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mardi 14 juin 2011

Syngue Sabour (2) Atiq Rahimi : Pour une interprétation du dénouement


Dans le premier texte que j'ai écrit sur le prix Goncourt, Syngue Sabour (1) , de Atiq Rahimi, un lecteur a laissé un commentaire dont je cite cet extrait :

Le passage que vous citez est situé tout à la fin, dans un passage d’une violence incroyable où elle joue sa vie : y réussit-elle d’ailleurs ? La dernière phrase est-elle porteuse d’espoir ? réussit-elle son improbable psychanalyse ? j’aimerais d’ailleurs avoir l’interprétation de Atiq Rahimi sur cette fin où on croit deviner une lueur… 

Comment, en effet, interpréter la fin de Syngue Sabour ? Est-elle extrêmement pessimiste ou au contraire, porteuse d'espoir? Les deux interprétations sont possibles.
Quand j'ai refermé le livre d'Atiq Rahimi je me suis évidemment interrogée sur ce dénouement brutal et surprenant où il faut voir la fin de la parabole de Syngue Sabour, cette Pierre de patience, à qui l'on peut livrer ses secrets "juqu'à ce qu'elle se brise... jusqu'à ce que tu sois délivrée de tous tes tourments". Ainsi  quand l'homme semble revenir à la vie et tue sa femme, c'est la Pierre de patience qui éclate, emportant avec elle tous les malheurs, tous les secrets qui lui ont été confiés. Mais en explosant il semble qu'elle entraîne la destruction de celle qui l'a utilisée comme déversoir de ses peines.

Lui (le mari) toujours raide et froid, agrippe la femme par les cheveux, la traîne à terre jusqu'au milieu de la pièce. Il frappe encore sa tête contre le sol puis, d'un mouvement sec, il lui tord le cou.(...)
La femme est écarlate. Ecarlate de son propre sang.
Quelqu'un entre dans la maison.
La femme rouvre doucement les yeux.
Le vent se lève et fait voler les oiseaux migrateurs au-dessus de son corps.
 
Pour moi, le sens de la parabole est très net. Dans ce pays en guerre, où règnent la violence et la loi d'une religion intégriste, il n'y aucun avenir pour la femme, aucune issue possible. Elle a pourtant essayé d'être heureuse comme le lui avait conseillé le Vieux Sage, père de son  mari :   elle a renoncé à la loi du père, à la morale de la mère et à l'amour de soi. Elle est restée auprès de son mari devenu sa Syngue Sabour pour dire sa révolte et son malheur et elle en est morte. Cela ne fait aucun doute à mes yeux.
Mais s'il n'y a pas aucun espoir,  comment expliquer alors les deux dernières phrases?
La femme rouvre doucement les yeux.
Le vent se lève et fait voler les oiseaux migrateurs au-dessus de son corps.
Au début du roman dans la pièce aux murs couleur cyan où se déroule le huis-clos entre le mari blessé et la femme, l'auteur décrit :
"deux rideaux aux motifs d'oiseaux migrateurs figés dans leur élan sur un ciel jaune et bleu."
A la fin  du roman, ces oiseaux jusqu'alors arrêtés dans leur mouvement prennent leur essor, survolant le corps de la femme. Il est  légitime de penser qu'ils signifient l'espoir d'un monde meilleur puisque la femme rouvre les yeux au moment de l'envol. Ne seraient-ils pas un symbole de libération de même que le souffle du vent qui, en animant les rideaux, leur redonne vie? Magnifique image!
Il est, cependant, significatif que Atiq Rahimi ait choisi des oiseaux migrateurs condamnés à l'errance. Un instant figés dans ce monde où la vie est impossible, ils s'échappent vers des terres plus hospitalières tout comme Atiq Rahimi a dû quitter son pays pour rester un homme libre. La femme rouvre les yeux sur cette image qui lui dit qu'il faut partir pour survivre mais il est trop tard pour elle.
Elle a donc échoué dans sa tentative. A moins que l'on ne considère comme une réussite le fait qu'elle se soit révoltée, qu'elle ait pris conscience de son aliénation et qu'elle l'ait refusée. Dès lors, elle ne peut être libérée que par la mort. Mais ce faisant elle a accédé à la dignité que les hommes lui refusent et c'est en ce sens, peut-être, que le roman est porteur d'espoir. Les oiseaux migrateurs pourraient être le symbole de la mort qui délivre et de cette intégrité physique et morale retrouvée?
Que de questions pour ce roman si dense et si riche! Moi aussi, j'aimerais bien que l'auteur nous donne "sa vérité".  Mais il me semble que si nous l'avions devant nous, il nous dirait que chacun est libre de trouver sa propre réponse. C'est cela qui fait la valeur de la littérature.


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