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jeudi 5 mars 2020

Olga Tokarczuk : Sur les ossements des morts


Janina Doucheyko, l’héroïne de Sur les ossements des morts de Olga Tokarczuk, écrivaine polonaise, est une vieille femme qui a du caractère. Elle est habituée à vivre seule (même s’il y a eu des hommes dans sa vie ) dans un petit hameau des Sudètes, en Pologne, près de la frontière tchèque, où ne vivent que trois personnes à l’année, isolés par la neige en hiver. Il lui donc fallu ne compter que sur elle-même ! Elle donne des cours d’anglais dans la ville la plus proche et, pendant la morte saison, elle veille sur les maisons de ses voisins qui ne reviennent qu’au printemps. Entre son intérêt passionné pour l’astrologie, son amour de William Blake qu’elle traduit avec Dyzio, qui a été son élève, elle passe son temps à veiller à la sauvegarde des animaux pourchassés par les chasseurs ou les amateurs de fourrure. Gardienne de la nature qu’elle aime plus que tout et qui donne un sens à sa vie, elle prend son rôle au sérieux et écrit de longues lettres aux autorités pour dénoncer la maltraitance des animaux  touten prévoyant l’avenir grâce à ses recherches astrologiques, ce qui la fait passer pour une vieille folle ! Elle se met à dos le puissant club des chasseurs dont fait partie le curé, le père Froufrou, (Janina baptise les gens de noms qui leur vont bien, pense-t-elle), lui-même.
Or, voici que  des meurtres viennent troubler  cette région jusqu’alors paisible. Et comme les victimes sont des chasseurs, Janina est persuadée que les animaux on décidé de se venger et que ce sont eux qui poussent ces hommes vers la mort.

Il y a dans la manière dont l’écrivaine décrit Janina quelque chose qui me rappelle la Dina de Herbjorg Wassmo. Toutes deux sont apparemment folles et pourtant elles ont une telle force de caractère et une telle inhibition face aux lois morales de la société, qu’elles paraissent être les seules à détenir la vérité. Elles obéissent à une grande logique interne. Peut-être, comme le dit William Blake que Janina admire tant, visionnaire qui lui aussi fut considéré comme fou, « que si le le fou persévérait dans sa folie, il rencontrerait la sagesse. »  
A la  fin, et même si nous la considérons nous-mêmes, lecteurs, comme un peu timbrée, nous sommes en empathie avec ce personnage féminin qui nous livre une tableau de la société assez caustique et regarde avec humour ou colère, les travers de la société et les manières de vivre de ses voisins. Elle a parfois la dent dure et ne s'épargne pas  elle-même mais elle a aussi  la vision d'un monde où les humains et les animaux vivraient en paix, dans un respect mutuel. 
Nous aimons aussi les amis dont elle s’entoure. Ces derniers ont tous quelque chose de particulier, comme Matoga, un des habitants du village, qui vit dans la solitude et qui est un taiseux; ou Boros l’entomologiste, qui aime tant la nature qu’il voudrait protéger jusqu’aux larves qui vivent dans le tronc des arbres abattus par les bûcherons ou encore la jeune fille qui vend des vêtements d’occasion, Bonne Nouvelle, qui aime les gens et dont les particularités physiques la mettent un peu à part dans la société.
Malgré l’intrigue policière qui se déroule jusqu’à son dénouement, il est certain que nous ne sommes pas dans un vrai roman policier ! Ce qui domine au cours de cette lecture qui est aussi une réflexion sur la vieillesse, la maladie et la mort, c’est une atmosphère singulière, certainement en liaison avec ce personnage hors norme, les amis qu’elle fréquente mais aussi avec cette nature repliée dans le froid et la solitude dont l'écrivain donne la description lancinante, une atmosphère qui nous laisse toujours flotter entre réalité et fantastique. 

 Ici l'hiver enveloppe  tout de son beau manteau blanc, il raccourcit le jour au maximum, de sorte que si par inadvertance on s'attarde trop la nuit, on risque de se réveiller dans l'obscurité de l'après midi du jour suivant, ce qui - soit dit en passant- m'arrive de plus en plus souvent depuis l'année dernière. Le ciel est suspendu au-dessus de nos têtes, sombre et bas, semblable à un écran sale sur lequel se disputent d'innombrables batailles de nuages. C'est bien à cela que servent nos maisons, à nous protéger de ce ciel menaçant, autrement il aurait pénétré l'intérieur même de notre corps où, telle une petite bille de verre, se tapit notre âme. Si tant est qu'elle existe.

La photographie de la première de couverture traduit bien le sentiment d'irréalité dans lequel vivent les personnages du roman,  avec ces êtres humains, au masque d'animaux, enveloppés dans le brouillard, dans un paysage estompé qui se nimbe de mystère. Et pourtant le roman ne cesse jamais d’être réaliste même si l’on y entend sans les voir les trépignements des pas des "Petites Filles" sur le dallage de l’entrée et les appels de la mère et de la grand-mère de Janina, touts deux disparues depuis longtemps, dans la cave. Oui, un drôle de roman, étrange, surprenant !


Olga Tokarczuk


Prix Nobel de littérature, Olga Tokarczuk a reçu le Man Booker International Prize 2018 pour Les  Pérégrins. Traduit en français en 2010 chez Noir sur Blanc, ce roman avait été couronné par le prix Niké (équivalent polonais du Goncourt), un prix que, chose rarissime, l’auteure a une nouvelle fois reçu pour son monumental roman : Les Livres de Jakób.
 

Née en Pologne en 1962, Olga Tokarczuk a étudié la psychologie à l’Université de Varsovie. Romancière polonaise la plus traduite à travers le monde, elle est reconnue à la fois par la critique et par le public. 
Sept de ses livres ont déjà été publiés en France : Dieu, le temps, les hommes et les anges ; Maison de jour, maison de nuit (Robert Laffont, 1998 et 2001) ; Récits ultimes, Les Pérégrins et Sur les ossements des morts (Noir sur Blanc, 2007, 2010, 2012) ; Les Enfants verts (La Contre-allée, 2016) ; et enfin Les Livres de Jakób (Noir sur Blanc, 2018). Editions Noir sur blanc