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mardi 1 mars 2011

Ahmadou Kourouma : Allah n’est pas obligé


Birahima, l'enfant-soldat de Ahmadou Kourouma, nous l'annonce dès les premières pages, il va nous raconter sa vie de merde de damné parce qu'enfin Allah n'est pas obligé d'être juste dans toutes ces choses ici-bas !" Et certes Birahima n'est pas gâté par le sort, son père est mort et sa mère est en train de pourrir dans sa case empuantie, la jambe gangrénée par un ulcère. Quand Birahima se retrouve orphelin, le conseil de famille décide qu'il doit partir rejoindre sa tante exilée au Libéria pour fuir les violences de son mari. Birahima part, accompagné par Yacouba, le féticheur, grigriman. Ce voyage l'amène aux confins de l'enfer, au coeur des guerres tribales du Libéria puis de Sierra Léone, où il va devenir à small-soldier, a child-soldier, un soldat-enfant ou un enfant-soldat, quel que soit le nom que l'on donne, bref! un tueur!
Allah n'est pas obligé est un cri de révolte, de colère et de douleur et Amadhou Kourouma n'y va pas par quatre chemins quand il dénonce les responsables de l'horreur, les dictateurs ivres de pouvoir et d'argent qui se succèdent à la tête de ces "démocraties", la corruption qui sévit à tous les niveaux de la hiérarchie du gouvernement, l'attitude colonialiste des noirs afro-américains, descendants des esclaves libérés des USA, le racisme tribal, les superstitions d'un autre âge, le fanatisme religieux qui engendre la haine, la faim qui pousse au meurtre. Un constat terrible et désespéré de la situation africaine. Mais il dénonce aussi les puissances étrangères, la France, l'Angleterre, les Etats-Unis... qui accordent leur soutien au dictateur le plus sanguinaire dans le but de servir leurs intérêts en Afrique,  les interventions du FMI qui provoquent des  révoltes de la faim, et celles de l'ONU qui, en faisant appel aux forces d'interpositions nigériennes pour régler le problème des guerres tribales au Libéria et en Sierra Léone, livre la population au massacre au nom de l'ingérence humanitaire!
L'histoire est racontée par Birahima à la première personne. Le récit tient à la fois du procédé narratif du roman français et du conte africain comme lorsque le petit garçon quitte son village avec Yacouba et voit par trois fois apparaître un animal sur la gauche, signe de mauvais augure. Ahmadou Kourouma imagine que Birahima écrit en français avec l'aide d'un dictionnaire qui lui permet d'expliquer les mots les plus savants tout en introduisant des mots africains. Nous découvrons ainsi la vision du monde de l'enfant dans une langue colorée, riche mais faussement naïve qui fait ressortir d'autant plus violemment l'horreur de ce qui se passe autour de lui. L'enfant, en effet, présente comme normal la violence qui l'entoure. Sa maladresse d'expression fait ressortir sa jeunesse et son innocence :
Quand un Krahn ou un Guéré arrivait à Zorzor, on le torturait avant de le le tuer parce que c'est la loi des guerres tribales qui veut ça. Dans les guerres tribales, on ne veut pas les hommes d'une autre tribu différente de notre tribu.

Il manie aussi l'ironie à la Voltaire :
L"ingérence humanitaire, c'est le droit que l'on donne à des Etats d'envoyer des soldats dans un autre Etat pour aller tuer de pauvres innocents chez eux, dans leur propre pays, dans leur propre village, dans leur propre case, sur leur propre natte.
Partout dans le monde une femme ne doit pas quitter le lit de son mari même si le mari injurie, frappe et menace la femme. Elle a toujours tort. C'est ça qu'on appelle les droits de la femme.
Le procédé de répétitions est également utilisé pour souligner la barbarie de ces tueries. Chaque fois que Birahima arrive dans un nouveau camp militaire, il note que le poste de commandement est entouré de pieux sur lesquels on a fiché des têtes humaines, chaque fois qu'il y a une débauche de meurtres, des flots de sang, il commente :
Ca, c'est la guerre tribale qui veut ça.
On pense à Candide et  à son : " Mais tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes". Mais sous ce faux fatalisme, sous cette feinte acceptation, la révolte gronde. Il vitupère contre les tribus, ces salopards de racistes et contre la connerie des féticheurs.  Lorsqu'il parle de ceux qui prennent le pouvoir, il n'a pas de mots assez durs pour les condamner de même que ceux qui les laissent faire, ce sont des bandits de grand chemin. Il ne comprend plus rien à ce foutu univers... cette saloperie de société humaine. Parfois Birahami pleure et refuse de raconter. Un trop plein de chagrin le submerge, lui enlève les mots de la bouche. Sa souffrance est trop forte.
Un beau et fort roman! A lire absolument!
PS : J'ajouterai pour monter combien Kourouma connaît les subtilités de la langue française et les utilise avec habileté que Birahimi emploie très souvent le pronom démonstratif neutre "ça".
"ça "pour parler de ses camarades enfants-soldats mais aussi de ses chefs militaires, des dictateurs mégalomanes et assassins des pays africains, des puissances étrangères qui couvrent les massacres. Evidemment il s'agit d'un erreur grammaticale (appliquer ce pronom à un être humain!), d'un style familier (ça est la contraction familière de cela) et c'est normal ! Cela prouve que Birahami ne possède pas bien la langue française! Oui, Mais! En désignant ces hommes et ces enfants par ce pronom, Kouroumou leur dénie le statut d'être humain. Il les montre comme des automates, formés pour tuer, sans coeur, sans compassion, des êtres qui ont cessé de penser, de réfléchir!

Sylire et Lisa