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lundi 17 septembre 2018

Arturo Pérez-Reverte : Deux hommes de bien



Qui sont ces « Deux hommes de bien » décrits dans le livre d’Arturo Pérez-Reverte ? Deux membres de l’académie royale espagnole au XVIII siècle : le bibliothécaire Don Hermogenes Molina et son collègue Don Pedro Zarata appelé l’Amiral, spécialiste d’ouvrages sur la Marine.



Les deux académiciens sont envoyés à Paris pour acheter l’édition originale et complète de l’encyclopédie française (1751_1772) et la ramener à Madrid au péril de leur vie. C’est le roi Charles III désireux de changement dans son pays qui accorde l’autorisation de faire entrer l’encyclopédie des philosophes français en Espagne, contre la volonté de l’église et des milieux nobles réactionnaires. Tous les membres de l’Académie ne sont pas d’accord avec ce voyage et certains d’entre eux lancent alors un sbire aux trousses des deux savants pour les empêcher de réussir dans leur mission..
Pour bien comprendre l’importance de l’expédition, il faut dire que le siècle des Lumières français a bien du mal à pénétrer en Espagne où l’emprise de l’église est toujours aussi forte.

Nous suivons donc les deux personnages dans ce long périple pour arriver à Paris, partageons avec eux leurs discussions philosophiques mais aussi les rencontres qu’ils font tout au long de la route, les arrêts dans les auberges, et leurs aventures. Nous sommes à la fin du XVIII siècle et quand ils arrivent à Paris, la révolution française n’a pas encore éclaté mais l’effervescence qui règne dans la capitale la laisse pressentir ! Et nous rencontrons, en les suivant dans les salons parisiens, de célèbres personnages qui sont ou seront bientôt les acteurs de la révolution.

On a pu dire  de ce livre « qu’il est enlevé comme un feuilleton de Dumas Père » mais je ne pense pas qu'il soit tout à fait cela ! Certes, les deux hommes vivent des aventures, ils se font rouer de coup, détrousser, emprisonner et l’un d’eux se bat en duel pour les beaux yeux d’une dame mais les débats d’idées demeurent le plus important. D’autre part, les personnages ne sont pas  -surtout Don Hemogénes, savant, rat de bibliothèque, vieillard craintif et timoré - des héros de cape et d’épée. L’Amiral, ancien militaire dans la marine, lui, correspond plus à cet image, toujours élégant, altier et maître de lui, mais son passé glorieux est tout de même loin de lui. A mon avis, ce qui domine dans le roman est la quête intellectuelle de ces deux hommes de bien, amoureux des livres et des idées philosophiques. La quête des Lumières est le véritable sujet de l'histoire et l'encyclopédie, le personnage le plus important ! Et c’est avec beaucoup de plaisir que j’ai suivi leurs recherches dans les librairies ou encore dans les endroits secrets où se vendent sous le manteau, au milieu des livres pornographiques, les oeuvres interdites des grands penseurs du siècle.
Autre intérêt du livre et pas des moindres, c’est que la quête des deux savants est doublé par celle d'Arturo Perez-Reverte, écrivain. C’est en découvrant les volumes de l’encyclopédie dans la bibliothèque de l’académie dont il est membre lui-même, qu’Arturo Perez -Reverte est parti sur les traces des deux hommes.  Et pour cela, il a refait le chemin de ses personnages, en s’entourant des documents anciens qui lui permettent de retrouver les routes, les lieux de l’époque, il a lu des mémoires et des journaux et aucun détail de ce formidable périple n’est laissé au hasard. J’ai vraiment beaucoup aimé voir le roman se construire devant nous comme dans Les soldats de Salamine de Javier Cercas. Non sans humour mais avec ténacité, l’écrivain intervient au cours du récit pour nous confier les difficultés qu’il rencontre et comment il les résout afin de rester au plus près de la réalité historique et faire revivre cette époque.



mercredi 1 octobre 2014

Agota Kristof : Hier et C'est égal




Agota Kristof, écrivain d'origine hongroise, née le 30 octobre 1935 à Csikvánd et morte le 27 juillet 2011 à Neuchâtel en Suisse où elle a émigré en 1956.  Poète, romancière et dramaturge, elle écrit la plus grande partie de son œuvre en français.



Si j'ai à définir par quelques mots les livres de Agota Kristof :  C'est égal et Hier, écrits en langue française, je dirai : cruauté et légèreté. Cruauté car je n'ai rien lu de plus triste, de plus définitif, légèreté car le style a l'air de ne pas y toucher, à la fois poétique, simple, presque élémentaire, un style qui semble effleurer seulement et pourtant fait très mal. Au départ, on est un peu surpris par cette économie de moyens jusqu'au moment où l'on sent la fêlure… qui ne cesse de s'agrandir.

Hier (1995)


  Sandor Lester, ouvrier, travaille dans une usine d'horlogerie, après avoir fui son pays. Le récit s'appuie sur la réalité triste et sans espoir de celui qui loin de ses racines travaille entre les murs gris d'une usine et qui traîne sa vie, irrémédiablement blessé par son enfance, aspirant à la mort ou tout au moins au repos.
Se dépêcher, enfiler la blouse grise, pointer en se bousculant devant l'horloge, courir vers la machine, percer le trou le plus vite possible, percer, percer, toujours le même trou dans la même pièce, dix mille fois par jour si possible, c'est de la vitesse que dépendent notre salaire, notre vie?
Agota Kristof parle de ce qu'elle connait bien puisque cela a été son sort lorsqu'elle est arrivée en Suisse. Elle parle de la misère, de l'injustice sociale, de la souffrance des déracinés, du découragement, du suicide…
Mais pour bien comprendre ce petit livre qui a une grande puissance sous une forme concentrée et sous une apparente simplicité, il faut rendre compte de l'autre aspect, poétique, onirique, absurde, symbolique, celle du tigre qui vient tirer Sandor Lester du néant, de la musique qui tue les oiseaux, du vent qui, seul, peut chasser la peur, de l'oiseau noir aux ailes blessés qui a appris à aimer sa propre mort. Et puis de Line, la femme idéale, celle qu'il attend depuis toujours, celle pour qui il deviendra un grand écrivain, lui qui toujours écrit, écrit sans cesse… Mais rien ne pourra jamais effacer les blessures du passé et de l'exil.

C'est égal (2005)


C'est égal est un recueil de nouvelles publié en 2005, à une époque ou Agota Kristof, malade, n'écrivait plus. Elle y a réuni des textes écrits depuis 1956, date de son exil en Suisse qui sont parmi les plus intimes qu'elle ait écrit sur elle-même. Pourquoi ce titre? Elle l'explique dans une interview accordée au Nouvel Observateur :  
Titre du livre ou titre de sa vie? «J'aime bien cette formule. Ça veut dire : je m'en fous. Je suis née pessimiste. Même enfant, je ne comprenais pas pourquoi les gens rigolaient. Je critiquais mes parents quand je les voyais rire.»
Dans ces écrits, il y est question de la solitude, de la mort, et d'un sentiment récurrent, la souffrance lié au déracinement, à l'éloignement.
 La maison est une des nouvelles les plus représentatives de ce sentiment.
"Quitter une maison pour une autre, c'est aussi  triste que si l'on avait tué quelqu'un."
Il y est question d'un vieil homme qui  retourne dans la maison de son enfance après l'avoir quittée à l'âge de quinze ans :
Mais en retournant vers son passé, il y rencontre le petit garçon qu'il a été et qui regarde l'avenir avec espoir :
L'avenir? dit l'homme. L'avenir, j'en viens. Il n'y a que des champs morts et boueux.
Mais l'homme honteux du chagrin qu'il inflige au petit garçon ajoute :
-Tu sais, c'est peut-être seulement parce que moi, je suis parti.
-Ah! bon, dit l'enfant rassuré. Moi, je ne partirai jamais.

Dans Les rues, le jeune homme musicien compose un hymne à sa ville qu'il a dû quitter :
le crescendo de la solitude au souvenir de ces rues abandonnées, trahies.
La révolte d'un corps qui ne peut se reposer ailleurs, la révolte des pieds qui ne peuvent marcher ailleurs, le refus des yeux qui ne veulent  voir rien d'autre.

Mon père est une des nouvelles peut-être les plus poignantes : une petite fille va à l'enterrement de son père :
Nulle part mon père ne s'est promené avec moi la main dans la main.
Un sentiment de nostalgie profonde imprègne tous ces textes, comme une meurtrissure qui ne guérira jamais. C'est ce qu'exprime l'écrivaine interrogée sur son exil en Suisse : 

«Je ne fuyais pas volontiers. Si j'avais su que je resterais toujours, je ne serais pas partie. Oui, je regrette ce choix.» La phrase tombe, comme une feuille de papier dans la corbeille de la vie. «Atroce», dit-elle encore. Mais la liberté d'expression? «Je n'étais pas mieux ici.»
Et de commenter son arrivée à Neuchâtel, où son mari put obtenir une bourse de l'université et où elle réside toujours aujourd'hui : «Au début, on avait un tout petit appartement dans un village, et je travaillais dans une fabrique d'horlogerie. C'était pire qu'en Hongrie. Je n'avais même pas le temps d'écrire. Quelques poèmes, le soir, après les enfants et le ménage.» La Suisse, son pays de douleur.

Anecdote lue dans la presse : Quant à la liberté d'expression, une enseignante,  a été arrêtée en pleine classe pour avoir fait lire Le cahier à ses élèves, un des volumes de la trilogie Les jumeaux qui a valu à Agota Kristof sa notoriété mondiale.


Et quand vous lirez ces lignes, je serai en route vers à Budapest. Au revoir!


dimanche 1 décembre 2013

Laura Kasischke : La vie devant ses yeux, une déception




Emportée par mon enthousiasme pour Esprit d'hiver j'ai voulu lire un autre Kasischke : La vie devant ses yeux. Mal m'en a pris! Le roman est une déception complète. Qui plus est je dois battre ma coulpe et demander à Wens (voir sa critique du film) pardon car le film est loin d'être bon!

Diana et Maureen sont amies lorsque a lieu le drame. Dans leur lycée, un élève devenu fou tire sur ses camarades, allusion à la tuerie de Colombine, et pénétrant dans les toilettes où elles sont réfugiées leur demande laquelle des deux il doit tuer. Diana répond "tue-la". La suite du roman montre la vie de Diana devenue adulte, avec sa fille Emma, son mari, un brillant universitaire … Mais sous cette apparence de bonheur, la fêlure …

Comme d'habitude, Laura Kasischke  mène l'intrigue avec habileté, nous amène là où elle veut avec son écriture élégante et cette sorte de cruauté qui est en elle, lorsqu'elle peint sous le calme, la beauté d'un jardin et des fleurs, le malaise et la menace.  On y retrouve maints thèmes communs à Esprit d'hiver. Mais je comprends mieux pourquoi certains lecteurs (devrais-je dire lectrice, n'est-ce pas Dominique (à sauts et à gambades?) ne peuvent supporter ce que l'on a  pu appeler "manipulation". Le lecteur envoyé sur une fausse piste croit ce qu'on lui raconte avant d'être retourné comme un crêpe et de s'apercevoir que tout ce qu'il pensait voir n'était qu'un reflet inversé de l'image présentée.  Mais en faisant cela Laura Kasischke, pour le plaisir d'un dénouement époustouflant, détruit ce qui était vraiment au centre de cette histoire : comment peut-on vivre après un tel drame et une telle culpabilité?  Question qui est le véritable intérêt du récit ou aurait dû l'être.

C'est du grand art, et si le roman m'a déplu, ce n'est pas parce que l'habileté et le talent d'écriture de Kasischke sont en cause mais parce que la manipulation est gratuite, le dénouement décevant, et que je ne peux adhérer au récit qui perd tout son intérêt et sa logique interne quand on connaît la vérité. Au contraire, j'ai totalement accepté ce procédé dans Esprit d'Hiver parce qu'il obéit à une logique psychologique, que le point de vue du récit, unique, celui de Holly, nous amène à cette vision faussée; et  l'écrivaine ne triche pas puisqu'elle nous donne toutes les clés pour comprendre. De plus, le roman rend compte de l'immense douleur d'une mère et donc il n'est jamais gratuit. Ce qui n'est pas le cas pour La vie devant ses yeux qui est un roman à sensation..

Quant au film s'il a les mêmes défauts que le livre, il n'en a pas les qualités. Le récit est mélo et au cas où l'on n'aurait pas compris ce qu'éprouve Diana, le metteur en scène Vadim Pelman en rajoute des tonnes. L'histoire devient moralisatrice : la jeune héroïne dévoyée mais libre de Kasischke, qui n'obéit pas à la morale bourgeoise bien pensante, devient une pauvre petite jeune fille mal aimée, larmoyante,  qui se rachète par sa grandeur d'âme.

Réponse à l'énigme n° 76



La bonne réponse : Aifelle,  Asphodèle, Dasola, Eeguab, Gwenaelle, Valentyne

 Le roman : Laura Kasischke : La vie devant ses yeux
Le film :  Vadim Pelman : La vie devant ses yeux

samedi 14 septembre 2013

Elizabeth Gaskell : Les amoureux de Sylvia



Pour ceux qui pensent, trompés par le titre, que le roman d'Elizabeth Gaskell Les amoureux de Sylvia est une gentille histoire d'amour, détrompez-vous tout de suite. Le livre est noir et le destin de  la jeune Sylvia s'englue bien vite dans cette Angleterre de la fin du XVIII siècle, aux lois féroces, implacables pour les humbles, et au passé tragique sur fond de guerre napoléonienne.

Un roman historique noir
Nous sommes en 1796. Sylvia, une jolie paysanne, fille unique, gâtée et adulée par ses parents, aperçoit pour la première fois Kinraid, le harponneur, de retour de la campagne de pêche sur le baleinier qui le ramène dans sa ville de de Monkshaven. Elle est immédiatement séduite par ce jeune homme qui a une belle prestance, au grand dam de son cousin Philippe qui l'aime passionnément et est prêt à tout pour obtenir sa main. Située sur les côtes Nord-est de l'Angleterre, la ville est un port dont l'activité principale est  l'industrie de la pêche à la baleine. Rien d'étonnant à ce que la majorité des jeunes gens y fassent leur carrière. Ils peuvent même s'ils sont travailleurs et intelligents faire leur fortune. Mais l'Angleterre est en guerre et ses maudits français menés par Bonaparte la menace. Aussi les engagements forcés font-ils rage! Il s'agit de recruter le plus d'hommes sur les navires de sa majesté et bien souvent les baleiniers qui reviennent chez eux après de longs mois d'exil en mer tombent dans les filets des recruteurs qui les contraignent à les suivre à peine ont-ils mis le pied sur la terre ferme. Cette situation va entraîner bien des malheurs : Kinraid n'y échappera et le père de Sylvia qui ose se révolter et aider les garçons ainsi enlevés à leur famille en fera les frais. Le temps de l'insouciance et de l'amour est fini pour Sylvia.
Ancré dans une époque chaotique, le roman d'Elizabeth Gaskell a le mérite de faire revivre, à la fin du XVIII siècle, la société d'une province anglaise, dans des milieux modestes, les activités liées à la pêche, à la terre et au commerce et d'évoquer l'irruption tragique de l'Histoire.

Des personnages contrastés
L'un des intérêts de ce beau roman sont d'abord les personnages dont Gaskell mène l'analyse comme toujours avec finesse. La transformation de Sylvia, jeune coquette, heureuse de vivre,  légère voire un peu égoïste, confrontée au malheur est saisissante. Dans les romans d'initiation, les jeunes gens évoluent progressivement et la leçon qu'ils reçoivent de la vie, si elle est irréversible, est cependant plus étalée dans le temps. Dans le roman de Gaskell, la transformation de Sylvia est soudaine, violente et emporte tout sur son passage, la jeunesse et les rêves de bonheur.
Comme toujours aussi, l'écrivaine évite le manichéisme. Ses personnages ont tous des qualités et des zones d'ombre. L'attitude de Philip envers Sylvia est basse, cruelle et impardonnable mais son amour est indéfectible. Ce sentiment fait la grandeur de ce personnage par ailleurs terne, sans panache et coincé par la religion. A côté, le brillant Kinraid paraît bien léger et peu constant. Pourtant il est capable, contre tout attente, de fidélité. Mais il n'a pas, au niveau des sentiments, l'étoffe d'un héros à la différence de Philip qui paiera de ses souffrances et de sa vie l'offense faite à Sylvia.
Le pardon ne semble possible qu'à ce prix et il semble que le sentiment religieux et l'idée de la prédestination soient très présentes ici,  plus je crois que dans les autres oeuvres de Gaskell.

Un roman très pessimiste donc, avec des personnages attachants dans un contexte historique passionnant, c'est ainsi que l'on peut résumer ce livre que j'ai beaucoup aimé.




 Et un roman  d'un écrivain victorien pour le challenge d'Aymeline-Arieste


Ce roman avec ses 670 pages est digne de figurer dans le challenge Pavé de l'été




vendredi 15 mars 2013

Elizabeth Gaskell : Cranford et les confessions de Mr Harrison




Pour cette lecture commune je présente deux livres d'Elizabeth Gaskell : Cranford et Les confessions de Mr Harrisson.
Cranford

Dans Cranford, comme dans la plupart de ses romans, Elizabeth Gaskell prend pour cadre une petite ville qu'elle oppose d'une manière ironique à Londres pour mieux souligner le calme de cette vie provinciale pour ne pas dire la platitude.  Même si l'on est en pleine révolution industrielle, en pleine période de mutation avec l'arrivée du chemin de fer, les journées suivent un train train quotidien monotone relevé simplement par des rencontres entre amies autour d'une tasse de thé et d'une partie de cartes. A la simplicité voire la naïveté de cette modeste bourgeoisie villageoise, Gaskell oppose la vie trépidante mais snob de Londres où l'on pense plus à paraître qu'à être..
Une narratrice extérieure  (qui sait peut-être l'auteure elle-même?) vient visiter ses amies à Cranford et  raconte ce qu'elle voit. Elle apporte une vision lucide et pleine d'humour sur les habitantes de Cranford car là-bas il n'y a que des femmes :

.. d'une manière ou d'une autre, le monsieur disparaît; tantôt, finit par mourir tout simplement de peur, à l'idée d'être le seul homme à fréquenter les soirées de l'endroit; tantôt il a une bonne raison d'être absent, puisqu'il se trouve qui avec  son régiment, qui sur son navire, qui tout à fait accaparé par ses affaires.

Aussi l'arrivée d'un homme, le capitaine Brown, nanti de deux filles, et qui n'observe pas le code de bienséance en vigueur à Cranford va révolutionner la petite ville. Ce n'est pourtant pas le personnage principal et l'on peut dire que l'on passe d'un récit à l'autre, ce qui permet de mettre en valeur des personnages différents, le cadre de la ville servant d'unité de lieu.
Tous les petits travers de ces femmes, leur sens strict de la hiérarchie qui confine parfois au ridicule, le snobisme entre classes sociales, les commérages incessants, nous sont dévoilés. Mais le regard porté sur elles, s'il est lucide, est aussi plein d'affection. Leur générosité malgré la modestie des revenus, la solidarité qui s'exerce en secret pour éviter de froisser celle à qui l'on porte secours, la dignité face à la pauvreté et au malheur, tout concourt à faire de ce roman une galerie de portraits pleins de vie. On rit souvent de la maladresse des personnages, de leurs petites ruses, de leurs superstitions, et certains épisodes sont franchement comiques mais la nostalgie naît devant la vie de ses femmes qui sont souvent passées à côté de leur amour et de leurs désirs, menant une vie étriquée, dictée par les convenances, la religion et le diktat de l'opinion publique. De beaux personnages apparaissent comme Mathilda Jenkins, Miss Matty, petite femme fragile et effacée, qui a toujours vécu sous la coupe de son père puis de sa soeur aînée sans jamais oser exprimer sa pensée ni ses sentiments. C'est ainsi qu'elle n'a pu épouser celui qu'elle aime et qu'elle rêve toujours d'une petite fille qui lui tendrait les bras et l'appellerait maman.
Une chronique donc tout en demi-teinte et en finesse que j'ai appréciée même si je préfère toujours Nord et sud et Femmes et filles, ce dernier bâti sur une structure identique à partir de l'observation de la vie en Province et des différentes classes sociales, mais plus développé.


Les confessions de Mr Harrison


Les confessions de Mr Harrison est un court roman qui ressemble à Cranford par le sujet même s'il s'en éloigne par d'autres aspects. 

Un jeune médecin, William Harrison raconte à son ami qui revient des Indes, comment il a rencontré son épouse Mary : Tout jeune médecin, il vient s'installer dans une petite ville de province pour aider le docteur en place, Mr Morgan, afin de lui succéder à la longue. A peine arrivé, il excite la convoitise de toutes les jeunes filles à marier et de leurs parents qui cherchent un bon parti. Will tombe très vite amoureux de Mary, la fille du pasteur et pour lui tout est clair mais... c'est un jeune homme très (trop?) poli! je vous laisse découvrir dans quelle situation il va se mettre ou plutôt dans quel guêpier il va tomber!

 On y retrouve les ingrédients qui font le succès de Gaskell, la description des particularités de la vie de province, les portraits aigres-doux de certains de ces habitants, l'ironie de la plume mais le ton est résolument celui de la comédie, les quiproquos se succèdent, et l'on sourit devant les ennuis de ce pauvre jeune homme! Un agréable roman!


Lecture commune du 15 Mars sur Cranford d'Elizabeth Gaskell et/ou sur deux autres de ses romans Les Confessions de Mr Harrison et Lady Ludlow avec :


et George :
Céline avec Les Confessions de Mr Harrison
Titine avec Lady Ludlow


mardi 12 juin 2012

Arni Thorarinsson : Le temps de la sorcière





Einar, reporter du journal du soir, a été muté dans la petite ville d'Akureyri dans le nord de l'Islande pour implanter le journal dans cette région et faire augmenter les ventes... ce qu'il n'apprécie pas particulièrement! Deux collègues l'accompagnent :  Asbjörn qu'il déteste cordialement  et son amie  et confidente, Joa, la sympathique photographe du journal, qui ne s'intéresse pas aux hommes! Pas de sexe donc, pas d'alcool car Einar a renoncé à boire! Loin de Reyjavick et de sa fille Gunna, on comprend que notre journaliste broie du noir. Le travail routinier qui lui est demandé l'ennuie, compte-rendus de réunions électorales, questions stupides pour la rubrique hebdomadaire et il ne cesse d'avoir des prises de bec téléphoniques avec le nouveau rédacteur en chef qui est resté bien tranquillement à Reyjavik, lui! Sa seule distraction réside dans son tête-à-tête quotidien avec Snaelda mais lorsque vous aurez découvert la personnalité de cette compagne, vous comprendrez qu'il y a mieux comme distraction!
Cependant deux enquêtes vont bientôt l'occuper après le décès d'une femme dans la rivière et le meurtre d'un brillant mais étrange étudiant, Skarphedinn, qui disparaît le soir où doit avoir lieu la première de la pièce de théâtre où il tient le rôle principal. Quel lien entre ces deux meurtres? A priori, aucun puisque la mort de la femme est accidentelle mais la mère de celle-ci, Gunnhildur, est persuadée du contraire. Elle accuse même son gendre d'assassinat!
L'intrigue nous entraîne donc à la suite d'Einar dans les différents milieux de la ville, à la recherche d'indices qui permettraient de comprendre ce qui s'est passé et quelle est la personnalité de chacune des victimes. L'intérêt du roman dépasse alors la seule intrigue policière puisqu'il nous introduit dans la société islandaise et nous en dévoile les maux. Le capitalisme sans morale sacrifie la beauté de la nature islandaise pour en tirer le maximum de profit. L'industrialisation sauvage saccage et pollue les sites en entraînant une immigration intense. Les immigrés exploités d'un côté, sont rejetés de l'autre par une population qui se sent envahie et défend sa culture. Le racisme et ses violences sévissent. Les jeunes, quant à eux, trompent leur ennui et leur  mal être en  buvant et en se droguant.
Un constat bien noir qui est contrebalancé par l'humour de Thorarinsson. Vous l'aurez compris, Einar n'a pas bon caractère et sa patience a des limites. Les tribulations de notre anti-héros qui pratique l'auto-dérision nous font rire. Ses rapports avec l'étonnante Snaelda ; avec  Absjorn dont il résoud les problèmes conjugaux; avec Joa qui lui souffle sous le nez la seule femme séduisante de la ville, sont réjouissants. Sa rencontre, en particulier avec Gunnhildur, la vieille dame qui lui téléphone de sa maison de retraite  pour lui faire part de ses soupçons est touchante  :
Je voudrais simplement que personne ne soit méprisé ou mis hors jeu à cause de son âge. Ca s'applique aussi aux enfants. Et aux adolescents. Tout le monde a le droit d'être écouté.
Mais elle est aussi hilarante, la veille dame ne manquant pas de caractère! Voilà comment elle présente Einar à son amie Ragna :

J'ai à mes côtés un jeune homme. Non,non, je ne le fais pas sauter sur mes genoux. Mais non, mais non... Tout ça est tellement jeune et fragile. Ma petite Ragna, je vais te l'envoyer (...) Ne te laisse pas impressionner... Il fait un peu benêt mais il n'est pas méchant. Il m'a apporté une boîte de friandises; je vais lui demander de t'en apporter une à toi aussi en le prévenant que sinon tu ne lui diras rien.

Thorarinsson signe avec "Le temps de la sorcière"  un  livre policier réussi!

Auteurs scandinaves

jeudi 17 mai 2012

Le roi de Kahel de Tierno Monénembo



Quel étrange personnage que cet Aimé Victor Olivier, vicomte de Sanderval, qui est le héros de la biographie romancée de Tierno Monénembo : Le roi de kahel! Un personnage qui fut célèbre à son époque, à la fin du XIXème siècle, connu dans la France entière et ailleurs...  puisque la Grande Bretagne a essayé de l'acheter (incroyable scène relatée par Tierno Monenembo) et le Portugal lui a offert son titre de Vicomte.

C'est pour notre plus grand plaisir que l'auteur fait revivre cet homme, issu d'une famille de la bourgeoisie française industrielle lyonnaise, haut en couleurs qui part, casqué et ganté de blanc, protégé par son inséparable ombrelle, suivi par sa vaisselle de porcelaine, conquérir le Fouta-Djalon,  une grande région montagneuse de Guinée, afin de s'y tailler un royaume et de devenir roi. Le plus extraordinaire, c'est qu'il y parviendra et règnera sur le plateau de Kahel que lui donneront l'almamy, chef suprême du Fouta-Djalon et les autres rois Peuls, qu'il y lèvera une armée, y battra monnaie à son effigie,  développera l'agriculture, organisera le commerce... Il n'en sera délogé que par les visées colonialistes de la France qui fait du Fouta-Djalon un protectorat français, puis intervient militairement et remporte la victoire sur Bokar Biro, le dernier almamy indépendant, à la bataille de Porédaka. La majeure partie du Fouta sera intégrée alors  à la colonie des Rivières du sud et deviendra la Guinée française.* Le roi de Kahel se verra contraint de rentrer en France.

Le plaisir de ce livre vient donc tout d'abord de la rencontre  exceptionnelle avec cet homme dont on aurait du mal à admettre la vraisemblance s'il était un héros de roman. Mais il a existé et le travail de biographe accompli par Tierno Monénembo est extrêment documenté et sérieux. L'histoire rocambolesque de ce  personnage, ses aventures hors du commun qui l'amènent parfois jusqu'aux portes de la mort, n'en sont que plus extraordinaires. Le lecteur goûte ce mélange d'épopée mi-tragique, mi-comique, assaisonnée des élucubrations pseudo-philosophiques du vicomte sur l'Absolu. On ne peut s'empêcher d'admirer la pugnacité à toute épreuve de cet aventurier, le grain de folie qui lui fait accepter les dangers, les privations, les souffrances, on savoure son intelligence capable de comprendre les peuls, d'assimiler leur culture au point de  les battre à leur propre jeu dans le domaine des négociations politiques et économiques, de renchérir  sur leur ruse, leurs mensonges, domaines où ils sont experts.

Un autre plaisir et pas des moindres, c'est la découverte de ce pays, de ses paysages, de ses villes, Timbo, Labé,  de la naissance de Conakry,  des Peuls avec leur organisation politique complexe, leurs moeurs, leurs coutumes.  On s'intéresse aux conflits internes, aux luttes fratricides, à quête du pouvoir qui se résout dans le sang comme dans une tragédie shakespearienne. C'est donc une rencontre avec un moment de l'Histoire de ce pays avant la colonisation, quand les Peuls, cette race de seigneurs, avec leur grandeur, leur arrogance, leur beauté, mais aussi leur fourberie qu'ils élèvent au rang d'art, régnaient encore sur un territoire indépendant.

Un bon livre, donc, que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt d'autant plus qu'il m'a fait découvrir une civilisation que je connais mal.

*Une autre partie du Fouta est occupée par la Grande-Bretagne  et devient la Sierra-Leone


Republié de mon ancien blog qui ferme définitivement ses portes fin Mai après un an de transfert d'articles!

lundi 28 novembre 2011

Saneh Sangsuk : Venin



Avec cette nouvelle Venin je découvre Saneh Sangsuk, écrivain thailandais. Ce livre raconte l'étonnante l'histoire de" Patte folle" comme le nomment les habitants mal intentionnés de son village, petit garçon estropié, et de sa lutte avec une gigantesque cobra de quatre mètres de long. Maintenant le serpent enroulé autour de son corps à bout de bras, la main enserrant le cou du monstre, il parcourt le village à la recherche d'un secours.
Ce récit est court, très ramassé. Il est d'abord précédé d'une présentation de l'enfant et de sa famille dans le contexte d'un  village. Le petit garçon n'a plus qu'un bras à la suite d'un accident et il a développé une grande force physique dans son bras unique. Il garde les vaches de ses parents et rêve à son avenir. il sera montreur de marionnettes et possède déjà un don particulier pour animer des figurines fabriquées  avec de la paille de riz. La vie du village, ses dissensions, les croyances qui animent chacun et qui les déchirent forment une première partie rapide qui laisse place  à l'apparition du serpent monstrueux.
Et c'est là le vrai sujet de la nouvelle. La lutte de l'enfant contre le serpent racontée sobrement est d'une grande intensité. On a l'impression d'être confronté à un combat mythique, celui de  l'être humain face à une force supérieure presque divine. Le serpent n'est-il pas envoyée par la Mère des Eaux, un monstre surgit des entrailles de la terre ? C'est ainsi que l'on peut le voir même si  Saneh Sangsuk a pris soin de dénoncer  au préalable les fausses croyances des villageois dominés par un devin simulateur et fourbe.
L'art de l'écrivain pour maintenir un suspense haletant est très habile. Parfois, il  nous entraîne à la limite de l'angoisse puis il nous laisse respirer   lorsque l'enfant, qui a envie de relâcher l'étreinte de sa main (mais sait que cela lui sera fatal),  arrive à s'évader par la pensée. L'angoisse revient pourtant, lancinante car penser à autre chose affaiblit le combattant et il a besoin d'être lucide pour continuer le combat. Nous sommes ainsi maintenus en haleine, avec l'espoir que les parents ou les villageois  viendront apporter de l'aide au  petit garçon. Nous  sommes  ainsi menés jusqu'à épuisement et puis soudain, tout se dénoue avec une rapidité surprenante. Trente et une pages sont nécessaires à décrire ce combat, dix lignes suffisent pour  en donner le dénouement. On pense au procédé utilisé par Victor Hugo dans sa légende des siècles "Le lendemain Aymeri prit la ville". Mais contrairement au poème de Hugo, le récit de Saneh Sansuk n'est pas épique, tout au moins stylistiquement, il est au contraire, d'une retenue remarquable, phrases courtes et sobres, sans émotion ou pathos. Et c'est de ce style épuré que la nouvelle tire sa force.
Quand le cobra projeta son corps vers le haut à nouveau, le petit d'homme se dressa d'un bond lui aussi. Les yeux du petit d'homme se révulsèrent, sa bouche béa pleine du vacarme d'un silence assourdissant. Il était trop terrorisé pour prendre la fuite. Il était tout à son jeu. Les cris des autres petits d'hommes sonnaient comme dans un rêve. Fuis, mais Fuis donc, Patte Folle! Fuis! La furie du serpent ne fit qu'augmenter.  Il se dressa plus haut encore. Sa tête se rétracta vers l'arrière comme un grand arc tendu à l'extrême. Sa gueule s'ouvrit grande, révélant des crocs recourbés et luisants. Le vent continuait à souffler en rafales. (...) Un milan planait haut dans le ciel, lançant son cri suraigu d'affamé tandis qu'il faisait demi-tour pour regagner son aire inaccessible.. Le cri du Milan n'avait pas pris fin que le serpent frappait de toutes ses forces.


mardi 6 septembre 2011

Raymond Carver : Les trois roses jaunes


Le recueil Les Trois roses jaunes  réunit  plusieurs nouvelles de Raymond Carver extraites de dWhereI'm calling from et New and selected stories.  La dernière histoire qui raconte la mort de Tchékov donne son titre au recueil.
Après la lecture du premier récit intitulé : Cartons je me sens perplexe voire déçue. Bien sûr,  il y a quelque chose de poignant dans  l'histoire de cette femme qui ne peut se fixer nulle part et qui voit dans ses déménagements une manière de fuir le néant de son existence; terrible aussi la manière dont elle détruit la vie de son fils partagé envers elle entre amour et haine. Mais l'écriture me déroute, non pas parce qu'elle d'une grande sobriété mais parce qu'elle s'intéresse surtout à une foule de petits détails insignifiants qui paraissent sans relation avec ce qui se passe. Bon, je continue!
Débranchés : un homme et une femme sont réveillés dans la nuit par le téléphone, nuit d'insomnie où les époux, incapables de se rendormir, vont échanger des petits propos d'abord anodins (semble-t-il) mais qui finissent par exprimer toutes les craintes profondes que nous enfouissons au fond de nous, peur de la maladie, de la souffrance et de la mort... Une banale nuit d'insomnie, en somme!
Puis Intimité, d'une âpreté saisissante : un homme revient voir son ex-femme après quatre ans d'absence et elle reprend la liste de ses griefs comme s'il l'avait quittée la veille! L'accumulation, la violence de cette haine nous font frémir mais la femme s'interrompt brusquement à l'arrivée du second mari.
Menudo, le récit du mensonge, de l'infidélité conjugale et de la souffrance qui ne guérit jamais. L'éléphant : un homme, modeste ouvrier, exploité par sa famille, épouse, frère, enfants, ne reçoit jamais aucun amour ou respect en retour; le bout des doigts, une femme quitte son mari qui n'est préoccupé que par un détail, sans importance, il ne reconnaît pas l'écriture de sa femme sur la lettre qu'elle lui a écrite.
Et  enfin Les trois roses jaunes, la mort de Tchékov, tuberculeux, dans un hôtel, vue à travers l'embarras d'un jeune homme qui ne sait pas quoi faire du vase aux trois roses qu'il lui apportait et du bouchon de champagne qui a roulé à ses pieds. 
Un  recueil magnifique!
Et je crois que c'est cela la force de Carver, d'opposer ainsi les petites choses, la banalité quotidienne, à tout ce qu'il y a d'absolu dans l'existence humaine : la fin de l'amour enlisé dans la mesquinerie, la trahison, la séparation, les blessures qui ne se referment jamais, la souffrance, la maladie, la mort.
Si j'ai commencé par être surprise au début du recueil, je peux dire que j'ai refermé ce livre avec un sentiment de lourde tristesse et l'impression d'avoir rencontré un grand auteur capable de suggérer beaucoup, de nous remuer au plus profond de nous, avec l'air de ne pas y toucher.




 Challenge de Sabbio

lundi 15 août 2011

Arni Thorarinsson : Le dresseur d’insectes


Après la lecture des romans d'Arnaldur Indridasson, écrivain islandais, que j'aime beaucoup,(la femme en vert, l'homme du  lac, la cité des jarres ) j'avais très envie de découvrir son compatriote Arni Thorarinsson.
Le Dresseur d'insectes est le second roman de cet auteur après Le Temps de la Sorcière que je n'ai pas lu. Les deux livres présentent le personnage principal, Einar, correspondant local du Journal du soir à Akureyi et peuvent être lus séparément car des allusions à l'ouvrage précédent nous apprennent des bribes du passé d'Einar, de sa fille Gunnsa et son petit ami Rabbi.
Dans ce roman Einar va être entraîné dans une enquête  qu'il mènera avec et en parallèle avec la police. Il s'agit du meurtre de Pandora, une jeune fille retrouvée dans un maison "hantée", meurtre signalée par une vieille femme, Victoria, sorte de clocharde alcoolique qui traîne derrière elle un lourd passé  et qui semble avoir pris le journaliste comme confident. Avant qu'elle ait eu le temps de démasquer les assassins de Pandora, Victoria est assassinée dans une clinique de désintoxication où elle s'est retirée. C'est à Einar qu'il revient la tâche de démasquer les coupables.
Le roman présente des qualités, la première consistant dans la présentation de la société islandaise qui n'est pas  tout à fait rose. C'est un euphémisme! La description de la grande fête  des commerçants de Akureyri  qui draîne une foule immense venu de tous les coins du pays dans cette petite ville provinciale est, en effet, une occasion pour Ani Thorarinsson de dénoncer la montée de la violence, du racisme, de la corruption, le règne de l'argent, les méfaits de la drogue et de l'alcoolisme  en Islande. Il rejoint Arnaldur Indridasson dans la peinture pessimiste qu'il dresse de cette société qui se durcit, perd tous repères, toutes ses valeurs.
De plus le style de l'écrivain nous réserve de bonnes surprises, des passages forts avec un art certain pour les formules percutantes. Ainsi en référence à la chanson des Kinks, Victoria :
Long ago life was clean /Sex was bad and obscene  (...)/Victoria was my queeen
Il écrit :  L'ancienne société décrite par Ray Davies a depuis longtemps disparu. Je me demande par quoi elle a été remplacée.  Docteur Jekkill ne brime plus Mister Hyde, c'est Mister Hyde qui brime docteur Jekill.
De plus il utilise l'humour, la dérision,  notamment quand il voit vivre sa fille de seize ans, qui  ne cesse de le dérouter et sur laquelle il exerce une autorité défaillante :
"La pire chose qui soit arrivée à l'humanité est la decouverte de l'adolescent" affirmait mon professeur d'anglais au lycée (... ) Ce professeur d'anglais n'était évidemment q'un foutu réac. Pour ma part, j'ai toujours éprouvé plus de symptathie envers les rejetons qu'envers leurs parents. La lutte des adolescents pour leur indépendance devint une menace pour les parents qui perdirent tout pouvoir et considérèrent bientôt qu'il n'existait qu'une seule chose plus difficile que d'élever un enfant : parvenir à se montrer exemplaire. (p 290)  :
 ... où quand il prend en charge le jeune photographe du journal, Agust Orn,  neveu du commissaire, un adolescent à principes (un peu trop!), revêche et malheureux,  et qu'il règle avec maestria les problèmes de l'adolescent avec sa mère.
Comment se fait-il donc, que malgré toutes ces qualités, je n'ai pas entièrement adhéré à ce  roman?
D'habitude, dans un bon roman policier, je n'apprécie pas outre mesure les histoires de psychopathes, de meurtres en série, les détails violents et sordides qui sont censés faire frissonner comme nous en servent Fred Vargas et Henning Mankell. Pourtant ces écrivains figurent parmi mes auteurs préférés de romans policiers au même titre que Arnaldur Idrindasson auquel je peux encore rajouter Jean Claude Izzo et dans un tout autre style Tony Hillerman. C'est que je suis surtout sensible au style, à  l'univers de ces auteurs, à l'atmosphère qui s'en dégage, aux personnages attachants et complexes, que nous voyons évoluer au fil des ans, et à  l'humour (celui de Fred Vargas, en particulier, que j'adore). En fait, ce n'est pas l'intrigue qui m'importe le plus!
Mais dans Le dresseur d'insectes, je n'ai pas été complètement séduites par les personnages qui n'ont pas assez d'épaisseur, qui paraissent un peu stéréotypés, fixés une fois pour toutes par quelques termes qui semblent les résumer.  Il n'y a pas les nuances et la finesse d'analyse que je trouve chez les écrivains précités, ni l'évolution psychologique au fur et à mesure de l'action.  Et de ce fait, l'intrigue va dominer et comme elle ne m'a pas passionnée, la lecture du roman m'a parfois déçue. Le récit s'étire inutilement sans que l'on n'apprenne rien de nouveau. On sent trop  le travail de l'auteur qui recule sans cesse le moment de nous révéler des indices car le roman serait terminé. Par exemple, dans le centre de désintoxication, le journaliste s'en va sous un prétexte peu convaincant, après avoir glané quelques renseignements; on a l'impression que ce passage est placé là simplement pour décrire en quoi consiste une cure mais au détriment de l'action et aussi de l'atmosphère qui manque de magie.  Du coup, il aurait mieux valu un roman plus court mais plus dense.
En résumé, si j'ai été sensible aux qualités certaines du livre, je ne suis pas encore convaincue; reste à voir comment l'écrivain et ses personnages évolueront dans les prochains ouvrages.

samedi 30 juillet 2011

Arnaldur Indridason : L'homme du lac



 De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été a été initié par  Mango et repris à sa demande dans mon blog.

Ce jeu de qui est-ce? - juste pour le fun- consiste tout simplement à retrouver l'auteur et le titre du roman célèbre dont je présente un extrait. Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) et me laisser des indices dans les commentaires sans révéler l'auteur, indices qui me permettront de savoir si vous avez vu juste et d'aider ceux qui ne savent pas.
Nouvelle énigme (11)

Un roman devenu un classique, un roman qui a enchanté notre adolescence.

Dès le petit jour, il se reprit à marcher. Mais son genou enflé lui faisait mal ; il lui fallait s'arrêter et s'asseoir à chaque moment tant la douleur était vive. L'endroit où il se trouvait était d'ailleurs le plus désolé de la Sologne. De toute la matinée, il ne vit qu'une bergère, à l'horizon, qui ramenait son troupeau. Il eut beau la héler, essayer de courir, elle disparut sans l'entendre.

Il continua cependant de marcher dans sa direction, avec une désolante lenteur... Pas un toit, pas une âme. Pas même le cri d'un courlis dans les roseaux des marais. Et, sur cette solitude parfaite, brillait un soleil de décembre, clair et glacial.

Il pouvait être trois heures de l'après-midi lorsqu'il aperçut enfin, au-dessus d'un bois de sapins, la flèche d'une tourelle grise.



Réponse à l'énigme(10)
L'homme du lac.


Aifelle, Wens et Mazel  ont trouvé : il s'agit bien de l'écrivain islandais Arnaldur  Indridason. Le roman est L'homme du lac.
"En juin 2000, un tremblement de terre provoque un changement du niveau des eaux du lac de Kleifarvata et découvre un squelette lesté par un émetteur radio portant des inscriptions en caractères cyrilliques à demi effacées. Le commissaire Erlandur et son équipe s'intéressent alors aux disparitions non élucidées dans les années 60, ce qui conduit l'enquête vers les ambassades des pays de l'ex-bloc communiste et les étudiants islandais des jeunesses socialistes boursiers en Allemagne de l'Est pendant la guerre froide. Tous ces jeunes gens sont revenus du pays frère brisés par la découverte de l'absurdité d'un système qui, pour faire le bonheur du peuple, jugeait nécessaire de le surveiller constamment". (extrait 4e de couverture)
Je vous propose d'aller lire l'avis de Aifelle :
C'est le quatrième volume de la série, j'ai lu les trois précédents et celui-ci m'a procuré le même plaisir. J'aime Erlandur et sa vie cabossée, je m'intéresse autant à ses déboires personnels qu'à ses enquêtes. Cette fois-ci, Eva Lind, sa fille est peu présente... Lire la suite

 

mercredi 6 juillet 2011

Henning Mankell : L'homme inquiet



J'ai lu L'Homme inquiet de Henning Mankell il y a déjà un mois et je ne me souviens plus de l'histoire policière. Enfin, presque! Oui, c'est une histoire d'espionnage qui a eu lieu réellement dans les années 80, des sous-marins qui sont venus espionner la Suède en pénétrant  dans ses eaux territoriales sans autorisation. Et alors que tout le monde accuse l'ennemi public n°1 de l'époque, L'URSS, notre Wallander va découvrir  qu'elle n'y est pour rien, que la réponse est ailleurs (je ne vous dirai rien) et que des gens qui lui sont liés sont très impliqués dans les meurtres qu'il doit résoudre. Voilà!  je ne me souviens de presque rien, vous dis-je!
Ce qui m'a importé enfin, ce à quoi, je me suis vraiment intéressée, c'est à Wallander, bien sûr!  Il a enfin acheté la maison de ses rêves, il a enfin le chien de ses rêves, sa fille lui a même fabriqué une petite fille pour qu'il ait une raison de vivre! Il est malade et tout aussi déprimé que dans les romans précédents mais Mankell  - qui avoue dans une interview qu'il veut se débarrasser de son  personnage -  n'a pas osé l'assassiner. Alors.. il le fait partir à la retraite! Le traître, je parle de Mankell car Wallander n'y est pour rien! Le traître donc! Vous ne lirez plus les aventures de votre héros préféré. Exist Wallander!

samedi 2 juillet 2011

Joyce Carol Oates : Mère disparue




Joyce Carol Oates  a écrit ce roman Mère disparue en pensant à sa mère décédée en 2003, si j'en juge par la dédicace du livre... Il ne s'agit pas, cependant, d'une autobiographie mais d'une oeuvre entièrement fictionnelle puisque l'écrivain imagine  comment l'héroïne de son roman, Nikki, après une soirée de fête des mères ratée, retrouve sa mère  morte quelques jours plus tard, sauvagement assassinée. Le livre n'est pas non plus un  roman policier. Le lieutenant Ross Stabane retrouve tout de suite le meurtrier et clôt l'enquête.
Et pourtant, il y a enquête! Celle que Nikki va mener auprès des amies de sa mère, "l'hypocondriaque" Alice Proxmire,"le distingué" Gilbert Wexley, "la sévère" tante Tabitha,  pour apprendre qui était véritablement Gwen Eaton que ses amis avaient surnommée "Plume" et qui cherchait désespérement à rendre les gens heureux autour d'elle faute de pouvoir l'être vraiment elle-même. Au cours de cette recherche la personnalité de Nikki va évoluer ainsi que ses sentiments.
Au début de Mère disparue, Carol Joyce Oates s'adresse directement à chacun d'entre nous en ces termes : Je raconte ici comment ma mère me manque. Un jour, d'une façon qui ne sera qu'à vous, ce sera aussi votre histoire. J'ai pensé, à la lecture de ces lignes, que ce livre allait beaucoup me toucher ... et puis non! Il se lit, pourtant, avec intérêt.
En effet, il présente les qualités que j'ai rencontrées au cours de mes lectures de Joyce Carol Oates. Celle-ci excelle dans la peinture des relations humaines et de ses ambiguités, des rancoeurs, et des blessures qui ne peuvent se refermer. Les rapports, par exemple entre les deux soeurs, Nikki et Clare Eaton, la jalousie qu'elles éprouvent l'une envers l'autre, l'attrait-répulsion voire  le manque d'amour et d'affinités sont décrits avec beaucoup de finesse, de même que ceux plutôt équivoques entre Nikki et son beau-frère, Rob Chisholm.
J'aime beaucoup aussi, comment sans avoir l'air d'y toucher, l'écrivain sait faire comprendre la hiérarchie des rapports sociaux, le sentiment de supériorité éprouvé par une certaine bourgeoisie envers les classes dites inférieures, les non-dits au sein d'une même famille. Par exemple la  condescendance feutrée manifestée à la si "gentille" et si "petite" Plume qui fut dans les années 60 "une pom pom girl fadement mignonne", comme des "milliers- des millions?- d'autres jeunes filles instantanément reconnaissables pour des américains de la classe moyenne par tout non-américain".
Peu à peu se dessine aussi le portrait du père mort des années auparavant et c'est là, une fois encore, une  des grandes  forces de l'écrivain, celle de faire découvrir de manière allusive la relation entre Gwen et son mari, de faire revivre par petites touches impressionnistes cet homme silencieux, coléreux, imbu de lui-même, représentant l'autorité, et qu'il valait mieux ne pas taquiner, le père  impatient  et exaspéré par ses enfants, le mari amoureux de sa femme mais méprisant la famille modeste de celle-ci, les Kovach.
Par contre j'ai moins aimé le personnage de Nikki qui, contrairement à Ariah dans Chutes, est finalement peu intéressante. Superficielle, égocentrique, préoccupée uniquement de son pouvoir sur les  hommes, et de son apparence, elle est sensée changer après la terrible épreuve qu'elle a vécue. Or, son évolution me paraît peu convaincante et profonde. Joyce Oates m'a paru plus inspiré à d'autres  moments, pour d'autres personnages.
Enfin, et c'est ce qui explique une relative déception à la lecture de ce livre, l'auteur nous avait annoncé un roman sur le manque et je m'attendais à une réflexion sur la mort, sur le vide, sur les rapports mère-fille, sur l'amour maternel et filial ... Bien sûr, il est question de tout cela dans ce roman mais le fait d'avoir imaginé ce meurtre donne un côté anecdotique au récit. C'est pourquoi j'ai ressenti un manque de profondeur comme si ce n'était pas et ne pouvait pas être mon histoire. Peut-être est-ce pour cela que je n'ai pas été vraiment touchée par ce roman?


Chutes de Joyce Carol Oates : (1)



Chutes, Le roman de Joyce Carol Oates raconte l'histoire d'une jeune femme, Ariah Littrell, fille de pasteur, devenue veuve après sa nuit de noce.  Au matin, en effet, son mari se suicide en se jetant dans les chutes du Niagara.
Cet épisode de la nuit de noces expose l'un des thèmes du roman : l'inhibition sexuelle liée à une religion et à une éducation puritaines, à l'ignorance de l'autre sexe, à la peur, la culpabilité mais aussi au mariage de convenance, sans amour. Mais il ne représente que la première partie du récit même si la jeune femme, devenue une légende sous le vocable de  "la veuve blanche", surnom donné par les journalistes, est à jamais marquée par cette tragédie.
La deuxième partie conte son mariage avec l'avocat Dirk Barnaby qui appartient à la bonne société de Niagara. Elle devient mère de trois enfants, Chandler, Royall et Juliet et mène un vie heureuse(?) si l'on peut employer ce terme en parlant d'Ariah...  jusqu'au moment où Dick Barnaby prend la défense des habitants d'un quartier de Niagara pollué par les industries chimiques. Autre thème très fort du roman. Mais c'est la lutte du pot de terre contre le pot de fer ...
L'accident de voiture qui le précipite dans le fleuve n'est pas dû au hasard.
La troisième partie est consacrée aux trois enfants de Dick et à la recherche que chacun d'entre eux entreprend pour mieux connaître leur père disparu, ce qui les amènera en même temps à une découverte des milieux industriels sans scrupules  qui ont dévasté la région et des élus corrompus qui étaient à leur solde dans les années 1950-60. Cette dénonciation sans complaisance montre comment une classe sociale aisée s'enrichit au détriment des défavorisés sans aucune considération morale, ne reculant devant rien pour satisfaire sa cupidité. Il faudra des décennies de lutte incessante pour qu'une relative justice soit rétablie.
Le  style de Joyce Carol Oates est d'une puissance extraordinaire. Elle seule peut nous faire ressentir avec autant d'intensité la présence obsédante du Niagara et de ses chutes, la grandeur, la puissance, la démesure. Elle nous en fait entendre le tonnerre, nous en fait percevoir la brutalité, nous imprègne de l'atmospère saturée d'humidité qui enveloppe la ville, nous noie dans sa brume. Elle établit entre les humains et la nature dans toute sa primitive sauvagerie, une échelle de valeurs qui réduit l'homme à ce néant dont parle Pascal. C'est une écriture absolument fascinante car l'on ne peut un seul instant oublier, au cours de la lecture, cette force maléfique liée indissolublement à la Mort qui pèse sur cette famille. Il n'est pas étonnant que les indiens d'Amérique ait vu en lui un Fleuve-Dieu. Comme un Dieu, en effet, il va s'imposer à tous les personnages du livre, il va  chercher à les attirer, les séduire; pour eux, il est, à la fois, châtiment et  promesse de consolation car il représente l'anéantissement mais aussi l'accomplissement d'eux-mêmes.
"Toute la nuit le fleuve tonnant l'avait appelé. Tout au long de la nuit, tandis qu'il priait pour rassembler les forces qui lui seraient nécessaires, le fleuve l'appelait. Viens! La paix est ici. La rivière du Tonnerre, ainsi l'avaient nommée les Tuscarora des siècles auparavant. Les chutes du Tonnerre. Les indiens d'Ongaria l'appelaient l'Eau-qui-a-faim. Elle dévorait les imprudents et les victimes offertes en sacrifice; ceux qui se jetaient dans ses eaux bouillonnantes pour être emportés vers l'oubli et la paix."
Le Niagara a toujours cherché à briser Ariah qui lui paie un lourd tribut. Il exerce sur Juliet une force d'attraction presque physique. Royall essaie de l'apprivoiser ou plutôt de se le concilier comme on le ferait d'une divinité  farouche en amenant les touristes en bateau jusqu'au pied des chutes. De plus, revient comme un leit-motiv, le personnage du funambule, le grand père de Dick Burnaby, qui marchait sur un fil tendu au-dessus des chutes et qui finit par y trouver la mort. La métaphore du fil au-dessus du Niagara et celle du point de non-retour, cet endroit  du fleuve où l'on est inexorablement entraîné par les chutes et où l'on ne peut plus échapper à son destin, courent, toutes deux, en filigrane tout au long du livre et symbolisent le destin de chacun des personnages.
Ariah Burnaby, est une femme hors du commun. Si sa vie est brisée par la lutte contre le fleuve, elle n'en laissera jamais rien paraître, s'accrochant à son orgueil et sa dignité, ne tergiversant pas avec sa conscience, intransigeante envers elle-même et envers les autres, refusant de s'avouer vaincue. Joyce Carol Oats brosse là le portrait d'un personnage hors du commun, aussi fascinante et dure que le fleuve, son adversaire; une mère "difficile" pense d'elle son fils Chandler. Les rapports qu'elle entretient avec son mari et ses enfants sont complexes et tourmentés.
Dick Barnaby, malgré sa richesse, le métier d'avocat qu'il exerce avec brio et compétence, son aisance sociale, est finalement plus fragile qu'elle mais sa faiblesse est le revers de ses qualités:   idéaliste, courageux quand il entreprend de prendre la défense des pauvres gens contaminés par les décharges toxiques, il a une haute conception de l'amitié et de la justice et ne peut envisager un seul instant la corruption, l'avidité, l'absence d'humanité qui sont la loi de ses amis, de sa propre classe sociale.
Chandler, Royall et Juliet, tous marqués par la tragédie vécue par leurs parents, vont réagir chacun selon leur caractère; Ce sont des personnages attachants, ce qui est encore un des intérêts de ce remarquable roman.

vendredi 17 juin 2011

Hella S. Haasse : En la forêt de longue attente


Le roman de Charles d'Orléans (1394-1465).
En la forêt de la longue attente  est  l'histoire de Charles d'Orléans, petit-fils de Charles V, neveu de Charles VI le Fou. Son père, Louis d'Orléans, frère de Charles VI, a été assassiné par le duc Bourgogne, Philippe le Hardi, très puissant seigneur qui n'a de cesse d'étendre son duché, profitant de l'incapacité à régner de Charles VI pour faire de la Bourgogne un puissant royaume, indépendant de celui de France. A l'âge de 14 ans, Charles d'Orléans se retrouve orphelin et à la tête de la puissante maison d'Orléans. Il doit venger son père comme il l'a promis à sa mère Valentine Visconti en tenant tête à Bourgogne devenu le conseiller du roi. Il lui faut guerroyer aussi contre l'Angleterre, en particulier contre Henry V qui prétend avoir des droits légitimes sur la couronne de France, déjouer mille intrigues de cour, complots sournois auxquels succèdent des  traités et des promesses solennelles d'amitié, vite suivis de trahisons. Or, Charles d'Orléans n'est pas un guerrier ni un courtisan, ni un politique! C'est un érudit qui aime l'étude, la lecture, excellent latiniste de surcroît, un penseur et surtout un poète. L'amour de la poésie l'accompagnera toute sa vie et l'aidera pendant les vingt-cinq années qu'il vécut en Angleterre après avoir été fait prisonnier à la bataille d'Azincourt.
Le titre du roman est issu du premier vers de ce poème de Charles d'Orléans  :
En la forêt de Longue Attente,
Chevauchant par divers sentiers,
M'en vais, cette année présente,
Au voyage des Désiriers.
Devant sont allés mes fourriers
Pour appareiller mon logis
En la cité de destinée;
Et pour mon coeur et moi ont pris
L'hôtellerie de Pensée.
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Charles d'Orléans, fils de Louis d'Orléans et de Valentine Visconti
Dans son avant propos, Hella Haase affirme que si ce roman historique est étayé par de solides recherches son but n'est pas de reconstruire le passé médiéval. L'Histoire n'est pas ici une fin mais un moyen dit-elle de "retracer  la lente et douloureuse évolution d'un être qui parvient, grâce à la découverte de la créativité, à rester fidèle à lui-même en dépit du rôle social que les circonstances l'obligent à assumer".
Autrement dit, dans ce personnage, c'est l'homme et le poète qui touchent l'écrivain. Grâce à ce que Marguerite Yourcenar appelait la magie sympathique, cette puissance suggestive qui jaillit d'une complicité secrète, Hella S. Hasse nous livre un portrait passionnant, émouvant et profondément humain de cet homme pourtant si éloigné de nous dans le temps. L'art de l'écrivain, sa  perception intuitive de l'homme, nous révèlent un être de chair et de sang qui nous émeut, un poète délicat qui exprime des sentiments sincères dans une langue pleine de raffinement et de beauté. J'ai vraiment pleinement aimé ce portrait qui met en valeur, comme le disait Paul Eluard, un "des plus grands poètes français" mais aussi un homme sensible, intelligent et lettré, qui a été séparé de la femme qu'il aimait, Bonne d'Armagnac, sa seconde épouse, par la captivité et ne l'a jamais revue, une existence douloureuse, sacrifiée à la raison politique.
A côté de ce portrait passionnant, l'écrivain fait revivre des hommes et des femmes tourmentés, déchirés, machiavéliques, perfides ou parfois innocents, qui forment une tragi-comédie humaine haute en couleurs. Le contexte historique nous rappelle les moments les plus sombres de la guerre de Cent ans :  Charles VI, le roi enfermé dans sa folie, horriblement séquestré dans son propre palais, manipulé par la reine et par ses conseillers, Isabeau de Bavière, la Reine obèse dans son fauteuil roulant, reniant son propre fils Charles VII pour servir ses intérêts et sa cupidité, les Grands, ducs de Bourbon, Bourgogne,  Berry s'acharnant à défendre leur pouvoir et leur fortune dans une France rendue exsangue par les guerres, sans pitié pour un peuple agonisant sous les impôts, la famine, les épidémies. Le Moyen-âge français nous est ainsi restitué à travers la vision contemporaine d'un écrivain qui aborde l'Histoire non par des détails extérieurs et superficiels mais par l'essentiel, l'essence de l'Homme.
Un grand roman que j'ai vraiment beaucoup aimé.

La maison royale de Valois


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Charles V Le Sage                   Jeanne de Bourbon
(1338 à 1377)                   (1338 à 1380)
Roi de France                    Reine de France
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Charles VI  Le Fou                     Isabeau de Baviere
Roi de France                             Reine de France
(1368 à 1422)                             (1371-1435)
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Charles VII le Victorieux              Marie d'Anjou
Roi de France                                (1404 1463)
(1403 146)
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Louis XI le Prudent
Roi de France
(1423-1483)

La Maison d'Orléans

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Louis d'Orléans                      +   Valentine Visconti
(frère de Charles VI Le Fol)          (1366 à 1408)
(1372 à 1407)
Charles d'Orléans et Marie de Clèves
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Charles d'Orléans            trois épouses
(1426 à 1486)                   +Isabelle de France
Duc d'Orléans                    +Bonne D'Armagnac
+Marie de Clèves
Louis XII fils de Charles d'Orléans et de Marie de Clèves
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Louis XII
Roi de France

(1483 1515)