Epépé Editions Zulma |
Ferenc Karinthy est un écrivain hongrois né à Budapest le 2 juin
1921 et mort à Budapest le 29 février 1992. Il est le fils du célèbre
écrivain et journaliste hongrois Frigyes Karinthy
Epépé De Ferenc Karinthy (1970)
Budaï, linguiste
distingué, s'envole de Budapest pour se rendre à un colloque à
Helsinki où il doit faire une intervention. Il dort pendant le
trajet et lorsqu'il se réveille et descend de l'avion il s'aperçoit
qu'il est dans une ville étrangère et qu'il ne parvient ni à
comprendre les habitants ni à se faire comprendre malgré les
nombreuses langues qu'il pratique. Que s'est-il passé ?
S'est-il trompé de destination? Dans quel pays a-t-il atterri?
Quelle est cette ville étrangère où les habitants sont si nombreux
qu'il faut faire des queues interminables pour pouvoir se restaurer?
Budaï d'abord confiant plonge dans un cauchemar dont il ne semble
pas pouvoir s'échapper!
Un monde absurde
Première de couverture chez Denoël, une ville tentaculaire |
C'est donc dans un monde
absurde que nous sommes plongés, ce qui fait dire dans le prologue à
Emmanule Carrère que «Pérec aurait adoré ». On a aussi dit
à propos de Epépé qu'il dépeignait un univers kafkaïen
déshumanisé, angoissant et privé de sens..
Un des premiers plaisirs du roman tient à la réaction du personnage qui va nous amener avec lui dans une enquête linguistique et ethnographique. Imaginons-nous dans le même cas ! Quelle serait notre panique ! Pourtant Budaï ne se décourage pas. Il cherche à percer les mystères de cette drôle de langue qui ne semble avoir aucune racine et dont le même mot semble changer chaque fois qu'il est prononcé : «Mais il a beau poser et répéter ses questions dans toutes les langues qu'il connaît ,on lui répond chaque fois de cette même manière incompréhensible, sur cette intonation inarticulée et craquelante : ebébé, ou pépépé ou étyétyé».
Un des premiers plaisirs du roman tient à la réaction du personnage qui va nous amener avec lui dans une enquête linguistique et ethnographique. Imaginons-nous dans le même cas ! Quelle serait notre panique ! Pourtant Budaï ne se décourage pas. Il cherche à percer les mystères de cette drôle de langue qui ne semble avoir aucune racine et dont le même mot semble changer chaque fois qu'il est prononcé : «Mais il a beau poser et répéter ses questions dans toutes les langues qu'il connaît ,on lui répond chaque fois de cette même manière incompréhensible, sur cette intonation inarticulée et craquelante : ebébé, ou pépépé ou étyétyé».
Bien
que ses recherches soient méthodiques, systématiques,
intelligentes, raisonnées, bref ! dignes d'un savant, le
mystère s'épaissit de plus en plus et notre héros va aller
d'échecs en échecs. En fait nous nous enfonçons avec lui dans
l'absurdité d'un monde si totalement étranger non seulement par la
langue mais par la manière de vivre, si fondamentalement différent
que rien ne permet d'établir un contact avec autrui. A part
peut-être avec une jeune fille que Budaï va rencontrer mais qui
disparaît très vite de sa vie. Epépé est donc un roman sur l'incommunicabilité, sur la solitude aussi et l'angoisse de l'être humain dans un monde dépourvu de sens.
Un anti-roman
Certes,
Perec aurait adoré : chaque fois que le personnage entreprend
une action elle est vouée à l'échec . Quand on pense enfin
avoir la clef ou tout au moins une étincelle de compréhension, on
est à nouveau plongé dans l'obscurité. Quand un histoire d'amour
semble s'ébaucher, elle arrive aussitôt à son terme. Voilà ce que
l'on peut appeler un anti roman! J'imagine que les oulipiens
effectivement doivent jubiler en lisant ce roman, avec leur
amour de la langue et des mots, leur sens du canular, de la
mystification.
« On
devient membre de l'Oulipo par cooptation. Un nouveau membre doit
être élu à l'unanimité, à la condition de ne jamais avoir
demandé à faire partie de l'Oulipo. Chaque « coopté »
est évidemment libre de refuser d'y entrer (son refus est dès lors
définitif), mais une fois élu, il ne peut en démissionner qu'en se
suicidant devant huissier.
Les membres restent
oulipiens même après leur décès : ils sont alors, selon la
formule consacrée, « excusés pour cause de décès ».
Et puis
l'auteur obéit à une contrainte que les oulipiens ne sauraient
refuser pour telle : mettre son personnage dans un lieu qui n'a
aucun sens … et écrire un roman avec ça!
Donner un sens ?
Et
bien entendu la lectrice cartésienne que je suis a
cherché à trouver un sens au roman ! Comme si l'absurde
pouvait avoir un sens ! Pourtant je me suis demandé si Ferenc
Karinthy en plaçant ainsi son héros dans un lieu totalement inconnu
ne nous présentait pas d'une manière détournée une critique de la
Hongrie sous le régime soviétique. Ce monde absurde se révèle
très dur. Les hommes y sont comme des robots sans vie, leur vie est
mécanique, sans âme. Les gens se méfient des autres, ne se lient pas. La police y est terriblement répressive, Budaï l'apprend à ses dépens. L'insurrection populaire à laquelle
le personnage assiste et participe sans la comprendre rappelle bien
des évènements hongrois. Dénonciation de la dictature sous couvert
d'une fiction dans un univers de l'absurde.
Un
roman qui désoriente, étonne et séduit.