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jeudi 17 mai 2012

Le roi de Kahel de Tierno Monénembo



Quel étrange personnage que cet Aimé Victor Olivier, vicomte de Sanderval, qui est le héros de la biographie romancée de Tierno Monénembo : Le roi de kahel! Un personnage qui fut célèbre à son époque, à la fin du XIXème siècle, connu dans la France entière et ailleurs...  puisque la Grande Bretagne a essayé de l'acheter (incroyable scène relatée par Tierno Monenembo) et le Portugal lui a offert son titre de Vicomte.

C'est pour notre plus grand plaisir que l'auteur fait revivre cet homme, issu d'une famille de la bourgeoisie française industrielle lyonnaise, haut en couleurs qui part, casqué et ganté de blanc, protégé par son inséparable ombrelle, suivi par sa vaisselle de porcelaine, conquérir le Fouta-Djalon,  une grande région montagneuse de Guinée, afin de s'y tailler un royaume et de devenir roi. Le plus extraordinaire, c'est qu'il y parviendra et règnera sur le plateau de Kahel que lui donneront l'almamy, chef suprême du Fouta-Djalon et les autres rois Peuls, qu'il y lèvera une armée, y battra monnaie à son effigie,  développera l'agriculture, organisera le commerce... Il n'en sera délogé que par les visées colonialistes de la France qui fait du Fouta-Djalon un protectorat français, puis intervient militairement et remporte la victoire sur Bokar Biro, le dernier almamy indépendant, à la bataille de Porédaka. La majeure partie du Fouta sera intégrée alors  à la colonie des Rivières du sud et deviendra la Guinée française.* Le roi de Kahel se verra contraint de rentrer en France.

Le plaisir de ce livre vient donc tout d'abord de la rencontre  exceptionnelle avec cet homme dont on aurait du mal à admettre la vraisemblance s'il était un héros de roman. Mais il a existé et le travail de biographe accompli par Tierno Monénembo est extrêment documenté et sérieux. L'histoire rocambolesque de ce  personnage, ses aventures hors du commun qui l'amènent parfois jusqu'aux portes de la mort, n'en sont que plus extraordinaires. Le lecteur goûte ce mélange d'épopée mi-tragique, mi-comique, assaisonnée des élucubrations pseudo-philosophiques du vicomte sur l'Absolu. On ne peut s'empêcher d'admirer la pugnacité à toute épreuve de cet aventurier, le grain de folie qui lui fait accepter les dangers, les privations, les souffrances, on savoure son intelligence capable de comprendre les peuls, d'assimiler leur culture au point de  les battre à leur propre jeu dans le domaine des négociations politiques et économiques, de renchérir  sur leur ruse, leurs mensonges, domaines où ils sont experts.

Un autre plaisir et pas des moindres, c'est la découverte de ce pays, de ses paysages, de ses villes, Timbo, Labé,  de la naissance de Conakry,  des Peuls avec leur organisation politique complexe, leurs moeurs, leurs coutumes.  On s'intéresse aux conflits internes, aux luttes fratricides, à quête du pouvoir qui se résout dans le sang comme dans une tragédie shakespearienne. C'est donc une rencontre avec un moment de l'Histoire de ce pays avant la colonisation, quand les Peuls, cette race de seigneurs, avec leur grandeur, leur arrogance, leur beauté, mais aussi leur fourberie qu'ils élèvent au rang d'art, régnaient encore sur un territoire indépendant.

Un bon livre, donc, que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt d'autant plus qu'il m'a fait découvrir une civilisation que je connais mal.

*Une autre partie du Fouta est occupée par la Grande-Bretagne  et devient la Sierra-Leone


Republié de mon ancien blog qui ferme définitivement ses portes fin Mai après un an de transfert d'articles!

dimanche 16 janvier 2011

Mariama Bâ : Une si longue lettre

Mariama Bâ est Sénégalaise. Professeur, mère de neuf enfants, mariée et divorcée, elle a toujours lutté pour la cause des femmes, pour leurs droits à l'éducation et à l'égalité et contre la polygamie et le système des castes. Avec Une si longue lettre elle écrit un très beau livre qui présente la condition féminine au Sénégal à travers les personnages de deux femmes, différentes l'une de l'autre mais toutes deux d'une grande dignité.

A la mort de son mari Modou, Ramatoulaye, bouleversée, adresse une lettre à son amie d'enfance Aïssatou, Une si longue lettre. Nous découvrons la vie de ses deux femmes à travers leurs souvenirs d'enfance puis leur statut de femmes mariées et mères de famille. Tous deux ont vécu l'immense chagrin de voir leur mari épouser une autre femme attiré par la jeunesse de leur corps neuf pas encore déformé par les grossesses successives. Marima Bâ dépeint avec beaucoup de justesse les sentiments de ces épouses bafouées que l'on met devant le fait accompli quand le  second mariage est déjà célébré. Abandon, condition de la femme traitée comme une marchandise, chagrin, blessures qui ne se referment jamais, humiliation,  amertume, dépression ou révolte...  Toutes deux vont réagir selon leur caractère :  Aïssatou  divorce, Ramatoulaye, trop attachée aux traditions, peut-être aussi trop attachée à Modou après vingt-cinq ans de vie commune et douze enfants,  refuse de partir.
Une si longue lettre en abordant ainsi les difficultés des femmes au Sénégal brosse aussi un tableau de la société sénégalaise; l'existence des castes qui créent des hiatus entre les différentes couches de la population, intolérance, préjugés, sentiment de supériorité d'une caste sur l'autre, suprématie du sang, de la noblesse de naissance. Ainsi Mawdo Bâ, un Toucouleur, fils d'une Dioufene, Guelewar du Sine, fait scandale en épousant Aïssatou, une "courte robe", la fille d'un bijoutier. Il cédera  sans trop de difficulté à sa mère en acceptant une deuxième épouse choisie par elle. Nous voyons aussi les coutumes et les rites qui entourent un enterrement, les croyances religieuses, les mouvements politiques et  le syndicalisme d'un pays en pleine mutation, plein d'espoir après l'Indépendance..
Mon coeur est en fête chaque fois qu'une femme émerge de l'ombre. Je sais mouvant le terrain des acquis, difficile la survie des conquêtes : les contraintes sociales bousculent toujours et l'égoïsme mâle résiste.
Instruments des uns, appâts pour d'autres, respectées ou méprisées, toutes les femmes ont le même destin que des religions ou des législations abusives ont cimenté.
Ce court roman écrit dans une langue élégante est un vibrant plaidoyer pour la liberté des femmes et un cri d'espoir pour l'avenir à la recherche du bonheur.
Le mot bonheur recouvre bien des choses, n'est-ce pas?J'irai à sa recherche. Tant pis pour moi si j'ai encore à t'écrire une si longue lettre...
Je remercie Miriam de m'avoir fait découvrir Mariama Bâ en m'envoyant cette si longue lettre.