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dimanche 31 mars 2013

Atiq Rahimi : Syngue Sabour Un livre/Un film





Résultat de l'énigme n°61
Le prix de la Patience a été accordé à : Dasola, Dominique, Eeguab, K'gire, Keisha, Miriam, Pierrot Bâton, Sybilline, Thérèse...  Et merci à tous ceux qui ont participé!

le roman, prix Goncourt 2008 : Syngue Sabour d'Atiq Rahimi
                    
Le film : Syngue Sabour réalisateur Atiq Rahimi co-scénaristes Atiq Rahimi et Jean-Claude Carrière




Syngue Sabour est un roman que j'ai commenté lors de sa sortie après qu'il a été couronné par le prix Goncourt. Aussi j'ai été très curieuse de voir ce que Atiq Rahimi en avait fait puisque c'est lui-même qui adapte son oeuvre au cinéma. Il est à la fois le réalisateur et le co-scénariste du film avec Jean-Claude Carrière. Voilà ce que j'en écrivais à l'époque en 2008.

J'écris pour savoir pourquoi cette rage, pourquoi cette colère. Atiq Rahimi

Syngue Sabour, la Pierre de patience, c'est cette pierre noire si finement ciselée par Atiq Rahimi, l'orfèvre! Et elle est effectivement bien noire, cette pierre de patience à laquelle on peut confier toutes ses peines jusqu'à ce qu'elle explose et vous libère, car il y a peu d'avenir pour les femmes en Afghanistan (ou ailleurs) comme le précise l'auteur. Peu d'espoir de liberté, là où règne l'islamisme radical, le totalitarisme religieux et cela peut être vrai de n'importe quelle religion si elle rime avec intolérance, obscurantisme, mépris de la femme. Femme objet - viande pour reprendre une expression du livre-, objet de troc quand elle est enfant et qu'il s'agit de la donner à des vieillards concupiscents, objet sexuel, elle subit humilations, coups, viols, répudiation, elle est à la merci des hommes. Le livre est d'ailleurs écrit :

"à la mémoire de N.A. -poétesse afghane sauvagement assassinée par son mari-"...

J'ouvre le livre. Une prose très esthétique, -trop sans doute- car  je ne parviens pas tout de suite à entrer dans l'histoire. Trop belle, cette prose? trop recherchée? Je suis un peu déçue d'être trop attentive au style, d'être devant une porte ouverte sans pouvoir totalement y pénétrer. Je poursuis ma lecture, toujours interpellée par ces phrases simples, courtes, propositions indépendantes au présent de narration,  cette syntaxe  parfois désarticulée, groupes nominaux ou adjectifs isolés des substantifs, détachés par la ponctuation. Petites propositions rapides, donc, qui nous amènent à une lecture nerveuse semblable aux mouvements désordonnés de la femme qui gesticule dans la chambre, puis mots cadenassés par les deux points qui les encadrent : arrêt sur l'image, respirations par saccades du blessé. Mouvement/arrêt sur l'image. Alternance.
C'est donc de cette manière que j'entre dans le roman! Et certes, le style est efficace car naît devant mes yeux, dès les premières pages, une gerbe d'images; les couleurs d'abord : le cyan des murs, le rouge de la robe et puis la mise en place des personnages, cet homme allongé sur un grabat et cette femme dévidant son chapelet, une femme sous l'oeil de Dieu, soumise à la religion, recevant l'imam qui vient chaque jour lui rendre visite pour lui faire des reproches sur sa foi. Un huis-clos dans une chambre, un homme  mourant, immobile, une femme en mouvement, tous deux sur une scène de théâtre comme celle de Shakespeare, une représentation du Monde plein de bruits et fureur dont je suis spectatrice.
Un huis-clos avec un hors champ car le monde extérieur, lui, se manifeste par les bruits, pleurs des petites filles dans les autres pièces de la maison, prières du mollah, toux caverneuse de la voisine,  rumeurs de  la vie quotidienne  dans les rues, qui laissent de plus en plus place au tumulte de la guerre, explosions, tirs, cris, gémissements de douleur, interpellations des hommes armés, invocations d'Allah..  Et lorsque ces hommes - qui font la guerre parce qu'ils ne savent pas faire l'amour- pénètreront dans cette pièce  fermée, nous ne serons plus protégés de la violence et l'angoisse s'empare de nous. J'ai dit nous? Nous, bien sûr, non plus spectateurs, mais au coeur de la mêlée.
La prose travaillée d'Atiq Rahimi, savante dans sa simplicité, est toujours là et maintenant, je suis prise par sa musique, une petite musique obstinée, qui n'a rien à voir avec de grands rugissements à la Beethoven- Atiq Rahimi confiait qu'il écoutait tous les jours Le Chant du cygne de Shubert pendant qu'il écrivait son roman-  mais qui est âpre, mordante, violente dans sa retenue, qui surprend par la crudité des mots et de la pensée, qui fait mal, car elle exprime toute la souffrance des femmes humiliées.
Car le coeur du récit, ce n'est pas la guerre des hommes mais la lutte que mène la femme pour se libérer par étapes : en confiant les enfants à sa tante, elle les met à l'abri et n'est plus entravée par l'amour maternel; après le vol du Coran, elle ne se soumet plus à la religion;  en faisant de son mari, une pierre de patience, Syngue Sabour, elle vomit sa condition de femme, soumise au père d'abord, à la belle-mère, au mari ensuite, aux désirs de ses beaux-frères, au viol, à la prostitution, aux violences de la guerre. Elle se libère de toute sa haine, ses humiliations, ses souffrances jusqu'au moment où la pierre explosera et... ce sera pour elle la libération mais quelle libération! La seule issue, semble-t-il, possible pour la femme dans ce pays.
Car peut-on être heureuse en Afghanistan? C'est la question que pose le conte raconté par sa grand-mère et commenté par son beau-père qui, en vieux sage, en tire la leçon suivante :

Pour cela, (être heureuse) il faut  se résigner à un sacrifice, renoncer à trois choses : l'amour de soi, la loi du père et la morale de la mère!".

Et lorsque la femme demande si c'est réalisable : Il faut essayer, répond le vieil homme. Belle figure que celle de ce vieillard qui, s'il approuve le combat pour la libération du pays mené par ses fils, les renie lorsqu'ils ne font la guerre que pour le pouvoir. Et parce que Sage, il est, lui aussi, aussi condamné dans cette société de violence, rejeté par ses fils, maltraité par sa femme.
De plus, et c'est encore un des charmes de Syngue Sabour, cette intervention du conte  à la manière orientale dans un roman occidental. La confession de la femme, à propos du sage Hakim, qui pourrait sortir tout droit du livre Les Mille et une nuits,  prêterait à rire si elle n'était aussi tragique : superbe mélange des genres! On rit de ce qui arrive au mari mais l'on ne peut oublier ce que cela implique pour la condition féminine.
Puis, de temps en temps une inspiration à la Prévert :

La femme expire
L'homme inspire

la femme ferme les yeux
L'homme demeure les yeux égarés

quelqu'un frappe à la porte.

Avec çà et là, de purs moments de poésie :

La femme rouvre doucement les yeux.
Le vent se lève et fait voler les oiseaux migrateurs au-dessus de son corps.


Un très beau livre dans lequel il faut pénétrer lentement et dont la petite musique retentit dans votre tête longtemps après s'être tue.

voir  aussi Syngue Sabour (2): pour une interprétation du dénouement

Le film : Syngue Sabour
 Golshifteh Farahani dans Syngue Sabour

 Synopsis : Au pied des montagnes de Kaboul, un héros de guerre gît dans le coma ; sa jeune femme à son chevet prie pour le ramener à la vie. La guerre fratricide déchire la ville; les combattants sont à leur porte. La femme doit fuir avec ses deux enfants, abandonner son mari et se réfugier à l'autre bout de la ville, dans une maison close tenue par sa tante. De retour auprès de son époux, elle est forcée à l'amour par un jeune combattant. Contre toute attente, elle se révèle, prend conscience de son corps, libère sa parole pour confier à son mari ses souvenirs, ses désirs les plus intimes... Jusqu'à ses secrets inavouables. L'homme gisant devient alors, malgré lui, sa "Syngué Sabour", sa pierre de patience - cette pierre magique que l'on pose devant soi pour lui souffler tous ses secrets, ses malheurs, ses souffrances... Jusqu'à ce qu'elle éclate !

Le synopsis du film pourrait être aussi celui du roman dont il épouse la trame avec précision. Le film reste donc très proche de l'oeuvre écrite jusque dans le cadre, celui de la chambre, des couleurs et des rideaux qui portent des dessins d'oiseaux migrateurs comme dans le livre où ils prennent valeur de symbole et occupent une grande place au dénouement. Mais alors que le roman était le plus souvent un huis-clos enfermant la femme et l'homme blessé, le film, lui, s'aventure à l'extérieur et nous montre une ville en guerre, bombardée, chaotique, dangereuse. Les images sont très belles, la réalisation impeccable mais l'introduction du monde extérieur, le réalisme de la guerre enlèvent un peu la poésie du texte et son côté mystérieux qui sollicite l'imagination du lecteur. Bien souvent en lisant le texte de Atiq Rahimi, le lecteur se sent, en effet, dans un univers  qui offre un autre sens, dans la parabole, la fable ou même parfois le conte oriental. En voulant introduire l'action, le réel, en variant les angles de prises de vue, en focalisant sur la gestuelle dans le but d'introduire un langage cinématographique et peut-être aussi de ne pas lasser le spectateur, Atiq Rahimi perd un peu ce qui faisait la force de son texte écrit, la petite musique intérieure, et cela malgré les qualités évidentes du film.
Ce que j'ai regretté aussi par rapport au roman - et je ne comprends pas le choix des scénaristes- c'est la disparition du grand père qui me semblait essentiel. Il représente la sagesse et ce très beau personnage masculin évitait au récit de tomber dans le manichéisme. En effet, en le supprimant, le réalisateur semble dire que tous les hommes sont mauvais au risque de paraître caricatural.


L'actrice, Golshifteh Farahani, qui incarne la jeune femme est non seulement d'une grande beauté mais est aussi une remarquable interprète. Je lis dans un article du Nouvel Observateur (ICI) qu'elle est iranienne, vit en France et n'a plus le droit de retourner dans son pays.
"En bonne insoumise, elle a adopté la phrase de Brecht : « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. » Née dans la psalmodie des slogans, cinq ans après l’instauration de la république islamique, Golshifteh Farahani a dû quitter son pays. On l’accuse d’un seul et unique crime : en 2008, malgré l’embargo américain qui interdit toute transaction avec le régime des mollahs, la comédienne persane tourne, grâce à une mesure dite « d’exception culturelle », « Mensonges d’Etat », de Ridley Scott. "

Le rôle qu'elle interprète dans Syngue Sabour a été extrêmement important pour elle :
« Cette femme use de cet homme pour se libérer et j’ai usé du rôle pour me libérer, moi, analyse-t-elle. Gouverné par l’invisible, l’Iran vous apprend à mentir. Sur nos parents (les miens sont artistes, donc dans l’opposition), sur notre consommation d’alcool, sur nos lectures. Nous nous méfions des profs, des flics, de notre propre famille même. Prendre la parole impose de n’irriter personne, ni les gardiens de la révolution, ni les paysans, ni les classes moyennes. » Elle a tourné « Syngué Sabour » au Maroc sans obtenir le droit de se rendre en Afghanistan...
Un beau film, esthétique, mais...


Ecouter la musique de Schubert qui a inspiré l'auteur : Schwanengesang .



mardi 23 octobre 2012

George Sand : Cora, une satire du romantisme


 Théodore Chasseriau

Cora est un très court roman de George Sand. Il paraît en 1833, la même année que Lélia. Certes, ce n'est pas une oeuvre majeure dans l'immense production littéraire de l'écrivaine mais on y découvre une plume alerte, assez méchante envers les moeurs provinciales et pleine d'ironie envers les passions amoureuses. L'utilisation de la première personne entretient une ambiguïté. C'est sans nul doute le jeune homme qui dit "je" mais parfois on a l'impression que l'auteure se substitue à lui surtout quand il s'agit de s'amuser aux dépens du jeune homme tout en pratiquant l'auto-dérision. Il me semble à cet égard significatif que l'écrivain et son personnage portent le même prénom.

Georges est une jeune homme candide qui revient de l'île Bourbon et n'est pas trop au fait des coutumes des petites villes de Province française. Il a trouvé du travail dans l'administration des postes. Cependant, bien vite, il se fait admettre dans la société et il rencontre au bal une belle jeune fille nommée Cora dont il tombe follement amoureux. Mais Cora ne répond pas à son amour.


 George Sand

Une critique de la ville provinciale

George Sand pratique à l'égard de la petite ville de province qu'elle ne nomme pas un ironie certaine qui s'étend, avec plus de tendresse, à son héros dont la naïveté l'amuse.
L'apparition d'une nouvelle figure est un événement dans une petite ville, et, quoique mon emploi fût des moins importants, pendant quelques jours je fus, après un phoque vivant et deux boas constrictors, qui venaient de s'installer sur la place du marché, l'objet le plus excitant de la curiosité publique et le sujet le plus exploité des conversations particulières
Les exigences de la mode et ses ridicules sont ainsi dénoncés. Les habitants la petite ville le méprisent tant qu'il n'est pas habillé à la française;  tout le monde  se moque de sa tenue vestimentaire mais l'apprécie quand il se vêt d'une manière qu'il juge pourtant ridicule! L'habit fait le moine, il devient alors fréquentable.
 La satire du bal provincial est aussi très nette, ce qui fait ressortir l'ingénuité du jeune homme prêt à tout admirer dans son enthousiasme juvénile :
La salle était un peu froide et un peu sombre, un peu malpropre; les banquettes étaient bien tachées d'huile ça et là, les quinquets jouaient bien un peu, sur les têtes fleuries et emplumées du bal, le vieux rôle de l'épée de Damoclès, le parquet n'était pas fort brillant, les robes des femmes n'étaient pas toutes fraîches(…) et pourtant c'était une charmante fête, une aimable réunion…

Une satire du romantisme

Jeune romantique Désiré François Laugée

George Sand s'amuse aussi en faisant de son personnage un jeune romantique rêveur, tellement nourri de lectures qu'il perd de vue la réalité, idées romantiques qu'il transforme parfois en clichés. Ainsi quand il parle du suicide et du poison dans une coupe, il s'interrompt :
 Je dis coupe parce qu'il n'est pas séant et presque impossible de s'empoisonner dans un vase qui porte un autre nom quelconque.

Il me rappelle Théophile Gautier, Gérard de Nerval et leurs amis, jeunes romantiques exaltés, en train de boire dans un crâne que Gérard a volé à son père, chirurgien aux armées!.
 Le jeune homme s'exalte en comparant son amoureuse qui est fille d'un épicier à une "reine espagnole", à "l'ange de Rembrand" et en faisant l'héroïne d'un roman du "grand" Walter Scott, la Juliette de Shakespeare ou un être magique issu des contes d'Hofmann :
Pour mon malheur aucune créature sous le ciel ne semblait être un type plus complet de la beauté fantastique et de la poésie allemande que Cora aux yeux verts et au corsage diaphane.

L'écrivaine ménage même une digression pour disserter des goûts littéraires de la jeunesse actuelle en opposition à ceux des vieux bourgeois. Là encore elle me rappelle le Gautier du petit Cénacle!

La cristallisation amoureuse

aquarelle de MAG  : la cristallisation (source)

Sand décrit avec une précision admirable le coup de foudre ressenti par le jeune homme, autrement dit le processus de cristallisation de l'amour comme si elle s'était imprégnée du texte de Shendhal :
Aux mines de sel de Salzbourg, on jette dans les profondeurs abandonnées de la mine un rameau d'arbre effeuillé par l'hiver ; deux ou trois mois après, on le retire couvert de cristallisations brillantes (…) Ce que j'appelle cristallisation, c'est l'opération de l'esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l'objet aimé a de nouvelles perfections  écrit Stendhal.

Voilà l'application de cette analyse à notre héros Georges dans les sentiments qu'il éprouve pour Cora:
Elle était extraordinairement brune pour le climat tempéré où elle était née; mais sa peau était fine et unie comme la cire la mieux moulée.

Quand on sait que, au XIXe siècle, la blancheur du teint est un critère de beauté absolu, on comprend combien le processus d'idéalisation est puissant!

La cristallisation donne lieu à des situations cocasses : Quand Georges s'aperçoit que Cora lit des romans sans valeur et qu'elle est inculte: "je rentrai chez moi enthousiasmé de Cora dont l'ignorance était si candide et si belle. 
Quand Cora lui tend un billet, il croit à une déclaration d'amour alors que c'est une note d'épicerie, il en tombe presque malade et puis : "Ingrat! pensais-je, tu te révoltes parce qu'un mémoire de savon et de chandelle a été rédigé et présenté par Cora, tandis que tu devrais baiser la belle main

Un roman d'initiation

Le roman est donc un roman d'initiation amoureuse où Georges,"de nature inflammable et contemplative" va faire connaissance de l'amour et de ses revers. Cette expérience va le transformer et peut-être lui ôter sa naïveté et sa sincérité en tout cas ses illusions. Sand fait preuve d'une connaissance assez désabusée de la nature humaine et la fin du roman est bien pessimiste. Si le jeune homme a beaucoup souffert, la femme mariée et mère ne s'en sort pas mieux. La peinture de la condition féminine en province au XIXe siècle n'est pas enviable!





samedi 30 juin 2012

Un livre/ Un film : Enigme n° 39




Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
Pendant les vacances, nous arrêtons le jeu Un livre/ Un film


Enigme 39


Pour cette dernière énigme avant les vacances, je présente le roman autobiographique (prix Goncourt) d'une  écrivaine française qui y raconte son adolescence.

Et puis elle demande : écrire quoi? Je dis des livres, des romans. Elle dit durement : après l'agrégation de mathématiques tu écriras si tu veux, ça ne me regardera plus. Elle est contre, ce n'est pas méritant, ce n'est pas du travail, c'est une blague -elle me dira plus tard : une idée d'enfant.

La petite au chapeau de feutre est dans la lumière du fleuve, seule sur le pont du bac accoudée au bastingage. Le chapeau d'homme colore de rose toute la scène. C'est la seule couleur. Dans le soleil brumeux du  fleuve, le soleil de la chaleur, les rives se sont effacées, le fleuve paraît rejoindre l'horizon.

mercredi 23 mai 2012

Déshonorée de Mukhtar Mai, une soeur de Syngue Sabour



J'ai vu un jour au journal télévisé le procès de ce jeune homme d'origine pakistanaise qui a odieusement brûlé une jeune fille dans une banlieue française. Motif? Elle avait rompu avec lui.
Et lorsque l'on interviewe le père sur ce qu'il pense de la conduite de son fils, il répond : "il a fait une bêtise!" Une bêtise! Quel euphémisme par rapport à un tel acte de barbarie ! Mais peut-être - ai-je pensé- cet homme ne possède-t-il pas assez la langue française pour en connaître les nuances?

Or voilà qu'à la bibliothèque, sans l'avoir cherché, je tombe sur le livre de Muktar Mai exposé sur un présentoir, bien en évidence comme pour répondre à mes questions. Le livre s'intitule : Déshonorée.

Il s'agit du témoignage d'une jeune femme pakistanaise, du clan des Gujjar, Muktar Mai, condamnée par le tribunal tribal de son village à un viol collectif devant tout son village. En effet, le jeune frère de Muktar Mai a osé parler à un fille du clan des Mastoï, fermiers guerriers belliqueux, de caste supérieure, qui imposent leur loi aux Gujjar. Et qu'importe que le garçon n'ait que 12 ans et la fille 20 ans! Violée, humiliée et désespérée, la jeune fille souhaite d'abord se suicider comme la plupart des femmes de ce pays soumises à de semblables brutalités, considérées comme déshonorées, et qui ne trouvent aucune autre issue. Mais elle finit par décider de se battre et porte plainte. Dès lors sa vie est menacée. La présence d'un journaliste qui publie un article dans un journal attire l'attention de tout le pays et bientôt du monde entier sur son cas. Un mouvement de solidarité se fait jour autour d'elle. Elle est mise sous la protection de la police, c'est pourquoi elle est toujours en vie aujourd'hui.

Pour une femme qui refuse la violence et survit, combien meurent, combien sont enterrées sous le sable, sans tombe, sans respect.

Si quatre des agresseurs de Muktar Mai ont été condamnés lors du premier procès sous la pression internationale, ils ont été ensuite innocentés quelques années après, en appel. Pendant le second procès, en effet, la coupable toute désignée a été, en effet, la jeune femme!

On m'a traduit des commentaires dans la presse nationale, voulant démontrer que la femme pakistanaise n'avait qu'un devoir, celui d'être au service de son mari, que la seule éducation pour une fille devait venir de sa mère, et que, en dehors des textes religieux, elle n'avait rien à apprendre. Que le silence de la soumission.
Il apparaît sournoisement dans ce tribunal que je suis coupable de ne pas respecter ce silence.


Mais Muktar Mai (Soeur aînée ainsi que la nomme ses élèves) n'a pas abandonné son combat. Elle fait appel une fois de plus*. A l'heure actuelle, elle vit dans son village et a ouvert une école pour apprendre aux filles à lire et écrire, car seule l'instruction leur permettra de s'en sortir, espère-t-elle.

Ma petite école semblait bien menue dans ce flot de malheurs. Minuscule pierre plantée quelque part dans le monde, pour tenter de changer l'esprit des hommes.Donner à une poignée de fillettes l'alphabet qui de génération en génération ferait lentement son travail. Enseigner à quelques gamins le respect dû à leur compagne, leur soeur, leur voisine.. C'était si peu encore.

Notons que le gouvernement pakistanais accepte de payer le salaire d'un instituteur pour les garçons mais pas pour les filles!! Muktar Mai a pu construire son école et assurer le salaire des enseignants pour les filles grâce à l'aide internationale et en particulier au Canada.

Lire son histoire, c'est donc découvrir le statut de la femme en général au Pakistan :

Qu'il s'agisse de divorce, d'infidélité supposée ou de règlements de compte entre hommes, la femme paie le prix fort. On la donne en compensation d'une offense, elle est violée par un ennemi de son mari, en guise de représailles. Il suffit parfois que deux hommes entament une dispute sur un problème quelconque, pour que l'un se venge sur la femme de l'autre. Dans les villages, il est courant que les hommes se rendent eux-mêmes justice, invoquant le dicton oeil pour oeil. Il est toujours question d'honneur, et tout leur est permis. Trancher le nez d'une épouse, brûler une soeur, violer la femme de son voisin.
Alors que la sexualité est un tabou, que l'honneur de l'homme dans notre société pakistanaise est justement la femme, il ne trouve de solution que dans le mariage forcé ou le viol. Ce comportement n'est pas celui que le Coran nous enseigne.

Ou encore

Zafran Bibi, une jeune femme de vingt six ans, a été violée par son beau-frère et s'est retrouvée enceinte. Elle n'a pas renié cet enfant et a été condamnée à mort par lapidation en 2002, car l'enfant représentait une preuve de zina, le péché d'adultère. Le violeur n'a pas été inquiété.(...)
Elle ne sera pas lapidée mais risque de passer plusieurs années en prison, alors que son violeur, lui, est protégé par la loi.


Une autre femme m'attend, le visage à demi couvert par un voile usé; sans âge, épuisée par les travaux domestiques. Elle a du mal à parler. Elle montre simplement son visage, discrètement, honteuse. Et je comprends; l'acide en a dévoré la moitié. Et elle ne peut même plus pleurer. Qui a fait ça? Son mari. Pourquoi? Il la battait, elle n'était pas assez rapide pour le servir à son aise.
La moitié des femmes dans notre pays subissent des violences. Soit on les marie de force, soit on les viole, soit les hommes s'en servent comme monnaie d'échange. Peu importe ce qu'elles pensent car, pour eux, il ne faut surtout pas qu'elles réfléchissent. Ils refusent qu'elles apprennent à lire et à écrire, qu'elles sachent comment va le monde autour d'elles. C'est pour cela que les femmes illettrées ne peuvent pas se défendre : elles ignorent tout de leurs droits, et on leur dicte leur propos pour tenter de briser leur révolte..

Ce témoignage  nous rappelle donc la fragilité de la condition féminine partout  dans le monde  et la nécessité de rester toujours vigilant face à tout ce qui va à l'encontre des droits des femmes y compris dans notre pays.



*voir  l'article suivant  du 8/03/2006 qui fait le bilan de la condition des femmes  : Atlas vista : Asie du Sud: malgré Mukhtar Mai, les crimes d'honneur restent quotidiens

Un article

voir article le Figaro  15/10/2007

voir The NYTimes Novembre 2008 blog Kristof


mercredi 17 août 2011

Comment peut-on être français? de Chahdortt Djavann



 Après La Muette  de Chahdorrt Djavann, écrivaine iranienne, réfugiée en France depuis 1993, voici 
Comment peut-on être français? Ce roman en partie autobiographique raconte l'histoire d'une jeune iranienne, Roxane,  arrivant à Paris pour fuir son passé et le fanatisme religieux de son pays.


Le roman débute comme un conte et finit en tragédie dans un glissement progressif vers la tristesse et la noirceur.
C'est d'abord l'arrivée de la jeune femme et sa découverte de Paris. Elle  se sent heureuse devant tant de beauté, exaltée de se sentir si libre, de pouvoir aller tête nue dans les rues de Paris sans être sous la surveillance de la police des moeurs ou sans craindre le harcèlement et la lubricité habituels des hommes de son pays. Paris, c'est d'abord pour elle, ces grands hommes qui se nomment Hugo, Molière, Voltaire, Balzac... Paris, ses monuments historiques, ses promenades au bord du fleuve,"l'or de toitures et des statues, les reflets de la ville dans la Seine", Paris et l'abondance de ses cafés, des bistros, des restaurants, Paris et ses supermarchés  regorgeant  de marchandises qui consacrent définitivement la différence entre le tiers monde et les autres pays .
"Pour Roxane qui avait rêvé des années de cette contrée magique, qui pour y arriver avait attendu des années et traversé des frontières à pied, ça n'allait pas de soi qu'il y eût des gens qui vivaient depuis toujours à Paris, des gens qui étaient nés à Paris. Une évidence si évidente était l'étrangeté la plus étrange qui fût pour Roxane.
Comment peut-on naître à Paris?"
Puis la jeune femme se trouve aux prises aux difficultés rencontrées par les immigrés.  Une vie étriquée dans une chambre de bonne de 10m2, des petits boulots qu'elle doit multiplier pour gagner seulement de quoi survivre. Elle découvre un art de vivre léger et agréable qui lui est refusé par manque de moyen financier et aussi parce qu'elle est marquée par une éducation qui  lui refuse le droit d'être heureuse :
"Qu'y a-t-il de mal, après tout, à vouloir jouir de l'existence? La misère, que je sache, n'est pas une vertu, mais un malheur. Les tartuffes qui font de la misère vertu pensent surtout à la vertu des autres et savent quant à eux se protéger de la misère."
Roxane s'attaque à l'apprentissage de la langue française qu'elle aime mais qui lui échappe car elle voudrait la vivre par l'intérieur comme si elle était française, pour oublier son passé iranien. Ses difficultés, ses doutes, l'angoissent et la rongent inexorablement. On ne peut se renier soi-même sous peine de se perdre.  Des allers-retours  par le souvenir entre la France et l'Iran, entre présent et passé  révèlent peu à peu le vécu  la jeune femme.  Ainsi au style allègre, humoristique du début  a succédé un  ton grave désespéré  : "je courais en avant pour fuir mon passé, mais il courait plus vite que moi, il m'a rattrapée."
Et pourtant, elle aime la France et surtout Paris  "Mon coeur est à Paris. C'est à Paris que je peux vivre. ". Mais ce qui lui pèse le plus dans notre pays, ce n'est pas le manque d'argent mais la solitude :
"Pour pleins de bonnes intentions qu'ils soient, beaucoup de français manquent d'attention et vous pouvez dépérir à côté d'eux, vous consumer à petit feu et glisser insensiblement à la dernière extrémité sans qu'ils s'en aperçoivent, vous gratifiant imperturbablement le matin d'un "ça va?" sans curiosité et le soir d'un "salut!" sans attente, trop préoccupés d'eux-mêmes ou trop accablés de soucis."
Au cours de ses études, elle rencontre Montesquieu et les Lettres Persanes. Ce texte est une révélation et elle décide d'écrire à l'auteur comme au seul ami qu'elle ait en France. Le prétexte des lettres est une dénonciation du totalitarisme religieux et de la violence qui est faite aux femmes en Iran. Le comment peut-on être persan? de l'un renvoie donc au comment peut-on être français? de l'autre. Comme Charles de Montesquieu critiquaient les persans pour mieux juger de la société française de l'époque, Roxane critique les français pour mieux s'attaquer au manque de liberté de la société iranienne. Ainsi les jeunes filles ou jeunes gens peuvent être arrêtés et emprisonnés pour indécence.
 "Les attitudes coupables sont en règle générale : une mèche de cheveux de la jeune femme qui dépasse, le maquillage de la jeune femme, le rire de la jeune femme en plein milieu d'une rue, car en pays d'islam la voix de la femme doit se faire discrète, l'échange d'un regard amoureux entre les  jeunes  mariés surpris par  l'oeil attentif d'un passdaran, ou encore le fait que les jeunes mariés aient eu la vulgaire idée occidentale de se donner la main."
"Bien que tout soit interdit dans ce pays, tout y est possible. La bourgeoisie petite ou grande, les riches nouveaux ou anciens boivent de l'alcool, baisent sans être mariés (mais sans jamais l'avouer), regardent les dvd et les chaînes câblées, font des fêtes ou hommes et femmes dansent ensemble. Dans les quartiers pauvres, cent fois plus nombreux et cent fois plus peuplés, la prostitution , l'héroïne, les trafics de tout genre, les viols de tout genre et surtout le viol des fillettes font des ravages."
Toutes les lettres de Roxane ne sont pas rédigées de la même manière même si elle s'identifie constamment à la Roxane des Lettres persanes. Elle a parfois le ton naïf d'une petite fille, s'excusant de ses fautes d'orthographe. Il ne faut pas oublier que la plume est  supposée tenue par une étudiante modeste s'adressant à un grand philosophe. Mais elles prennent bien vite un ton très juste lorsqu'elle parle de notre société de consommation, de l'égoïsme et de  l'individualisme du monde occidental. Et elles empruntent le style du pamphlet, révoltée et âpre, quand elle parle du régime des mollahs, et de la condition de la femme en Iran, des malheurs du peuple iranien.
Je pense qu'aucun lecteur ne peut rester indifférent aux propos de  l'écrivain.

Article publié de mon ancien blog Ma librairie vers  celui-ci.

vendredi 5 août 2011

La Muette de Chahdortt Djavan



 La Muette raconte sans fioritures, ni pathos, le sort des femmes en Iran quand elles ne se plient pas aux règles imposées par un pouvoir religieux totalitaire.
Le récit est raconté par une jeune fille de quinze ans et nous donne un choc dès le début : "J'ai quinze ans, je m'appelle Fatemeh mais je n'aime pas mon prénom. Je vais être pendue bientôt".
En prison, en attendant la mort, elle raconte dans un petit cahier qu'un gardien compatissant lui a donné, comment sa tante, la Muette, a été condamnée à la lapidation pour s'être donnée à l'homme qu'elle aimait. Pour éviter cette mort horrible, le père de Fatemeh, frère de la Muette, donne  sa propre fille en mariage au mollah, un vieil homme concupiscent, qui accepte d'intervenir pour commuer la lapidation en pendaison. Fatemeh n'a que 13 ans, elle va être violée par le vieillard, privée de liberté, de livres, d'études, transformée en esclave et bientôt mère d'une enfant dont elle hait le père. Sans appui, sans soutien, elle ne peut se libérer que par un geste horrible qui la fera condamnée à mort.
Le style de Chahdortt Djavann se refuse à tout sentimentalisme. Epuré, sobre, il n'a pas besoin d'effet pour atteindre son but. J'admire cette femme, écrivain, et ses propos courageux et lucides.

7 mai , 2007  Chahdortt Djavann : 

"On peut aujourd’hui mesurer la perversité du double langage auquel ont recours les islamistes pour défendre l’oppression des femmes au nom de la liberté individuelle et la barbarie religieuse au nom de la liberté culturelle.
Hani Ramadan, le frère de Tarik Ramadan, qui défend officiellement la lapidation des femmes et l’exécution des homosexuels au nom de la charia, a été invité à l’UNESCO, le dimanche 18 janvier (2004), pour défendre ses idées, dans le cadre d’un colloque sur la laïcité et la démocratie.
Bien entendu, il devait débattre avec quelques intellectuels français. Ainsi se trouve porté à son comble l’escroquerie intellectuelle qui consiste à débattre avec les apologistes de la torture et de l’assassinat, à banaliser l’horreur, comme si la liberté était la liberté de tout faire, comme si le fascisme et la défense de la lapidation étaient une opinion.
Je suis véhémente, j’ai la rage au cœur et je n’arrive pas à comprendre qu’on accepte de débattre ” démocratiquement ” avec les islamistes qui défendent au nom des lois d’Allah les images de la barbarie institutionnelle."

26 Mai 2007 Chahdortt Djavann

"Dans tous les systèmes les plus barbares, on voile les femmes. Pourquoi le supporte-t-on [en Europe]? Parce qu’il s’agit de femmes et de musulmanes. Au nom de la différence culturelle ? Pourquoi ne pas accepter la lapidation et l’excision en ce cas ? Dans tous les pays musulmans, il y a des mariages de jeunes mineures avec des messieurs vieillissants. C’est une différence culturelle, n’est-ce pas ? Mais ici elle est considérée comme un délit : la pédophilie. Qu’en pensent ces intellectuels et les islamologues ?"

Article de mon ancien blog

samedi 23 juillet 2011

Marie Ndiaye : Trois femmes puissantes

Marie Ndiaye

 

 

  A l'occasion du jeu de l'été où j'ai cité un passage de Trois femmes puissantes, je republie cet article de mon ancien blog vers le nouveau.

Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye, publié chez Gallimard, a reçu le prix Goncourt 2009. A priori, le sujet m'attirait et j'avais envie aussi de voir ce qu'il en était de la controverse entre la majorité du jury du Goncourt et Jorge Semprun (un auteur que j'admire) quant au bien fondé de l'attribution de ce prix.
J'ai voulu me faire une idée personnelle.
Trois femmes puissantes : le titre annonce la couleur. il s'agit de trois récits présentant tout à tour des femmes qui, par leur refus de se soumettre à l'adversité et leur volonté de préserver leur dignité, parviennent, alors même qu'elles sont des victimes, à être plus fortes que ceux qui les humilient : des femmes puissantes, donc, ce qui célèbre la force de l'esprit sur la force brute.
Norah est en visite à Dakar, chez son père, à sa demande expresse. Celui-ci ne l'a jamais aimée. Il a quitté la France en abandonnant sa femme et ses deux filles et en arrachant Sony, son fils, à sa mère et à ses soeurs pour l'amener chez lui, au Sénégal. Toute la famille a été brisée par cet acte égoïste et contre-nature et depuis cette rupture, depuis ce déchirement, "un démon s'était assis sur son ventre et ne l'avait plus quitté".
Norah est maintenant avocate et son père a besoin d'elle pour prendre la défense de Sony accusé d'avoir assassiné sa belle-mère. Norah va trouver en elle la force de surmonter le traumatisme de l'enfance et le courage de sauver son frère, innocent.
J'avoue que j'ai été assez déconcertée par la conduite de ce récit. J'y suis rentrée très lentement et n'ai pas adhéré tout de suite à l'histoire car le style, froid et élégant, composé de longues phrases qui nous entraînent dans le labyrinthe d'une pensée qui se cherche, crée une résistance. Puis au moment où les personnages commençent à m'intéresser et où je me sens impliquée, voilà que c'est terminé! Le récit suivant commence! J'aurais voulu comprendre la psychologie du personnage, en savoir plus sur le cheminement qui lui permet de prendre le dessus, m'intéresser à son combat. Or, j'ai eu l'impression d'une ellipse, de quelque chose qui se dérobait, d'une volonté de l'auteur de ne pas nous montrer la logique du personnage, de ne pas aller au bout du récit  Je sais bien, la littérature classique française nous a habitués à pénétrer dans la pensée des personnages par le truchement d'un narrateur omniscient qui nous en donne toutes les clefs mais il n'en est jamais ainsi dans la réalité. Chaque être garde sa part d'intimité. Il est donc légitime de la part de Marie Ndiaye de vouloir préserver le mystère de ses personnages mais je me suis sentie pourtant en état de manque.

Le second récit, celui que j'ai le plus aimé parle de Fanta. La jeune Sénégalaise, ramenée en France - où elle n'a pu s'intégrer- par son mari, Rudy, n'apparaît jamais directement dans le récit. Elle est vue selon le point de vue de Rudy (et à la fin de sa voisine). C'est à travers le regard de cet homme que se dessine le portrait d'un petit bout de femme inflexible, qui refuse d'abdiquer sa dignité, de feindre des sentiments qu'elle n'éprouve plus face à la violence de son mari. Le personnage de Rudy, haineux, désespéré, plein de fureur, est complexe. Il est à la fois odieux, pitoyable et attachant. J'ai bien aimé comment se révèlent peu à peu les véritables raisons de son échec et de sa déchéance, un peu comme des morceaux de puzzle qui s'emboîteraient ... Comment lui aussi parvient à régler ses comptes avec son père (un leit-motiv?) et sa mère, et s'affranchir de son passé.
Ce récit m'a paru plus achevé que le précédent même si tout n'est pas dit et s'il soulève des interrogations. Quelle est cette buse vindicative qui s'attaque à Rudy à plusieurs reprises? Faut-il y voir une irruption du fantastique dans un récit pourtant très réaliste? L'oiseau semble symboliser la volonté et la puissance de Fanta mais au moment où l'on croit qu'il n'est qu'une projection de l'esprit de Rudy en proie au délire, il est aussi perçu par l'enfant. Et comment peut être interprété le sourire de Fanta à sa voisine dans le dénouement? comment sait-elle que son mari lui ramène son fils? Est-ce une promesse d'un bonheur retrouvé? Et là, contrairement au précédent, j'aime bien que l'écrivain nous laisse à nos interrogations et ne nous conduise pas par la main.

La dernière histoire, celle de Khady Demba, est la plus rapide, la plus brutale. C'est le parcours d'un jeune fille chassée par la famille de son mari défunt et qui a pour seule issue de quitter son pays clandestinement. Les violences, les souffrances physiques et morales qu'elle subit au cours de ce voyage vers une terre d'accueil qu'elle ne verra jamais ne pourront venir à bout de la conscience de son identité et du caractère unique de sa personne, elle... Khady Demba!
Le récit qui est pourtant le plus tragique des trois m'a paru froid. Il est extrêmement maîtrisé et bien écrit (encore une très belle image d'oiseau entre autres) avec un refus de la dramatisation évident. Mais mon admiration pour l'art de l'écrivain a été purement intellectuelle et je ne suis pas parvenue à éprouver de l'émotion et à participer entièrement.

jeudi 16 juin 2011

La Charte des droits de la femme

 

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Camille Claudel
Samedi 21 Mai est paru dans le Monde un appel des associations féministes  Paroles de femmes, La Barbe, Osez le Féminisme qui disent leur colère après l'affaire Strauss-Kahn qui a soulevé en France des réactions sexistes vis à vis de femmes tendant à minimiser la gravité du viol et à en rendre la femme responsable.
Je cite ces extraits :
Nous ne savons pas ce qui s'est passé à New York samedi 14 mai mais nous savons ce qui se passe en France depuis une semaine. Nous assistons à une fulgurante remontée à la surface de réflexes sexistes et réactionnaires, si prompts à surgir chez une partie des élites françaises.
Ces propos tendent à minimiser la gravité du viol, tendent à en faire une situation aux frontières floues, plus ou moins acceptable, une sorte de dérapage. Nous le rappelons : "le viol et la tentative de viol sont des crimes", dit le texte de la tribune publiée sur le site internet du Monde.
Et elles ajoutent :
Ces propos illustrent l'impunité qui règne dans notre pays quant à l'expression publique d'un sexisme décomplexé. Autant de tolérance ne serait acceptée dans nul autre cas de discrimination.
Dans leur collimateur - entre autres- et à juste titre Jean-François Khan
LE RETOUR DES SOUBRETTES SELON JEAN-FRANCOIS KAHN
L'association Paroles de femmes est choquée par les propos et de Jean-François Kahn.
Son expression : « le troussage d'une domestique » montre non seulement son mépris pour les classes sociales populaires mais traduit également sa confusion entre viol et simple badinage amoureux. Réduire la victime à son rang social est indigne.
Son expression comme sa réaction nous plonge dans les pièces de Molière ou de Marivaux, à des temps anciens où la France était une monarchie. Nous souhaitons lui dire que le viol est un crime, punissable par la loi, que le droit des femmes a quelque peu évolué depuis le 18e siècle. Cette phrase tout comme son rire est d'une indécence inexcusable. Il n'a peut-être pas conscience de la souffrance de ce que sa phrase va provoquer chez les femmes victimes de viol et de violences.
Nous l'invitons à nous suivre dans nos campagnes de sensibilisation et de prévention que nous faisons quotidiennement auprès des adolescents dans les collèges et dans les centres de détention auprès de violeurs qui ont entre 13 à 17 ans.
Et à écouter sur notre site le Slam contre le viol écrit par Junajah pour notre campagne contre le viol.
Olivia Cattan, présidente de paroles de Femmes
Fadila Mehal, Présidente des Mariannes de la diversité
Voir l'article complet dans Paroles de Femmes
Ces associations nous invitent tous, femmes ou hommes à signer la pétition pour  La charte universelle des droits de la femme

Voir aussi le texte de Gisèle Halimi  dans Le Parisien :
On imagine une immigrée africaine allant porter plainte dans un commissariat du 19e arrondissement. « Bonjour, j'ai été violée par DSK », et la suite des événements. Pour Gisèle Halimi, 84 ans, avocate féministe, le fait de voir Dominique Strauss-Kahn, un homme puissant, encadré par des policiers, au tribunal, cela montre à quel point il n'y a pas dans ce pays de justiciable VIP.

18 réponses à La Charte des droits de la femme

  1. Excellent! Il était temps. je suis excédée par toutes les outrances de trop nombreux journalistes français ici et là. Bien d’accord avec Gisèle Halimi. Je signe la pétition.
    Rédigé par : Mango | le 22 mai 2011 à 03:05 | Répondre | |
  2. Moi aussi! On se gaussait de Berlusconi mais on a la même chose chez nous
    Rédigé par : miriampanigel | le 22 mai 2011 à 04:15 | Répondre | |
  3. J’ai entendu l’émission sur France Culture où s’exprimait J.F. Kahn et je n’en ai pas cru mes oreilles. Mais les autres hommes présents n’étaient pas mieux, je crois que c’est Caroline Fourest qui a relevé pour dire qu’on ne parlait pas de lutinage, mais de viol et qu’il y avait une sacré différence. C’est très révélateur de la complaisance en France vis-à-vis des violences faites aux femmes. Pour moi le pompon c’est tout de même Jack Lang.
    Rédigé par : Aifelle | le 22 mai 2011 à 05:06 | Répondre | |
  4. @ Mango et miriam : j’ai fait de même! On n ‘en est pas encore à Berlusconi mais pas loin. C’est vrai qu’en France une femme n’aurait aucune chance contre un homme de pouvoir. La réaction de ces messieurs qui tiennent la presse et des politiques nous le montrent bien! De toutes façons chaque fois qu’un homme politique est jugé, il en sort blanchi, écrit un livre et vient nous faire la morale à la télé. La justice et la presse ne sont pas indépendants du pouvoir; on s’en aperçoit chaque jour. c’est pourtant le principe de base d’une démocratie!
    Ah! mais peut-être ne sommes-nous pas tout à fait dans une démocratie?
    Rédigé par : claudialucia | le 22 mai 2011 à 06:12 | Répondre | |
  5. @ Aifelle : je n’ai pas écouté l’émission mais je suis vraiment outrée par tous ces propos! Jack Lang est le seul qui se soit excusé. Il a précisé qu’il n’avait pas voulu minimiser le viol. Il a écrit à Paroles de femmes et il a signé la charte. C’est déjà ça!
    Rédigé par : claudialucia | le 22 mai 2011 à 06:14 | Répondre | |
  6. J. François Kahn s’est excusé aussi, il a jugé lui-même son propos inqualifiable. Par contre, il n’arrange pas son cas en expliquant qu’il avait un peu chargé la veille sur Europe 1 « sous le coup de l’émotion » donc il a essayé de tempérer le lendemain (sic). Il essaie de se justifier en disant qu’il est très proche d’Anne Sinclair, c’est une grande amie. Ma réflexion à moi c’est : une preuve supplémentaire de la collusion politique-journaliste à haut niveau. Et quand on est un bon professionnel, sous le coup de l’émotion, on peut toujours choisir de se taire …. ceux qui voulaient parler ne manquaient pas. Je pense que là on est sur le problème des égos surdimentionnés, toujours prompts à se mettre en avant. J’ignorais que Jack Lang s’était excusé.
    Rédigé par : Aifelle | le 22 mai 2011 à 07:59 | Répondre | |
  7. il est vrai que l’on peut reprocher beaucoup de choses à la justice américaine, mais au moins, elle a écouté une femme de chambre immigrée…
    Rédigé par : choupynette | le 22 mai 2011 à 08:18 | Répondre | |
  8. Je pourrais avoir écrit ton billet et chacun des commentaires, je partage votre point de vue et pendant quelques jours je me suis sentie presque agressée moi même, il semble que la classe politique dans son entier et les médias connaissaient parfaitement les dérives de DSK, ce qui revient le plus souvent c’est « cavaleur » « coureur » et même « libertin » ce qui prouve que ces messieurs ont bien peu de culture le terme de libertin est bien loin de ce sens là
    Cela va bien au delà de l’appartenance politique de DSK à un parti, cela veut dire que ce type de comportement est admis alors qu’il s’agit de délit, le harcèlement sexuel est un délit, les propos graveleux à l’encontre d’une femme aussi
    je regrette d’avoir manqué l’émission dont parle Aifelle mais je vous mets le lien vers une intervention sur RMC tout à fait édifiante
    http://www.youtube.com/watch?v=RGfe4dRgbQA&feature=youtu.be
    Rédigé par : Dominique | le 22 mai 2011 à 08:27 | Répondre | |
  9. Les propos de J-F Kahn sont d’un autre temps, ceux de Lang stupide et tous font preuve du machisme et de l’élitisme le plus moyen-âgeux, c’est à vomir.
    Appel signé et j’espère être à temps ce soir pour le rassemblement.
    Rédigé par : Océane | le 22 mai 2011 à 11:21 | Répondre | |
  10. Lu, approuvé et signé.
    Aujourd’hui dimanche 22 mai à 14h24, j’ai recherché le nom de Jack Lang dans cette page :
    http://www.parolesdefemmes.org/index.php?option=com_petitions&view=petition&id=46&limitstart=360
    en prenant bien soin d’afficher la totalités des signataires (380 à cet instant-là) et il n’apparaît pas !…
    Rédigé par : Tilia | le 22 mai 2011 à 12:45 | Répondre | |
  11. si je m’étais trouvée à Paris aujourd’hui j’aurais rejoint ce rassemblement. on fait toujours le procés des femmes musulmanes, mais on ferait bien de balayer devant notre porte:la condition féminine dans les pays occidentaux n’est pas un exemple non plus, et si cette sordide affaire pouvait un peu réveiller les consciences dans ce domaine, y compris des plus jeunes, ce serait une bonne chose.
    Rédigé par : sophie57 | le 22 mai 2011 à 12:45 | Répondre | |
  12. @ Aifelle : va voir l’article dans Paroles des femmes (j’ai donné le lien) tu verras l’explication de Jacques Lang. Je suis d’accord avec toi. Comment peut-on avoir une presse indépendante du pouvoir? Ou ce sont des amis qui font partie de la même classe et défendent des intérêts communs,ou ils n’ont pas la liberté d’écrire car ils se feraient virer. Il suffit de voir à qui appartiennent les journaux. Se poser la question : Qui les dirige vraiment?
    Rédigé par : claudialucia | le 22 mai 2011 à 14:04 | Répondre | |
  13. @ choupynette : Elle l’a écoutée mais jusqu’à quand? je ne crois pas beaucoup à la justice américaine! Chez eux tout se finit pas des transactions financières, si l’accusé est riche, il achète la partie adverse, s’il est pauvre, il va en prison.
    Rédigé par : claudialucia | le 22 mai 2011 à 14:06 | Répondre | |
  14. @ dominique : Oui, tu as raison, on se rend compte combien on se fait tromper par cette classe politique et les médias (et qu’importe leur appartenance) qui n’a aucune probité.
    Rédigé par : claudialucia | le 22 mai 2011 à 14:14 | Répondre | |
  15. A Tilia : voilà ce qu’écrivent les responsables de Paroles de Femmes (voir le lien dans mon blog pour l’article complet.)
    « L’ancien ministre Jacques Lang a contacté l’association paroles de femmes afin de lui expliquer que le propos « il n’y a pas mort d’homme » ne désignait pas le viol en lui-même mais que cette phrase avait été sortie de son contexte. Il a déclaré « être un militant féministe depuis de nombreuses années ». Il a manifesté son soutien à Paroles de femmes pour ses actions concernant son programme de sensibilisation auprès des collégiens concernant l’égalité hommes-femmes et sa lutte contre les violences et la précarité. Nous nous réjouissons également de sa signature concernant notre Pacte féminin qui sera reconduit cette année auprès des candidats à la présidentielle et de son engagement futur à nos côtés pour la cause des femmes. »
    Rédigé par : claudialucia | le 22 mai 2011 à 14:20 | Répondre | |
  16. @ Sophie : c’est vrai que la cause des femmes est loin d’être gagnée dans nos pays et en plus tout est toujours à recommencer! La lutte contre les mentalités sexistes n’est pas terminée et, tu as raison, les jeunes femmes actuelles feraient bien d’être vigilantes.
    Rédigé par : claudialucia | le 22 mai 2011 à 14:22 | Répondre | |
  17. @ Océane : si tu vas au rassemblement, raconte nous!
    Rédigé par : claudialucia | le 22 mai 2011 à 14:23 | Répondre | |
  18. La manière dont les journalistes français ont traité cette affaire en dit long sur le machisme et la collusion entre medias et pouvoir politique – encore très actifs – dans notre vieux pays…
    Rédigé par : Gwenaelle | le 22 mai 2011 à 15:28 | Répondre | |