Le Mont Saint Michel dans Les très riches heures du duc de Berry (XV°)
Le Mont Saint Michel était originellement appelé
Mont Tombe. Aubert, évêque d'Avranches fait construire l'abbaye sur le Mont au VIII ième siècle lorsque l'archange Saint Michel lui apparaît pour le lui demander. L'église est consacrée en 709.
L'enluminure de Les très riches heures du duc de Berry montre à quoi devait ressembler le Mont Saint Michel à l'époque où se situe le roman de Paul Féval La fée des grèves au XV siècle, sous François 1er, duc de Bretagne et sous le règne du roi de France, Charles VII.
Et le voici aujourd'hui Septembre 2012
Au sortir de la porte d’Avranches, ce fut un spectacle magique et comme il n’est donné d’en offrir qu’à ces rivages merveilleux.
Un brouillard blanc, opaque, cotonneux, estompé d’ombres comme
les nuages du ciel, s’étendait aux pieds des pèlerins depuis le bas de
la colline jusqu’à l’autre rive de la baie, où les maisons de Cancale se
montraient au lointain perdu.
De ce brouillard, le Mont semblait surgir tout entier,
resplendissant de la base au faîte, sous l’or ruisselant du soleil de
juin.
Vous eussiez dit qu’il était bercé mollement dans son lit de
nuées, cet édifice unique au monde ! et quand la brume s’agitait,
baissant son niveau sous la pression d’un souffle de brise, vous eussiez
dit que le colosse, grandi tout à coup, allait toucher du front la
voûte bleue :
La ville de Saint-Michel, collée au roc et surmontant le mur
d’enceinte, la plate-forme dominant la ville, la muraille du château
couronnant la plate-forme, le château hardiment lancé par-dessus la
muraille, l’église perchée sur le château, et sur l’église l’audacieux
campanile égaré dans le ciel !
Le cloître
À mesure qu’on montait, le roman disparaissait pour faire place au gothique, car l’histoire architecturale du Mont-Saint-Michel a ses pages en ordre, dont les feuillets se déroulent suivant l’exactitude chronologique.
Le soleil de midi éclairait le cloître, qui apparut aux pèlerins
dans toute sa riche efflorescence : Un carré parfait, à trois rangs de
colonnettes isolées ou reliées en faisceaux qui se couronnent de voûtes
ogivales, arrêtées par des nervures délicates et hardies.
Le prodige ici, c’est la variété des ornements dont le motif,
toujours le même, se modifie à l’infini dans l’exécution, et brode ses
feuilles ou ses fleurs de mille façons différentes, de telle sorte que
la symétrie respectée laisse le champ libre à la plus aimée de nos
sensations artistiques : celle que fait naître la fantaisie.
La flèche
La basilique de Saint-Michel n’était pas entièrement bâtie à l’époque où se passe notre histoire. Le couronnement du chœur manquait; mais la nef et les bas côtés étaient déjà clos. L’autel se dressait sous la charpente même du chœur qui communiquait avec le dehors par les travaux et les échafaudages.
Le duc François s’arrêta là. Il ne monta point l’escalier du clocher qui conduit aux galeries, au grand et au petit Tour des fous
et enfin à cette flèche audacieuse où l’archange saint Michel, tournant
sur sa boule d’or, terrassait le dragon à quatre cents pieds au-dessus
des grèves**.
Entre le Mont Saint Michel et Tombelène
Les gens de la rive disent que le deuxième jour de
novembre, le lendemain de la Toussaint, un brouillard blanc se lève à la
tombée de la nuit.
C’est la fête des morts.
Ce brouillard blanc est fait avec les âmes de ceux qui dorment sous les tangues.
Et comme ces âmes sont innombrables, le brouillard s’étend sur
toute la baie, enveloppant dans ces plis funèbres Tombelène et le
Mont-Saint-Michel.
Au matin, des plaintes courent dans cette brume animée; ceux qui passent sur la rive entendent :
— Dans un an ! Dans un an !
Ce sont les esprits qui se donnent rendez-vous pour l’année suivante.
On se signe. L’aube naît. La grande tombe se rouvre, le brouillard a disparu.
Ces défauts de la grève forment quand la mer monte, des espèces
de rivières sinueuses qui s’emplissent tout d’abord et qu’il est très
difficile d’apercevoir dès la tombée de la brune, parce que ces rivières
n’ont point de bords.
L’eau qui se trouve là ne fait que combler les défauts de la grève.
De telle sorte qu’on peut courir, bien loin devant le flot, sur
une surface sèche et être déjà condamné. Car la mer invisible s’est
épanchée sans bruit dans quelque canal circulaire, et l’on est dans une
île qui va disparaître à son tour sous les eaux.
C’est là un des principaux dangers des lises ou sables mouvants que détrempent les lacs souterrains.
Le mont Tombelène est plus large et moins haut que le Mont-Saint-Michel, son illustre voisin.
À l’époque où se passe notre histoire, les troupes de François de
Bretagne avaient réussi à déloger les Anglais des fortifications qui
tinrent si longtemps le Mont-Saint-Michel en échec. Ces fortifications
étaient en partie rasées. Il n’y avait plus personne à Tombelène.
C’était sur le rocher de Tombelène, parmi les ruines des
fortifications anglaises, que monsieur Hue de Maurever avait trouvé un
asile, après la citation au tribunal de Dieu, donnée en la basilique du
monastère.( Voir La fée des Grèves (1) ICI)
Quand Reine, l'héroïne, la fée des Grèves s'enfonce dans les lises de Tombelène, son amoureux aperçoit la scène du haut du Mont Saint Michel à travers un tube qui provoque l'incrédulité de chacun car il permet de voir de près, comme par magie, ce qui est fort loin. Un tube miraculeux!
Aubry mit son oeil au hasard à l'une des extrémités.
Il vit distinctement les vaches qui passaient sur le Mont-Dol, à quatre lieues de là.
Un cri de stupéfaction s'étouffa dans sa poitrine.
Le tube fut dirigé vers le point sombre qui tranchait sur le sable étincelant. Cette fois, Aubry laissa tomber le tube et saisit sa poitrine à deux mains.
-Reine ! Reine ! dit-il ; Julien et Méloir ! ! ! Au risque de se briser le crâne, il se précipita à corps perdu dans l'escalier de la plate-forme. (...)
Bientôt, on put le voir galoper à fond de train sur la grève. Il tenait à la main la lance de Ligneville. Devant lui, un grand lévrier noir bondissait. Ils allaient, ils allaient.- C'était un tourbillon ! Jeannin avait dit :
-Dans dix minutes, la mer couvrira ce point noir. Ce point noir, c'était Reine.
-Nous venons, par la volonté de notre seigneur le duc, répondit Corson, quérir monsieur Hue de Maurever, coupable de trahison.
-Et portez-vous licence de franchir la frontière ?
-De par Dieu ! monsieur de Ligneville, riposta Corson, quand notre
seigneur François a sauvé votre sire des griffes de l'Anglais, il a
franchi la frontière sans licence.
Ligneville fit un geste. Ses soldats se rangèrent en bataille. Hue de Maurever perça les rangs.
-Messire, dit-il, si ces gens de Bretagne veulent s'en retourner chez
eux en se contentant de ma personne et en laissant libres tous les
pauvres paysans de mes anciens domaines, je suis prêt à me livrer en
leurs mains.
-Donc, pour ce, franchissez la rivière de Couesnon**, messire, répliqua Ligneville ; sur la terre du Roi, on ne se rend qu'au Roi.
*M Gilles, le frère de François 1er de Bretagne (qui était aussi son héritier), a été incarcéré par son frère. Il fut retrouvé étranglé dans sa cellule. On n'a jamais pu savoir si c'était sur l'ordre du Duc. Mais ce dernier est mort quelques mois après.
***Le Mont était rattaché depuis l'époque de Charlemagne au diocèse d'Avranches, en Neustrie. En 867, le traité de Compiègne attribua l'Avranchin à la Bretagne : c'était le début de la période "bretonne" du mont Saint-Michel. L'Avranchin, tout comme le Cotentin ne faisaient pas partie du territoire concédé à Rollon lors de l'établissement des Normands en 911 - le mont Saint-Michel restait provisoirement breton. Il l'était encore en 933 lorsque Guillaume Ier de Normandie récupéra l'Avranchin : la frontière était alors fixée à la Sélune, fleuve côtier qui se jetait à l'est du Mont.
Quelques décennies plus tard, en 1009, la frontière sud de l'Avranchin (et, partant, de la Normandie) fut déplacée jusqu'au Couesnon, fleuve côtier dont l'embouchure marqua pendant des siècles la limite officielle entre la Normandie et la Bretagne (bien avant d'être remplacée par une limite topographique fixe).
L'histoire et la légende se brouillent à cette date. Les textes de l'époque ne précisent pas le sort du mont Saint-Michel (ni sa localisation par rapport au Couesnon), mais son rattachement à la Normandie est attesté quelques décennies plus tard, et il est déjà effectif lorsque Guy de Thouars incendie le Mont en avril 1204.
Or, une légende affirme que le Couesnon, lors d'une de ses fréquentes divagations, se serait mis à déboucher à l’ouest du Mont, faisant ainsi passer ce dernier en Normandie. Si cette légende est exacte, le Mont aurait été situé à l'ouest du Couesnon en 1009 et la divagation du Couesnon se situerait quelques décennies plus tard. Si elle est fausse, le Couesnon se jetait déjà à l'ouest du mont Saint-Michel en 1009. (source Wikipedia)