Les chiens et les loups (1940) se déroule en Ukraine dans les milieux juifs. La société est divisée en trois « castes » : ceux de la ville du bas, les pauvres juifs, petits artisans, boutiquiers, « la racaille infréquentable » qui porte des guenilles et parle yiddish; la ville moyenne où vivent non sans hiérarchie médecins, avocats, commerçants, petits bourgeois et où coexistent juifs, russes et polonais. Et enfin le ville haute interdite aux juifs sauf à ceux qui possèdent une grande fortune et peuvent se permettre de tout acheter. Les chiens et les loups, c’est cette opposition entre ceux qui réussissent et dominent et ceux qui sont pauvres et obéissent.
C’est dans la ville moyenne qu’habite la petite Ada Sinner dont le père Israël est un intermédiaire entre la ville moyenne et la haute. Chez elle vivent aussi sa tante, veuve, son cousin Ben et sa cousine Lilla. Au cours d’un pogrom, Ada et Ben se réfugient dans la ville haute. Ils demandent asile aux cousins Sinner, la branche riche de la famille. Les enfants y sont accueillis avec hauteur mais Ada y fait une rencontre qu’elle n’oubliera pas : son cousin, Harry, enfant délicat, raffiné, richement habillé, qui sera le seul amour de toute sa vie. Elle le retrouvera dans l’exil, à Paris, où la famille est obligée de fuir après la mort de son père. La vie à Paris contraste avec la vie en Ukraine mais elle y est toujours difficile; heureusement Ada est peintre et son travail va lui permettre de s’en sortir.
La description de la vie en Ukraine est passionnante et j’ai trouvé que c’était le moment le plus fort du livre. La ville à plusieurs niveaux comme dans un film de Fritz Lang, la misère, le pogrom dans le ghetto, la fuite des enfants, la découverte de l'inégalité sociale vécue comme un choc, tout est animé d’une vie intense, raconté avec un grand talent. J’ai suivi aussi avec intérêt les tribulations du personnage principal qui est, de plus, entourée de personnages secondaires bien campées. Ada est attachante, intelligente et courageuse. Elle lutte contre les difficultés de l’exil, et ne baisse pas les bras! C’est un beau portrait de femme. Son amour pour Harry semble être sa grande faiblesse. Au départ on peut se demander si elle est attirée par Harry qui n'a pourtant rien d'exceptionnel ou par ce qu’il représente. Mais on voit, plus tard, combien elle est désintéressée et fière, n’acceptant rien de lui.
Ce qui m’a frappée dans la description des milieux juifs par Irène Némirovsky c’est l’incroyable étanchéité qui existe entre les classes sociales, une hiérarchie féroce, un mépris et une dureté pour ceux qui ne réussissent pas, l’importance accordée à l’argent. La valeur de l’homme est déterminée par le fait qu’il a ou n’a pas de fortune. L’écrivaine parle de la race juive et de ses caractéristiques physiques et morales et il en sort un portrait peu flatteur. Si Irène Nemirovsky n’était pas juive elle-même, morte dans un camp de concentration, je dirais qu’elle est antisémite, tant sa critique de la société juive est virulente. Elle appartient pourtant elle aussi a une haute bourgeoisie, dont la fortune est assise sur la finance, et elle aussi a vécu en riche et insouciante jeune fille. Pourtant, elle n'hésite pas à publier des nouvelles dans Gingoire, un journal d'extrême-droite connu pour son antisémitisme. Elle se convertit au catholicisme en 1938 peut-être pour des raisons de prudence en ces temps troublés! Il n’en reste pas moins qu’elle reste hantée par son identité juive dans toute son oeuvre, qu'elle la refuse ou non.
Livre lu dans le cadre du blogoclub de Sylire