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samedi 30 juillet 2011

Jane Harris, La servante insoumise, Editions du Seuil


Le roman La servante insoumise commence comme un livre de l'époque victorienne. L'on y voit une jeune fille en robe jaune fuir on ne sait quel danger pour aller à la grande ville, ici de Glasgow à Edimbourg. On pense à La dame en blanc de Collins! On s'attend  avec cette sorte de roman, à plonger en plein mystère à la suite de l'héroïne, poursuivie par le malheur, persécutée par de machiavéliques ennemis. Et on n'a pas tort!
Nous sommes en 1863, Bessy Buckley quitte Glasgow pour aller trouver du travail à Edimbourg. En chemin, elle s'arrête dans un château fort délabré où elle se fait engager sur l'heure comme servante par la maîtresse du domaine, Arabella Reid. Deux femmes dans un huis clos partiel dont la confrontation mènera au drame!
Bessy Buckley est bien secrète! Pourquoi ment-elle sans arrêt et en particulier lorsqu'elle doit parler de sa mère? Que fuit-elle? que cache son passé dont elle ne veut pas parler?
Arabella est une femme bizarre, elle s'est mise en tête d'éduquer ses servantes en leur apprenant à écrire, elle consigne des remarques dans un mystérieux livre qu'elle tient secret et son attitude et son caractère sont assez fantasques. De plus, elle paraît poursuivie par le souvenir d'une servante, Nora, retrouvée morte, écrasée par un train. Bessy n'aura de cesse de savoir le secret de sa maîtresse qu'elle chérit et vénère mais ce qu'elle va découvrir fera d'elle une servante insoumise.

Les personnage sont passionnants et complexes et le lecteur ira de surprises en surprises en  découvrant la vérité sur les deux jeunes femmes. En effet, les héroïnes ne sont pas ce que l'on attend d'un roman victorien!  Jane Harris est bien de notre temps et si elle emprunte les codes de ce genre romanesque, c'est pour mieux les détourner et ceci pour notre plus grande joie! Les "méchants" le sont à part entière comme dans un roman de Collins ou de Braddon mais Jane Harris montre les racines du mal en nous donnant une vision sociale et critique de la société de cette époque. Elle décrit pour nous la vie des misérables, des femmes qui prostituent leurs filles, des "nobles" vieillards qui abusent des enfants, des pasteurs dévots qui se révèlent hypocrites et libidineux, entrant ainsi dans des détails indignes de la bienséance victorienne qui aurait fait interdire son roman à l'époque avant parution! La plume de l'écrivain n'épargne personne et les portraits-charges qu'elle brosse sont vigoureux, sans concession et écrits d'une plume acérée qui appelle un chat un chat! C'est un des grands intérêts du roman qui nous apparaît très documenté et solide sur le plan historique quand il s'agit de peindre la vie des humbles dans cette période. L'intrigue, de plus, nous mène sur plusieurs pistes à la découverte de plusieurs secrets. Elle ménage à la fois un suspense policier et psychologique et  nous réserve bien des rebondissements.

Le roman est écrit par Bessy âgée et, dès le début, le style de la servante est un curieux mélange entre une langue raffinée et le parler populaire. Bessy est amoureuse des mots et cultive ceux qui sont savants depuis son enfance mais elle a aussi le franc parler, voire la vulgarité des filles du peuple ce qui crée un cocktail détonant, savoureux et plein d'humour.

Cela donne ceci :
Le paysage était désormais sinistre et défiguré. Contre le ciel d'hiver quelques arbres noirs se détachaient, dénudés, décharnés et courbés par le vent. La brume roulait sur le sol telles des volutes de fumée et une odeur de brûlé flottait dans l'air.

et le paragraphe suivant, cela :
A quoi est-ce qu'elle pensait le pif au vent? Elle devait penser, la sale chipie, au moyen de se fourrer encore plus dans les petits papiers d'Arabella. Et j'aurais pas été étonnée qu'elle ait trottiné en disant ses prières, cette fichue grenouille de bénitier.

La servante insoumise ou le plaisir de lire!