épouse, Malgven donne à son bien-aimé Gradlon participe aussi à ce merveilleux païen:
Malgven répondit, j'ai un vivant navire, un cheval enchanté qui nous portera tous deux sur les flots de ta nef fuyante.
Et dans l'écurie Gradlon trouva un étalon noir comme la nuit, sans bride, sans frein dont les naseaux soufflaient une rouge vapeur, dont les yeux jetaient des flammes.

Le Merveilleux chrétien n'est pas en reste! Les saints rencontrés par Gradlon en sont prodigues! Le saint Ermite Ronan apaise des dogues furieux d'un signe de croix et ressuscite une fillette que sa mère avait tuée. Corentin offre un maigre repas à Gradlon qui se transforme en festin. Guénolé empêche une première fois les portes de la ville de s'ouvrir. Et enfin, c'est le diable lui-même qui consomme la perte de la cité en envoyant les courtisans de Dahut en enfer au cours du bal des Trépassés et en volant la clef d'argent qui va ouvrir les portes d'Ys et laisser entrer l'océan déchaîné.

Le style médieval

Charles Guyot imite avec beaucoup d'aisance et d'harmonie le style des lais de Marie de France.  L'emploi du décasyllabe, avec son balancement à la césure 4/6, renforcés par les images poétiques, introduit une musique  et donne à cette légende un air nostalgique.

Le style est médiéval à la fois dans le vocabulaire et dans la syntaxe. Voici comme exemple  la chanson du barde aux  cheveux blancs, intitulée Le lai des amours

Le roi Gradlon, s'apprête à guerroyer
Loin dans le nord; tel est son dur métier.
Là sont cités, châteaux, moutiers et bourgs
bien défendu de remparts et de tours
Là sont aussi greniers et beaux trésors,
Gloire et butin veulent danger et mort.
Dur est le vent, large l'océan vert
long le chemin jusqu'au pays d'hiver
Partout écueils, naufrages et tempêtes.
Au marinier tout est disette et peine.
Combien partis n'ont pas revu leur terre,
sont endormis au tombeau de la mer.
Gradlon le roi a requis tous ses gens
de l'assister par bataille et argent,
gréé sa nef et sa voile éployé
pris son bon glaive et son haubert maillé
quitté le port aux beaux jours francs d'orage
Cent beaux vaisseaux voguent dans le sillage.

L'emploi de termes anciens comme moutier, nef, guerroyer, requis, francs (d'orage), les termes se rapportant à l'habillement glaive, haubert maillé, ou les mots nobles comme vaisseaux,  éployé, la métaphore tombeau de la mer donnent une coloration médiévale au style de Charles Guyot.  La syntaxe emprunte aussi au Moyen-âge avec modifiant l'ordre des mots de la phrase, l'adverbe indiquant le lieu en tête, les sujets étant inversés Là sont aussi greniers et beaux trésorsde même avec l'inversion des adjectifs :  Dur est le vent, large l'océan vert;  long le chemin...  et une construction radicalement différente de la syntaxe moderne Combien partis n'ont pas revu leur terre,/ sont endormis au tombeau de la mer.
 Les énumérations qui amplifient la description : Là sont cités, châteaux, moutiers et bourgs,  le chiffre cent,  l'emploi des mots qui généralisent Partout ou quantifie combien , l'insistance, loin dans le nord, long le chemin ... tous ces effets stylistiques produisent un  grossissement épique qui fait du voyage de Gradlon une Odyssée fantastique dans le temps et dans l'espace très éloignés de notre monde..  D'où une certaine magie du texte!

Une  belle légende, donc, très bien contée et mise en poésie pour ne pas dire en musique par Charles Guyot, auteur inspiré.

Lecture commune avec Aymeline  ICI et Miriam ICI

Le livre est voyageur :  rapide à lire! Qui le veut?




vendredi 2 novembre 2012

Ernest Capendu : Marcof, le Malouin





Ernest Capendu est né à Paris en 1826 dans une famille aisée. Il meurt en 1868. Il a  écrit une soixantaine de romans en s'essayant à tous les genres, historiques, maritimes, militaires, fantastiques…

Marcof le Malouin d'Ernest Capendu est reédité aux éditions Grand West pour la rentrée littéraire.  C'est le premier tome d'un roman populaire, historique et maritime, dans la même veine que les romans d'un Paul Féval dont Capendu est le contemporain.

Les ingrédients du roman populaire sont bien présents, y compris une intrigue complexe et à ramifications :  amour passion, jalousie, enlèvement, meurtres, secrets de famille, vengeance,  tout ceci se déroule sur une toile de fond historique, celui de la révolution qui voit s'organiser la révolte des Chouans en lutte contre les révolutionnaires.

Yvonne, une jeune et belle bretonne qui habite le petit village de Fouesnan, près d'Audierne, est fiancée à Jahoua. Mais Keinec son ami d'enfance à qui elle était promise ne lui pardonne pas ce qu'il considère comme une trahison. Il est prêt à tout pour se venger, y compris à  tuer les amoureux. Les deux jeunes gens sont sous la protection de Marcof, le Malouin, capitaine d'un lougre qui veille sur eux et a une influence sur Keinec pour qui il a de l'affection. Ce marin, nous le verrons, est reçu comme un familier par le marquis de Lonan et nous comprenons bien vite qu'un secret plane sur sa naissance. D'autre part, le marquis a été marié à une femme qui lui a été infidèle et qu'il a chassée pour laver son honneur. Le comte de Fougueray et le  chevalier de Tessy, les frères de cette dernière, ourdissent une diabolique machination pour s'emparer de la fortune du marquis.  Et voilà que ces deux  hommes rencontrent la pauvre Yvonne,  voilà que le chevalier la trouve à son goût et veut la faire enlever et qu'ils y parviennent avec l'appui de Ian Cardoff, un berger quelque peu sorcier qui vit dans une grotte de la baie des Trépassés et qui complotent avec eux pour faire triompher la révolution. Car vous vous en doutez, dans ce roman, les méchants sont tous anti-royalistes et les bons sont du côté du Roi et de la religion! Lorsque Yvonne est enlevée, Jahoua et Keinec, oubliant leur querelle, s'allient pour retrouver la jeune fille, laissant pour l'instant de côté leur rivalité. je ne vous en dis pas plus et je vous laisse affronter les dangers des souterrains mystérieux, les complots, les revirements de situation, les traîtrises, les actes d'héroïsme….

Quand on se lance dans ce genre de lecture, il faut s'abandonner à son âme d'enfant,  être prêt à vivre les situations les plus périlleuses, laisser parler son imagination…  C'est ce que je fais, je joue le jeu avec plaisir tout en explorant les côtes de la Bretagne, en essuyant des tempêtes et en partageant la vie et les aventures de nos héros. Ernest Capendu n'a peut-être pas le génie littéraire d'un Alexandre Dumas, l'invention d'un Eugène Sue mais son récit est suffisamment dense et enlevé pour nous intéresser. Marcof Le Malouin a une suite que je n'ai pas encore lue : Le marquis de Loc Ronan.


Avec mes remerciements à : 







lundi 22 octobre 2012

Rachilde : La tour d'amour, un roman sulfureux?





Née le 11 février 1860 dans la demeure familiale du Cros, dans le Périgord, Marguerite Eymery (Rachilde, en littérature) connaît une enfance et une adolescence perturbées. Son père officier de carrière qui aurait voulu un garçon ne s'occupe pas d'elle et sa mère  est dépressive et mythomane. Elle-même est victime d'hallucinations morbides qui font craindre pour sa santé mentale. Elle dit que ce sont les livres de la bibliothèque de son grand père qui l'ont sauvée. Encouragée par Victor Hugo, elle part à dix-huit ans à la conquête de Paris. Coiffée à la garçonne, vêtue en homme, audacieuse, intelligente et brillante, elle commence sa carrière littéraire en prenant le nom d'un gentilhomme suédois du XVIe siècle, Rachilde, rencontré lors d'un séance de spiritisme. Elle s'intéresse, l'une des premières, aux question d'identité sexuelles et d'inversion et fait scandale avec son roman, Monsieur Vénus (1884) où l'homme traité comme un objet tient le rôle traditionnellement dévolu aux femmes,  ce qui lui vaut d'être traduite en justice et condamnée. Cependant, ce roman qui correspond au goût décadent de la fin de siècle, assure sa célébrité et lui donne une réputation sulfureuse. Elle écrit plus de soixante romans dont La Tour d'amour qui est peut-être le meilleur.
Elle épouse Alfred Valette, ce qui lui permet de participer aux débuts de la revue symboliste le Mercure de France, lancée par son mari, dont elle deviendra la patronne. Elle exerce alors un grande influence sur la vie littéraire. Le Tout-Paris se presse à ses "mardis". Elle meurt à Paris en 1953.


 Je vous incite à aller voir chez La fée des logis, l'analyse de l'oeuvre de Rachilde dont je cite un extrait : 
Bien qu'elle soit l'auteur du pamphlet Pourquoi je ne suis pas féministe, et qu'elle tienne parfois des propos misogynes, Rachilde est l'auteure d'une oeuvre qui dérange et qui met mal à l'aise car s'inscrivant violemment contre l'ordre social et le rapport traditionnel des sexes, contre la phallocratie. De fait, ses détracteurs l'ont accusée de perversité, d'obscénité, voire de pornographie. En effet, selon eux, une femme se doit de taire ses fantasmes et ses plaisirs sous peine de manquer aux lois de la bienséance et de la convenance. Rachilde devient alors ce monstre tant redouté à l'époque de la vierge initiée qui " en sait plus long qu'une vieille femme " (in : La Marquise de Sade, Rachilde, p. 13). Aussi les mauvaises langues, confondant la vie de l'auteur et celle de ses personnages, la réalité et la fiction, la soupçonnent-elles de débauche. Se moquant de la réputation qu'on lui taille, Rachilde mène sa vie comme elle l'entend : affranchie et indépendante. 
  suite ICI

 

 La Tour d'amour

 

La tour d'amour de la "sulfureuse" Rachilde est un roman qui sidère, qui laisse pantelant. Jamais en ouvrant le livre de quelqu'un qui était pour moi une inconnue, jamais je n'aurais pensé découvrir un texte d'une telle force, servi pas un style puissant aux images hallucinatoires. Je comprends, bien sûr, que le récit ait fait scandale et je ne suis pas sûre qu'il ne choque pas, même de nos jours, les lecteurs sensibles tant il est morbide et nous entraîne dans la spirale d'une folie qui tient de la perversion. Si vous êtes de ceux-là, tant pis, mais ne me dites pas que Rachilde est un médiocre écrivain!

Bien qu'elle soit née en Périgord, ce roman fait partie de la période bretonne de Rachilde. Jean Maleux, jeune marin breton, veut se fixer après avoir bourlingué comme chauffeur sur un vapeur des ponts et chaussées. Il demande un poste de gardien de phare et  obtient le plus  terrible, le plus redoutable et le plus redouté de tous, nommé par tous les gardiens "l'enfer des enfers", le phare d'Ar-Men, au large de Brest,  appelé ici par dérision la Tour d'amour.  Ce phare battu de manière incessante par les flots,  où l'on ne peut aborder que par télésiège, est terrifiant.  Maleux y rejoint le gardien en chef,  le vieux Mathurin Barnabas, qui n'a plus quitté le lieu depuis vingt ans. Commence alors entre les deux personnages une confrontation hallucinante, une véritable descente aux Enfers.

 Le récit est un huis-clos entre  Maleux et Barnabas sur ce roc abandonné de Dieu. A l'exception de quelques rares sorties de Jean Maleux qui vont d'ailleurs précipiter sa fin, les deux hommes, enfermés dans le phare comme dans une prison, affrontent la mer qui est le troisième personnage et certainement le plus puissant. Elle est parfois décrite comme une prostituée qui s'offre à tous, certaine de son pouvoir sur les hommes.
La mer délirante bavait, crachait, se roulait devant le phare, en se montrant toute nue jusqu'aux entrailles. La gueuse s'enflait d'abord comme un ventre, puis se creusait, s'aplatissait, s'ouvrait, écartant ses cuisses vertes; et à la lueur de la lanterne, on apercevait des choses qui donnaient l'envie de détourner les yeux. Mais elle recommençait, s'échevelant, toute une convulsion d'amour ou de folie. Elle savait bien que ceux qui la regardaient lui appartenaient.
Elle joue un rôle maléfique et détient le droit de vie ou de mort non seulement sur les équipages des bateaux qui viennent se briser sur les formidables écueils de la chaussée de Sein mais aussi sur les gardiens. C'est ainsi qu'après un naufrage,  ceux-ci voient passer les morts remontés à la surface, entraînés par le courant :
Tous ces cadavres tourbillonnaient autour de moi, maintenant à m'en donner le vertige. Ils n'en passaient plus, et je les voyais encore, les uns la bouche ouverte pour leur dernier appel, les autres les yeux fixés à jamais sur leur dernière étoile. Ils allaient, allaient par troupe, par file, deux à deux, six ensemble, un tout seul, tout petit comme un enfant, et ils ressemblaient à une grande noce qui s'éparpille le long du dernier branle du bal.
Dans ce décor de fin du monde, dans ce lieu battu par les tempêtes, et les vents,  les personnages vont peu à peu se dépouiller de leur humanité. Quand Jean Maleux arrive dans le phare, Mathurin Barnabas  est déjà plus proche de la bête que de l'humain. Il a oublié son alphabet , ne sait plus lire ni écrire, parle à peine. Il est repoussant, ne se lave plus, ne change plus de linge, urine contre la porte et marche parfois à quatre pattes. De plus, il est devenu un être hybride, asexué, mi homme-mi-femme.  Jean Maleux pourra-t-il résister à cette hideuse attraction?  On assiste peu à peu  à sa transformation. Rachilde nous entraîne ainsi dans les méandres de la folie qui nous est révélée progressivement et nous plonge dans l'horreur. Quand on pense avoir touché le gouffre, l'on se rend compte que l'on descend encore plus bas!
Une histoire dont on ne sort pas indemne servie par un style très visuel, vigoureux, parfois lyrique où perce à certains moments des accents à la Zola, mais le Zola visionnaire,  celui qui personnifie les éléments de la nature comme la terre dans Germinal.



 

Le phare d'Ar-Men  


Le phare d'Ar-Men (le Roc en breton) qui se dresse au bout de la chaussée de Sein constituée d'écueils redoutables, à huit milles au large de l'île de Sein, possède une mauvaise réputation dès sa construction, une des plus longues et des plus dangereuses de l'histoire des phares. Il a fallu six années de prospection et 15 années de travaux dans les pires des conditions, avec les vagues qui balayaient le roc toutes les cinq minutes, les lames qui risquaient d'emporter les ouvriers à tout moment. Son allumage a lieu en 1881. C'est un endroit où les tempêtes sont les plus dangereuses, les courants les plus violents. Les habitants de l'île de Sein ont nommé le lieu où le phare est implanté Ar Vered Nê, le Nouveau Cimetière à cause des nombreux naufrages qui y ont lieu et un proverbe breton dit : Qui voit Sein voit la fin
La vie dans ce phare d'Ar-Men est tellement âpre et sauvage  que la folie guette les gardiens en proie à la solitude, cerné par le vent, assailli par des vagues qui montent jusqu'à la lanterne.

Rachilde s'appuie sur des documents très précis pour écrire son roman. Le journal L'Illustration de Juin et Juillet 1896 a fait plusieurs reportages sur ce phare, ( sa construction, les conditions de vie des gardiens...) à la suite du naufrage du grand paquebot anglais le Drummond-Castle dans la nuit du 17 au 18 Juin. Il avait à son bord 250 personnes dont 3 seulement ont pu être recueillies vivantes. Rachilde change le nom du bateau qui devient le Dermond-Nesle et utilise les détails techniques pour la description. Tout le reste bien sûr est de l'ordre de son imagination et participe de son univers littéraire qualifié de "décadent" mais où tout est avant tout symbolique et reflète nos peurs les plus profondes.
 
 
 


Deuxième édition du challenge des fous par L'ogresse de Paris

mercredi 17 octobre 2012

Henri Pollès : Sophie de Tréguier



Henri Pollès est né en 1909 à Tréguier (Côtes d'Armor). Son père, ingénieur de la navigation, est  nommé  à Nantes . C'est dans cette ville qu'il fait ses études secondaires. Il se découvre une passion précoce de collectionneur, amassant entre autres choses, timbres, cartes postales, programmes, boîtes d'allumettes et mêmes billets de tramway Tous les étés, il retrouve sa ville natale où il imagine son héroïne, Sophie de Tréguier. Parallèlement à sa vie littéraire, Pollès s'engage un temps dans le débat politique et dans le journalisme?. Il collabora au journal Giustizia e liberta, publication italienne contre le fascisme et fit un reportage sur L'Espagne pour le magazine Vendredi.  Connaissant des jours de misère, déçu du peu de succès littéraire et d'avoir plusieurs fois raté le Goncourt, Henri Pollès mit sa carrière littéraire de côté et devint courtier en livres, à la fois pour avoir un revenu stable et assouvir sa grande passion de collectionneur. Ce n'est qu'après presque vingt ans de silence, en 1982, qu'il publia de nouveau un roman lequel lui valut le prix Paul Morand de l'Académie française. Il est décédé  en 1994 dans l'incendie de sa maison et son corps est inhumé dans le cimetière de Tréguier.
Bibliophile éclairé, Henri Pollès avait une impressionnante collection d'ouvrages. 30 000 de ses livres firent l'objet d'un don en1988 la ville de Rennes, sauvant ainsi une partie de sa collection inestimable des flammes qui plus tard ravagèrent son pavillon de Brunoy (Essonne)

Des titres : Toute guerre se fait la nuit, Amour, ma douce mort, Le Fils de l'auteur, Sur le fleuve de sang vient parfois un beau navire..

Sophie de Tréguier

Les livres des auteurs bretons du XIX siècle ne cessent de me surprendre. Ils nous révèlent une Bretagne dure, âpre, où la vie est une lutte, ou les gens sont austères, durs et méfiants, repliés sur eux-mêmes, cruels et parfois primitifs. Je vais bientôt écrire à ce propos sur des romans comme Le crucifié de Keraliès de Le Goffic, le gardien du feu d'Anatole le Braz, ou La tour d'amour de Rachilde..
Sophie de Tréguier (1933) de Henri Pollès qui se passe dans la première partie du XX siècle est aussi un livre cruel, non pas comme les précédents où la dureté côtoient la folie, mais plus subtilement, plus insidieusement. Cela n'en est pas moins efficace!

Sophie est une charmante jeune fille de santé fragile et d'une grande gentillesse. Sa mère, commerçante, tient une épicerie et économise sur tout pour faire une dot à sa fille qu'elle couve d'un amour possessif, insensible aux sentiments de Sophie qu'elle est bien incapable de comprendre. Son père, artisan, est avant tout un bon à rien et un ivrogne mais pas méchant. Il vénère aussi sa fille mais dilapide l'argent que gagne la mère. Voilà pour la famille! Quant aux Trégorrois, ils adorent les ragots, ils connaissent la vie de chacun et les commérages médisants sont "si amusants, si pittoresques, et la chronique du mal est tellement plus variée et attrayante que celle du bien". Bons paroissiens au demeurant! Bref! ils ne se privent pas de dire du mal des uns et des autres et Sophie n'échappera pas à leur méchanceté qui finira par la tuer. Surtout quand elle tombe amoureuse de Yves, le bel officier de marine, et que celui-ci l'abandonne pour une fille en meilleure santé et plus riche qu'elle!

Sophie de Tréguier est un drame même s'il n'y pas de meurtres ni de violence physique, de sentiments emportés et excessifs, un drame sans bruit ni fureur, discret et étouffé. Celui-d'une jeune fille trop sensible, trop douce,  qui a peur de faire du mal à sa mère en la quittant, qui fait toujours passer ceux qu'elle aime avant elle-même. Henri Pollès décrit avec précision, comme une étude clinique, comment la méchanceté et la calomnie peuvent tuer. Les gens, le fiancé, lâche et influençable, la mère, égoïste et avare, les commères mal intentionnées, ne sont pas des barbares ou des brutes, ce sont des êtres médiocres, intéressés, égoïstes... bref! des gens "normaux" mais des meurtriers tout de même.

 J'avoue que j'ai été assez déstabilisée par le style de l'auteur surtout quand il imite le parler français des bretons trégorrois! Je n'ai pas aimé non plus l'intervention de l'auteur-narrateur, à plusieurs reprises, comme si le lecteur ne pouvait comprendre seul. C'est souvent en moraliste qu'il analyse les sentiments. La voix qui se fait entendre est désabusée, sans illusions, voire misanthrope. Ces accents d'indignation m'ont gênée! Pourtant je me suis laissée prendre par l'histoire car les sentiments de la jeune fille sont très bien analysés. Peu à peu, l'on prend conscience qu'elle n'est pas de taille à lutter et qu'une prison morale se referme sur elle. Sophie est une jeune fille qui vit de rêves et la réalité ne peut être à leur hauteur, elle se révèlera toujours décevante. Une Emma Bovary vertueuse et confite en dévotion en pays breton mais une Emma tout de même!
 La description de la société bretonne est intéressante et il y a même des scènes de genre comme cette messe du dimanche où l'on vient faire admirer sa toilette, ou la foire de la Saint-Yves, ou le mariage campagnard... Les légendes, les superstitions, les rencontres avec l'Ankou, cet auxiliaire de la mort, et  les revenants  hantent les esprits.. Paganisme et religion catholique se confondent souvent.

A noter que Pollès avec ce roman a été en concurrence avec le Céline de Voyage au bout de la nuit pour le prix du roman populaire en 1932. C'est lui qui l'a emporté!










mardi 16 octobre 2012

La légende de la ville d'Ys : lecture commune pour le challenge breton





Quand des flots Ys  émergera
Paris submergera sera

Voilà ce que dit la légende et c'est une excellente raison de  nous intéresser à Ys, cette mythique  et enchanteresse cité engloutie par la mer et dont on situe,  traditionnellement, l'emplacement dans la baie de Douarnenez.

Avec Aymeline-Arieste, nous avons décidé d'une lecture commune  de deux titres qui relatent cette histoire et qui s'intègrera dans nos deux challenges : celui d'Aymeline Les Mondes imaginaires et le mien,  Challenge breton.
Il s'agit de deux versions de La légende de la ville d'Ys  contée par Charles Guyot et du roman de Gabriel Jan : Ys, le monde englouti.

Ces lectures peuvent éventuellement  être poursuivies pour ceux que cela intéresse par une incursion vers les autres versions de la légende d'Ys que cela soit dans le domaine des textes ou des arts, peintures, chants, opéra, musique, BD...


J'ai mis ces titres en livres voyageurs et vous pouvez dès maintenant vous inscrire s'ils vous intéressent.


La lecture est prévue pour Le 25 Novembre mais nous pouvons, s'il en est besoin,  adapter les dates si vous nous rejoignez. Serez-vous des nôtres?




LC :  
Aymeline
 Miriam
  Gwen
Claudialucia
???