Pages

Affichage des articles dont le libellé est Challenge des Fous. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Challenge des Fous. Afficher tous les articles

lundi 5 août 2013

Festival Off d'Avignon 2013 : Le Horla de Maupassant mis en scène de Slimane Kacioui avec Florent Aumaitre




Théâtre du roi René : Le Horla de Maupassant au festival off d'Avignon mis en scène par Slimane Kacioui, interprété par Florent Aumaitre, par Les créations d'aujourd'hui.

Je viens juste de lire La maison du docteur Blanche de Laure Murat.  C'est pourquoi j'ai eu envie d'assister à ce spectacle sur une oeuvre que je connais bien. Dans cette clinique psychiatrique, Guy de  Maupassant a fini sa vie dans des souffrances inouïes, le corps paralysé, le cerveau peu à peu détruit par la maladie. La syphilis a cette époque faisait des ravages sans qu'on ait encore vraiment établi le lien entre cette maladie et les conséquences terribles qu'elle entraînait.

 Le Horla est une nouvelle fascinante où  Guy de Maupassant étudie et analyse avec minutie l'emprise de la folie sur son personnage, les rémissions suivies par de violentes attaques qui détruisent peu à peu le cerveau. Le jeune homme en proie à ces crises croit percevoir une sorte d'entité invisible, effrayante, monstrueuse, Le Horla,  qui rôde autour de lui,  le guette sans cesse, le traque, et s'assoit sur sa poitrine pour mieux l'étouffer. Le Horla finira par avoir raison de lui. Ce conte comme de nombreux autres prouve la fascination que la folie exerçait sur l'écrivain comme une anticipation de sa propre  fin. Il n'est pas étonnant que les psychiatres en est fait un objet d'étude clinique. Mais au-delà,  il s'agit  d'une très belle oeuvre littéraire, au style parfaitement maîtrisé,  qui joue sur la frontière entre réalité et fantastique.

Une mise en scène minimaliste nous place nécessairement dans un huis-clos, l'intérieur de la maison, lieu d'internement, qui reflète ce qui se passe à l'intérieur du personnage, de son cerveau dérangé. Une chaise et c'est tout!  La représentation du Horla joue essentiellement sur l'interprétation.  Seul le texte nous présente l'extérieur que l'acteur Florent Aumaitre a le don de faire vivre pour nous : ce qu'il voit le paysage qui s'étale devant ses yeux ou ce qu'il a vu quand il parvient à s'échapper comme si l'extérieur - où le Horla ne peut le suivre- était un lieu de guérison.
C'est aussi au comédien de nous montrer les attaques de panique, la progression de la maladie, la prise de possession par le Horla de l'esprit et du corps du malade.  Le comédien possède bien son texte, le dit très bien et sait nous tenir en haleine! Mais... j'ai malgré tout eu l'impression que la gradation n'était pas assez nettement marquée, la tension psychologique ne nous amène pas à un paroxysme insupportable et  l'émotion ne surgit pas! En bref, une bon spectacle auquel il manque un petit quelque chose pour faire vibrer le spectateur.


Challenge chez Eimelle

Challenge l'ogresse de Paris

jeudi 18 juillet 2013

Laure Murat : La maison du Docteur Blanche



Dans La maison du docteur Blanche, Laure Murat retrace pour nous l'histoire  de l'institution psychiatrique fondée par Esprit Blanche et reprise par son fils Emile, une célèbre clinique privée qui accueillit pendant une grande partie du XIX siècle tous les grands de ce monde atteint de troubles mentaux, assez fortunés pour pouvoir y séjourner.

Esprit Blanche
 L'essai est donc passionnant car en s'appuyant sur  les dossiers de la Maison du docteur Blanche, sur des archives, des lettres, des articles de journaux, Laure Murat reconstitue l'histoire de la folie au XIX siècle, ses avancées mais aussi ses faiblesses et ses ignorances.
Le mot "psychiatre" n'apparaît qu'en 1802 et "psychiatrie" en 1842, mais, nous dit Laure Murat, la libération des aliénés est l'acte fondateur à partir duquel la nouvelle discipline s'élabore et se pratique. Philippe Pinel serait, en effet, à la fin du XVIIIème, celui qui libéra les fous de leur chaîne : jusqu'alors à peine mieux considéré qu'un animal, créature du diable ou sorcier malfaisant, le fou commence à être regardé comme un malade. Avec la révolution il gagne un statut de "patient.
Mais si le XIX siècle est un creuset bouillonnant quant aux recherches et aux théories qui s'élaborent sur les maladies mentales que l'on commence à nommer et à classer, les médecins sont bien souvent démunis devant les cas graves. Les docteurs Blanche, père et fils, sont entièrement dévoués à leurs patients qui prennent les repas avec eux et avec lesquels ils vivent en famille mais la connaissance du cerveau et des troubles psychiatriques en est encore à ses balbutiements. Ainsi le rapprochement n'est pas fait entre la syphilis et la paralysie, les crises de démence et la dégénérescence qu'elle entraîne. D'autre part, bien souvent, Emile Blanche comme la plupart des médecins de son époque réagit lorsqu'il faut juger de la santé mentale d'une personne selon les préjugés et les principes religieux et sociaux de sa classe, bourgeoise et bien pensante. Certaines femmes (le cas n'est pas isolé) qui essaient de se libérer de la tutelle de leur père ou veulent divorcer de leur mari sont considérées comme anormales et enfermées dans un asile!  Il vaut mieux aussi quant on est un fils de famille entrer dans le rang et obéir à son père, ce qui n'est pas le cas du fils de Jules Verne considéré pour cette raison comme fou.
De plus, cet essai nous fait rencontrer des écrivains et des artistes célèbres et ce n'est pas le moindre de ses intérêts car Laure Murat va à travers eux étudier les rapports entre la folie et la création artistique ou littéraire. 

Gérard de Nerval
 Un des premiers malades suivi par Esprit Blanche puis par Emile est Gérard de Nerval. Les registres de la Maison du docteur Blanche sont assez elliptiques sur son cas et c'est son oeuvre Aurélia, transposition poétique de ses troubles mentaux, de ses visions, qui est à la fois le meilleur document scientifique autant qu'un monument littéraire, un témoignage autant qu'une oeuvre d'art. Ce texte, les psychiatres du XXème siècle s'en serviront pour étudier sous la prose poétique, l'intérêt clinique du récit.
Nous rencontrons aussi à la maison du docteur Blanche  le musicien Gounod, au faîte de sa gloire, les Halévy, Marie D'Agoult, la comtesse de Castiglione, maîtresse de Napoléon III, Theo Van Gogh peu de temps après la mort de son frère Vincent. Nous assistons à l'horrible et lente agonie de Guy de Maupassant qui fut durant toute sa vie fascinée par la folie qu'il explora avec une triste prescience dans son oeuvre.  Toutes ces souffrances indicibles qu'aucun médicament ne peut soulager à l'époque font dire à Emile Blanche - et ce sont ces derniers mots  : Moi, j'ai trop vu de misères, je n'en puis plus.

J'ai beaucoup apprécié cette étude fouillée et complète sur la Maison du docteur Blanche et ses patients de 1821 à 1893, date de la disparition d'Emile qui n'a pas connu les débuts de la  psychanalyse. Une étude qui est aussi un témoignage historique, traversé par les révolutions, la guerre franco-prussienne, la Commune, de la vie parisienne et de la société du XIXème siècle dans les milieux littéraires et artistiques.




Chez l'Ogresse de Paris

lundi 22 octobre 2012

Rachilde : La tour d'amour, un roman sulfureux?





Née le 11 février 1860 dans la demeure familiale du Cros, dans le Périgord, Marguerite Eymery (Rachilde, en littérature) connaît une enfance et une adolescence perturbées. Son père officier de carrière qui aurait voulu un garçon ne s'occupe pas d'elle et sa mère  est dépressive et mythomane. Elle-même est victime d'hallucinations morbides qui font craindre pour sa santé mentale. Elle dit que ce sont les livres de la bibliothèque de son grand père qui l'ont sauvée. Encouragée par Victor Hugo, elle part à dix-huit ans à la conquête de Paris. Coiffée à la garçonne, vêtue en homme, audacieuse, intelligente et brillante, elle commence sa carrière littéraire en prenant le nom d'un gentilhomme suédois du XVIe siècle, Rachilde, rencontré lors d'un séance de spiritisme. Elle s'intéresse, l'une des premières, aux question d'identité sexuelles et d'inversion et fait scandale avec son roman, Monsieur Vénus (1884) où l'homme traité comme un objet tient le rôle traditionnellement dévolu aux femmes,  ce qui lui vaut d'être traduite en justice et condamnée. Cependant, ce roman qui correspond au goût décadent de la fin de siècle, assure sa célébrité et lui donne une réputation sulfureuse. Elle écrit plus de soixante romans dont La Tour d'amour qui est peut-être le meilleur.
Elle épouse Alfred Valette, ce qui lui permet de participer aux débuts de la revue symboliste le Mercure de France, lancée par son mari, dont elle deviendra la patronne. Elle exerce alors un grande influence sur la vie littéraire. Le Tout-Paris se presse à ses "mardis". Elle meurt à Paris en 1953.


 Je vous incite à aller voir chez La fée des logis, l'analyse de l'oeuvre de Rachilde dont je cite un extrait : 
Bien qu'elle soit l'auteur du pamphlet Pourquoi je ne suis pas féministe, et qu'elle tienne parfois des propos misogynes, Rachilde est l'auteure d'une oeuvre qui dérange et qui met mal à l'aise car s'inscrivant violemment contre l'ordre social et le rapport traditionnel des sexes, contre la phallocratie. De fait, ses détracteurs l'ont accusée de perversité, d'obscénité, voire de pornographie. En effet, selon eux, une femme se doit de taire ses fantasmes et ses plaisirs sous peine de manquer aux lois de la bienséance et de la convenance. Rachilde devient alors ce monstre tant redouté à l'époque de la vierge initiée qui " en sait plus long qu'une vieille femme " (in : La Marquise de Sade, Rachilde, p. 13). Aussi les mauvaises langues, confondant la vie de l'auteur et celle de ses personnages, la réalité et la fiction, la soupçonnent-elles de débauche. Se moquant de la réputation qu'on lui taille, Rachilde mène sa vie comme elle l'entend : affranchie et indépendante. 
  suite ICI

 

 La Tour d'amour

 

La tour d'amour de la "sulfureuse" Rachilde est un roman qui sidère, qui laisse pantelant. Jamais en ouvrant le livre de quelqu'un qui était pour moi une inconnue, jamais je n'aurais pensé découvrir un texte d'une telle force, servi pas un style puissant aux images hallucinatoires. Je comprends, bien sûr, que le récit ait fait scandale et je ne suis pas sûre qu'il ne choque pas, même de nos jours, les lecteurs sensibles tant il est morbide et nous entraîne dans la spirale d'une folie qui tient de la perversion. Si vous êtes de ceux-là, tant pis, mais ne me dites pas que Rachilde est un médiocre écrivain!

Bien qu'elle soit née en Périgord, ce roman fait partie de la période bretonne de Rachilde. Jean Maleux, jeune marin breton, veut se fixer après avoir bourlingué comme chauffeur sur un vapeur des ponts et chaussées. Il demande un poste de gardien de phare et  obtient le plus  terrible, le plus redoutable et le plus redouté de tous, nommé par tous les gardiens "l'enfer des enfers", le phare d'Ar-Men, au large de Brest,  appelé ici par dérision la Tour d'amour.  Ce phare battu de manière incessante par les flots,  où l'on ne peut aborder que par télésiège, est terrifiant.  Maleux y rejoint le gardien en chef,  le vieux Mathurin Barnabas, qui n'a plus quitté le lieu depuis vingt ans. Commence alors entre les deux personnages une confrontation hallucinante, une véritable descente aux Enfers.

 Le récit est un huis-clos entre  Maleux et Barnabas sur ce roc abandonné de Dieu. A l'exception de quelques rares sorties de Jean Maleux qui vont d'ailleurs précipiter sa fin, les deux hommes, enfermés dans le phare comme dans une prison, affrontent la mer qui est le troisième personnage et certainement le plus puissant. Elle est parfois décrite comme une prostituée qui s'offre à tous, certaine de son pouvoir sur les hommes.
La mer délirante bavait, crachait, se roulait devant le phare, en se montrant toute nue jusqu'aux entrailles. La gueuse s'enflait d'abord comme un ventre, puis se creusait, s'aplatissait, s'ouvrait, écartant ses cuisses vertes; et à la lueur de la lanterne, on apercevait des choses qui donnaient l'envie de détourner les yeux. Mais elle recommençait, s'échevelant, toute une convulsion d'amour ou de folie. Elle savait bien que ceux qui la regardaient lui appartenaient.
Elle joue un rôle maléfique et détient le droit de vie ou de mort non seulement sur les équipages des bateaux qui viennent se briser sur les formidables écueils de la chaussée de Sein mais aussi sur les gardiens. C'est ainsi qu'après un naufrage,  ceux-ci voient passer les morts remontés à la surface, entraînés par le courant :
Tous ces cadavres tourbillonnaient autour de moi, maintenant à m'en donner le vertige. Ils n'en passaient plus, et je les voyais encore, les uns la bouche ouverte pour leur dernier appel, les autres les yeux fixés à jamais sur leur dernière étoile. Ils allaient, allaient par troupe, par file, deux à deux, six ensemble, un tout seul, tout petit comme un enfant, et ils ressemblaient à une grande noce qui s'éparpille le long du dernier branle du bal.
Dans ce décor de fin du monde, dans ce lieu battu par les tempêtes, et les vents,  les personnages vont peu à peu se dépouiller de leur humanité. Quand Jean Maleux arrive dans le phare, Mathurin Barnabas  est déjà plus proche de la bête que de l'humain. Il a oublié son alphabet , ne sait plus lire ni écrire, parle à peine. Il est repoussant, ne se lave plus, ne change plus de linge, urine contre la porte et marche parfois à quatre pattes. De plus, il est devenu un être hybride, asexué, mi homme-mi-femme.  Jean Maleux pourra-t-il résister à cette hideuse attraction?  On assiste peu à peu  à sa transformation. Rachilde nous entraîne ainsi dans les méandres de la folie qui nous est révélée progressivement et nous plonge dans l'horreur. Quand on pense avoir touché le gouffre, l'on se rend compte que l'on descend encore plus bas!
Une histoire dont on ne sort pas indemne servie par un style très visuel, vigoureux, parfois lyrique où perce à certains moments des accents à la Zola, mais le Zola visionnaire,  celui qui personnifie les éléments de la nature comme la terre dans Germinal.



 

Le phare d'Ar-Men  


Le phare d'Ar-Men (le Roc en breton) qui se dresse au bout de la chaussée de Sein constituée d'écueils redoutables, à huit milles au large de l'île de Sein, possède une mauvaise réputation dès sa construction, une des plus longues et des plus dangereuses de l'histoire des phares. Il a fallu six années de prospection et 15 années de travaux dans les pires des conditions, avec les vagues qui balayaient le roc toutes les cinq minutes, les lames qui risquaient d'emporter les ouvriers à tout moment. Son allumage a lieu en 1881. C'est un endroit où les tempêtes sont les plus dangereuses, les courants les plus violents. Les habitants de l'île de Sein ont nommé le lieu où le phare est implanté Ar Vered Nê, le Nouveau Cimetière à cause des nombreux naufrages qui y ont lieu et un proverbe breton dit : Qui voit Sein voit la fin
La vie dans ce phare d'Ar-Men est tellement âpre et sauvage  que la folie guette les gardiens en proie à la solitude, cerné par le vent, assailli par des vagues qui montent jusqu'à la lanterne.

Rachilde s'appuie sur des documents très précis pour écrire son roman. Le journal L'Illustration de Juin et Juillet 1896 a fait plusieurs reportages sur ce phare, ( sa construction, les conditions de vie des gardiens...) à la suite du naufrage du grand paquebot anglais le Drummond-Castle dans la nuit du 17 au 18 Juin. Il avait à son bord 250 personnes dont 3 seulement ont pu être recueillies vivantes. Rachilde change le nom du bateau qui devient le Dermond-Nesle et utilise les détails techniques pour la description. Tout le reste bien sûr est de l'ordre de son imagination et participe de son univers littéraire qualifié de "décadent" mais où tout est avant tout symbolique et reflète nos peurs les plus profondes.
 
 
 


Deuxième édition du challenge des fous par L'ogresse de Paris

lundi 12 mars 2012

Susan Fromberg Schaeffer : Folie d'une femme séduite



La Folie d'une femme séduite de Susan Fromberg Schaeffer raconte l'histoire d'une jeune fille, Agnès Dempster, inspirée d'un fait réel survenu à la fin du XIX ème siècle. A la  mort de sa grand mère  bien-aimée, Agnès quitte la ferme familiale du  Vermont pour se rendre à la ville. Elle fuit une mère qui ne l'a jamais aimée, trop  marquée par la mort accidentelle de sa première fille Majella et un père qui a toujours pris le parti de sa femme. Elle a seize ans. Arrivée à la ville de Montpelier, Agnès trouve du travail dans un atelier de couture après s'être installée dans une pension de famille. Là, elle rencontre Frank Holt, jeune sculpteur de pierre, dont elle va tomber amoureuse. Il s'agit pour elle d'une passion dévastatrice, bouleversante, qui l'accapare tout entière. Elle idéalise cet homme qu'elle voit doté de toutes les qualités, elle s'attache à lui avec tant d'emportement que le jeune homme prend peur et préfère rompre. Il retourne alors à ses anciennes amours, la sage et calme Jane qui lui apportera la paix et la sécurité.  C'est alors que survient le drame qui a servi de point de part à S. Schaeffer pour imaginer ce récit.

L'histoire est racontée par Agnès, âgée, et s'adresse à son amie Margaret. Elle revient sur les évènements de sa vie pour essayer de les comprendre : ce qui m'intéresse, je crois, c'est de comprendre comment les gens se retrouvent là où ils en  sont, quand tout est fini. Mais je suis sûre à présent que ça allait bien au-delà. Peut-être ai-je encore le besoin de savoir si ma vie devait nécessairement se passer ainsi. Le récit n'est pas linéaire mélangeant le passé et le présent de la jeune femme mais aussi de ses parents, et en particulier des femmes de la famille de sa mère, toutes dotée d'une beauté si parfaite que des générations d'artistes attirés par leur renom se succédèrent pour les peindre ou les sculpter. Mais la beauté semble être pour elles plus une fatalité qu'un atout pour réussir leur vie.

LA FOLIE, L'AMOUR, LA MORT

Pour moi le thème principal du roman n'est pas, comme on le pense souvent, l'amour mais la folie et d'ailleurs les deux thèmes sont indissolublement liés, tous deux inséparables de la Mort. La passion que vit la jeune fille est une manifestation de son délire, de son exaltation qui lui fait perdre pied avec la réalité, le concret : "Je n'adorais pas Frank comme un Dieu; il était un Dieu"."Il était  la lumière du ciel. Il était le ciel.""Je baissais les yeux sur ma main et l'aimais, non parce que c'était ma main, mais parce que Frank l'aimait et la touchait". Peu à peu la jeune fille  va se désintéresser de tout ce qui n'est pas Frank, refusant d'aller travailler pour rester avec lui : Quand il se retirait dans sa chambre, j'étais jalouse des meubles parce qu'ils étaient près de lui et moi pas, et quand il partait travailler, j'étais jalouse de ses compagnons de travail, des pierres et même du sol qu'il foulait.
Plus tard le docteur Parsons en parlera en ces termes : Elle le voulait tout entier en sa possession. D'après elle, il était son moi.
Elle va ainsi perdre sa propre identité pour se fondre en l'autre, ne plus exister en dehors de l'autre.  Elle est d'ailleurs et paradoxalement très consciente de ce qu'il y a de déraisonnable et de mortifère dans ce qu'elle éprouve, elle se dit "malade d'amour" : .. parfois il lui semblait n'être pas dans son propre corps, qu'un visage étranger recouvrait le sien, qu'elle était mauvaise et que pour cela elle n'allait pas à l'église
 La perte de son identité la conduit, lors de l'abandon de Frank, à une haine de soi qui ne peut que mener à la mort. Mais sous l'emprise d'un dédoublement de la personnalité, lorsqu'elle veut se supprimer, elle tuera une personne innocente, ce qui la conduira à l'asile psychiatrique. :
Je tirai une fois et la balle entra dans la tempe. je la regardai fascinée, tomber sur le sol. C'était moi qui glissais dans le vide, du sang ruisselant de ma tempe, pour m'étendre dans la neige. Et quand je baissai les yeux sur elle, je vis qu'elle me souriait, tendant les bras vers moi, mon double, mon ombre, et je sus que c'était là le sommeil, que c'était l'étreinte que j'avais toujours recherchée...
Tout le roman prépare à ce dénouement. La folie hante ce livre. On s'aperçoit qu'elle est déjà  présente chez la grand mère Eurydice qui devient folle lorsqu'elle sait son mari atteint d'une maladie irréversible et qu'elle s'exile dans la porcherie. Elle est présente chez sa mère, Helen, qui n'est jamais plus la même après la mort horrible de son fille aînée brûlée par une lessiveuse d'eau bouillante. Déjà, enfant, Agnès était victime d'hallucinations, des ombres venaient la visiter dans sa chambre, des visages la regardaient du haut du plafond. Elle a essayé de se suicider à l'âge de treize ans. Elle pouvait passer d'une joie excessive à un abattement sans égal en un instant.
Mais n'oublions pas que nous sommes à la fin du XIX et que cette maladie n'était pas connue, aussi lorsque le juge somme le docteur Parsons de donner un nom à cette affection, il ne peut que répondre : La maladie de la femme séduite. Voilà comment il décrit cette maladie. : L'individu en question prend simplement un autre pour lui-même.... On peut observer de phénomène chez les amoureux également. Souvent, ils déclarent : "je t'appartiens" ou "tu m'appartiens" et ça ne pose aucun problème. Ce qui en détermine la nature pathologique, c'est l'importance et la qualité de l'erreur. Les amoureux sont malgré tout conscients d'être deux individus. A un certain moment, Mlle Dempster a perdu cette conscience"
Le thème de la mort est omniprésent aussi dans le roman. Elle commence par l'abattage par son père de son animal familier, sa vache préférée. Elle continue avec la mort violente de Mejella, la soeur d'Agnès ou le bébé mort trouvé dans les bois. Elle est là dans les carrières ou les sculpteurs de pierre fabriquent les stèles funéraires, dans l'avortement qui tue son enfant, dans l'image qui torture son esprit : Comme s'ils étaient dans la chambre, je vis les engrenages de l'énorme pendule de ma grand-mère qui tournaient contre le mur. Je me vis sur des roues dentées. Au fur et à mesure qu'elle tournait, ma robe se prenait dans les dents de roues plus petites, et je me vis déchiquetée.

LA FEMME

La description de la condition féminine est aussi très intéressante. La mère et la grand mère d'Agnès ont toujours rêvé de quitter le Vermont, d'être libres mais n'y sont jamais parvenues. Agnès réalise ce rêve mais elle n'en est pas plus libre. Les femmes sont soumises à leur condition biologique et dans cette fin du XIX siècle, elles sonc cnsées ne pouvoir se réaliser qu'en ayant un enfant. Ne pas en vouloir c'est être anormale. Se faire avorter, c'est risquer sa vie, subir des souffrances et des violences atroces. On voit aussi la condition de la femme ouvrière dans l'atelier de couture où travaille Agnès.

J'ai parfois éprouvé quelques moments de lassitude au cours de ce roman de 800 pages lors de la description de la passion amoureuse. La jeune femme avec ses idées fixes, son amour maladif qui exclut tout autre intérêt, ses brusques moments de dépression est un personnage qui tourne en rond. C'est normal puisqu'elle est obsessionnelle et finalement c'est une qualité de l'auteur de nous la peindre ainsi..  Mais l'on n'en prend conscience qu'après lorsque son mal est analysé. Sur le moment, on subit comme le font ses amis et son amoureux ses variations d'états d'âme, son instabilité, ses angoisses et c'est parfois pénible et même insupportable tant que l'on ne comprend pas que c'est lié à sa maladie. Ce que j'ai le plus apprécié, c'est le procès, tout ce qui a trait aux balbutiements de la psychiatrie et de la psychanalyse et la vie de la jeune femme à l'asile. Le roman est superbement écrit dans une langue très belle, avec des temps forts, la vie dans les Hauts pâturages en est un, aussi. Un beau livre.
Notons la ressemblance de Folie d'une femme séduite avec Captive de Margaret Atwood. A partir d'un fait divers un peu semblable,  les deux écrivains ont  pourtant réalisé deux oeuvres très personnelles.




mercredi 7 mars 2012

Darren Aronofsky : Black Swann


Natalie Portman Black Swann


Black Swann est un film de Darren Aronofsky qui explore le milieu de la danse. Nina (Natalie Portman) est danseuse dans le prestigieux corps de ballet de New York City. Une chance extraordinaire s'ouvre à elle lorsque le chorégraphe, Thomas, (Vincent Cassel) la choisit pour le rôle du Cygne. Mais pour cela elle évince la danseuse étoile titulaire du rôle, vieillissante, et elle entre en rivalité avec une autre ballerine extrêmement douée, Lily (Mila Kuni).

L'histoire pourrait être une variation de plus sur le thème de la rivalité entre danseurs au sein d'un corps de ballet et les difficultés de ce métier difficile où il faut tout sacrifier pour réussir. Et bien sûr, c'est vrai qu'il est question de cela et même que de cela! Mais... L'originalité vient de l'intérêt du réalisateur pour l'exploration de ce qui se passe dans un cerveau malade de la danseuse et la folie qui en découle.

Pour bien comprendre l'enjeu du rôle il faut se débarrasser de l'image romantique du tutu et des jolies danseuses évoluant sur une musique dite "facile" et sentimentale, celle de Tchaïkovsky. Le Lac des cygnes est un conte cruel tiré d'une légende allemande qui parle d'amour, certes, mais aussi d'envoûtement. Un mauvais génie  retient prisonnières des jeunes filles sous la forme de cygnes. Odette, le cygne blanc, rencontre l'amour lorsqu'elle redevient femme, la nuit, avec le prince Siegfried. Mais le cygne noir, Odile, fille du magicien, va prendre sa place au bal et c'est elle qu'il choisira comme épouse. Il s'agit donc d'un combat entre le Bien et le Mal et dans de nombreuses versions de l'oeuvre, c'est le Mal qui l'emporte.

La difficulté du rôle pour Nina est qu'elle doit incarner à la fois le cygne blanc et le noir, donc la pure jeune fille et la femme fatale, le Bien et le Mal. Or Nina est une jeune femme fragile sur le plan psychologique, elle n'est jamais sortie de l'enfance,  surprotégée par sa mère et elle n'a jamais connu la passion. Passons sur l'invraisemblance du scénario un peu lourd qui fait d'une danseuse étoile d'un des plus grands ballets du monde, une petite fille "neuneu"jamais sortie de sa chambre et de ses peluches roses! Comme si elle n'était jamais partie en tournée internationale, comme si elle n'avait jamais interprété d'autres grands rôles avant celui-ci! Passons donc et l'on comprendra qu'il est facile à Nina d'incarner le cygne blanc mais pas le noir! Il faut donc que Nina cherche en elle, au plus profond d'elle-même son côté ténébreux, les pulsions qu'elle a jusqu'alors refoulées.
Et cette recherche va fortement ébranler la raison de la jeune fille faisant surgir devant elle des hallucinations dont elle ne sait plus (et nous non plus spectateur) si elles sont réalités ou fantasmes:   par exemple, la scène où elle broie la main de sa mère en refermant la porte sur elle, ou celles où l'on assiste à ses ébats sexuels avec Lily, dans sa chambre de jeune fille, ou encore le meurtre dans sa loge... Cette perte de conscience de la réalité, ce dédoublement de la personnalité exigé par le rôle sont savamment orchestrés par le véritable cygne noir, Lily, sa rivale, intrigante et perverse, qui joue une jeu trouble avec Nina.
Le cygne est, en effet, dans la mythologie, un symbole androgyne représentant à la fois la lumière solaire et lunaire, c'est à dire à la fois mâle et femelle, symbole de la sexualité refoulée. L'on sait aussi que Tchaïkovski a cherché à exprimer avec ce ballet son homosexualité inavouée, vécue à son époque comme une honte, en faisant du prince Siegfried un homme à qui les amours féminines sont interdites.  On comprend mieux la réaction primitive de Lily qui mord violemment les lèvres du chorégraphe quand celui-ci cherche à l'embrasser et pourquoi aucun homme ne l'a jamais approchée. 
Ainsi ce que découvre Nina sur elle-même, son attirance pour Lily, la violence  et la haine qui habitent en elle, l'épouvante. La pression exercée par ce rôle qu'elle ne se sent pas capable d'assumer -et qui est pourtant la consécration suprême pour toute ballerine-  explique cette descente vers la folie et vers la mort.
Le film est donc d'une étude sur la folie. On ne voit pas pourquoi il a été qualifié de thriller psychologique si ce n'est dans un but publicitaire ou peut-être parce que la mise en scène esthétise un peu trop la violence pour en faire un spectacle!

Piotr Illitch Tchaïkovsky

Le ballet  en quatre acte de Piotr Illitch Tchaïkossky de Tchaïkowsy est composé en 1871 à une époque où l'on ne peut plus parler du mouvement romantique. Mais Vladimir Begichev, le librettiste, inspiré d'une légende  allemande tirée  d'un recueil de conte populaires allemands de Johann Karl August Musäus (1735-1787) mais le thème du lac des cygnes existe aussi dans de nombreux récits romantiques russes et présente tous les thèmes du romantisme : le fantastique, le rêve, l'amour fidèle, la fatalité, la nuit, le bien opposé au mal....


Le Lac des cygnes ballet de tchaïkosky



Ce film est présenté dans le cadre du challenge des fous de L'Ogresse de Paris.




mercredi 4 janvier 2012

Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevsky : Le double



Dans Le double, Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevsky conte l'histoire de Jacob Pietrovitch Goliadkine, conseiller titulaire, petit fonctionnaire aux manières assez étranges et incohérentes. Celui-ci rencontre dans la rue, un soir de mauvais temps, un passant qui lui est familier. Lorsqu'il entre chez lui, l'homme qu'il a croisé en chemin est là et l'attend. M Goliadkine découvre avec stupéfaction que ce personnage est un autre lui-même, parfaitement identique, son double! Quand il se rend à son travail, au Ministère, le lendemain matin, son double est encore là qui s'attire les compliments de ses supérieurs en exploitant le travail du "vrai" M Goliadkine. Désormais, ce dernier ne pourra plus se débarrasser de son double qui le suit partout, se concilie les bonnes grâces de tous à son détriment et n'aura de cesse de l'évincer!
Contrairement à ce que l'on peut croire Le double n'est pas une nouvelle qui fait intervenir le surnaturel. Cette rencontre  hallucinante et angoissante du double dans la nuit glaciale, est, en fait, la description des troubles psychiatriques dont souffre le personnage. Dostoïevsky s'est largement documenté auprès d'un médecin spécialiste, il a consulté de nombreux traités de médecine pour analyser cette maladie : dédoublement de la personnalité, paranoïa ( Goliadkine croit à l'existence d'un complot contre lui). Son intuition, d'autre part, fait pressentir à l'écrivain, des années à l'avance, les découvertes du docteur Freud. Mais le manière de traiter le récit brouille les pistes si bien que le lecteur ne sait pas toujours s'il est dans la réalité ou dans le surnaturel. Dès le début, pourtant, l'écrivain nous décrit les bizarreries du personnage qui le conduisent à visiter un médecin psychiatre. Nous sommes dans une réalité clinique qui mènera le malade à l'asile. Mais le lecteur est désorienté car l'entourage de Goliadkine, son serviteur, ses collègues, voient le double qui semble prendre alors une réalité concrète comme dans un conte fantastique.

En écrivant ce livre, Dostoïevsky voulait faire un roman social. Et même si son sujet a largement débordé de ce projet, il n'en reste pas moins que la description de cette société strictement hiérarchisée, guindée, enfermée dans des codes rigides, où les gens sont jugés selon la place qu'ils occupent, renforce ce sentiment d'aliénation qui est celui du personnage. Cette déshumanisation contribue à créer l'angoisse qui jette le malade dans la plus profonde  détresse.
Le sous-titre de ce roman est Poème pétersbourgeois en hommage à Gogol auquel Dostoïesvky vouait une profonde admiration et qu'il s'efforçait d'égaler.  Ecrit en 1845, Le double est le second roman de l'écrivain. L'imitation est telle que l'on a un peu l'impression de lire le Gogol des Nouvelles pétersbourgeoises et pour ma part, je préfère le Dostoievsky des grands romans comme L'idiot. Pourtant, le sous-titre n'est pas gratuit et Saint Pétersbourg est un personnage à part entière. Les lieux et les itinéraires empruntés par Goliadkine sont très précis. La description de la ville, grise, froide, menacée par l'inondation, avec ses neiges et le vent glacial est un cadre parfait pour l'analyse du personnage dont la ville reflète l'état d'esprit. Dostoievsky décrit l'angoisse de Goliadkine avec un art qui plonge le lecteur dans un profond malaise. Quand il est chassé de la maison par son supérieur hiérarchique, Olsoufii Ivanovitch Berendiiev, qu'il considère comme un père, et qu'il erre dans la nuit, écoutant les rumeurs de la rivière en crue, au milieu des éléments qui se déchaînent, la détresse du personnage, son désir d'anéantissement sont si violents qu'ils le mènent au bord du suicide : 

Non seulement notre héros cherchait de toutes ses forces à se fuir lui-même mais encore il aurait donné cher pour pouvoir s’anéantir d’une façon définitive, pour être, sur-le-champ, réduit en cendres. Pour l’instant,il ne prêtait attention à rien, ne se rendait compte de rien : il semblait absolument indifférent à tous les obstacles que dressait devant lui cette nuit funeste ; indifférent à la longueur  du chemin, à la rigueur du temps, à la pluie, à la neige, au vent. Sur le trottoir du quai de la Fontanka, la galoche qui recouvrait son soulier droit se détacha et resta là, plantée dans la boue et la neige. Il ne s’en aperçut même pas, ne songea pas un instant à revenir sur ses pas pour la retrouver. Il était si préoccupé, qu’à plusieurs reprises, en dépit de la tourmente, il s’arrêta et resta sur le bord du trottoir, planté comme un poteau, pétrifié, se remémorant tous les détails de sa récente et atroce déchéance. Il se sentait mourir.

Ce roman malgré ses qualités certaines a été une lecture difficile pour moi parce qu'il m'a procuré un sentiment extrêmement pénible de rejet, preuve qu'il atteint son but!. Jacob Goliadkine, en effet, éveille en moi des sentiments contradictoires, empathie devant l'intensité de ses souffrances mais aussi répulsion car le personnage est trop souvent dérisoire, ridicule, ennuyeux et pas obligatoirement sympathique...
Le double de Dostoievsky est le premier roman que je lis dans le cadre du Challenge des Fous initié par L 'Ogresse de Paris