Dans Des nouvelles de la maison bleue de Hella H. Haasse, la maison éponyme occupe la place centrale du roman et relie les personnages entre eux et d'abord tous les habitants de ce quartier résidentiel, refermé sur lui-même, secret. La maison bleue est la propriété du professeur Lunius, de sa femme que tous appellent l'Argentine, du nom de son pays d'origine, et de leurs petites filles, Félicia, "la discrète", Nina "la pétulante". A la mort de son mari, madame Lunius part en Argentine avec ses filles et se remarie avec un compatriote conservateur proche de la dictature. La Maison bleue abandonnée à elle-même devient le repaire magique de tous les enfants du quartier.
La maison au toit bleu était donc une partie de notre réalité, un élément indispensable du paysage. Nous nous accommodions des volets clos, des pentures écaillées et de la jungle environnante, et nous nous réjoussions que les tentatives de la municipalité pour acquérir la maison soient restées infructueuses. Dans les années soixante et soixante dix la maison a joué un rôle dans le rêve et l'imagination d'innombrables enfants du quartier; ceux d'entre nous qui étaient alors à l'école primaire ou au lycée peuvent en parler.
De loin en loin les voisins de la maison bleue apprennent des nouvelles de Félicia mariée à avec un diplomate néerlandais et qui fréquente les milieux huppés de la haute bourgeoisie. Nina épouse un chanteur argentin, Ramon Sanglar, et fait parler d'elle par le soutien qu'elle apporte aux mères et aux veuves des opposants de la dictature de son pays. Lorsque les deux soeurs reviennent dans la maison bleue décidée à la mettre en vente, tous vont se sentir concernés, en particulier Nora Munt et le couple Meening qui ont racheté les dépendances de la maison. Le récit raconte les retrouvailles des deux soeurs séparées depuis de longues années et les incidences directes ou indirectes de ce retour sur les habitants. Il est entrecoupé par l'intervention d'un ou plusieurs observateurs extérieurs à la maison bleue, les voisins, qui observent les soeurs Lunius et commentent leurs fait et gestes. Comme un choeur archaïque, ce sont eux qui portent le sens du roman :
Nous voulions voir en elles, une légende vivant, le passé, mais présent, désir paradoxal. Comme si nous pouvions oublier que tout peut changer continuellement, nous-mêmes, le quartier, le monde autour de nous.
Le roman est en effet l'histoire d'une désillusion collective : Nina qui traque son enfance dans les murs délabrés de la maison, Félicia qui essaie en vain de se rapprocher de sa soeur, Nora Munt qui veut faire revivre son amour d'adolescente pour Diederick Meening, Wanda Meening qui cherche à s'émanciper d'un mari trop prévenant, les voisins fascinés par les deux soeurs, tous courent à l'échec. La destruction de la maison bleue remplacée par une maison de retraite pour vieillards fortunés est le symbole de cet impossible retour en arrière.
Le charme qui émanait de la Maison bleue et qui prêtait aux deux soeurs une aura magique aussi longtemps qu'elles étaient ailleurs s'est retourné contre elles, est devenu maléfice, influx malin.
L'analyse de Hella S. Hasse est conduite avec élégance et finesse. L'écrivain sait rendre le charme, le mystère de la maison (comme dans La source cachée) mais il y a une froideur dans cette analyse qui m'empêche d'adhérer totalement au roman. Impossible d'être en empathie avec un seul des personnages ou d'éprouver de l'émotion. Haasse parle à l'intelligence mais pas aux sentiments.