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lundi 3 janvier 2011

David Trueba : Savoir perdre



Avec Savoir perdre, couronné par le grand prix national de la Critique 2008, traduit de l'espagnol par Anne Plantagenet en août  2010, l'écrivain, scénariste et réalisateur espagnol, David Trueba, brosse un portrait pessimiste et désabusé de l'Espagne et plus précisément de Madrid à notre époque.
Ce pays, nous le découvrons à travers quatre personnages principaux dont l'écrivain nous offre une tranche de vie qui s'étend sur une période d'un an environ. C'est le temps d'une année scolaire, celle de Sylvia que nous découvrons au lycée, deux semaines après la rentrée de Septembre au début du roman et que nous quittons en juillet, à la fin du récit, le résultat de ses examens en poche. Pendant ce laps de temps, ces quatre personnages autour desquels David Trueba brosse toute une galerie de portraits, vivent des moments fondamentaux de leur vie. Tous s'acheminent vers un échec qui les marquera irrémédiablement mais avec plus ou moins de cruauté. C'est le sens du titre : Savoir perdre, ce qui somme toute est une philosophie difficile que tous ne sauront atteindre. Si je vous dis que dans ce constat assez noir, seuls les jeunes gens s'en sortent vraiment, vous ne serez pas étonnés, je suppose. En effet, l'espoir réside encore dans la jeunesse et éclaire - même si ce n'est pas sans nostalgie-  cette vision de la vie et de la société.
La découverte de la sexualité et de l'amour bouleverse la vie de Sylvia qui a tout juste 16 ans même si elle sait cet amour condamné d'avance et sans avenir. De plus, elle doit faire face au divorce de ses parents et gérer la solitude et les angoisses de son père Lorenzo, assister sa grand-mère Aurora dans la longue maladie qui amène inexorablement  la vieille dame vers la mort. La jeune fille est sur le point de rater son année scolaire et au-delà son avenir qui paraît bien compromis mais sa maturité, son intelligence, son courage lui permettent de limiter les dégâts et de faire face. C'est un personnage intéressant malgré ses erreurs et ses mensonges, comme l'est d'ailleurs Aurora, sa grand-mère qui a su aimer les autres avec altruisme. Quant à la  mère de Sylvia, Pilar, qui a choisi d'être heureuse en vivant un nouvel amour, elle vient compléter ces beaux portraits de femmes aux trois âges de la vie, ce qui introduit un peu d'optimisme dans le roman.
Ariel, le footballeur argentin qu'aime Sylvia, a vingt ans. Il a un côté touchant, un peu enfantin quand il reste seul à Madrid après le départ de son frère aîné. Le mal du pays, la solitude, la pression qui pèse sur ses épaules au niveau sportif quand la nécessité de gagner un match enlève tout plaisir de jouer, sont parfois trop lourds à supporter. C'est l'occasion pour Trueba de dénoncer ce milieu du football perverti par les sommes colossales qui sont désormais en jeu. Un milieu du fric sale où la parole donnée ne compte pas, où l'on peut rompre un contrat sans état d'âme, où chacun, du joueur à l'entraîneur en passant par toutes les personnes impliquées dans ce sport y compris la presse, ne pense qu'à s'en mettre plein les poches. Ariel aime sincèrement Sylvia même s'il est effrayé par son extrême jeunesse. Il essaie de l'oublier en côtoyant un monde factice, prostituées, groupies énamourées, filles superficielles uniquement préoccupées par le sexe et le paraître. C'est un milieu où l'on peut facilement être corrompu et perdre sa vie et son talent en beuveries et relations sexuelles sans lendemain qui laissent un arrière-goût d'amertume et de vide. Lui aussi va être perdant mais l'espoir lui est permis.
Les deux autres personnages sont Lorenzo, le père de Sylvia dont la situation est désespérée. A travers lui, nous côtoyons le monde des sans-papiers mais aussi de ceux qui  exploitent leur misère et leur précarité! Enfin Léandro, grand-père de Sylvia et père de Lorenzo, incarne le naufrage de la vieillesse. Sa passion pour une prostituée au moment où la femme qu'il a aimée est en train de mourir ressemble à un suicide, une auto-destruction programmée. Il y perd non seulement son argent mais plus encore, sa dignité, son honneur, ses raisons de vivre. A travers Leandro et son enfance, Trueba présente les traumatismes de la guerre civile qui a marqué toute la société espagnole.
Le style de Trueba est sec, phrases courtes, nerveuses, souvent au présent de narration, comme si l'écrivain nous présentait un instantané, un tableau qui s'anime, là, devant nos yeux. Il s'agit d'un constat, d'un état de lieu sans concession. C'est un grand roman par l'ampleur de ses vues mais le refus de l'émotion, la distanciation voulue par l'écrivain font que le lecteur reste un témoin extérieur et n'est jamais vraiment partie prenante sauf, peut-être, mais seulement dans une certaine mesure, pour Sylvia et Ariel.

dailogues-croises-capture-d_ecran-2010-05-27-a-10-14-261.1295109300.pngMerci à Dialogues croisés et aux éditions Flammarion