Pages

Affichage des articles dont le libellé est Editions du Rocher. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Editions du Rocher. Afficher tous les articles

mardi 25 octobre 2011

Françoise Lefèvre : L'or des chambres



 L'or des chambres de Françoise Lefèvre est un recueil de textes courts, poétiques qu'une femme  délaissée écrit pour conjurer la perte de son amour, dire au jour le jour la souffrance et la solitude.

Un jour, l'homme qu'on aime prend le train. Il n'est pas seul. Un femme, imperméable monte devant lui. Il l'aide en glissant sa main droite sous son bras gauche...

Dans la solitude de sa chambre, elle écrit. L'écriture vécue comme une urgence, comme un bonheur mais comme une torture aussi, une exigence terrible mais vitale sans laquelle elle mourrait.

Je rentre dans la chambre obscure. Les rideaux sont fermés. J'y resterai le temps qu'il faudra. Il faut du temps pour écrire. Pour renaître.

Mais l'écriture ainsi coupée de la vie, mène forcément à un repli sur soi :

Je suis rentrée dans la saison. J'oublie que le vie est bonne parfois, et le langage aussi simple qu'un chant d'oiseau, l'hiver derrière la fenêtre. La vie est bonne et bouillante comme les joues des enfants qui ont joué dehors.

Elle dit son mal, elle le crie, elle le chante. Le désir de mort la submerge, elle berce son mal.

Je hais le jour qui revient. Les fleurs sont mortes dans les vases; les fruits pourrissent dans leur corbeille.

Mais peut-être au bout de ce long cheminement douloureux, l'espoir d'une autre vie apparaîtra-t-elle, peut-être sera-t-elle capable de dire à nouveau oui à l'amour

Mais les mots sont une rédemption; On entre en écriture comme on entre à religion.
 Un jour retrouverai-je le rire qui ne se casse pas? Dirai-je à un homme que je voudrai venir dans sa maison?


Qu'ai-je ressenti en lisant ce livre... ?
J'ai été sensible à la beauté du texte. J'aime la poésie et lisant Françoise Lefèvre, je me suis laissée entraîner par  la perfection de certains passages, l'incantation de la langue, la force des images :

Pages enfantées, au lieu de vrais enfants, au lieu de vraies tristesses, le jardin est désert.
la vie s'enfuit dans un miroir à peine désembuée.
la vie ne désemplit pas.


J'aime, incontestablement, j'aime. Et pourtant, par moments, l'impatience me prend devant cette littérature forcément narcissique, cette "tour d'ivoire" où l'écrivain s'enferme ou je décèle parfois une certaine complaisance dans la douleur et mon intérêt diminue. Une adhésion, donc, mais qui n'est pas totale.

Pourtant, j'ai énormément aimé un livre qui beaucoup de ressemblances avec celui-ci; il s'agit de Autoportrait au radiateur de Christian  Bobin. Les similitudes avec L'or des chambres sont évidentes, une écriture poétique qui analyse, qui est attentive aux  nuances, qui creuse, cisèle le détail, une écriture-orfèvre.  Très proche l'un de l'autre à certains moments :

Le bruit d'un moulin à café, bien calé entre mes cuisses, me dit le mouvement du temps. C'est moi qui tourne la manivelle. L'odeur renversée m'enivre. La Beauté, un instant vient sur mes genoux. Elle éclaire un coin de mon tablier bleu : la lumière, écrit Françoise Lefèvre

 La vraie beauté ne va pas avec le solennel, la vraie beauté a toujours un je-ne-sais-quoi de nonchalant, d'abandonné, d'offert, dit Christian Bobin.

 La même souffrance, le même abandon à l'écriture comme condition de survie. Christian Bobin écrit après la mort de la sa compagne alors que Françoise Lefèvre a perdu d'une autre manière l'homme qu'elle aime. D'où vient pourtant que je suis vraiment très accrochée par l'un, du moins dans ce livre Autoportrait au radiateur, et un peu moins par l'autre. Difficile question étant donné les qualités d'écriture des deux écrivains mais je crois avoir trouvé une réponse.
Christian Bobin est plus tourné vers l'extérieur, vers les autres, il laisse le Monde entrer chez lui  avec les rires des enfants, la fulgurance des fleurs, des oiseaux. Françoise Lefèvre me semble tournée uniquement vers elle-même et cultive le souvenir de son amour comme une possession à laquelle elle ne veut pas s'arracher. Il y a une fermeture dans le chagrin, une auto-analyse qui  devient obsession d'elle-même.  Je ne sens pas, sauf de temps en temps, la même luminosité malgré la douleur, le même amour des humains et des choses que j'aime tant dans Bobin, la même ouverture généreuse.
  
Qu'y a-t-il de noir entre nous? D'immense et de coupé? Quel est ce doux enfermement? ce doux ressassement? Cette douce descente aux enfers? Ce bandeau sur les yeux? Ma bouche pleine de terre? C'est le bonheur.
Ne serais-je donc heureuse qu'agenouillée, prosternée, les paumes et le ventre collée à la terre, faisant corps avec elle. Inséparable. Ma joue contre elle. Les yeux clos. (...) Je pense à ta mort et c'est la mienne que je crains. Je hurle à la seule rédemption : glisser entre tes jambes.    Françoise Lefèvre

 Je fais du tout petit, je témoigne pour un brin d'herbe. le monde tel qu'il va, mal, je le connais et je le subis comme vous, un peu moins que vous peut-être : dessous un brin d'herbe, on est protégé de beaucoup de choses.(...) Le désastre, je le vois. Comment ne pas le voir? Le désastre a déjà eu lieu lorsque je commence à écrire. Je prends des notes sur ce qui a résisté et c'est forcément du tout petit, et c'est incomparablement grand, puisque cela a résisté, puisque l'éclat du jour, un mot d'enfant ou un brin d'herbe a triomphé du pire. Je parle au nom de ces choses toutes petites. j'essaie de les entendre. je ne rêve pas d'un monde pacifié. Un tel monde serait mort. J'aime la lutte et l'affrontement comme j'aime la vie du même amour."   Christian Bobin

Lecture commune avec L'or des chambres qui, son pseudo vous l'indique, adore Françoise Lefèvre, son écrivaine préférée ; j'attends avec impatience de lire son billet.






dimanche 12 juin 2011

Thomas Hardy : Le retour au pays natal


Femme au rêve éveillé de John Waterhouse

Le retour au pays natal, un roman de l’enfermement

Le retour au pays natal de Thomas Hardy est une oeuvre passionnante dont l'atmosphère et les personnages sont étonnants. Alors qu'il s'ouvre pour le lecteur sur un paysage évoquant de grands espaces, alors que tous les protagonistes de l'histoire et surtout la jeune héroïne du roman rêvent de liberté, il est curieusement un roman de l'enfermement.
Le récit est assez complexe, tout comme les personnages, et il ne faut pas en dévoiler toute l'intrigue qui présente de nombreux rebondissements*.  En voici la trame :

L'histoire se déroule dans une région reculée et sauvage, la lande d'Egdon, dans le Wessex, où Thomasine, nièce de Mrs Yeobright, va se marier,  malgré les réticences de sa tante, avec Damon Wildeve. Celui-ci ne manque pas de charme mais c'est un jeune homme peu sérieux et il hésite à épouser Thomasine car la très belle Eustacia le tient sous le charme. Quant à Eustacia, jeune citadine venue habiter chez son grand père dans ce lieu perdu, à la mort de ses parents, elle rêve de passion, d'aventures et désire plus que tout échapper à cette lande austère. Aussi lorsque le fils de Mrs Yeobright, le beau et brillant Clim, revient de Paris où il est diamantaire, elle est toute prête à tomber amoureuse de lui. Et Clim d'elle! Wildeve délaissé retourne à Thomasine et Eustacia et Clim se marient bravant l'interdit de la mère. Mais Clim n'a pas du tout l'intention de retourner à Paris et aime son pays natal où il veut s'installer définitivement. Eustacia va vite être déçue par son mariage. Tous les éléments sont rassemblés pour former une tragédie que je vous laisse découvrir.

Un pays exceptionnel pour décor
Un lieu  vaste et hanté
J'ai adoré ce roman tout d'abord par l'atmosphère étrange et mystérieuse que Thomas Hardy parvient à créer en décrivant le cadre de l'action. La description de cette lande magnifique et sauvage met le lecteur en symbiose avec ce lieu de tous les possibles, lieu vaste et hanté par les voix du vent dans les bruyères, par les  esprits d'une ancienne civilisation disparue, les celtes, dont le tumulus s'élève au-dessus du village en témoin silencieux. Le 5 Novembre, quand le pays plonge dans la nuit hivernale, les habitants allument des feux qui se répondent d'une hauteur à l'autre en créant une fantasmagorie d'ombres et de lumières.
Un choeur de tragédie antique
Dans cet endroit qui paraît hors du temps, Hardy dresse des portraits de villageois pleins de vie et de malice qui témoignent de sa part d'une grande connaissance de la vie paysanne, des croyances et des suspertitions, et des activités agricoles de la région, entre autres, la coupe des joncs. Ces personnages secondaires, pleins de saveur forment comme un choeur antique qui commente la vie des principaux protagonistes de l'action et constitue un  des plaisirs de la lecture.
Un lieu  d'enfermement
Mais si la lande est un lieu de toutes beautés, vaste, libre et ouvert, où les gens doivent parcourir des miles pour pouvoir se rencontrer, il est aussi et paradoxalement un lieu d'enfermement pour ceux qui, comme Eustacia, ne l'aime pas. Car il  est impossible à la jeune fille de s'en échapper sans l'appui d'un mari.

La condition féminine : un enfermement par les lois sociales et religieuses

C'est un des thèmes du roman que je trouve aussi très intéressant, celui de la condition féminine dans l'Angleterre victorienne, un sujet que Hardy a souvent traité, ne serait-ce que dans Tess d'Uberville considéré comme son chef d'oeuvre.
Thomasine
Thomasine est le personnage de la jeune femme douce et mesurée. Elle intéresse moins Hardy qui la fait un peu disparaître au profit d'Eustacia. Mais c'est aussi une victime de la société. Parce que son mariage est provisoirement reporté et qu'elle s'est trouvée seule avec son futur mari, elle doit absolument l'épouser pour "réparer" ... une faute qu'elle n'a  pas commise. Elle se marie donc avec Damon Wildeve alors qu'elle commence à douter de lui et à comprendre sa véritable personnalité. Ensuite, elle est entièrement soumise à lui, même s'il ne lui donne pas d'argent pour vivre et courtise Eustacia.
Eustacia
La belle Eustacia peut paraître antipathique avec son orgueil démesuré, la conscience affichée de sa supériorité sociale et intellectuelle et de sa beauté physique. Mais c'est une fille qui a du caractère, intelligente, audacieuse, fantasque, qui rejette les conventions hypocrites d'une société puritaine. C'est pourquoi elle est considérée comme une sorcière par les paysans et mal vue de la "bonne" société. Romantique, elle souhaite vivre une grande passion mais, par contraste, sa chasse au mari paraît  trop réfléchie et intéressée. Cependant, elle a des excuses! Il faut considérer que la femme est à cette époque une éternelle mineure, qu'elle ne peut attendre la réalisation de ses aspirations que de son mari. Si celui-ci les lui refuse, elle doit se soumettre.  La femme est donc prisonnière des lois de l'Angleterre victorienne, enfermée dans les conventions religieuses et sociales.

Des personnages égocentriques : un enfermement en soi-même
D'ailleurs c'est ce que fait son mari, Clim Yeobrigth. Désireux de réaliser son rêve d'une vie autre, dans son pays natal, il se préoccupe  peu de savoir si sa femme est malheureuse. Egoïste, son amour n'est pas assez fort pour l'amener à modifier son attitude  et tenir compte des désirs de sa femme. Eustacia, de même, n'essaie pas de s'intéresser à son projet et lorsque son mari est malade a bien peu de commisération.
Ainsi presque tous les personnages principaux du roman sont égocentriques et, pour cela peu, d'entre eux sont entièrement sympathiques. Mais à l'inverse, aucun n'est totalement antipahique!
Damon Wildeve est prêt à sacrifier Thomasine et son enfant à une femme dont on se demande, au départ, s'il l'aime vraiment ou si c'est un caprice passager. Mais il a dans une certaine mesure un code d'honneur bien à lui et ne manque pas de courage pour sauver celle  qu'il aime.
Mrs Yeobright se fâche avec son fils parce qu'il ne veut pas continuer la brillante carrière qu'elle attendait de sa part et parce qu'il épouse Eustacia. Certes, elle a raison quant à l'avenir de ce mariage mais elle ne fonde son aversion pour Eustacia que sur les "on dit" et les conventions. Il est vrai qu'elle sera la première à chercher à se réconcilier car l'amour maternel est le plus fort.
Enfermés dans leur logique, les personnages poursuivent leur propres intérêts et  par conséquent sont souvent seuls. Ils sont pourtant capables d'amour et de pardon mais porte en eux une dimension tragique qui voue à l'échec leurs élans  : ainsi Clim pardonne deux fois, à sa mère et à sa femme, mais le pardon arrive toujours trop tard.

L'homme au rouge, un personnage hors commun
Un personnage échappe à cette règle : " l'homme au rouge", Diggory Venn,  ainsi appelé parce qu'il vend de la craie rouge pour marquer les moutons, un métier en voie de disparition avec l'apparition du chemin de fer, note Thomas Hardy. Il est rouge de la tête aux pieds, une teinture tenace que l'on ne peut faire disparaître avant plusieurs mois.
Venn aime Thomasine  et aurait bien aimé l'épouser. Mais repoussé par la jeune fille, il est prêt à tout faire pour que celle-ci trouve le bonheur avec celui qu'elle aime.
C'est un personnage réel mais qui paraît surnaturel. Il semble surgir de n'importe où, à n'importe quel moment, tel un justicier qui veille sur Thomasine et est toujours prêt à intervenir. Un justicier ou un ange gardien? Un peu diable pourtant  à cause de sa couleur :  dans les campagnes, on fait peur aux enfants avec l'homme au rouge qui viendra les emporter...   C'est un personnage qui ne paraît pas tout à fait humain et T Hardy avait prévu de le faire disparaître à la fin sans que l'on sache ce qu'il était devenu. Ce qui aurait été logique mais les impératifs de l'édition en a voulu autrement et c'est dommage car il apportait un  touche fantastique au roman.
Voilà donc tous les éléments de ce très beau roman qui procure à sa lecture un long moment de bonheur.

* il vaut mieux éviter la lecture de la quatrième de couverture des éditions Le Rocher pour la traduction française qui dévoile le dénouement.