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mercredi 21 septembre 2011

Dany Laferrière : L’énigme du retour




Dany Laferrière est un auteur haïtien. Exilé pour des raison politiques, il a vécu pendant de nombreuses années à Montréal, tout comme son père parti à New York, chassé  lui aussi par le régime des Duvalier, pour ne plus jamais revenir dans son pays natal.
Le roman autobiographique L'énigme du retour commence avec le coup de téléphone que reçoit Dany Lafferière lui annonçant la mort de son père. Dès lors commence le processus du retour à Haïti alors libérée de la dictature. Après un arrêt à New York pour les obsèques de son père, le voilà à nouveau à Port-au-Prince où il retrouve sa famille et en particulier sa mère qu'il n'a plus vue depuis trente-trois ans. Un laps de temps si long qu'il est devenu un étranger dans son propre pays.
De retour dans le sud après toutes ces années
Je me retrouve dans la situation de quelqu'un
qui doit réapprendre ce qu'il sait déjà
mais dont il a dû se défaire en chemin.

J'avoue que c'est plus facile
d'apprendre que de réapprendre.
Mais le plus dur c'est encore
de désapprendre.


Le livre est divisé en deux grandes parties :
Lents préparatifs de départ où l'auteur largue les amarres qui l'attachent à son pays d'accueil, le Québec, moments faits de retour dans le passé vers son île natale, du souvenir d'un père qu'il n'a pas connu sinon par des photographies et d'adieu à ce pays de glace et de neige.
Le retour raconte le difficile processus de réapprentissage, les incessants allers-retours entre l'avant et l'après, le choc de la redécouverte d'un pays en proie à la misère et d'une jeunesse incarnée par le propre neveu de Dany Laferrière qui a perdu l'espoir.  Et enfin, le déclic qui lui permet de comprendre qu'il ne repartira plus :
J'ai senti
que j'étais
un homme perdu
pour le nord quand
dans cette mer chaude
sous ce crépuscule rose
le temps est subitement devenu liquide.




Au début, lorsque l'exilé arrive à Haïti, j'ai été surprise car il présente le pays comme n'importe quel observateur extérieur pourrait le faire. J'avais l'impression de lire un texte écrit par un occidental intellectuel et bourgeois ... ce que Dany Laferrière est,  après tout. j'admirais le style mais il me manquait l'approche par l'intérieur du pays, pas quelqu'un qui vivrait le quotidien terrible du peuple haïtien. Dany Lafferière est très conscient lui-même de ce paradoxe. Le grand sujet du roman haïtien, dit-il, devrait être la faim mais personne n'a jamais osé l'aborder.
c'est qu'il est difficile d'en parler quand on ne l'a pas connue et ceux qui l'ont vue de près ne sont pas forcément des écrivains."
De plus la faim n'intéresse personne :
Pourquoi? Parce que cela ne concerne que des gens sans pouvoir d'achat. L'affamé ne lit pas, ne va pas au musée, ne danse pas? Il attend de crever.

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Mais je me suis de plus en plus coulée dans le livre au fur et à mesure qu'il se réapproprie le pays et surtout quand il part de Port-au-Prince pour un voyage qui lui permet des rencontres avec les Haïtiens,  la découverte des milieux paysans riches d'une religion, le Vaudou, aussi étrange qu'ésotérique, jusqu'au village natal de son père. Là, enfin vient le temps où l'homme d'âge mûr retrouve sa terre d'enfance, où il ré-adopte son pays tout en se faisant ré-adopter par lui :
On me vit aussi sourire
dans mon sommeil
comme l'enfant que je fus
du temps heureux de ma grand mère.
Un temps enfin revenu.
C'est la fin du voyage.


Par sa forme graphique - strophes et vers libres qui alternent avec la prose- par la richesse des images qu'il éveille en nous, ce livre se lit comme un recueil de poésies, lentement, en s'arrêtant, en le reprenant, en s'imprégnant des émotions qu'il fait naître mais aussi en réfléchissant à la situation haïtienne, à la faim, à la misère, à tous ceux qui profitent cette situation pour s'enrichir, à tous ceux qui font qu'il n'y aura jamais de solution heureuse pour ce peuple exploité.
Les thèmes de ce livre sont variés et riches. Ils s'entrecroisent pour former une trame dense, épaisse et solide, un enchevêtrement qu'il nous échoit, à nous lecteurs, de démêler : celui de l'exil, bien sûr, et de l'identité, du déracinement et de l'appartenance, de la confrontation du passé et du présent, celui d'une culture mystérieuse que l'on connaît peu et mal. Celui d'un pays qui est classé comme le plus pauvre de la planète, un pays opprimé par des dictatures successives, un pays qui est tombé dans le chaos avec une démocratie corrrompue, un pays exploité par les différentes puissances qui prétendent lui venir en aide.

Franketienne, peintre haïtien
18.1271766215.jpgJ'ai beaucoup apprécié aussi la galerie de portraits qui défilent devant nous : la mère douloureuse qui n'a jamais revu son mari et a compté chaque jour qui la séparait de son fils, l'ancien révolutionnaire qui a trahi ses idées, devenu ministre et riche collectionneur de tableaux, ou l'ami de son père, plein de dignité et de fierté, reconverti en éleveur de poules, enfin le portait du peintre haïtien Franketienne qui refuse de vendre un tableau au ministre et préfère le donner au chauffeur de celui-ci!
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Voir aussi l'article de Dominique dans A sauts et à gambades sur L'énigme du retour. 
 Texte publié dans mon ancien blog le 20 avril 2010