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lundi 5 septembre 2016

Stef Penney : La tendresse des loups


Le roman de Stef Penney La tendresse des loups commence comme un roman policier avec la découverte du  cadavre  de  Laurent Jammet, un trappeur affreusement mutilé, dans une cabane du village de Dove River en Nouvelle-Ecosse. C’est madame Ross, émigrée avec son mari des Highlands d’Ecosse, qui l’a découvert. Les envoyés de la compagnie de la Baie d’Hudson dont le jeune Donald Moody mènent l’enquête qui s’oriente vers deux suspects : Parker, un trappeur indien, qui était  en relation commerciale avec Jammet et qui est fait prisonnier, et le fils adoptif des Ross, le jeune Francis, qui a disparu le même jour. Madame Ross est persuadée de l'innocence de Francis. Elle s’inquiète pour lui et lorsque Parker qui est parvenu à s’enfuir lui demande de l’accompagner, elle n’hésite pas. Tous deux partent dans la forêt et vont affronter les dangers, les difficultés, les souffrances d’un voyage dans un pays où les grands espaces, les forêts touffues, le froid, la neige et la faim,  sont autant d’épreuves que seule l’expérience de l’indien Parker leur permet de surmonter.
 Le roman devient donc un récit d’aventure, une histoire de survie où le courage, la force morale et physique et la volonté animent des personnages au caractère bien trempé. Mais la tendresse des loups est aussi une page d’Histoire - Nous sommes en 1867 - et raconte le voyage, l’installation des émigrés écossais dans ce pays où tout est à faire, défricher, bâtir des maisons, et même donner des noms à ces lieux inhabités.
La tendresse des loups est raconté à la première personne par Mrs Ross en alternance avec des passages rapportés à la troisième personne par un autre narrateur. Nous faisons connaissance avec les autres habitants du village, comme le Pasteur Knox et sa famille, ses filles, la belle Suzanna et l’intellectuelle Maria. Les mentalités, les grandeurs et les faiblesses de ces pionniers apparaissent. Nous apprenons le fonctionnement des Compagnies qui font le commerce des fourrures, leur rivalité entre elles, leur attitude avec les indiens qu’ils poussent à boire pour assurer leur hégémonie;  d’autres thèmes apparaissent encore, la disparition déjà lointaine et mystérieuse de deux jeunes filles qui devient une sorte de légende, l’homosexualité condamnée sévèrement et qui exclut de la communauté. Et puis il y a les loups mais contre toute attente étant donné le titre, ils restent très secondaires !
Malgré tous ces aspects variés et la richesse de son propos, j’ai mis un moment à entrer dans le roman, car le récit est entièrement au présent de narration que, personnellement, je trouve un peu agressif. Le style est sec, énergique et efficace, certes, mais peu descriptif et manque de poésie surtout pour un roman parlant de la nature. Il ne m’a pas accrochée de prime abord. Et puis les personnages sont durs, à l’image du pays, et il faut le temps de les connaître pour les apprécier. Ce que j’ai fini par faire ! Progressivement,  je me suis laissée entraîner par l’histoire et sans être un coup de coeur, La tendresse des loups m’a paru un bon roman, maîtrisé, complexe et intéressant.




Stef Penney est née et a grandi à Édimbourg. Après un diplôme de philosophie et de théologie de l’université de Bristol, elle entreprend des études de cinéma. Elle a déjà écrit et réalisé deux films. La Tendresse des loups, son premier roman, a été récompensé du prestigieux prix Costa Award pour la meilleure première œuvre, ainsi que pour le meilleur roman. (10/18)











Lu pour le challenge Le Pavé de l’été de Sur mes Brizées : 600 pages éditions 10/18



samedi 3 septembre 2016

Joseph Boyden : Dans le grand cercle du monde



Avec Dans le grand cercle du monde, l’écrivain canadien, Joseph Boyden, raconte la fin du peuple Huron (les Wendat dans leur langue) dont les membres furent décimés ou dispersés en 1649 par les iroquois lors de la guerre qui les oppose.
Les Hurons qui furent baptisés ainsi par les français à cause de leur coiffure comparable à une hure de sanglier avaient fait alliance avec Samuel de Champlain dès le début du XVII siècle pour le commerce des peaux. Selon le contrat, les français leur devaient assistance contre les iroquois. En contre partie, la présence de jésuites sur leur territoire leur était imposée, ceux-ci oeuvrant pour la christianisation et favorisant les visées colonialistes de la France. Les Iroquois, eux, furent bien vite alliés aux Hollandais puis aux Anglais si bien que les guerres fratricides entre tribus servirent les intérêts des envahisseurs.

Cornelius Krieghoff  : Huron-Wendat Callingmoose

Joseph Boyden présente le génocide de ce peuple divisé en cinq tribus et la diaspora des survivants à travers un récit qui s’étend sur une vingtaine d’années, vu par trois personnages principaux :
Un jésuite (que les indiens appellent le Corbeau comme tous ceux de son ordre) qui vient christianiser les Hurons, devient leur prisonnier puis leur allié imposé, jamais accepté.
Un chef Wendat, Oiseau, animé par sa haine contre les iroquois qui ont tué sa femme et ses filles. Il est conscient du danger que représente les Corbeaux pour son peuple et cherche en vain à l’en libérer. C’est lui qui mènera les négociations avec Samuel de Champlain et conclura l’alliance avec les français. .
Et une petite fille iroquoise, Chutes de neige, prisonnière d’Oiseau qui a tué ses parents. Elle deviendra bien contre son gré sa fille adoptive. Oiseau, entend par là, selon la coutume des amérindiens, remplacer ses filles défuntes par une adoption dans la tribu ennemie.

Cornelius Krieghoff : Huron indians at portage
 Ce sont ces points de vue différents qui vont mettre en relief le choc des cultures, chacun appréhendant l’autre selon sa mentalité qui lui fait trouver cocasses, ridicules ou véritablement effroyables les coutumes, les croyances ou tout simplement la présence de l’autre. Ainsi les Corbeaux qui apportent des maladies mortelles aux indiens sans être malades eux-mêmes ne sont-ils pas des sorciers? Le Jésuite est de plus un être incompréhensible à leurs yeux avec son amulette autour du cou (la croix), ses gestes ridicules (les signes de croix) et son outrecuidance à proclamer la supériorité de sa religion. L’incompréhension du Jésuite envers les indiens n’est pas moindre !
Joseph Boyden qui est lui-même d’ascendance indienne, connaît bien cette civilisation et nous permet d’entrer dans cette culture qui parfois nous rebute (les tortures infligées aux prisonniers sont atroces) et parfois nous séduit. Leur religion, en particulier, est très belle car elle ne place pas l’homme au centre de l’univers en affirmant sa suprématie mais donne à tous une juste place, humains, végétaux, animaux, tous reliés à un Tout, tous serviteurs de la Nature plutôt que maîtres. 


Maison longue Huron reconstitution pour le film Robe noire
Dans le grand cercle du monde nous permet donc d’aborder cette civilisation d’une manière agréable, intéressante, en nous attachant à certains personnages, y compris secondaires, en voyant vivre les autochtones dans les maisons-longues qui regroupent plusieurs foyers. Amour, mariage, amitié, agriculture, chasse, trappe, commerce, fêtes, croyances et guerres … les saisons passent, les héros grandissent comme la petite iroquoise qui devient femme et se marie, épousant définitivement les moeurs des Hurons; ou ils vieillissent comme le jeune jésuite apeuré et tremblant du début qui s’affirme dans sa foi et manifeste un courage et une ouverture aux autres qui permet de faire oublier certains aspects peu sympathiques de ses tentatives de conversion.
Ce roman est donc une belle approche de cette nation indienne et de cette période tragique qui a vu disparaître en grande partie ce peuple, les Wemdat.



Joseph Boyden est un écrivain canadien, né en octobre 1966. Il a des origines irlandaises, écossaises et indiennes. Son premier roman, Three Day Road, publié en 2005, a été bien accueilli et lui a permis d'acquérir une certaine notoriété au Canada. Son deuxième roman, Through Black Spruce, a remporté le Prix Giller. Ses ouvrages sont consacrés au destin des Premières nations du nord de l’Ontario. (wikipédia)
Son oeuvre  traduite en français :
Joseph Boyden (trad. Hugues Leroy), Le Chemin des âmes [« Three Day Road »], Paris, Albin Michel, coll. « Terres d'Amérique », 2006, 391 p. (ISBN 978-2226173201)
Prix Amazon 2006
Joseph Boyden (trad. Michel Lederer), Les Saisons de la solitude [« Through Black Spruce »], Paris, Albin Michel, 2009, 400 p. (ISBN 978-2226193995)
Giller Prize 2008
Joseph Boyden (trad. Michel Lederer), Dans le grand cercle du monde [« The Orenda »], Paris, Albin Michel, coll. « Terres d'Amérique », 2014, 610 p. (ISBN 978-2-226-25615-7)

Ce livre participe au challenge le pavé de l'été de Sur mes Brizées édition 2016 avec 685 pages en livre de poche.



samedi 14 septembre 2013

Elizabeth Gaskell : Les amoureux de Sylvia



Pour ceux qui pensent, trompés par le titre, que le roman d'Elizabeth Gaskell Les amoureux de Sylvia est une gentille histoire d'amour, détrompez-vous tout de suite. Le livre est noir et le destin de  la jeune Sylvia s'englue bien vite dans cette Angleterre de la fin du XVIII siècle, aux lois féroces, implacables pour les humbles, et au passé tragique sur fond de guerre napoléonienne.

Un roman historique noir
Nous sommes en 1796. Sylvia, une jolie paysanne, fille unique, gâtée et adulée par ses parents, aperçoit pour la première fois Kinraid, le harponneur, de retour de la campagne de pêche sur le baleinier qui le ramène dans sa ville de de Monkshaven. Elle est immédiatement séduite par ce jeune homme qui a une belle prestance, au grand dam de son cousin Philippe qui l'aime passionnément et est prêt à tout pour obtenir sa main. Située sur les côtes Nord-est de l'Angleterre, la ville est un port dont l'activité principale est  l'industrie de la pêche à la baleine. Rien d'étonnant à ce que la majorité des jeunes gens y fassent leur carrière. Ils peuvent même s'ils sont travailleurs et intelligents faire leur fortune. Mais l'Angleterre est en guerre et ses maudits français menés par Bonaparte la menace. Aussi les engagements forcés font-ils rage! Il s'agit de recruter le plus d'hommes sur les navires de sa majesté et bien souvent les baleiniers qui reviennent chez eux après de longs mois d'exil en mer tombent dans les filets des recruteurs qui les contraignent à les suivre à peine ont-ils mis le pied sur la terre ferme. Cette situation va entraîner bien des malheurs : Kinraid n'y échappera et le père de Sylvia qui ose se révolter et aider les garçons ainsi enlevés à leur famille en fera les frais. Le temps de l'insouciance et de l'amour est fini pour Sylvia.
Ancré dans une époque chaotique, le roman d'Elizabeth Gaskell a le mérite de faire revivre, à la fin du XVIII siècle, la société d'une province anglaise, dans des milieux modestes, les activités liées à la pêche, à la terre et au commerce et d'évoquer l'irruption tragique de l'Histoire.

Des personnages contrastés
L'un des intérêts de ce beau roman sont d'abord les personnages dont Gaskell mène l'analyse comme toujours avec finesse. La transformation de Sylvia, jeune coquette, heureuse de vivre,  légère voire un peu égoïste, confrontée au malheur est saisissante. Dans les romans d'initiation, les jeunes gens évoluent progressivement et la leçon qu'ils reçoivent de la vie, si elle est irréversible, est cependant plus étalée dans le temps. Dans le roman de Gaskell, la transformation de Sylvia est soudaine, violente et emporte tout sur son passage, la jeunesse et les rêves de bonheur.
Comme toujours aussi, l'écrivaine évite le manichéisme. Ses personnages ont tous des qualités et des zones d'ombre. L'attitude de Philip envers Sylvia est basse, cruelle et impardonnable mais son amour est indéfectible. Ce sentiment fait la grandeur de ce personnage par ailleurs terne, sans panache et coincé par la religion. A côté, le brillant Kinraid paraît bien léger et peu constant. Pourtant il est capable, contre tout attente, de fidélité. Mais il n'a pas, au niveau des sentiments, l'étoffe d'un héros à la différence de Philip qui paiera de ses souffrances et de sa vie l'offense faite à Sylvia.
Le pardon ne semble possible qu'à ce prix et il semble que le sentiment religieux et l'idée de la prédestination soient très présentes ici,  plus je crois que dans les autres oeuvres de Gaskell.

Un roman très pessimiste donc, avec des personnages attachants dans un contexte historique passionnant, c'est ainsi que l'on peut résumer ce livre que j'ai beaucoup aimé.




 Et un roman  d'un écrivain victorien pour le challenge d'Aymeline-Arieste


Ce roman avec ses 670 pages est digne de figurer dans le challenge Pavé de l'été




vendredi 30 août 2013

Victor Hugo : L'homme qui rit





Avec L'homme qui rit, Victor Hugo écrit un roman-somme qui se veut historique, philosophique et poétique, un énorme livre de plus de 700 pages qui draine sur son chemin, comme un fleuve immense et puissant, toutes les idées de l'écrivain sur l'oligarchie, sa suffisance et son égoïsme féroce, et sur la misère du peuple représenté ici par le personnage de Gwynplaine qui en est l'allégorie. Pour la force de l'évocation, il n'y a qu'un Hugo pour parvenir ainsi au sommet. Quant aux excès du roman, ils sont le revers de la médaille en quelque sorte. Il s'agit, en effet, d'une oeuvre complexe, touffue, démesurée - ou plutôt à la mesure du génie de Hugo - de son immense érudition, de sa puissance visionnaire. Le lecteur peut lui reprocher ses longues digressions qui coupent le récit au moment les plus pathétiques, ses répétitions, une systématisation des effets de style, ses redites dans les idées, son insistance toujours amplifiée et même certaines lourdeurs. Il est probable que si je l'avais lu plus jeune, j'aurais envoyé le bouquin promener car il demande de la bonne volonté. Si c'est un roman d'aventures, en effet, il est aussi beaucoup plus et bien autre chose!  Il faut donc le lire en prenant son temps, en goûtant les richesses, sans impatience, sans avoir envie de courir au récit. Il est alors passionnant malgré certaines faiblesses. Et puis comme toujours le style riche, foisonnant de Victor Hugo mis au service de son engagement politique, de son indignation devant l'injustice, de sa compassion pour les opprimés, me fait vibrer.

L'Histoire et l'actualité du roman
 
Gravure de Daniel Vierge :  Gwynplaine , un monstre fabriqué pour divertir la foule
J'ai pris le temps de m'intéresser d'un point de vue historique au système l'aristocratie anglaise au XVII ème siècle, à l'époque de Gwynplaine dont il reste encore de vives survivances au XIX siècle : le patriciat anglais, c'est le patriciat dans le sens absolu du Mot. Pas de féodalité plus illustre, plus terrible, plus vivace. Terribles, en effet, sont les lois qui écrasent le peuple, stupéfiant le système de hiérarchie et de préséances qui règle les rapports des nobles entre eux, illimités les droits des lords sur les roturiers. Et comme la misère n'a jamais été éradiquée de ce monde, comme les puissants ont toujours su s'enrichir sur le dos des plus faibles, j'ai ressenti l'actualité du roman. De nos jours les rois sont les multinationales et l'oppression se nomme mondialisation, le mot-clef, le profit.

Le vrai titre de ce livre, affirme Hugo, serait l'Aristocratie. Un autre livre, qui suivra, pourra être intitulé La Monarchie. ces deux livres, s'il est donné à l'auteur d'achever ce travail, en précèderont et en amèneront un autre qui sera intitulé : Quatre-vingt-treize. 

Autrement dit les deux premiers entraînent la Révolution. Et on sent bien à travers L'Homme qui rit, toute l'empathie que Victor Hugo éprouve envers le peuple qui souffre, toute l'indignation qu'il ressent devant la misère des uns et la férocité des autres; un souffle révolutionnaire passe dans le roman dans le discours, accueilli par des rires, que Gwynplaine tient à la chambre des lords.

Je suis celui qui vient des profondeurs, Milords, vous êtes les grands et les riches. C'est périlleux. Vous profitez de la nuit. Mais prenez garde, il y a une grande puissance, l'aurore. L'aube ne peut être vaincue. Elle arrive. Elle a en elle le jet du jour irrésistible. Et qui empêchera cette fronde de jeter le soleil dans le ciel? Le soleil , c'est le droit. Vous, vous êtes le privilège. Ayez peur. Le vrai maître de la maison va frapper à la porte.

Et comme Victor Hugo même lorsqu'il agit en historien est aussi poète, il convoque une allégorie de ce pouvoir illimité, le wapentake,  apparition terrifiante dont on ne sait trop si elle est réelle ou du domaine du fantastique, ce représentant de la loi des Grands qui désigne avec l'iron-weapon celui que la justice réclame, sans autre sommation ni explication.

L'homme sans dire une parole, et personnifiant cette Muta Themis des vieilles chartes, abaissa son bras droit par-dessus Dea rayonnante, et toucha du bâton de fer l'épaule gauche de Gwynplaine, pendant que, du pouce de sa main gauche, il montrait derrière lui la porte de Green-Box. Ce double geste doublement plus impérieux qu'il était silencieux, voulait dire : Suivez-moi.

Un roman philosophique

Daniel Vierge : Gwynplaine et Dea

La philosophie du roman s'exprime à travers le personnage d'Ursus, bateleur, guérisseur et savant. Vieux misanthrope, vêtu d'une peau d'ours, mi humain-mi bête :

 Il possédait une peau d'ours dont il se couvrait les jours de grande performance; il appelait cela se mettre en costume. Il disait : J'ai deux peaux; voici la vraie. Et il montrait la peau d'ours 
Il a pour cher compagnon un loup baptisé Homo car le loup n'est-il pas finalement plus humain que les hommes?
Le loup avait été dressé par l'homme, ou s'était dresse tout seul, à diverses gentillesses de loup qui contribuaient à la recette. -Surtout ne dégénère pas en homme, lui disait son ami.
En effet, la misanthropie d'Ursus au grand coeur vient de sa constatation de la cruauté des hommes entre eux. Il apporte ici une réflexion sur la nature humaine dont il voit la noirceur, il est lucide face aux injustices, à l'écrasement des faibles par les puissants. Pourtant s'il s'en indigne, il accepte la destinée humaine. Il offre un curieux mélange entre ces deux termes qui le caractérisent : "indigné et résigné" ce qui donne à son discours une coloration bizarre, entre dénonciation et acceptation, et conférer ainsi une plus grande force à la dénonciation. 

Mon Dieu, je sais bien que tout le monde n'a pas vingt-quatre carrosses de gala, mais il ne faut point déclamer. Parce que tu as eu froid cette nuit, ne voilà-t-il pas? Il n'y a pas que toi. D'autres aussi ont eu froid et faim. Et puis si tous les gens qui sont épars se plaignaient, ce serait un beau vacarme. Silence voilà la règle. Je suis convaincu que le bon Dieu ordonne aux damnés de se taire, sans quoi ce serait Dieu qui serait damné d'entendre un cri éternel. Le bonheur de l'Olympe est au prix du silence du Cocyte.

Le vieux misanthrope d'Hugo rejoint parfois le jeune Candide de Voltaire :

Les pairs ont fait une foule de lois sages, entre autres celle qui condamne à mort un homme qui coupe un peuplier de trois ans. p376

La philosophie d'Ursus est en gros "pour être heureux vivons cachés" et c'est pourquoi c'est lui aussi qui mène une réflexion sur le bonheur. Dea, la jeune aveugle, et Gwynplaine, le monstre, dans leur pauvreté connaissant le bonheur parce qu'ils s'aiment. La cécité de Dea lui permet de voir la beauté intérieure de Gwynplaine.

Une seule femme sur terre voyait Gwynplaine. C'était cette aveugle.
-Tu es si beau, lui disait-elle.
C'est que Dea, aveugle, apercevait l'âme.

Ursus en tire la leçon, nous sommes aveuglés par nos sens et trompés par l'apparence :
 -L'aveugle voit l'invisible
Il disait
-La conscience est vision.

Ainsi, c'est le malheur des jeunes amoureux qui est la cause de leur bonheur. Si Gwynplaine n'était pas mutilé, il ne pourrait gagner sa vie comme histrion en faisant rire les foules et ainsi subvenir aux besoins de Dea et de son père adoptif Ursus. Si Dea n'était pas aveugle, elle ne pourrait aimer Gwynplaine. Mais ce qui est résignation chez Ursus devient révolte chez Gwynplaine et la prédictions d'Ursus se réalise, il ne pourra être qu'écrasé.

Un roman poétique  

Dessin de Victor Hugo

Roman poétique, L'homme qui lit est bâti sur des antithèses selon un procédé cher à Victor Hugo qui lui permet de frapper l'imagination et de faire naître des images évocatrices. Ces antithèses sont nombreuses entre la cécité et la clairvoyance, entre les faibles et les puissants, le peuple et les aristocrates, l'histrion et le lord, le mal et le bien, entre l'amour spirituel et l'amour charnel.
Mais l'une de ces antithèses est une constante dans l'oeuvre de Hugo romancier et poète. Elle repose sur le contraste entre l'ombre et la lumière, la nuit et le jour. Le Livre premier s'intitule La nuit moins noire que l'homme et la conclusion du roman La mer et la nuit; certains chapitres eux aussi présentent ces jeux  d'ombre : Bataille entre la mort et le nuit,  Face à face avec la nuit, L'enfant dans l'ombre. Ces contrastes d'ombre et lumière permettent à Victor Hugo de splendides effets de clair-obscur dans des descriptions qui correspondent à son tempérament artistique et que l'on retrouve dans sa peinture. Ces notions symbolisent la mort. Dans le premier livre c'est le naufrage de la Matutina, l'ourque des voleurs d'enfants, les comprachicos, dans le dernier, c'est le suicide de Gwynplaine. La lumière qui disparaît est un présage de la fin. Ainsi lorsque les comprachicos voient apparaître le phare des Casquets, ils ont un moment d'espoir mais qui se révéle dérisoire :

La phare, reculant, pâlit, blémit, puis s'effaça.
Cette extinction fut morne. Les épaisseurs de brume se superposèrent à ce flamboiement devenu diffus. Le rayonnement se délaya dans l'immensité mouillée. La flamme flotta, lutta, s'enfonça, perdit forme. On eût dit une noyée. Le brasier devint lumignon, ce ne fut plus qu'un tremblement blafard et vague. C'était comme un écrasement de lumière au fond de la nuit.

La nuit et la lumière sont donc bien synonymes de la mort dans les trois premiers livres. Dans le livre 8, elles sont par contre le symbole du triomphe du bien sur le mal, de la justice sur l'oppression, de l'espoir sur le désespoir comme on l'a vu dans le discours du Gwynplaine aux lords.

Vous profitez de la nuit. Mais prenez garde, il y a une grande puissance, l'aurore.

Victor Hugo met en aussi en relief l'opposion entre la mer et la terre dans le premier livre. D'un point de vue dramatique, il établit, en effet, un parallèle entre ce qui se passe sur l'océan et sur la pointe de Portland : La Matutina des comprachicos est prise dans une tempête de neige en pleine mer, évite à plusieurs reprises une mort annoncée pour sombrer enfin lorsqu'elle se croit sauvée. Gwynplaine, abandonné par les bandits, marche dans la neige, le froid et la tourmente au prix de mille souffrances, se retrouve face à un pendu devant un gibet, et sauve le bébé Dea d'une mort certaine à l'arrachant au cadavre de sa mère. L'écrivain tire  de cette opposition de splendides effets picturaux et poétiques qui renforcent l'intérêt dramatique :
La mer comme la terre était blanche; l'une de neige, l'autre d'écume. Rien de mélancolique comme le jour que faisait cette double blancheur. Certains éclairages de la nuit ont des duretés très nettes; la mer était de l'acier, les falaises de l'ébène. De la hauteur où était l'enfant, la baie de Portland apparaissait presque en carte géographique, blafarde dans son demi-cercle de collines; il y avait du rêve dans ce paysage nocturne...

Un romantisme tardif

Dessin de Victor Hugo

En 1869, le mouvement romantique est éteint depuis longtemps mais le roman de Gwyplaine par bien des aspects appartient encore au romantisme.

Et d'abord, par le choix du personnage Gwynplaine qui comme Hernani est un proscrit, un être voué au malheur, qui ne trouve sa place nulle part sur terre.  Gwynplaine est un monstre mais à la différence de Quasimodo, c'est un monstre fabriqué par les comprachicos pour amuser la foule.

Cette fabrication de monstres se pratiquait sur une grande échelle et comprenait divers genres.
Il en fallait au sultan; il en fallait au pape. A l'un pour garder ses femmes; à l'autre pour faire ses prières. C'était un genre à part ne pouvant se reproduire par lui même.Ces à-peu-près humains étaient utiles à la volupté et à la religion. Le sérail et la chapelle Sixtine consommaient la même espèce de monstres ici féroces, là, suaves .

C'est en cela qu'il incarne l'Humanité souffrante. Il est l'allégorie du peuple misérable qui comme lui est le jouet  des grands, il  n'est pas maître de son destin. Pourtant, il représente aussi l'espoir et la révolte. En devenant lord il se fait le porte-parole du peuple et annonce la naissance d'une autre ère, où la justice sera possible. Gwynplaine, l'histrion devenu lord est donc bien un héros romantique.

Ce rire qui est sur mon front, c'est un roi qui l'y a mis. Ce rire exprime la désolation universelle. Ce rire veut dire haine, silence contraint, rage , désespoir. Ce rire est un rire de force. Si Satan avait ce rire, ce rire condamnerait Dieu. Mais l'éternel ne ressemble point aux périssables; étant l'absolu, il est le juste; et Dieu hait ce que font les rois. Ah! vous me prenez pour l'exception! Je suis un symbole!
Je représente l'humanité telle que ses maîtres l'ont faite. L'homme est un mutilé. Ce qu'on m'a fait on la fait au genre humain. p 696

Autre thème romantique, celui de la femme idéalisée qui représente l'Esprit, la part de Dieu qui est en tout homme. Déa, aveugle qui sait voir l'invisible, est dans son innocence et sa fragilité, l'incarnation de l'amour idéal, loin des tentations de la chair, à l'opposé de la duchesse Josiane, qui représente le désir charnel et la dépravation. C'est pourquoi l'amour de Gwynplaine et de Dea ne peut se résoudre que dans la mort.
Pas de pureté comparable à ces amours. Dea ignorait ce que c'était qu'un baiser, bien que peut-être elle le désirât; car la cécité, surtout d'une femme a ses rêves, et, quoique tremblante devant les approches de l'inconnu, ne les hait pas toutes. Quant à Gwynplaine, la jeunesse frissonnante le rendait pensif; plus il se sentait ivre, plus il était timide.
À la fin du XVIIe siècle, un jeune lord est enlevé sur ordre du roi et atrocement défiguré, la bouche fendue jusqu'aux oreilles. Abandonné une nuit d'hiver, il parvient à rejoindre la cahute d'un philosophe ambulant, et devient saltimbanque. Quinze ans plus tard, rétabli dans ses droits, il est pair d'Angleterre. Mais sa mutilation ne s'effacera pas, et celui qui se serait voulu prophète à la Chambre des lords restera condamné à n'être qu'un bouffon.


ET voilà la lecture commune faite avec Miriam et Rosamond sur L'Homme qui rit de Victor Hugo



jeudi 29 août 2013

Victor Hugo : L'homme qui rit (citation), La vie n'est qu'un pied à terre...


Gwinplaine, Dea, Ursu et Homo, le loup (musée de Villequier)

Victor Hugo a toujours eu l'art de la formule. C'est le cas dans L'homme qui rit :

 La vie n'est qu'un pied à terre.

Un vieil homme est une ruine pensante; Ursus était cette ruine-là

Quand on demandait à Démocrite : comment savez-vous? il répondait : je ris. Et moi, si l'on me demande : Pourquoi riez-vous? je répondrai : je sais.
 
Gwynplaine avait rencontré l'embuscade du mieux, ennemi du bien.

 Sur Dieu

Vous pouvez croire en Dieu de deux façons, ou comme la soif croit à l'orange, ou comme l'âne croit au fouet.

J'avoue franchement que je crois en Dieu, même quand il a tort.

Sur l'amour

Ursus :
- Bah! ne te gêne pas. En amour le coq se montre.
-Mais l'aigle se cache, répondit Gwynplaine


A propos de Dea, l'aveugle, et de Gwynplaine, le mutilé
 
 Avec leur enfer, ils avaient fait du ciel :  Telle est votre puissance, amour!

La difformité, c'est l'expulsion. La cécité, c'est le précipice. L'expulsion était adoptée. Le précipice était habitable.

A propos des Grands : 

S'ils te demandaient : De quel droit es-tu heureux? tu ne saurais que répondre. Tu n'as pas de patente, eux ils en ont une.

Quel dommage qu'il ne soit pas lord! Ce serait une fameuse canaille!

C'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches…

Le bonheur de l'Olympe est au prix du silence du Cocyte.



mardi 27 août 2013

Victor Hugo : L'homme qui rit (citations) C'est de l'enfer des pauvres...

Dessin de Victor Hugo


Sais-tu qu'il y a un duc en Ecosse qui galope trente lieux sans sortir de chez lui? Sais-tu que le lord archevêque de Canterbury a un million de France de revenus? Sais-tu que sa majesté a par an sept cent mille sterlings de liste civile, sans compter les châteaux, forêts, domaines, fiefs, tenances, alleux, prébendes, dîmes et redevances, confiscations et amendes, qui dépassent un million sterling? Ceux qui ne sont pas contents sont difficiles.
- Oui, murmura Gwynplaine pensif, c'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches.



dimanche 25 août 2013

Victor Hugo : L'homme qui rit (citation) Le genre humain existe...


Gwynplaine dessin de Victor Hugo


 Un extrait de L'homme qui rit de Victor Hugo en attendant la lecture commune du 30 août.
Discours de Gwynplaine à la chambre des lords : Livre 8 chapitre VII .

Milords, vous êtes en haut. C'est bien. Il faut croire que Dieu a ses raisons pour cela. Vous avez le pouvoir, l'opulence, la joie, le soleil immobile à votre zénith, l'autorité sans borne, la jouissance sans partage, l'immense oubli des autres. Soit. Mais il y a au-dessous de vous quelque chose. Au-dessus peut-être. Milords, je viens vous apprendre une nouvelle. Le genre humain existe.

Avouez que ce discours a du panache!


jeudi 22 août 2013

Victor Hugo : citation de L'homme qui rit , Une habitude idiote qu'ont les peuples...


J'ai fini ma lecture commune L'homme qui rit  de Victor Hugo prévue pour le 30 août  avec Aifelle, Miriam, Rosamond. Mais avant de publier mon billet,  j'ai eu envie de mettre en valeur par une citation une des idées que présente ce roman-fleuve, bien certaine que je ne pourrai tout de dire de cet énorme roman en une seule fois. Alors, en attendant, voilà ce que pense Hugo des peuples et de leur admiration "idiote" (ce n'est pas moi qui le dis) des rois.


Une habitude idiote qu'ont les peuples, c'est d'attribuer au roi ce qu'ils font. Il se battent. A qui la gloire? Au roi. Ils paient. Qui est magnifique? Le roi. Et le peuple l'aime d'être si riche.  Le roi reçoit des pauvres un écu et rend aux pauvres un liard.  Qu'il est généreux! Le colosse piedestal contemple le pygmée fardeau. (..) Un nain a un excellent moyen d'être plus haut que le géant, c'est de se jucher sur ses épaules. Mais que le géant laisse faire, c'est là le singulier; et qu'il admire la grandeur du nain, c'est là le bête. Naïveté humaine.



lundi 15 juillet 2013

Mes nouveaux challenges : Pavé de l'été, Destination PAL, Le mois de Septembre québécois


Et voici le challenge estival de Brize (blog : Sur mes brizées)

L'été revient (enfin, l’été théorique au moins !) et avec lui, le Challenge pavé de l'été, dans sa deuxième édition (avec pour marraine celle qui m’avait suggéré l’année dernière de le lancer, dans la foulée de mon billet "Où l’on échange[ait] des idées de pavés-pour-l’été") !
Les règles du jeu sont les suivantes :
- vous vous engagez à lire un pavé ( = au moins 600 pages, quel que soit le format) au cours de cet été. Le pavé peut être un roman, ou bien un recueil (du style omnibus) de romans ou nouvelles, mais aussi une biographie, un essai (euh, là, j’ai des doutes ;) !). Pas besoin d’indiquer déjà quel sera le pavé choisi, vous verrez en fonction de l’humeur du moment.
- vous publiez un billet au sujet de ce pavé avant la date de clôture du challenge, à savoir le 15 octobre 2013 (date postérieure à la fin de l’été, vous l’aurez noté, mais c’est pour vous laisser le temps de rédiger).

J'ai adopte le challenge Pavé de l'été, d'abord parce que j'adore les pavés (et oui un gros livre me procure un frisson de bonheur par anticipation : ah! je vais avoir le temps de me régaler!), ensuite par ce que j'en ai beaucoup dans ma PAL. J'ai déjà choisi les romans suivants  :

Les amoureux de Sylvia d'Elizabeth Gaskell

L'homme qui rit de Victor Hugo (lecture commune avec Aifelle, Miriam, Rosamond pour le 30 août)

 Un recueil de "romans terrifiants" : Walpole, Lewis, Radcliffe, Hoffmann...)

ce qui m'amène à mon second challenge estival chez Lili Galipette :



Bonjour à tous. Je suis Lili Galipette, votre capitaine de bord. Merci d’avoir pris place à bord d’Air Galipette. Notre destination : votre PAL.

Avant le décollage, quelques consignes de sécurité. Veuillez ne pas attacher votre marque-page à un seul livre. Les issues de secours se situent à chaque page. En cas de dépressurisation, des romans tomberont des étagères : merci d’aider vos conjoints et vos enfants à les ouvrir et à suivre chaque ligne. Notre personnel de bord reste à votre disposition pendant tout le voyage.

 Pour moi, il comprendra évidemment le roman irlandais à lire dans le cadre du blogoclub de Sylire et Lisa :

Nuala O'Faolain : On s'est déjà vu quelque part 

Robert Louis Stevenson : Le maître de Ballantrae :  publié aujourd'hui

Laure Murat : La maison du docteur blanche : que je viens de terminer
 
Les pavés notés plus haut et je puiserai au hasard dans les livres de ma PAL ... 





Le but: découvrir davantage la littérature de chez nous.  Et comme je vais être généreuse cette année, je peux aussi inclure la littérature canadienne francophone (en fait, je veux relire Gabrielle Roy, qui a vécu au Québec mais qui est née au Manitoba... oui, je sais, je suis en conflit d'intérêt avec moi-même... mais ya des avantages à faire les règles!)
 
Pour ma part, je compte bien lire uniquement du québécois pendant ce mois de septembre.  Mais pour participer, pas obligé d'en faire autant!  Il suffit d'un billet, en fait.  Et je suis ouverte à tout : livres, BDs, photos de voyage, musique, documentaire sur la poutine, artistes, histoire, langage et expressions... ce qui vous plaît!  Et pour compter, il faut soit que l'auteur soit né au Québec, soit qu'il ait vécu au Québec, ou que l'histoire se passe au Québec.  Comme l'an dernier, quoi!   Plus on est de fous, plus on rit!
 
Pour l'instant, il n'y a pas des milliers d'événements prévus mais ça a le temps de changer. 
 
Pour ce qui est des lectures communes... il y en a relativement peu... pour l'instant.
 
12 septembre -  Autour de de Gabrielle Roy - Yueyin, Denis et moi pour Bonheur d'occasion, Sylire pour "La montagne secrète". 
16 septembre -Un roman de Michel Tremblay au choix - Yueyin, Jaina, Cryssilda, Mélissa, Clara, Choupynette, Denis, moi
20 septembre - Un roman de Jacques Poulin - Yueyin, Sylire, moi, Anne, Valentyna
25 septembre - Un tome de "Filles de lune" d'Elisabeth Tremblay - Isallysun et moi
Un roman de Sylvain Trudel pour Yueyin, Alexand

Je n'ai pas encore fait mon choix et sachez que l'on peut proposer  nous aussi des LC. Allez voir chez karine pour trouver des idées.

Merci à toutes les organisatrices de ces challenges et bonnes lectures!