"Mes voisins de palier n'ont pas froid aux yeux. Ils n'ont pas de soucis, ne tombent pas amoureux, ne se rongent pas les ongles, ne croient pas au hasard, ne font pas de promesses, de bruit, n'ont pas la sécurité sociale, ne pleurent pas, ne cherchent pas leurs clés, leurs lunettes, la télécommande, leurs enfants, le bonheur.(...)
Ils sont morts.
La seule différence entre eux, c'est le bois de leur cercueil : chêne, pin ou acajou"
J’ai découvert le roman de Valérie Perrin, Changer l’eau des fleurs, après avoir vu au Festival d’Avignon le spectacle adapté du texte littéraire sur la scène du théâtre du Chêne noir.
Avec ses 672 pages, le livre est incontestablement un pavé et comme je l’ai lu au mois de Juillet, voici donc mon premier pavé de l’été pour le challenge de Brize.
L’adaptation au théâtre de cet énorme livre en une heure et quinze minutes par Caroline Rochefort et Mikaël Chirinian est une gageure. Comment réussir à faire tenir en si peu de temps toute cette longue histoire ? Et bien, en ne conservant que les personnages principaux et en se focalisant sur leur histoire. Du coup l’action est resserrée, efficace, pleine de surprises et d’émotions, effets que renforce la qualité des trois interprètes : Violette, personnage attachant que l’on découvre peu à peu (Caroline Rochefort, nomination Molière de la révélation féminine), son amoureux Julien et son ex-mari Philippe, tous les trois excellents comédiens qui font passer sous le rire tout le tragique de ces vies brisées qui cherchent à se reconstruire…
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Changer l'eau des fleurs festival d'Avignon 2022 |
Le roman, lui développe : Violette est gardienne d’un cimetière. Elle a été abandonnée par son mari Philippe Toussaint qui a toujours vécu à ses crochets avant de s’enfuir sans laisser d’adresse. Pourtant même ce personnage quand il apparaîtra nous révèlera une autre face de sa personnalité. Elle rencontre, dans sa loge, Julien Seul, un policier taciturne, venu déposer les cendres de sa mère, Irène, sur la tombe d’un homme que lui, son fils, ne connaît pas. Ce sont les dernières volontés de la défunte. De quoi en être chamboulé ! Mais Violette connaît Irène et celui qu’elle a aimé, et l’histoire de ces deux disparus se dévide à côté de la sienne, en parallèle ou parfois imbriquée l’une dans l’autre !
A travers le récit de son passé qu’elle nous raconte peu à peu et qui révèle, malgré l’humour, ses manques et ses souffrances, nous voyons le quotidien de Violette, les visites des habitués qui se confient à elle et qu’elle réconforte, les liens amicaux qu’elle tisse avec les fossoyeurs, Elvis, Nono, Gaston, avec le père Cédric, personnages haut en couleur, les fleurs qu’elle cultive avec amour, les chats qu’elle recueille avec tendresse, les enterrements et le déroulement des cérémonies dont elle note tous les détails. Autour d’elle, la présence de tous ces morts dont elle conserve les traces, seul moyen de ne pas les laisser disparaître. Le Souvenir, une lutte contre la Mort.
L’histoire de Violette s’entremêle à celle des autres. L’enchevêtrement des vies de chacun, le passage sans ordre chronologique du passé au présent et inversement, l’absence voulue de tout ordre, auraient pu donner un récit complexe et lourd. Or, il n’en est rien ! Tout paraît se rejoindre et se résoudre dans une seule histoire fluide qui coule comme si rien ne venait l’interrompre. C’est une des grandes réussites de l’écrivaine. Elle parvient à donner cette impression de simplicité et d’unité. Le style est poétique, limpide.
Après avoir été une enfant de l’assistance malheureuse, après avoir été mal mariée et avoir perdu ce qu’elle avait de plus précieux et ce qui donnait un sens à sa vie, (je ne vous en dis pas plus pour vous laisser le découvrir) Violette retrouve le bonheur. C’est ce qu’elle affirme :
« Je déguste la vie, je la bois à petites gorgées comme du thé au jasmin mélangé à du miel. Et quand arrive le soir, que les grilles du cimetière sont fermées et la clef accrochée à ma porte de salle de bains, je suis au paradis .
Pas le paradis de mes voisins de palier. Non. »
Trop de bons sentiments dans ce roman ? Trop d’optimisme dans ces rencontres avec une humanité bienveillante ? Ma foi, après avoir subi ce que la vie a de pire, on ne peut que souhaiter à Violette un peu de bonheur ! Un beau roman !
challenge Pavé de l'été : blog Sur mes brizées
Changer l’eau des fleurs Valérie Perrin Livre de poche 672 pages