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jeudi 16 janvier 2014

Léon Tostoï et Alexandre Pouchkine : La tempête de neige




Dans le cadre de la semaine Russe de Marilyne de Lire et Merveilles, nous avons décidé d'une lecture commune sur Léon Tolstoï ce jeudi 16 Janvier. Maryline à choisi Les cosaques et moi La tempête de neige et autres récits.


Troïka Nicolas Vassiliev

Cette lecture de Tolstoï m'a amené par curiosité à lire aussi la nouvelle de Alexandre Pouchckine qui porte le même titre et elle est si différente de celle de Léon Tolstoï que j'ai eu envie de présenter les deux dans ce billet.

Léon Tolstoï : Ilya Femorovitch Répine (1887)

Dans La tempête de neige publié en 1856, Tolstoï évoque le  souvenir d'un voyage nocturne entrepris pendant l'hiver 1854-1855 dans l'immense steppe balayée par le vent et la neige alors qu'il revenait en Russie après son service comme officier dans le Caucase. La tempête de neige fait rage, le froid devient plus intense et le conducteur de la troïka perd son chemin. Son maître lui ordonne de retourner au relais mais après avoir rencontré un groupe de trois traîneaux du courrier postal, il décide de les suivre, se fiant à leur grande expérience. C'est ce voyage dans la neige, en aveugle, qui paraît durer une éternité, que nous raconte l'écrivain.

Hiver : Alexis Savrasov

Au niveau de l'action, on pourrait dire qu'il ne se passe rien, aucun événement,  si ce n'est le voyage qui est en lui-même une aventure! Tolsoï refuse de jouer sur le sensationnel, sur les émotions, les sentiments d'angoisse et de peur et pourtant lui et les cochers risquent leur vie.
Le paysage qui défile est longuement décrit dans sa monotonie et sa beauté inhospitalière et les efforts du conducteur de tête pour retrouver le chemin sont rapportés avec précision mais sans effet particulier.  L'écrivain observe, donne des détails précis, sur l'attelage d'une troïka, par exemple, les différents sons de ses clochettes.
 Trois clochettes- une grande au milieu, au son de framboise, comme on dit, et deux petites, accordées en tierce. Le son de cette tierce de de cette quinte chevrotante qui résonnait dans l'air était extrêmement  frappant et étrangement agréable dans cette steppe déserte et inhabitée.

Ce qui intéresse l'écrivain, ce n'est pas l'aspect insolite, dangereux, aléatoire de ce qu'il est en train de vivre mais l'analyse des sentiments, l'étude psychologique qu'il mène en observant des personnages qu'il décrit minutieusement, moujiks frustes, durs à la tâche, habitués à la souffrance et endurants.
Cette description, plus que des émotions, fait naître des sensations. Nous entendons le crissement des patins sur la glace, le hurlement frénétique du vent. Nous nous sentons englués dans un monde qui paraît sans frontière, à la limite du réel, engourdis par le froid intense, perdus dans un univers qui semble être aux confins des mondes habités.
Le vent paraît changer de direction : tantôt il vous souffle en plein visage  et vous colle les yeux avec la neige, tantôt il joue à vous agacer en vous couvrant la tête du col de votre pelisse puis, l'air de se moquer, vous frappe le visage, tantôt il vient de derrière en s'engouffrant dans une crevasse. On entend sans arrêt le crissement léger des sabots et des patins sur la neige et le tintement des clochettes qui faiblit lorsque la neige est profonde.

Le récit présente aussi une particularité curieuse due à l'immense talent de l'écrivain, c'est  cette faculté de glisser du présent au passé, de ressusciter, au milieu de la steppe glaciale, une belle journée d'été à Iasnaïa Poliana, la propriété où Tolstoï a passé sa jeunesse, élevé par sa tante Tatiana. Au personnage du cocher, se substitue celui du vieil intendant, à la neige, la vision de fleurs odorantes et du soleil brûlant. Et le drame d'une noyade survient dans ce paysage lumineux brusquement assombri. Si bien que l'évènement surgit là où on l'attend, dans la steppe désolée, mais par cette journée paisible chaude. Comme le voyageur blotti dans son traîneau, caché sous sa pelisse, nous oublions la neige, le froid et glissons dans un autre monde loin dans l'espace et dans le temps.

Orest Kiprensky. (Photo wikipedia.org)
Orest Kiprensky. (Photo wikipedia.org)
Alexandre Pouchkine; Orest  Kiprensky (wikipedia.org)
Orest Kiprensky. (Photo wikipedia.org)
Orest Kiprensky. (Photo wikipedia.org)

La tempête de neige de Pouchkine est tout autre. Jugez plutôt :

Maria Gravrilovna a dix-sept ans. Elle est la fille d'un riche propriétaire et passe pour un très bon parti; mais elle tombe amoureuse et réciproquement d'un jeune homme pauvre, Vladimir Nikolaïevitch. Le père s'oppose à leur union. Les deux amoureux décident alors de fuir. Ils doivent partir chacun de chez eux pendant la nuit et se retrouver dans une petite église de campagne pour se marier en secret. Mais une tempête de neige se lève. Le jeune homme perd son chemin au milieu de la tourmente et n'arrive à l'église que le matin. Celle-ci est fermée. La jeune fille est retournée chez elle et tombe gravement malade. Vladimir désespéré s'engage dans l'armée et se fait tuer dans un combat contre les troupes de Napoléon. Mais que s'est-il passé dans l'église pendant la nuit où la fiancée l'attendait. Quel est l'homme avec qui le pope a célébré son mariage?

La Tempête de neige dans le recueil Les récits de Belkine est publiée en 1831. Nous sommes en pleine période romantique. Si Pouchkine a un style classique, plein de retenue, qui refuse aussi bien l'épanchement que les grandes envolées lyriques ou le grossissement épique, il écrit pourtant une histoire romantique avec une héroïne qui obéit aux codes du genre et cela même si l'auteur manifeste pourtant une certaine ironie envers elle, un peu comme Flaubert avec Emma Bovary.

Maria Gravilovna était nourrie de romans français et par conséquent était amoureuse.

Vassili Pukirev: le mariage forcé(wikipedia.org)

Il n'en reste pas moins vrai que le récit présente une conception romantique de l'intrigue : enlèvement, séparation des amants, désespoir d'amour qui mène à la mort, mariage mystérieux et une fin pour le moins surprenante et peut-être pas tout à fait vraisemblable mais... qu'importe!. 
 Je sautai sans rien dire hors du traîneau et entrai dans l'église qu'éclairaient faiblement deux ou trois cierges. Une jeune fille était assise sur une banquette, dans un coin obscur de l'église. Une autre lui frictionnait les tempes. " Dieu soit loué, dit celle-ci, vous voilà enfin! Vous avez failli faire mourir mademoiselle." Un vieux prêtre s'approcha de moi et me demanda : "vous plaît-il que je commence?"
- Commencez, commencez, mon père", répondis-je distraitement. On soutint la jeune fille. Elle me parut jolie... Légèreté impardonnable, incompréhensible, impardonnable. Je me plaçai à côté d'elle devant le lutrin...

La différence saute aux yeux : dans Tolstoï la tempête de neige est le sujet même du récit, dans Pouckine, elle est la cause qui provoque l'aventure et le malheur des deux amants.
Contrairement à Tolstoï qui s'intéresse à l'analyse des sentiments, le récit de Pouchkine  peint un évènement extraordinaire.
Tolstoï lui-même remarquait en relisant l'écrivain qu'il avait tant admiré : " Hélas! Je dois reconnaître que la prose de Pouchkine a vieilli -non par le style mais par la manière d'exposer. Aujourd'hui, à juste titre, dans la nouvelle tendance, l'intérêt des détails du sentiment a remplacé l'intérêt des évènements eux-mêmes. (préface Folio classique)
C'est que vingt-cinq ans sépare ces récits et le goût du réalisme a remplacé le romantisme.Pour tout vous dire, moi, j'aime les deux même s'il s'agit dans les deux cas, d'une oeuvre mineure!

La fuite de Maria Gravilovna




Lecture commune sur Toltoï avec Marylin :  voir ICI
Voir aussi Seth sur Léon TolstoÏ