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dimanche 24 juillet 2011

Jeanne Benameur : les demeurées



La Varienne est domestique. Elle est demeurée, "abrutie", disent les gens, autour d'elle. Elle exécute ses tâches quotidiennes régulièrement, mais sous l'enveloppe charnelle, il n'y a rien, pas de lueur d'intelligence, un corps sans conscience.  La Varienne a une fille, Luce, qu'elle l'adore. Entre la mère et la fille existe un amour étroit, une symbiose qui se passe de mots. Tous deux vivent heureuses dans leur univers borné mais leur tranquillité vole en éclats quand Luce est scolarisée. La Varienne souffre d'être séparée de sa fille. La petite résiste à l'instruction par fidélité à sa mère.  L'institutrice, Mademoiselle Solange, ne veut pas s'avouer vaincue. Alors que tout le village penche pour une sorte de déterminisme : à  mère demeurée, fille de même, elle essaie d'arracher Luce à l'ignorance; elle cherche à percer les brumes de sa conscience pour la faire émerger dans un monde signifiant. Son insistance va provoquer un drame. Pourtant après la mort de l'institutrice,  l'on s'aperçoit que les leçons de l'enseignante ont porté leurs fruits, l'enfant accède à l'intelligence, au savoir.
Cette courte histoire très forte est distillée à petites phrases brèves, avec une économie de mots, une retenue qui peint le quotidien simple et rituel, le manque de réflexion qui préside aux actes de ces deux femmes prises dans la gangue de l'ignorance.  Le présent de l'indicatif est celui de l'habitude, des gestes que l'on accomplit sans réfléchir tellement ils sont machinaux, familiers.

Abruties, elles vivent une lourdeur opaque dans le crâne, fleur endurcie en bouton, qui fait bosse... Le monde est opaque, seulement familier dans la buée de la cuisine, la main tenant la louche ou soulevant la casserole pleine d'eau qui bout.

Mais l'amour qui les lie est une  forme de bonheur qui s'ignore, fait de gestes, de rituels, pas besoin d'autres communications que le contact.

Chaque jour la mère passe l'eau froide  sur la serviette dans le cou, derrière la tête, sous les lourds cheveux relevés.

J'ai beaucoup aimé les passages exprimés de manière si poétique au cours desquels Luce, qui a un réel talent de brodeuse, écrit avec des fils de toutes les couleurs les lettres de l'alphabet, ceux-ci s'organisent en mots dans sa tête, la fillette découvre la lecture, un moment de pure magie .

Les mots ont beau avoir été  lancés de toutes ses forces jusqu'en haut des arbres. Les mots ont beau avoir été piétinés sur le chemin, ils sont là. Ils ont fait leur nid dans sa tête.
 Maintenant ils reviennent furtivement appelés par le fil et l'aiguille.
Ils sont là.


Un beau livre, plein d'émotion.

Voir Alice, livres de Malice

Paul Verlaine, Après trois ans


Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu'éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.

Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin...
Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

Les roses comme avant palpitent ; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,
Chaque alouette qui va et vient m'est connue.

Même j'ai retrouvé debout la Velléda,
Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue,
- Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.



Dimanche poétique

Marie Ndiaye : Trois femmes puissantes



 De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été a été initié par  Mango et repris dans le blog de Cagire et dans le mien.
Ce jeu de qui est-ce? - juste pour le fun- consiste tout simplement à retrouver l'auteur et le titre du roman célèbre dont je présente un extrait. Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) ou me laisser des indices dans les commentaires sans révéler l'auteur, indices qui me permettront de savoir si vous avez vu juste et d'aider ceux qui ne savent pas. On ne gagne rien sinon le plaisir et je cite le lendemain les noms de ceux qui ont trouvé l'énigme. Bon, je sais, il suffit d'un clic sur la toile pour trouver la réponse mais je sais aussi que si vous aimez jouer comme moi, vous vous plairez à deviner le nom de l'auteur et du roman  par vous-même  d'abord, le plus vite possible ensuite et c'est juste dans ces secondes-là que réside le plaisir de trouver pour soi uniquement la bonne réponse : retrouver le titre d'un roman comme on retrouve le nom d'un ami  ancien qu'on n'a pas vu depuis très longtemps... Bref, on joue ici avec sa mémoire  et puis on me le dit, comme ça, par amitié!  
 

Nouvelle énigme

Trouverez-vous d'où est extrait ce passage?

Tous les hommes sont menteurs, inconstants, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses et dépravées; le monde n'est qu'un égout sans fond ou les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelque fois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.


 Réponse à l'énigme de samedi


Marie Ndiaye




 Lystig et Aifelle ont gagné!
Marie Ndiaye est née à Pithiviers d'une mère française et d'un père sénégalais. Avec Trois femmes puissantes elle a obtenu le Prix Goncourt en 2009.

Les trois femmes s'appellent Norah, Fanta et Khady Demba et sont chacune le personnage principal des trois parties de ce roman.

Trois récits, trois femmes qui disent non. Elles s'appellent Norah, Fanta, Khady Demba. Norah, la quarantaine, arrive chez son père en Afrique. Le tyran égocentrique de jadis est devenu mutique, boulimique, et passe ses nuits perché dans le flamboyant de la cour. Fanta enseigne la français à Dakar, mais elle a été obligée de suivre en France son compagnon Rudy. Rudy s'avère incapable d'offrir à Fanta la vie riche et joyeuse qu'elle mérite. Khady Demba est une jeune veuve africaine. Sans argent, elle tente de rejoindre une lointaine cousine, Fanta, qui vit en France. Chacune se bat pour préserver sa dignité contre les humiliations que la vie lui inflige avec une obstination méthodique et incompréhensible. (Résume de Evènement)

 Le style de Marie Ndiaye se caractérise par de longues phrases sinueuses qui semblent épouser le cheminement de la pensée et par l'intrusion dans le réalisme d'une part d'irrationnel, de fantastique.
Ce passage est situé au début du roman quand Norah revient au Sénégal pour rencontrer son père qu'elle n'a plus revu depuis des années. Voir billet ici