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dimanche 13 novembre 2011

Victor Hugo : Souvenir de la nuit du 4

La liberté guidant le peuple  Eugène Delacroix

Victor Hugo  qui s'est exilé après le coup d'état de Louis Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851 écrit Les châtiments pour combattre le gouvernement de celui qui a pris le nom de Napoléon III. L'anecdote à laquelle le poète fait allusion est historique. Le 4 août 1851, le surlendemain du coup d'état, la troupe a ouvert le feu sur la foule qui se promenait sur le boulevard.

L'allégorie de Delacroix La liberté guidant le peuple reste la meilleure illustration de l'insurrection générale du Romantisme contre toutes les barrières. Celles-ci sont bien sûr littéraires (le théâtre et la poésie, notamment, ont été secouées durablement dans leurs formes) mais aussi politiques, et l'on a pu affirmer non sans raison que les journées révolutionnaires de 1830 et 1848 sont romantiques, comme romantiques ont été les luttes pour l'indépendance que mènent alors la Grèce, l'Espagne ou la Pologne. De cette effervescence, Hugo représente tous les aspects, du "bonnet rouge mis au vieux dictionnaire" jusqu'au non défintif que son exil opposa au Second Empire : "le Romantisme, dit-il encore, c'est le libéralisme en littérature".  (citation article sur le Romantisme ici)

Souvenir de la nuit du 4

L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.
Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;
On voyait un rameau bénit sur un portrait.
Une vieille grand-mère était là qui pleurait.
Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,
Pâle, s'ouvrait ; la mort noyait son oeil farouche ;
Ses bras pendants semblaient demander des appuis.
Il avait dans sa poche une toupie en buis.
On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.
Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?
Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.
L'aïeule regarda déshabiller l'enfant,
Disant : - comme il est blanc ! approchez donc la lampe.
Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe ! -
Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.
La nuit était lugubre ; on entendait des coups
De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres.
- Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres.
Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer.
L'aïeule cependant l'approchait du foyer
Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.
Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides
Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas !
Elle pencha la tête et lui tira ses bas,
Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.
- Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre !
Cria-t-elle ; monsieur, il n'avait pas huit ans !
Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.
Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,
C'est lui qui l'écrivait. Est-ce qu'on va se mettre
A tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu !
On est donc des brigands ! Je vous demande un peu,
Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !
Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être !
Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.
Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.
Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte ;
Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte
De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! -
Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant,
Puis elle dit, et tous pleuraient près de l'aïeule :
- Que vais-je devenir à présent toute seule ?
Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd'hui.
Hélas ! je n'avais plus de sa mère que lui.
Pourquoi l'a-t-on tué ? Je veux qu'on me l'explique.
L'enfant n'a pas crié vive la République.

Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,
Tremblant devant ce deuil qu'on ne console pas.

Vous ne compreniez point, mère, la politique.
Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique,
Est pauvre, et même prince ; il aime les palais ;
Il lui convient d'avoir des chevaux, des valets,
De l'argent pour son jeu, sa table, son alcôve,
Ses chasses ; par la même occasion, il sauve
La famille, l'église et la société ;
Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l'été,
Où viendront l'adorer les préfets et les maires ;
C'est pour cela qu'il faut que les vieilles grand-mères,
De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps,
Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.

Francisco  Goya: Saturne dévorant ses enfants



Un livre, un Jeu : Daphné du Maurier Rebecca


Réponse à l'énigme n° 10
 Les oscarisés sont cette fois-ci  : Keisha, Aifelle,  Eeguab, Maggie,  Miriam  Sabbio,  Lystig,  Cagire,  Dominique, Nanou,  Thérèse.   Et bravo à tous et merci pour votre participation.

Pour le livre : Rebecca de Daphné du Maurier
Le film : Rebecca d'Alfred Hitchcock ; le producteur : David O. Selznick

 
Le roman de Daphné du Maurier, Rebecca, est un conte mais il commence là où le conte finit, par le mariage. Telle Cendrillon, une jeune fille d'un milieu modeste est obligée, à la mort de ses parents, de s'engager comme dame de compagnie auprès d'une riche américaine. Lors d'un séjour dans un palace sur la Riviera avec sa déplaisante patronne (la marâtre des contes) la jeune fille va faire la connaissance de Maxime de Winter, un aristocrate anglais, propriétaire d'un domaine fabuleux nommé Menderley.  La rumeur court qu'il ne peut oublier la mort de sa femme, la séduisante et brillante Rebecca. Pourtant, à la fin du séjour de la jeune fille, contre toute attente, il la demande en mariage. Après un heureux voyage de noces, les époux rentrent à Menderley où notre héroïne est présentée aux domestiques du domaine et entre autres à la gouvernante de la maison, Madame Denvers, qui aime Rebecca d'un amour fanatique et ne se console pas de la disparition de sa maîtresse. La jeune madame de Winter doit faire face à la difficulté de se retrouver transplantée dans un milieu social qui n'est pas le sien et dans lequel elle commet beaucoup de bévues. La  présence de l'inoubliable Rebecca qui hante tous les esprits l'obsède. La mélancolie de son mari qui semble ne pas pouvoir oublier sa première épouse et la haine de madame Denvers qui ne lui pardonne pas de prétendre remplacer Rebecca la mènent au bord du suicide...
Notons et c'est remarquable que le lecteur ne connaîtra jamais le prénom de l'héroïne. Le récit est raconté à la première personne par la jeune fille qui ne révèlera pas son prénom. Ce qui permet au personnage éponyme du roman de prendre toute son ampleur. Et ceci est un tour de force de l'écrivain. Rebecca est morte mais c'est elle qui reste le personnage principal du roman. Sa présence est telle qu'elle annihile la jeune femme qui nous raconte l'histoire. Cette dernière vit dans une maison où tout rappelle Rebecca jusqu'à son papier à lettres dans le bureau qui est maintenant le sien, jusqu'à cette chambre intacte devenue un mausolée entretenue par Madame Denvers, ses vêtements, ses affaires personnelles toujours prêts à servir qui semblent attendre sans cesse un impossible retour. Cette présence est tellement obsédante que la seconde madame de Winter quand on lui téléphone répond : "non madame de Winter n'est pas là" oubliant que c'est à elle que l'on s'adresse. Cette réponse maladroite et gauche, qui est le fruit de la timidité de l'héroïne, montre l'effacement de la jeune fille dont la légitimité, l'existence même sont gommés au profit d'un fantôme.


Le personnage de madame Danvers est lui aussi très fort. Il fait pendant à celui de Rebecca et toutes deux semblent incarner les forces du mal. Face à l'innocente ingénue qui par son caractère effacé, son manque d'assurance et  les complexes liés à son milieu social n'a aucune possibilité de sortir victorieuse, madame Danvers est une présence maléfique toute puissante. Hitchcock a très bien su exploiter ce personnage de sorcière issue d'un conte de fées et le traduire en images. Dans son film, la longue silhouette en robe noire qui se déplace sans bruit dans les murs de ce château néogothique ou qui se détache devant une fenêtre aux longs voiles blancs comme un spectre dans son linceul, est hallucinante. A tel point que Walt Disney a repris la silhouette et les traits de madame Danvers, l'extraordinaire Julie Anderson, pour servir de modèle à la marâtre de Cendrillon dans son dessin animé.

Le thème  de l'amour  est aussi prépondérant. Après la scène du bal, la jeune femme qui a revêtu la  même robe que Rebecca,  copiée d'un tableau,  est sur le point de se tuer,  encouragée par la perverse madame Danvers. Mais lorsque des circonstances tragiques lui font comprendre que c'est elle et non Rebecca que Maxime aime, la jeune femme va puiser dans son amour la force qui lui manquait jusque là. La fragile femme-enfant se métamorphose en femme amoureuse et déterminée qui va lutter pour sauver son amour et devenir la compagne forte sur laquelle Maxime de Winter pourra s'appuyer.

Mon avis  à ne  pas lire  si vous n'avez pas lu le livre et comptez le faire :

Le film de Hitchcock est très fidèlement adapté du roman sauf pour le dénouement. Dans le roman Maxime de Winter poussé à bout par Rebecca  la tue puis met son corps dans le bateau qu'il fait couler. Dans le film Maxime de Winter est innocent (voir Wens). Si j'aime énormément le film dont la force tient dans les images et les effets de lumière proches de l'expressionisme*, je juge le dénouement du roman plus fort. Le personnage de Rebecca y gagne encore en noirceur et en machiavélisme.

*On se souvient, par exemple, de ce long travelling avant par lequel s'ouvre le film qui nous conduit jusqu'à Menderley en ruines avec la voix off mélancolique de la la narratrice qui nous commente son rêve...

Madame Danvers : Julie Anderson