Je me remettrai vraiment à mon blog au mois de septembre mais avant de "monter" dans ma verte Lozère, j'ai décidé, puisque j'ai un peu de temps cette semaine, de parler de "mon" festival d'Avignon 2021 que je suis tellement heureuse d'avoir retrouvé après ces deux ans freinés par la pandémie.
J'ai vu une trentaine de pièces dans le OFF et dans le IN et je ne pourrai vous parler de toutes ! Juste faire un petit tour d'horizon de ce festival sous le masque, moins important que d'habitude (quant au nombre de spectacles) mais réussi pour la qualité !
Je vais commencer à écrire un billet plus particulièrement, sur la pièce d'Eric-Emmanuel Schmitt, Mme Pylinska et le secret de Chopinadaptée de son roman, un auteur que vous connaissez bien, amies blogueuses (ou amis) !
Mme Pylinska et le secret de Chopin au Chêne Noir
"Madame Pylinska, aussi accueillante qu’un buisson de ronces, impose une méthode excentrique pour jouer du piano : se coucher sous l’instrument, faire des ronds dans l’eau, écouter le silence, faire lentement l’amour... Au fil de ses cours, de surprise en surprise, le jeune Éric apprend plus que la musique, il apprend la vie... Après son triomphe à Paris, Eric-Emmanuel Schmitt remonte sur les planches pour faire vivre plusieurs personnages colorés.
C’est avec la pièce d'Eric-Emmanuel Schmitt que j’ai terminé avec bonheur le festival d’Avignon ce samedi 31 Juillet 2021 : Madame Pylinska et le secret de Chopin. (J'avais vu Le Chien du même auteur en 2019 ).
Eric-Emmanuel Schmitt y raconte ses leçons de piano avec une professeure de musique polonaise qui lui fit, en son temps, comprendre la musique de Chopin. Un texte beau, poétique, à mi-chemin entre émotion et humour, et une musique superbe, une re-découverte de Chopin. Il y a deux personnes sur scène : le pianiste Nicolas Stavy ou Guilhem Fabre (en alternance), l’auteur qui est aussi acteur, et trois personnages si l'on ne compte pas toutes sortes de bestioles qui peuplent l'appartement de Madame Pylinska. Je ne vous en dis pas plus mais sachez qu'une araignée, des chats, une mésange y jouent un grand rôle !
Eric-E Schmitt interprète son propre rôle, tout jeune, découvrant Chopin grâce à sa tante (bien) Aimée et décidant alors de se mettre au piano pour chercher à découvrir le secret de la musique de Chopin : D’où vient l’étonnant bienfait qu’il apporte à nos âmes ? Où nous emmène-t-il ? L'acteur est aussi madame Pylinska et, grâce son interprétation, à la mise en scène de Pascal Faber, on la voit, cette vieille dame, drapée dans ses fourrures, avec son fume-cigarettes à la main. On l’entend aussi avec son accent rocailleux qui roule les r, ses enthousiasmes et ses colères quand on ose massacrer son Chopin, le jouer sans âme, ou d’une manière trop dégoulinante de bons sentiments ou encore quand l’interprète cherche à briller par une virtuosité sans émotion, aux dépens du musicien. Ces leçons de piano pour le moins originales se déroulent devant les spectateurs ébaubis ! La musique de Chopin magnifiquement interprétée nous permet de découvrir le sens de l’enseignement de Madame Pylinska. Car ces leçons, si elles sont musicales, apprennent aussi la vie et mieux, la qualité de la vie : lâcher prise, entrer en communion avec soi-même, avec la nature, avec l’amour, approfondir ses sensations, sentir avec son corps et pas seulement avec son cerveau, être humble et pourtant confiant…
De belles leçons poétiques et émouvantes, pleines de surprises et d’humour, un peu bizarres, farfelues parfois, et qui nous touchent par l’émotion qui s’en dégage, et qui nous font rire aussi, retrouvant ainsi la belle formule de Charlie Chaplin pour le cinéma : le théâtre, « c’est du rire et des larmes »
Mme Pylinska et le secret de Chopin Théâtre du Chêne noir 17H05
Interprètes / Intervenants
• Metteur en scène : Pascal Faber • Interprète(s) : Eric Emmanuel Schmitt, Nicolas Stavy (piano), Guilhem Fabre (piano, en alternance) • Eclairagiste : Sebastien Lanoue
En suivant le fil rouge de la révolte et de l’anarchie, ce spectacle à
la fois poétique et profond, grave et léger, explorent la matière
foisonnante des chansons de Prévert et Kosma, qu'elles soient connues ou
inédites !
Accompagnés de leur fidèle pianiste à tête d'oeuf de
Colomb, ces deux comédiens-chanteurs, vous entrainent dans un singulier
voyage avec pour seul compas le plaisir de reconstruire un monde "à
leur façon".
Ce spectacle permet de retrouver avec beaucoup de plaisir les poèmes de Jacques Prévert mis en musique par Kosma. Des textes que je connais parfois par coeur et que j'aime tant : Barbara, le dîner de têtes, A la pêche à la baleine, le cancre, le petit bruit de l'oeuf dur et tant d'autres encore. Il ne s'agit pas du Prévert consensuel, de celui que l'on fait apprendre aux élèves des écoles, mais du poète engagé, anar, qui prend le parti de l'ouvrier et des misérables, stigmatisme le capitalisme, l'Eglise et tous les puissants de ce monde et dynamite la société. Les chanteurs-comédiens sont très bons de même que la pianiste et les chansons s'enchaînent d'une manière enlevée grâce à une mise en scène inventive. Un bon spectacle !
Le malade imaginaire Molière Théâtre Notre-Dame
À 14h15
Durée : 1h35
à 14h15 : du 7 au 30 juillet - Relâches : 10, 17, 24 juillet
Compagnie Comédiens et Compagnie
Interprète(s) : G. Collignon, V. Français, M. Le Duc, F. Barthoumeyrou, A. Saad, A. Fauquenoy, P.M. Dudan, B. Bénézit, A. De Alencar
Adaptation et mise en scène : Jean Hervé Appéré
Pour redonner à cette pièce sa richesse baroque nous utilisons tous les
outils et artifices de notre art : présence gestuelle, improvisation
raisonnablement dosée, musiques et chants, danses et pantomimes sans
oublier un respect du texte qui n'entrave pas la gaité communicative de
la farce. Un spectacle pour tous, un spectacle populaire dans le sens
noble du terme, accessible ne rimant pas avec pauvreté ou vulgarité mais
avec richesse et humanité.
La pièce de Molière est agréablement rythmée par la musique baroque de Charpentier. Bravo aux musiciens et aux chanteurs qui sont aussi comédiens ! Toute la compagnie se donne à fond pour nous amuser. Bien sûr, l'on peut regretter que l'aspect tragique de cette pièce qui traduit toutes les angoisses de Molière peu avant sa mort ne soit pas souligné. Mais après tout, il s'agit d'un choix, et le spectacle est très plaisant. Un bon moment théâtral!
Dans Le Garçon, un roman de la rentrée littéraire 2016 que je vous présenterai bientôt, Marcus Malte développe un thème, lié à un poème de Victor Hugo, celui d’un héros légendaire nommé Mazeppa.
Dans la première version du poème Mazeppa dans Les Orientales Victor Hugo ouvre le récit par ces vers :
Ainsi quand Mazeppa, qui rugit et qui pleure A vu ses bras, ses pieds, ses flancs qu'un sabre effleure,
Tous ses membres liés
Sur un fougueux cheval, nourri d'herbes marines,
Qui fume, et fait jaillir le feu de ses narines
Et le feu de ses pieds.
Le coursier galopant furieusement, emporte le héros dans une course que rien ne semble pouvoir interrompre.
Ils vont. Dans les vallons comme un orage ils passent,
Comme ces ouragans qui dans les monts s'entassent,
Comme un globe de feu;
Puis déjà ne sont plus qu'un point noir dans la brume,
Puis s'effacent dans l'air comme un flocon d'écume
Au vaste océan bleu.
Ils vont. L'espace est grand. Dans le désert immense,
Dans l'horizon sans fin qui toujours recommence,
Ils se plongent tous deux.
Leur course comme un vol les emporte, et grands chênes,
Villes et tours, monts noirs liés en longues chaînes,
Tout chancelle autour d'eux.
Mais son destin tragique qui paraît le vouer à une mort certaine …
Voilà l'infortuné gisant, nu, misérable,
Tout tacheté de sang, plus rouge que l'érable
Dans la saison des fleurs.
… se transforme pourtant et contre toute attente en grandeur. Ce n’est pas la mort qui attend Mazeppa mais la gloire ! L'homme n'est pas maître de son destin, il lui est impossible de déchiffrer son avenir.
Sa sauvage grandeur naîtra de son supplice.
Un jour, des vieux hetmans il ceindra la pelisse,
Grand à œil ébloui;
Et quand il passera, ces peuples de la tente,
Prosternés, enverront la fanfare éclatante
Bondir autour de lui !
Le personnage de Marcus Malte, appelé le garçon, en ce début du XXième siècle, rappelle le héros de Hugo. Une automobile conduite par Emma accroche et renverse sa roulotte et le blesse gravement à la tête, le précipitant dans le coma. De même que Mazeppa, lorsque le jeune homme revient à la vie, il connaît, lui orphelin, seul et pauvre, ce qu’il n’a jamais eu jusqu’alors, un foyer, un père, un grand amour, Emma, et la musique comme un splendide cadeau. Après avoir été misérable, il est comblé. Ce n'est pourtant pas la gloire qu'il acquiert mais le bonheur.
L’allusion à Mazeppa revient ensuite dans Le Garçon au moment de la déclaration de guerre en 1914. Sans patronyme jusque là puisqu’il est un enfant sauvage, le personnage prend officiellement le nom de Mazeppa pour partir se battre, à l’instigation d’Emma qui veut forcer le destin et faire en sorte que celui qu’elle aime revienne vivant.
Mais qui est Mazeppa?
Portrait de Ivan Stepanovitch Mazeppa
Mais qui est Mazeppa, pourquoi est-il attaché à un cheval, comment échappe-t-il à la mort et comment s’élève-t-il aux honneurs suprêmes?
C’est Voltaire qui nous conte le premier l’histoire d’Ivan Stepanovitch Mazepa, personnage historique, page du roi de Pologne, Jean II Casimir Vasa, qui devint prince d’Ukraine.
« Celui qui remplissait alors cette place était un gentilhomme polonais, nommé Mazeppa, né dans le palatinat de Podolie ; il avait été élevé page de Jean-Casimir, et avait pris à sa cour quelque teinture des belles-lettres. Une intrigue qu’il eut dans sa jeunesse avec la femme d’un gentilhomme polonais, ayant été découverte, le mari le fit lier tout nu sur un cheval farouche, et le laissa aller en cet état.
Le cheval, qui était du pays de l’Ukraine, y retourna, et y porta Mazeppa, demi-mort de fatigue et de faim. Quelques paysans le secoururent : il resta longtemps parmi eux, et se signala dans plusieurs courses contre les Tartares. La supériorité de ses lumières lui donna une grande considération parmi les Cosaques ; sa réputation, s’augmentant de jour en jour, obligea le czar à le faire prince de l’Ukraine. »
(Voltaire, Histoire de Charles XII)
La popularité de ce héros
Louis Boulanger (1827)
La littérature
La littérature s’empare du héros ukrainien. Mazeppa est le trente quatrième poème des Orientales publié en 1829 par Victor Hugo quelques années après celui de Byron en 1819 qu'il avait lu et qui l'influença. Pouchkine parle aussi de Mazeppa dans Poltava, récit de la bataille où le héros qui a osé s’attaquer au Tsar, Pierre Le Grand, subit une défaite.
Le poème de Hugo présente deux partie. La première, citée ci-dessus, décrit la chevauchée du coursier et de Mazeppa attaché sur son dos et décrit la sauvagerie du suuplice, les souffrances endurées
Dans la seconde version le poète s’adresse directement à l’animal en le tutoyant,
En vain il lutte, hélas ! tu bondis, tu l'emportes
Hors du monde réel, dont tu brises les portes
Avec tes pieds d'acier !
Tu franchis avec lui déserts, cimes chenues
Des vieux monts, et les mers, et, par delà les nues,
De sombres régions;
Et mille impurs esprits que ta course réveille
Autour du voyageur, insolente merveille,
Pressent leurs légions.
Ces strophes d’un lyrisme flamboyant évoque non plus un simple cheval mais une bête fantastique, un pégase animé par Dieu, qui s’élève jusqu’à la Création, au-delà du monde terrestre. Le héros s'élève ainsi au-dessus de la nature humaine. Il vole, nouvel Icare, il s'approche de Dieu. Hugo brode ici autour d'un thème qui lui est cher, celui du mythe du Génie et en particulier du Poète, visionnaire, inspiré par Dieu et qui conduit les foules. Mythe typiquement romantique, on pense aussi au Moïse, "puissant et solitaire" de Vigny ou au Pélican qui nourrit ses enfants de sa chair de Musset. Cependant l'image d'Icare introduit celle de la chute.
Il traverse d'un vol, sur tes ailes de flamme,
Tous les champs du possible, et les mondes de l'âme;
Boit au fleuve éternel;
Dans la nuit orageuse ou la nuit étoilée,
Sa chevelure, aux crins des comètes mêlée,
Flamboie au front du ciel.
Les six lunes d'Herschel, l'anneau du vieux Saturne,
Le pôle, arrondissant une aurore nocturne
Sur son front boréal,
Il voit tout; et pour lui ton vol, que rien ne lasse,
De ce monde sans borne à chaque instant déplace
L'horizon idéal.
Et c’est par un procédé stylistique saisissant, déjà utilisé dans La Légende des siècles(« le lendemain Ameyrillot prit la ville »)que Victor Hugo clôt le poème. Une fin très courte, d’un seul vers « et se relève roi! » crée un décalage par rapport aux longues strophes descriptives qui précèdent.
L’extraordinaire destin de Mazeppa est ainsi mis en valeur par le hiatus, je dirai même la béance qui existe entre la longueur et la brièveté, entre ce qu’il était et ce qu’il devient..
Il crie épouvanté, tu poursuis implacable.
Pâle, épuisé, béant, sous ton vol qui l'accable
Il ploie avec effroi;
Chaque pas que tu fais semble creuser sa tombe.
Enfin le terme arrive... il court, il vole, il tombe,
Et se relève roi !
La musique
Mazeppa de Liszt pinaiste Denis Kozhukhin
La musique : Mazeppa est aussi la quatrième étude en ré mineur du recueil Les Douze études d'exécution transcendante de Liszt. Elle a été composée entre 1826 et 1852 et est réputée pour sa grande difficulté. Liszt a retenu trois éléments de cette histoire :
la course folle sur le dos du cheval ; la chute qui semble annoncer la mort ; le réveil et le triomphe
C’est l’étude que joue Emma au garçon lorsque celui-ci se réveille : Il y a de par le monde tout au plus quarante virtuoses capables d'interpréter cette pièce. Elle (Emma) n'en fait pas partie. Le pauvre cheval harassé est contraint à une cadence infernale, il s'emballe, et le calvaire du cavalier se poursuit dans des cascades d'octaves, dans des déferlements de tierces et de quartes, et son martyre augmente à l'aune de la beauté qu'il engendre.
Tchaïkowsky, lui, s'inspirant du Poltava de Pouckine écrit un opéra intitulé Mazeppa
L'art
Mazeppa de Théodore Gericault (1820)
Nombreux sont aussi les grands peintres romantiques, les illustrateurs, les sculpteurs qui se passionnent pour ce héros. Pour le romantisme français : Delacroix, Gericault, Vernet, Boulanger, Chassériau... Le mythe perdure tout au long du XIX siècle mais aussi dans les oeuvres contemporaines.
Les auteurs, les peintres, les musiciens romantiques, on le voit, se sont passionnés pour Mazeppa. Pourquoi? En quoi est-il représentatif du héros romantique?
Il s’agit d’un homme qui est né au bas de l’échelle (Mazeppa est noble, certes, mais d’une famille pauvre et il commence à la cour de Pologne comme page) et son ascension fulgurante jusqu'au titre de prince d’Ukraine en est d’autant plus frappante. Nous avons vu que Victor Hugo en faisait avec le cheval volant le mythe du poète placé au-dessus de la foule pour la guider. D'une manière plus générale, il incarne pour les romantiques le héros proscrit, le rebelle mais qui parvient à s’élever au sommet comme Ruy Blas ou Gwinplaine. D’autre part, alors qu’il est marqué par le fatum et doit mourir il parvient à y échapper, pourquoi? Parce que c'est un homme hors du commun, parce qu'il est l'égal ou le protégé des Dieux. Ce contraste vertigineux frappe l’imagination romantique.
Une autre caractéristique de Mazeppa, c’est sa démesure. Il devient chef (hetman) des cosaques, prince d’Ukraine, mais ne se contente pas de ce qu’il a. Son hybris, car la démesure romantique rejoint ici le thème grec de l’orgueil, le pousse à vouloir se hisser encore plus haut, à tenir tête au Tsar, Pierre le Grand. Il en sera puni. Victor Hugo n'a pas retenu cet aspect du héros au contraire de Pouchkine qui en décrivant la bataille de Poltava montre l'échec du Hetman. Marcus Malte lui aussi ne s'est intéressé qu'à la première partie du mythe, celui du marginal, du démuni, qui finit par trouver une place dans la société. Mais si le garçon n'est jamais dans l'orgueil et la démesure comme le sera Mazeppa, il est par contre marqué par le destin. Pour lui, le bonheur est de faible durée et chaque fois qu'il est heureux, survient un évènement tragique. Il est marqué par la fatalité comme tout héros romantique à moins que ce ne soit par le pessimisme de son auteur?
Henrik Johan Ibsen est un dramaturge
norvégien. Il se présente comme un « anarchiste aristocrate». Fils de
Marichen Ibsen et de Knud Ibsen, Henrik Johan Ibsen naît dans un foyer
que la faillite des affaires paternelles, en 1835, désunit rapidement.…
De sa pièce de théâtre Peer Gynt (1867), Henrik Ibsen disait : « De l’ensemble de mes livres je (le) tiens pour celui qui est le moins susceptible d’être compris en dehors des pays scandinaves ». Et si cela ne tenait qu’à moi, je dirais que c’est bien vrai. Et pourtant elle a joui d’un engouement exceptionnel aussi bien en Norvège que dans le monde entier, et a été traduite dans de nombreuses langues. Lire Peer Gynt m’a bousculée dans mes attentes, en me faisant dévier du chemin théâtral que je connais et je ne parle pas seulement des pièces classiques. Même le théâtre élisabéthain et encore moins le drame romantique et les revendications d’Hugo, ni les pièces contemporaines, ne m’ont permis de m’adapter facilement à un tel chamboulement! je suis allée de surprises en surprises tant en ce qui concerne la langue que le déroulement de la pièce et surtout le sens. Que veut dire le dramaturge? Même à la fin de la pièce, l’on s’interroge.
La traduction de la Pléïade dans laquelle j’ai lu la pièce n’est pas en vers mais les niveaux de langue toujours changeants sont bien rendues : Poésie et lyrisme, alternent avec un langage protéiforme satirique, familier voire au trivial. Bien sûr, chez Shakespeare ou Hugo aussi, on retrouve aussi ce changement de registre mais la familiarité et la vulgarité sont le propre des personnages grotesques et ne concernent pas, ou alors rarement, les personnages nobles. Dans Peer Gynt, le mélange du fantastique et de l’humour, les personnages sont parfois comiques et même caricaturaux là où l’on s’attendrait à avoir peur, est aussi étonnant.
Peer Gynt est un lesedrama c’est à dire une pièce en vers destinée seulement à la lecture, ce qui laissait à son auteur la possibilité de laisser libre cours à son imagination : les personnages fantastiques du folklore norvégien envahissent la scène, les décors sont nombreux et divers, on est transporté des forêts profondes et des fjords norvégiens à l’Afrique, dans le désert, au milieu des palmiers comme au pied du Sphynx égyptien. Une pièce qui ne devait pas être jouée et pourtant elle a été portée à la scène un grand nombre de fois! Ce que l’on peut expliquer par le fait qu’elle stimule par sa complexité même la créativité des plus grands metteurs en scène.
En fait la pièce qui compte cinq actes paraît diviser en trois parties déterminées par les lieux et les périodes de la vie de Peer Gynt.
La jeunesse de Peer Gynt
La première partie se déroule en Norvège et correspond à la jeunesse de Peer Gynt. Le jeune homme, inspiré d'un personnage folklorique norvégien, ment toujours et prétend vivre des aventures qui sont arrivées à d’autres. Il est incapable d’assumer ses responsabilités, de s’occuper de sa ferme et de venir en aide à sa mère, Ase. C’est dans cette partie que Peer Gynt se met à dos les villageois, veut épouser la fille du roi des trolls, le seigneur des montagnes de Dove. Poursuivi par ses ennemis, il s’enfuit après la mort d'Ase et après avoir salué Solveig, une jeune fille qui l’aime et qui promet de l’attendre.
C’est la partie que j’ai préférée avec la poésie de la nature norvégienne qui occupe la première place et l’étrangeté du Petit Monde, les trolls, les nixes, les sorcières, qui sont la base des croyances populaires, un héritage de la culture païenne. Notons aussi la très belle scène de la mort d'Ase, si émouvante et poétique dans laquelle le fils accompagne sa mère au seuil de la mort.
Peer Gynt est un ambitieux, à la recherche du pouvoir et de la richesse. Il est prêt à tout pour épouser la princesse sauf.. à se laisser crever les yeux! C’est alors que le roi des Trolls prononce une phrase qui semble porter le sens (un des sens?) de la pièce. A la question : quelle est la différence entre un humain et un troll? Il répond : On dit à l’humain « Homme, sois toi-même! » et au troll « Troll, sois pour toi-même! »
La maturité de Peer Gynt
dessin de décor : la cabane de Solveig de Nicholas Roerich
La deuxième partie raconte la maturité de Peer Gynt qui a vécu des aventures multiples. On le retrouve courant les mers ou les déserts, l’Afrique ou l’Amérique, tour à tour négrier, contrebandier, prophète, toujours empêtré dans le mensonge qui devient une arme pour manipuler autrui.
C’est la partie que je n’ai pas aimée et qui m’a ennuyée, trop rocambolesque, ni fantastique, ni proche de la réalité. De plus, l’Afrique de Ibsen est très convenue, rien à voir avec l’authenticité qui est la sienne quand il parle de son pays!
Peer Gynt, le mauvais garçon, s’est encore endurci dans le mal, allant jusqu’au meurtre pour sauver sa vie. Le personnage devient de plus en plus corrompu et repoussant. Alors que Solveig, toujours fidèle dans son amour et sa foi, l'attend au pays.
La parole du roi des montagnes de Dove se réalise. Peer Gynt est bien un troll et non un humain car il n’est pas lui-même, il est pour lui-même !
La vieillesse de Peer Gynt
Peer Gynt et les trois pelotes(incarnation des Trolls)
La troisième partie se déroule en Norvège, c’est la vieillesse de Peer Gynt guetté par la Mort et que le diable poursuit de ses assiduités. Peer Gynt, le menteur, s’en sort toujours par une pirouette, en utilisant le mensonge pour berner les autres. Mais au moment où rien ne paraît pouvoir le sauver, l’amour de Solveig le tire des griffes de ses ennemis. L’amour plus fort que la mort? Oui, mais pour combien de temps? La fin reste ouverte : on entend la voix du fondeur de boutons derrière la maison : Nous nous rencontrerons au tout dernier carrefour, Peer, et alors, nous verrons...si... Je n'en dis pas davantage.
J’ai aimé ce passage car l’on retourne en Norvège dont l’auteur nous restitue l’essence. L’on retrouve alors les personnages populaires, la mort symbolisée par le Fondeur de boutons, chacun doit passer dans sa cuiller. Le diable apparaît sous les traits d’un personnage maigre, avec un filet d’oiseleur sur l’épaule pour attraper les âmes perdues et avec un sabot à la place d’un pied, figure coutumière des légendes norvégiennes.
Solveig est l’antithèse de Gynt. Si celui-ci incarne le mal, l’égoïsme, la manipulation d’autrui, Solveig est altruisme, bonté, dévouement. Mais dans ce combat entre le mal et le bien qui est au centre la pièce, jamais l’on ne voit Peer Gynt évoluer vers le Bien. Sauf, un moment éphémère où le chant de Solveig et sa fidélité lui font comprendre ce qu’il a perdu. Quant à Solveig, elle paraît être une idée désincarnée plus qu’un être réel. Le pessimisme et l'amertume d' Ibsen semblent triompher.
Suite musicale de Peer Gynt, musique de Grieg
Henrik Ibsen avait demandé à Edvard Grieg de mettre sa pièce en musique alors que les deux hommes ne s'entendaient pas! Grieg trouvait la pièce "débordante d'esprit et de fiel". Quant à Ibsen, il n'apprécia pas la musique composée par Grieg peut-être trop romantique pour convenir à la noirceur satirique de Peer Gynt? Pourtant l'oeuvre musicale connut un immense succès. Si vous avez le temps, écoutez ces extraits. Vous verrez que même si vous pensez ne pas la connaître, cette musique vous parlera!
Edvard Grieg:Au matin suite 1/1 op. 46
Edvard Grieg : Chanson de Solveig suite 2 /4 op.55 : chanté par la soprano norvégienne Marita Solberg
Edvard Grieg : Dessin animé sur la suite 1/ 4 Op. 46 de Peer Gynt Dans l'antre du roi de la montagne. C'est cette musique que Fritz Lang a utilisé dans M. Le Maudit.
Edvard Grieg
Edvard Grieg naît à Bergen en 1843 et meurt dans sa ville natale en 1907.
Pianiste de formation, Edvard Grieg est un compositeur norvégien de la période romantique. Il est particulièrement attaché à la mise en valeur du folklore norvégien au moyen de la musique.
Edvard Grieg naît dans une famille de musiciens : son père joue en tant qu’amateur dans un orchestre de la ville, sa mère lui donne ses premières leçons de piano et lui fait découvrir l’histoire de la musique à travers Mozart, Weber et Chopin. Grâce aux encouragements du violoniste norvégien Ole Bull dont il fait la connaissance à l’âge de quinze ans, Edvard Grieg part en 1858 au conservatoire de Leipzig pour y faire ses études musicales. Il découvre les œuvres de Schumann ou de Wagner au Gewandhaus, et propose sa première composition à son examen final en 1862 (Quatre pièces pour piano).
Edvard Grieg entame alors une carrière de pianiste. Il déménage à Copenhague où il rencontre les compositeurs Niels Gade et Rikard Nordaak, et commence à éprouver un intérêt prononcé pour la culture nordique. En 1867, il s’installe à Christiana et y fonde l’Académie norvégienne de musique. Il dirige régulièrement l’orchestre de la société de musique et compose de nombreuses pièces (Humoresques, Concerto en la mineur pour piano), ce qui est d’autant plus facile lorsqu’il se voit accorder par l’Etat une rente viagère, à partir de 1872.
En 1876, Edvard Grieg rencontre le succès avec Peer Gynt, un opéra né de l’œuvre d’Ibsen. Après une période de crise durant laquelle il se concentre sur le folklore de sa région, il part en tournée en Europe et se fait acclamer de toutes parts. La qualité de l’écriture pianistique inspirée par Liszt, ainsi que l’audace de l’harmonie, font de Grieg un compositeur majeur de la Norvège et inspireront Debussy ou Ravel. (Source bibliographique: France Musique)
Variations sur le Carnaval De Venise de Théophile Gautier
Monet
Sur les Lagunes " Tra la, tra la, la, la, la laire ! " Qui ne connaît pas ce motif ? A nos mamans il a su plaire, Tendre et gai, moqueur et plaintif
L'air du Carnaval de Venise, Sur les canaux jadis chanté Et qu'un soupir de folle brise Dans le ballet a transporté !
Renoir : la gondole
Il me semble, quand on le joue, Voir glisser dans son bleu sillon Une gondole avec sa proue Faite en manche de violon.
Véronèse
Sur une gamme chromatique, Le sein de perles ruisselant, La Vénus de l'Adriatique Sort de l'eau son corps rose et blanc.
Les dômes, sur l'azur des ondes Suivant la phrase au pur contour, S'enflent comme des gorges rondes Que soulève un soupir d'amour.
Monet : Venise
L'esquif aborde et me dépose, Jetant son amarre au pilier, Devant une façade rose, Sur le marbre d'un escalier.
Turner
Avec ses palais, ses gondoles, Ses mascarades sur la mer, Ses doux chagrins, ses gaîtés folles, Tout Venise vit dans cet air.
La Venise de Canaletto
Une frêle corde qui vibre Refait sur un pizzicato, Comme autrefois joyeuse et libre, La ville de Canaletto ! »
Théophile Gautier - Émaux et Camées
Le carnaval de Venise de Francisco Tarrega
Francisco Terraga :
Guitariste et compositeur espagnol (1852_1909)
L'interprète
Emmanuel Rossfelder (né en 1973) est un guitariste classique français.
Débute la guitare à l'âge de 5 ans, il commença la guitare en étant
l'élève de Raymond Gellier. A l'âge de 8 ans il entre au Conservatoire
de musique d'Aix en Provence dans les classe de Bertrand Thomas. À 14
ans il obtient la médaille d'or du conservatoire d'Aix-en-Provence et
devient élève d'Alexandre Lagoya au Conservatoire national supérieur de
musique et de danse de Paris. Il est alors le plus jeune guitariste à
intégrer les classes du maître Alexandre Lagoya. A seulement 18 ans il
obtient son prix du Conservatoire National Supérieur de Musique de
Paris. En 2004, il est nommé Révélation soliste instrumental de l'année
des Victoires de la musique classique.
La dame de Pique ( Пиковая дама) est une nouvelle de Pouchkine que j’ai étudiée pour mon mémoire de maîtrise, c’est à dire il y a fort longtemps. Je l’ai relue avec un vif plaisir pour me plonger dans un bain de culture russe avant mon départ à Moscou et à Saint Pétersbourg prévu pour le 15 septembre.
Comme quoi la rentrée littéraire n’empêche pas le retour de temps en temps aux bons vieux classiques!! Et pourquoi les deux seraient-ils antinomiques comme le pensent par fois certain(e)s d’entre vous?
Le récit
Au cours d’une soirée consacrée au jeu, à Saint-Pétersbourg, chez son ami Naroumov, le comte Tomsky raconte à ses amis l’histoire de sa grand mère la comtesse Anna Fedotovna. Celle-ci a été, dans sa jeunesse, une beauté célèbre, courtisée par tous et qui adorait le jeu. En visite à Paris, elle perd une partie de sa fortune aux cartes et confie son désarroi au comte de Saint Germain, un aventurier qui prétend avoir des pouvoirs d’alchimiste. Celui-ci lui indique le secret des trois cartes qui feront sa fortune mais à condition qu’elle ne rejoue plus jamais.
Ce récit enflamme l’imagination de Hermann, un ami de Tomsky, dont la fortune est médiocre. Il séduit la pupille de la comtesse, Lisaveta Ivanovna, pour s’introduire dans les appartements de la vieille dame qu’il menace avec son pistolet afin de lui extorquer son secret. Mais cette dernière, terrassée par la peur, meurt sans le lui révéler. Le soir de l’enterrement d’Anna Fedotovna, son spectre apparaît à Hermann pour lui donner la combinaison gagnante qui lui permettra, en faisant fortune, de sortir de sa condition. Et je vous laisse découvrir la suite!
Romantisme ou antiromantisme?
La dame de Pique adaptation de Tchaïkowsky
Romantique, Alexandre Pouchkine l’est, par son appartenance à une époque, le début des années 1800, et à une classe sociale, noble, désoeuvrée, aisée, très occidentalisée.
Ainsi le tableau qu’il nous donne de la société pétersbourgeoise dans La dame de Pique, est celle d’une jeunesse dorée à la sensibilité exacerbée qui brûle sa vie en beuveries et aux cartes. Hermann semble être le parfait exemple de ce héros romantique, un peu en marge des autres par son milieu plus modeste, et en proie à une obsession qui va le conduire à la folie.
Le thème fantastique qui est introduit dans ce récit convient donc au genre romantique : l’apparition du spectre de la comtesse, la révélation des trois cartes qui supposent l’intervention de puissances occultes et peut-être même l’existence d’un pacte satanique. Et puis il y a l'image de cette Dame de pique, qui dans le langage des cartes est la personnification de la mort.
Mais l’ironie Pouchkiniennne vient démentir le romantisme du récit. Et d’abord avec Hermann! Ce dernier pourrait être le prototype du héros romantique, amoureux et fougueux; il fait une cour assidue à la jolie Lisaveta, mais n’a pas d'autre but que de satisfaire sa cupidité, son désir de faire fortune. La manière dont il abuse la jeune fille en fait un être froid et calculateur.
Le style de Pouchkine aussi est aux antipodes du romantisme, un style classique (l’écrivain est un admirateur de Voltaire), simple, sans flamboyance, qui ne recherche pas l’effet. Bien au contraire, il en prend le contrepied. Mais pour être dépouillé, il n’en est pas moins efficace, témoin la description saisissante de la toilette de la vieille princesse. La vieillesse qui jaunit sa peau, la sénilité qui rend ses lèvres pendantes et affecte tout son corps d’un tremblement mécanique, en font un spectacle bien plus horrible que la mort elle-même. Finalement la réalité est plus effrayante que le fantastique, la vivante plus repoussante que le spectre!
Il faut lire le dénouement de La dame de Pique pour comprendre ce refus de la dramatisation. La fin est si volontairement plate, elle contraste si violemment avec ce qui précède, qu’il me semble y voir l’expression d’un sentiment de dérision de la part de son auteur. Les héros sont terre à terre et conformistes. A l’exception de Hermann, ils continuent leur vie, comme si rien ne s’était passé. La passion de Lizévata pour Hermann, ses sentiments exaltés nourris par ses lectures et son imagination enflammée semblent complètement oubliés. Lizaveta entre dans les rangs, avec un retour au correctement social, au bon ton.
La dame de pique est une des plus célèbres nouvelles de Pouckine. Elle a été adaptée à l’opéra dans par Piotr Ilitch Tchaïwkosky.
Je vous parlerai bientôt de Les Récits de feu Ivan Petrovitch Belkine de Pouchkine
La dame de pique opéra de Tchaïkowsky
Je suis allée voir l'opéra de Tchaïkowsky d'après l'oeuvre de Pouchkine à l'opéra de Saint Petersbourg. Voici quelques photographies.
L'opéra ancien à droite et contemporain à gauche
l'opéra contemporain Intérieur
La salle de concert : arrivée du public
La fosse d'orchestre
Partition de la dame de pique pupitre du chef d'orchestres Saint Petersbourg
Nils Blommer : Les elfes des prairies (1850) peintre romantique suédois
Voici le sixième bilan du challenge romantique. Il a commencé le 1er Novembre 2011 et est désormais illimité. Il concerne la littérature,
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Les auteurs lus au cours du challenge
Quels sont les auteurs que nous avons lus au cours de ce challenge romantique? Ils appartiennent à plusieurs nationalités avec une supériorité en nombre pour les français.
Le romantisme français
Balzac / Chateaubriand François René/Cazotte/Dumas Alexandre/Gautier Théophile/Hugo Victor/Lamartine/Nerval Gérard /Mérimée/Mistral Frédéric/ Musset Alfred/Nodier Charles /Renan/Roland madame/Sand George /Stendhal/Vigny Alfred
Emoi et Moi : Marianne de ma jeunesse de Julien Duvivier
Un beau billet vibrant d'émotion sur un film adapté d'un auteur allemand : Peter Von Mendelssohn
Carl Blechen, peintre allemand ...........................................................................................................................
Place à la musique!
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