David Vann ne fait jamais dans la guimauve! C'est le moins
que l'on puisse dire! J'en étais restée à ses Désolations, livre qui m'avait pas mal secouée et le voilà qui récidive avec une biographie qui porte le titre bien approprié d'une
chanson de Marylin Manson : Dernier jour sur la terre ou Last day of
summer.
Vous jugerez du livre d'après l'incipit qui donne le
ton : Après le suicide de mon père, j'ai
hérité de toutes ses armes à feu. j'avais treize ans". Cela fait froid
dans le dos, non? et ce qui suit encore bien plus!
Car
le petit David Vann traumatisé par le suicide du papa décaroche pas mal. Il
s'amuse à tirer sur les lampadaires du lotissement voisin. Il lui arrive même de viser le voisin avec la Magnum 300. Qu'est qui le retient
d'appuyer sur la gâchette? Pourquoi a-t-il été échappé à l'irrémédiable et
qu'est-ce qui a poussé, au contraire, Steve Kazmierczak, un jeune homme de 27 ans à aller
jusqu'au bout, à devenir ce tueur de masse qui tire sur des étudiants de North lllinois
University le 14 février 2008?
David
Vann mène une enquête approfondie en étudiant les archives transmises par la
police, le courrier de Steve et de ses ami(e)s, mais aussi en rencontrant
les professeurs et les familiers de
Steve, tous persuadés que celui-ci était un homme intelligent, gentil,
incapable de commettre un tel meurtre. Et pourtant, l'enquête de Vann dévoilera
les zones obscures du tueur, les haines racistes qui le rongeaient, les
angoisses qui l'étouffaient, les Tocs dont il souffrait et sa maladie mentale
qui n'a cessé de s'aggraver d'année en année.
Hungry Horse : petite ville du Montana : de Pieter Ten Hoopen (Rencontres d'Arles 2014) |
Si David Vann s'intéresse à ce cas, ce n'est pas pour la recherche du
sensationnel ou par morbidité. C'est
pour jeter un cri d'alarme, pour dénoncer les dysfonctionnements et les
aberrations des lois américaines qui permettent à chaque citoyen de s'armer. Il
met en cause les mentalités d'une grande
majorité des américains prêts à entrer en guerre si l'on menace de limiter le
port d'armes et la responsabilité des parents qui forment leurs enfants aux
armes à feu dès leur plus tendre enfance. David Vann a appris à tirer dès sept
ans et a eu son premier vrai fusil à l'âge de neuf ans. Steve est lui aussi initié très jeune et, en
cachant sa maladie, il peut se procurer librement toutes les armes et les munitions
qu'il souhaite..
"Après la fusillade de NIU, le pouvoir
législatif tenta de faire passer une loi qui aurait pu limiter l'achat d'armes
à poing à un pistolet par mois, ce qui impliquait tout de même qu'une personne
pouvait se procurer douze armes pas an, et même cela n'a pas été voté.. Chaque
fois que je roule dans Champaign pour interviewer Jessica, je vois des panneaux
en bordure de route qui affirment : les armes sauvent des vies. Si ça ce n'est pas de la manipulation,
qu'est-ce qu'on entend alors par "manipulation"?
Pèse
aussi dans la balance la maladie mal soignée, la bipolarité de Steve encore accentuée par l'abus des médicaments, par l'impuissance des parents, par le rejet des autres face à l'étrangeté ou
la bizarrerie. Les structures qui sont censées encadrer ces malades mentaux ne
sont pas la hauteur et finissent, après les avoir abrutis de médicaments, par
les laisser partir sans soin dans la nature! Son passage dans l'armée aggrave encore son état!
Les
idéologies de la haine que ce soit celle du nazisme ou du Ku Kux Klank ainsi
que les films violents qui aboutissent à une insensibilité et à une
accoutumance au Mal jouent aussi un grand rôle
dans la dérive du tueur de masse. On sait que Steve
Kazmierczak y était accro! L'on peut y ajouter ce que David Vann appelle
"la honte sexuelle", une homosexualité mal vécue ou un viol dès
l'enfance qui génère un comportement déviant. Tous ces facteurs semblent avoir
pesé sur Steve et l'ont transformé en monstre.
Mais
on ne naît pas "tueur de masse", on le devient et il faut des années
pour en arriver à ce point de non retour. Il est beaucoup plus facile de dire que Steve Kazmierczak était un monstre et que l'on ne pouvait rien faire pour l'éviter. Cela évite de poser les responsabilités. Pourtant Steve a essayé de se suicider à maintes reprises. C'est ce que rappelle David Vann et
son livre résonne comme un cri d'alarme un peu désespéré, un avertissement qui
semble bien ne pas avoir beaucoup d'échos dans son pays. Un livre marquant.
Il s'avère que je n'ai pas tant de points
communs avec Steve. Je ne partage ni son racisme, ni son libertarisme, ni son
amour des films d'horreur, sa fascination pour les tueurs en série, le service
militaire, la sexualité ambivalente, les rencontres obsessionnelles sur le Net,
les prostituées, les médicaments, le passé psychologique troublé, les amis
dealers, la mère dérangée, l'intérêt pour les maisons d'arrêt, etc. Mais j'ai
hérité des armes paternelles à treize
ans, à l'époque où je débordais d'hormones, où le monde n'avait plus aucune
importance à mes yeux depuis que mon père avait porté son arme à sa tête. Je
n'avais rien à perdre. Et j'avais été le témoin de beaucoup de violence.
Lire pour en savoir plus l'interview donné au Nouvel Obs par David Vann : "Les américains sont trop débiles..."