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lundi 19 octobre 2015

Antonio Tabucchi : Les oiseaux de Fra Angelico , Le couvent San Marco à Florence

Fra Angelico  :Archange Gabriel de l'Annonciation

Fra Giovanni dit Fra Angelico


couvent San marco  Autoportrait supposé de Fra Angelico dans la déposition de croix
Autoportrait supposé de Fra Angelico dans La déposition du Christ
Guidolino di Pietro rentre chez les dominicains au couvent de Fiesole, situé sur les hauteurs de Florence, en 1408. Il a alors 21 ans. Selon l'usage de l'ordre, il change de patronyme pour un nom religieux : Fra Giovanni. Ses contemporains, en raison de la haute spiritualité de sa peinture ainsi que de la profusion d'anges dont il aime parer ses oeuvres, le surnommeront Fra Angelico.
Les règles strictes et la vie de pénitence de l'ordre religieux resteront profondément ancrées chez le peintre pour qui le renoncement au monde et à soi-même permettent d'atteindre la pureté, tant d'un point de vue spirituel que dans l'expression de son travail.
Encouragé par ses supérieurs, Fra Angelico abrège ses études théologiques pour se consacrer exclusivement à la peinture, les dominicains considérant l'art comme un moyen efficace de transmettre la foi et la vérité
. Suite sur Histoire de l'Art


 Les oiseaux de Fra Angelico d'Antonio Tabucchi

 


Dans la nouvelle de Tabucchi Les oiseaux de Fra Angelico, Fra Giovanni da Fiesole, qui se nomme toujours dans son for intérieur Guidilino, son prénom de baptême, s’affaire à son jardin, dans le clos du couvent San Marco. C’est occupé à une humble tâche de jardinage comme le veut la règle de l’ordre des dominicains,  qu’il voit apparaître un oiseau pour le moins étrange :
C’était une créature rose et menue, délicate avec de petits bras osseux d’un jaune pareil à des coqs plumés, deux pattes très maigres elles aussi, aux jointures proéminentes et aux phalanges calleuses comme chez les poules d’Inde.
Et pourtant les ailes de cette créature sont extraordinaires :
Incroyables voiles en forme de triangle, deux ailes gigantesques partaient de ses omoplates (…) faites de plumes couleur ocre, jaune et turquoise, mais aussi d’un vert émeraude pareil à celui du marin pêcheur, elles s’ouvraient en éventail jusqu’au ras de la terre.
Deux autres oiseaux arrivent le lendemain, l’un « pareil à une grand libellule, » l’autre "en forme de balle" " c'était un être tout en rondeur auquel manquait la base du corps"
Leur laideur n’égale que leur fragilité et leur immense fatigue après le long voyage qu’ils ont entrepris.  Fra Giovanni comprend que Dieu les lui a envoyés pour figurer dans ses tableaux et il s'empresse d'obéir. Il les peint  et « les frères tous en choeur s’exclamaient « oh! »
Car ce que peint Fra Angelico dépasse l’imagination. Regardez !

Fra Angelico : L'annonciation

Puis, en dernier, il peignit l’oiseau qui était arrivé le premier.. Il peignit d’abord un portique avec des colonnes et des chapiteaux corinthiens, puis le raccourci d’un jardin derrière une palissade. Enfin il fit poser l’oiseau, et comme il lui demandait une génuflexion, la créature prit appui sur un siège pour ne pas tomber; il lui demanda aussi de croiser les mains sur la poitrine en signe de révérence et lui dit : Je te couvrirai d’une tunique rose car ton corps est trop ingrat. Je ne  dessinerai pas la Vierge avant demain (…) Je vais faire une Annonciation.

Voilà ce qu'est devenu l'oiseau qui ressemble à un coq déplumé!

Et le deuxième oiseau, celui pareil à une grande libellule?

Couvent San Marco Florence Fra Angelico : Le jardin de Gethsémani (cellule 34)
Fra Angelico : Le jardin de Gethsémani (cellule 34)
Il ajouta une figure supplémentaire à une fresque pourtant achevée, celle de la trente-quatrième cellule où il avait peint le Christ au jardin de Gethsémani. L’oeuvre semblait déjà finie, comme s’il ne restait plus d’espace disponible; mais il trouva une surface vacante au-dessus des arbre de droite et c’est là qu’il peignit la grande libellule qui avait le visage de Nerina, avec ses ailes translucide et dorées; dans sa main il mit un calice, dont elle ferait offrande au Christ.

 Et le troisième, celui qui ressemble à une boule? Je ne peux vous le montrer mais si vous allez un jour au couvent San Marco vous le retrouverez dans la celulle 23; c'est l'ange qui rive les clous qui transpercent les mains et les pieds du Christ  "pour soulager la douleur de la Vierge et pour lui faire comprendre que la souffrance de son fils est la volonté de Dieu.."

Quel sens donner à cette nouvelle? 

Je propose une interprétation qui est la mienne, donc celle d'une athée  :  l'écrivain signifie que l'artiste transcende la réalité et qu'il peut créer le Beau même à partir de choses et d'êtres qui ne le sont pas et inspirer ainsi la spiritualité et la paix.
Un croyant pourrait interpréter autrement : l'artiste tient son art de Dieu, il utilise ce don qui lui est accordé pour créer la beauté, inspirer la spiritualité et la paix.


lundi 13 juin 2011

Le syndrome de Stendhal à Florence


La Vénus de Botticelli
Qu'est-ce que le syndrome de Stendhal?  Dans son journal de voyage en italie, Stendhal consigne les sensations qu’il a éprouvées lors d’un séjour à Florence en 1854. En sortant de la basilique de Santa Crocce, il ressent  une émotion extrême liée, dit-il, à la contemplation de la beauté sublime. Un sentiment de panique s’empare de lui, accompagné de palpitations, de vertiges.
Stendhal

J'étais arrivé à ce point d'émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de cœur, [...] la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.
La psychiatre Graziella Magherina a observé les mêmes symptômes sur des touristes visitant Florence, hospitalisés dans ses services; elle a donné à cette maladie le nom de "syndrome de Stendhal" dans un essai où elle décrit les symptômes de la maladie. Il s'agit d'un syndrome psychosomatique déclenché par l’exposition à des œuvres d’art, évanouissements, tachycardie, crampes d’estomac, troubles neurologiques, angoisse, confusion. Un film d'après le livre de Graziella Magherini  a même été réalisé par Dario Argento.

Les années 60 :

Quand, adolescente,  je suis allée à Florence, je n'ai pas éprouvé le syndrome de Stendhal, non! Mais quelque chose qui s'y apparentait, un coup de foudre absolu, un enchantement de tous les instants, un étonnement devant cette ville où le visiteur n'a pas à aller chercher les oeuvres d'art, où c'est L'Art qui vient à lui dans la rue, sur une place, partout...  C'était mon premier voyage hors de France et quel voyage!

Retour à Florence en 2005 :

Nous avons loué un appartement non loin de la basilique Santa Crocce, celle-là même où Stendhal eut son malaise ! C’est un quartier populaire, un peu éloigné des grands lieux touristisques même s’il est proche de la plus grande des églises de Florence. Le matin, nous y voyons les gens partir travailler en bicyclette, ou en  bus. Le marché San Ambrogio s’anime et nous allons y faire nos courses avec les ménagères du coin. De toutes petites boutiques à la devanture étroite et sombre, épiceries, boulangeries, drogueries, cafés s’ouvrent sur la rue, avec devant leur porte des groupes d’hommes discutant volubilement, le verbe haut, le geste éloquent. Près de la Basilique où se trouve l’école du cuir, les boutiques de sacs et vêtements en peau sont nombreuses.
 Nous reprenons contact avec Florence. Qui sait si nous la reconnaîtrons?
Elle a vécu l’uniformisation européenne. Quel que soit le pays d’Europe où je suis allée toute jeune, je sens, quand j’y retourne, que chacun de ces pays a perdu un peu de ce qui se faisait sa spécificité. Il ressemble  toujours un peu plus à l’autre, aux pays de l’Union. Pas complètement mais... on ne peut plus éprouver ce sentiment un peu magique de dépaysement, cette sensation d’être transporté ailleurs dans un monde différent du nôtre ! C’est cela l’Europe, et même si l’on peut en  éprouver du regret, au moins on ne se fera plus la guerre entre voisins. Les ouvriers de Pologne, de France, d’Italie ou d’ailleurs y seront encore plus durement exploités par un capitalisme triomphant qui a cessé d’être à l’échelle d’un pays.. mais comme l’a chanté Brassens "nos filles et nos garçons" y font "l’amour ensemble et l’Europe de demain".
De plus Florence subit une telle pollution que la circulation des véhicules à moteur y est sévèrement réglementée. Et puis, comme partout le tourisme de masse s’est encore élargi, les queues sont interminables, le temps de visite sévèrement minuté dans certains lieux ( chapelle Brancacci, Gozzoli..). Adieu le recueillement, la méditation devant l’oeuvre de votre choix. Stendhal n’aurait plus le temps d’éprouver son syndrôme!! Les italiens n’ont plus la chaleureuse attention  qu’ils portaient à leurs touristes même désargentés. Ils n’en ont ni le temps, ni l’envie ! Trop, nous sommes trop nombreux, nous déferlons sur la ville comme une nuée de sauterelles. Nous apportons des devises, certes, mais les rapports humains ne sont plus ce qu’ils étaient.
Désenchantement alors ? Nostalgie passéiste ?... Mais  Non ! Car le centre historique de la ville est là, immuable dans sa grave beauté, avec ses palais fortifiés, ses places où l’Histoire vit, ses oeuvres d’art qui vous happent au détour d’une rue. Les statues silencieuses  vous interpellent du haut de leur piedestal, vous contemplent sur les murs de l’église Orsan Michele, se mêlent à la foule dans la Loggia dell’Orcagna, dans la cour du Palazzo Vecchio, sur la  place de la Signoria. Partout, Verrochio, Donatello, Cellini, Ghiberti, Della Robia... viennent au-devant de vous, s’offrent à vos regards.

Domenico Ghirlandaio : La naissance de Saint jean Baptiste



Simone de Martine musée des Offices


Eglise San Miniato Florence

Alors, je suis allée à mes rendez-vous. j’ai revu la fine silhouette dansante de la dame en bleu peinte par Domenico  Ghirlandaio sur le mur de Santa Maria Novella; elle s’avance d’un pas léger, toutes voiles dehors dans la chambre où vient de naître la Vierge; elle porte d’un air altier un panier sur la tête; elle est belle comme le sont ses compagnes autour d’elle; elle est ma préférée. J’ai revu l’Homme aux yeux gris du Titien  dans le désordre indescriptible du palais Pitti. Les tableaux montent toujours à l’assaut du mur jusqu’en haut, tout en haut là où il vous faudrait une échelle pour les contempler. Et lui, le beau jeune homme d’un autre temps, il est là, à la  même place depuis plus de quarante ans. C’est fou ce que les conservateurs des musées sont ...conservateurs! J’ai revu les ailes des anges de Fra Angelico et l’air triste de ses vierges auréolées sur les murs du couvent de San Marco, le visage d’enfant boudeur de la Vierge siennoise de Simone di Martini aux Offices, les rois Mages chamarrés de Gozzoli, le tourment d'Adam et Eve chassé du paradis de Masaccio, et  l’éveil de l’Aurore dans les chapelles médicéennes ... J’ai revu la silhouette du Vieux Pont, les jambes plongées dans l’Arno où  s’ébattent des loutres, et l’adorable petite église San Miniato  perchée sur sa colline au-dessus de la Piazzale Michel Ange. De là, j’ai contemplé Florence.



L'homme aux yeux gris : Le Titien



Adam et Eve chassés du paradis de Masaccio

 
 

 Challenge de Nathalie  blog : Chez Mark et Marcel invitation au Voyage en italie ICI

Texte écrit et publié en 2005 pour Voix Nomades, site de voyage aujourd'hui disparu