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lundi 6 octobre 2025

Carys Davies : Eclaircie

 

Le roman de Carys Davies, Eclaircie, se déroule en 1843 dans une île isolée au nord de l’Ecosse. C’est l’année, nous explique l’auteure, de la Great Disruption, le schisme qui a eu lieu au sein de l’église  presbytérienne écossaise et qui vit de nombreux pasteurs la quitter pour fonder la nouvelle église libre d’Ecosse. Ils protestaient contre le droit que détenaient les grands propriétaires terriens de choisir eux-mêmes les pasteurs. Un autre fait historique d’importance qui préside à ce récit est ce que l’on a appelé en Ecosse : les Clearances. Ce sont des déplacements forcés des populations rurales vivant sur des territoires reculés qui ont commencé dès le milieu du XVIII siècle et se poursuivent jusqu’à la seconde moitié du XIX siècle. Des paysans pauvres furent ainsi chassés de chez eux, allant rejoindre sur le continent une population miséreuse, sans aucune ressource, corvéable à merci, pour laisser aux grand propriétaires, en quête de profit, la possibilité de faire à moindre frais l’élevage intensif de moutons.

C’est là qu’intervient John Ferguson, pasteur prebytérien de la nouvelle église libre à laquelle il a adhéré pour être en accord avec sa foi et sa conscience. Désormais sans paroisse et sans le sou, il est pourtant obligé d’assurer sa subsistance et celle de sa femme. C’est pourquoi il accepte un travail. Il doit se rendre dans une île au nord des Shetlands où vit Ivar, le seul habitant du lieu, pour lui signifier qu’il doit quitter son foyer. Mary a beau démontrer à John les dangers de cette mission ainsi que la responsabilité morale qui sera la sienne, John est dans le déni et se persuade qu’il agit pour le bien de cet homme puisque celui-ci pourra désormais vivre avec ses semblables. Une des difficultés et non des moindres est qu'Ivar parle une langue en voie de disparition, la langue norne, et qu’il lui sera bien difficile de se faire comprendre ! 

Mais voilà que rien ne se passe comme prévu ! John Ferguson blessé est recueilli par Ivar et le roman décrit la construction d’une amitié entre les deux hommes autour de l’apprentissage de cette langue norne, riche et passionnante, qui est en elle-même une aventure. 

«  D’autres termes étaient plus ardus tant il en existait pour désigner les moindres variations du climat et du vent, du comportement de la mer aussi, qui semblaient parfaitement distinctes aux yeux d’Ivar mais que John Ferguson peinait à définir avec certitude et qui le laissaient tout bonnement perplexe - des mots tels que gilgal et skreul et yog, fester et dreetslengi - qui semblaient tous avoir un sens précis et bien particulier, lequel dépassait son expérience personnelle et ses pouvoirs d’observation; autant de termes qu’avec un léger sentiment de défaite, il traduisait collectivement par « une mer agitée ». »

Les personnages sont très réussies : l’austérité du pasteur dont le visage peint le caractère en deux mots : «osseux et presbytérien », caractère qui se précise encore quand John entend sa belle-soeur demander à Mary  « si elle regrettait de ne pas avoir épousé un homme moins sérieux, adjectif qui dans sa bouche, il en était persuadé, signifiait strict et sans humour, ennuyeux et, plus généralement presbytérien. ». 
Pour cet homme, corseté dans ses principes, danser représente un péché, et si, par amour, il pardonne à sa femme d’avoir remplacé ses dents tombées par des fausses, suprême vanité que la communauté lui reproche, il ne le ferait jamais pour lui-même. Scrupuleux à l’extrême dès qu’il s’agit de l’indépendance spirituelle de son église, il néglige ce qui est temporel comme l’injustice sociale. Pourtant, peu à peu, au contact d’Ivar, des scrupules naissent et il se sent honteux du rôle qu’il doit jouer.  

Ivar, lui, est un taiseux. La solitude façonne un homme surtout dans un environnement dur, hostile, où il est à la merci de la maladie qui l’a laissé très affaibli. ll file la laine de ses quelques moutons et tricote ses vêtements. Il vit de peu et mène une vie simple qui ressemblerait au bonheur si ce n’était le manque de compagnie.

« Il resta planté sous la pluie douce qui tombait maintenant et, au bout d’un long moment se parla dans sa tête :
 J’ai les falaises et les récifs et les oiseaux. J’ai la colline blanche et la colline ronde et la colline pointue. J’ai l’eau claire de la source et la bonne pâture riche posée comme une couverture sur les hauteurs perchées de l’île. J’ai la vieille vache noire et l’herbe goûteuse qui pousse au milieu des rochers, j’ai mon grand fauteuil et ma maison robuste. j’ai mon rouet et ma théïère, j’ai Pegi ( son cheval) et, maintenant, miracle, j’ai John Ferguson. »
 

La beauté de la nature dans cette île est toujours présente, décrite par petites touches, même si cela n’occulte pas la difficulté de la vie lorsque commence l’hiver et que le moral est en berne au fur et à mesure que les nuits s’allongent.

Ce roman est juste au niveau des caractères, conté sobrement et les descriptions, les moments de vie, la présence constante de la mer avec les tempêtes, la pêche, les oiseaux, mais aussi la présence chaleureuse des animaux domestiques, le partage entre les deux hommes, la personnalité affirmée du personnage féminin, tout suscite beaucoup d’intérêt. 

C’est pourquoi j’ai été très déçue par le dénouement. Je comprends que Carys Davies veuille montrer l’évolution du pasteur mais la fin qu’elle imagine est contraire à la mentalité, aux croyances profondes d’un austère presbytérien et même de sa femme aussi évoluée soit-elle !  On ne peut y croire un seul instant !  L'écrivaine se trompe de siècle. Je trouve qu’elle cède à la facilité, voire à la mode (?) en écrivant une fin recevable au XXI siècle mais pas au XIXième, époque ou se déroule l’histoire ( et encore si vous vous renseignez sur les presbytériens américains à l'heure actuelle, vous verrez qu’ils n’en sont pas là  même si l'on n'en est plus à la Lettre écarlate ! )
Je ne peux en dire plus pour ne pas divulguer la fin mais je m’étonne d’être la seule à avoir noté cette incohérence psychologique et historique pour ce roman nominé à plusieurs prix littéraires.

Voir le billet d'Alexandra ICI

 

 

Chez Fanja


 

lundi 22 septembre 2025

Katherine Mansfield : Prélude et Sur la baie

 


Katherine Beauchamp qui prend pour nom de plume le pseudonyme de Mansfield emprunté à sa grand-mère est née à Wellington en Nouvelle-Zélande en 1888 et c’est en France, à Avon (Seine et Marne), qu’elle mourra, malade de la tuberculose en 1923. Elle quitte son pays pour l’Angleterre une première fois en 1906 au cours de laquelle elle a une liaison homosexuelle qui fait scandale à Wellington et est rappelée par ses parents puis elle repart en 1908, période où elle se retrouve enceinte, se marie (un mariage qui dure un jour), et perd son bébé. En froid avec sa famille bourgeoise et conservatrice, elle ne revient jamais dans son pays natal et  fait de fréquents séjours en France, à Menton, en particulier. Pourtant à la mort de son frère,  - Leslie Beauchamp- ,  avec qui elle était restée en contact alors qu’il servait sous le drapeau britannique en France en 1915, tous les souvenirs de son enfance remontent à la mémoire. Elle écrit dans son journal : 
  
« A présent, ce sont des réminiscences de mon pays à moi que je veux écrire. Oui, je veux parler de lui, jusqu'à l'épuisement absolu de mes réserves. Non seulement parce que c'est une «dette sacrée » que je paierai à la patrie où nous sommes nés, mon frère et moi, mais aussi parce que j'erre avec lui en pensée dans tous les endroits remémorés. Jamais je ne m'en éloigne. J'aspire à les faire renaître en écrivant.  »

 

Katherine Mansfield


Les nouvelles qu’elle écrit alors éclairent des moments heureux de l’enfance composés de petits riens, de bribes de vie, de sensations, de moments suspendus, une écriture que les critiques ont pu qualifier de  pointilliste,  et qui raconte l’histoire d’une famille, les Burnell, en tout point semblable à la famille Beauchamp. Dans Prélude, et Sur la Baie, elle-même y figure sous le nom de Kezia avec ses deux soeurs et son petit frère. Ces instants de bonheur lumineux, parfois fulgurants, souvent fugaces mais troués d’angoisse diffuse, sont vécus dans l’urgence, avec la conscience de leur fragilité et de leur brièveté. Prélude raconte le déménagement de la famille pour une maison plus grande. Sur la Baie relate une journée de la famille à la plage de Crescent Bay, les jeux des enfants, leur insouciance, les moments de bonheur et le vécu des adultes, leur insatisfaction, leurs désirs inavoués, qui contrastent avec l’innocence enfantine. La  présence de la mer y est constante, ce sentiment de l’insularité que Mansfield met ainsi en valeur dans son journal : 

"Oh ! je veux, l'espace d'un instant, faire surgir aux yeux du Vieux Monde notre pays inexploré. Il faut qu'il soit mystérieux et comme suspendu sur les eaux. Il faut qu'il vous ôte le souffle. Il faut qu'il soit « une de ces îles …" 

ou dans ce poème : 

"  La chatoyante, aveuglante toile de la mer
Etait suspendue dans le ciel, et le soleil araignée, 
Avec une cruauté besogneuse et effrayante,
Rampait dans le ciel et filait, filait. 
Elle pouvait le voir encore, les yeux clos
Et les petits bateaux pris comme des mouches dans la toile. "


Les caractéristiques du style de Katherine Mansfield 



Katherine Beauchamp avec sa petite soeur Jeanne (Lottie) et son petit frère Leslie (Boy)

                              Courtesy of the Alexander Turnbull Library


A travers les deux nouvelles Prélude et Sur la baie apparaissent les caractéristiques du style de Katherine Mansfield. L’écrivaine y expose le flot des pensées intimes de chacun, en variant les points de vue, celui des enfants Isabel, Kézia et Lottie, (le petit garçon est encore un bébé dans son berceau) et de leurs cousins Pip et Rags Trout; de la mère Linda épuisée par ses grossesses, qui redoute d’être à nouveau enceinte et qui n’aime pas ses enfants, à part peut-être ce bébé qui semble vouloir tisser un lien avec elle;  de la tante Beryl, belle, préoccupée uniquement d’elle-même, fantasque, toujours dans l’attente du grand amour ; de la grand-mère adorée et du lien spécial qu’elle a avec Kezia;  du père, Stanley, insupportable tyran domestique dont toutes les femmes sont bien heureuses d’être débarrassées quand il part travailler. Ces pensées que Katherine Mansfied nous livre sans intermédiaire, ce que l’on a appelé le « courant de conscience » (stream of consciousness ) nous permettent d’entrer en contact direct avec l’intériorité du personnage. Ainsi le père de famille partant au travail : 

« Ah ! le manque de coeur des femmes ! Et cette façon qu'elles avaient de trouver naturel que ce soit votre rôle de vous tuer à la tâche pour elles, alors qu'elles ne prenaient même pas la peine de faire attention à ce que l'on n'égare pas votre canne. » 

Ce stream of consciousness est l’une des caractéristiques du style de l’écrivaine, une technique d’écriture originale qu’elle partage, entre autres, avec Virginia Woolf, ce qui faisait dire à cette dernière : "Je ne voulais pas l’avouer, mais j’étais jalouse de son écriture, la seule écriture dont j’aie jamais été jalouse. Elle avait la vibration. " 

Une autre caractéristique est cette manière de passer du réel à l’imaginaire sans que le lecteur puisse avoir un repère et sans établir une barrière entre les deux. Ainsi lorsque les enfants jouent dans Prélude ou dans Sur la baie, ils deviennent d’autres personnages et nous sont présentés sous leur nom d’emprunt sans que rien ne nous y prépare, comme s’il s’agissait de la réalité. Ces passages assez étonnants et déstabilisants peignent la force de l’imagination enfantine et montrent que pour l’enfant la frontière entre le réel et l’irréel est mouvante et floue, ce que nous perdons en entrant dans le monde des adultes. De là naît une étrangeté et une poésie nostalgique propre à Mansfield lorsqu’elle parle des enfants.

C’est aussi un monde où les animaux et les objets sont dotés d’une vie propre, indépendante, doués de sentiments : 

"Nous sommes des arbres muets, tendant nos bras dans la nuit pour implorer nous ne savons quoi » disait le bois dans son chagrin."

De plus les nouvelles de Mansfield donne toujours une impression d’inachevé. C’est ce que j’ai pu observer non seulement dans les deux nouvelles citées ici mais aussi dans toutes les autres. Parfois, même, elles s’achèvent au moment où tout autre écrivain commencerait à écrire. Elles laissent le personnage en suspense, face à lui-même, à son devenir, d’où naît une sensation aiguë d’angoisse et de tristesse.  

Les thèmes :  la mer, l’insularité

 


Dans les deux nouvelles, le thème de la mer est omniprésent. La mer prend part aux différents moments de la vie quotidienne, encadre la vie des personnages.
 
Dans Prélude la famille déménage et les deux soeurs cadettes qui n’ont pas pu partir avec les autres, faute de place dans la voiture font le trajet de nuit. Tout le voyage en carriole se pare d’étrangeté aux yeux des fillettes qui ne sont jamais sorties la nuit. La petite Lottie qui a les yeux qui papillotent s’endort sur son vêtement et a l’ancre de son bouton imprimée sur la joue. Elle appartient à la mer jusque dans son sommeil. Katherine Mansfield a le talent de peindre les émerveillements de l’enfance, la façon dont les enfants sont réceptifs aux sensations, aux lumières, aux odeurs et comment la découverte de quelque chose de nouveau se pare pour eux d’une aura mystérieuse, comment ils peuvent transformer un instant fugace en éternité du souvenir.

Des étoiles étincelantes parsemaient le ciel et la lune suspendue au-dessus du port accrochait des fils d’or à la crête des vagues. On voyait le phare qui brillait sur l’île de la Quarantaine et les lumières vertes des vieux pontons à charbon.

La mer semble donner le LA, rythmer les moments de bonheur ou d’inquiétude comme une musique obstinée, toujours présente. 

Sur la Baie se déroule en une journée et commence à l’aube sous le brouillard qui enveloppe la vie, encore pleine de sommeil et qui a du mal à émerger de la torpeur. Entre rêve et réalité, veille ou sommeil, une splendide description de ce paysage, onirique, enchanteur, ouvre donc sur une journée ordinaire à la mer où toute la famille se retrouve. 

Le Toi-Toi argenté...


"Le soleil n’était pas encore levé et tout Crescent Bay était caché sous le voile blanc d’un brouillard marin."

"Il n’y avait rien pour indiquer ce qui était la plage où était la mer. L’herbe était bleue. D’énormes gouttes restaient suspendues au branches et elles tenaient bon; le toi-toi argenté et duveteux s’alanguissait sur sa longue tige et tous les soucis et tous les oeillets du jardins des bungalows s’inclinaient jusqu’à terre sous le poids de la rosée.
On aurait dit que la mer était montée doucement dans l’obscurité, qu’une immense vague était venue mourir, ici, oui, mourir, mais jusqu’où exactement ? Peut-être, si vous vous étiez réveillé au milieu de la nuit, auriez-vous vu un gros poisson donner un petit coup au carreau de la fenêtre, puis s’en aller comme il était venu."

 Les premiers personnages à apparaître sont le berger, le chien et les moutons qui semblent chassés du paysage  lorsque le soleil se lève, comme s’ils étaient un rêve appelé à disparaître devant la réalité.
Puis les premiers de la famille sur la plage pour le bain matinal sont l’oncle Jonathan Trout, un homme, joyeux, insouciant, mais seulement en apparence, et Stanley, le père, toujours pressé, imbu de son importance, « je n’ai pas le temps de batifoler », revêche, qui quitte vite la plage.

 Et là encore la mer prend parti : 

«  Au même moment, une énorme vague souleva Jonathan, le dépassa, puis alla se briser sur la grève au milieu d’un joyeux fracas. Quelle beauté ! Et voici qu’il en arrivait une autre. C’est ainsi qu’il fallait vivre - avec insouciance et légèreté, sans retenue. Voilà ce qu’il fallait… Vivre – vivre ! Et le matin parfait, si beau, si frais, qui se prélassait dans la lumière et donnait l’impression de rire de sa propre beauté, sembla murmurer : "Pourquoi pas ?"

La mer rythme les différents moments de la journée et met son grain de sel partout ! 

Déjà, dans la matinée, la plage est « jonchée de petits tas de vêtements et de chaussures; les grands chapeaux de soleil sur lesquels on avait mis des galets pour empêcher le vent de les emporter, avaient l’air d’immenses coquillages » et jusque dans les jeux d’enfants :
Lottie «  quand une vague plus grosse que d’habitude, une vieille vague toute barbue arrivait au galop vers elle, elle bondissait sur ses pieds, le visage horrifié et elle remontait à toutes jambes vers la plage; »

L’après-midi «La marée était basse; La plage était déserte: l’eau tiède de la mer clapotait paresseusement. Le soleil sans merci écrasait le sable fin de toute l’ardeur de ses rayons brûlants, cuisant sous son feu les galets, bleus, noirs et veinés de blanc. Il suçait les dernières gouttes d’eau au creux des coquillages. Il décolorait les liserons roses qui couraient partout sur les dunes. »

le soir
"Le soleil s’était couché. A l’ouest on voyait les grands amoncellements de nuages roses pressés les uns contre les autres »

Et même là nuit, quand la tante Beryl prête à tomber dans les bras d’un séducteur, le repousse tant elle le juge méprisable, la mer fait entendre d’abord son désaccord puis son approbation :

"En cet instant d’obscurité, le bruit de la mer devint profond et trouble. Puis le nuage s’éloigna et le bruit ne fut plus qu’un vague murmure comme si la mer s’éveillait d’un mauvais rêve. Tout était calme."

Les thèmes : La mort 


Puis il y a la grand-mère adorée de Kezia-Kathrine et ce très beau passage où la fillette prend conscience de ce qu’est la mort et du lien spécial qui la rattache à son aïeule : 

« Kezia demeura un instant immobile à songer à ces choses. Elle n'avait pas envie de mourir. Cela voulait dire qu'il faudrait s'en aller d'ici, de partout, pour toujours, quitter - quitter sa grand-mère. Elle se retourna vivement sur le côté.
"Grand-mère, s'écria-t-elle tout effarée.
- Quoi donc, mon poussin !
- Toi, il ne faut pas que tu meures." Kezia était catégorique.
"Ah, Kezia... " Sa grand-mère leva les yeux, sourit et hocha la tête. "Ne parlons pas de ça.
- Mais il ne faut pas. Tu ne pourrais pas me quitter. Tu ne pourrais pas ne plus être là."
Ça, c'était affreux.
"Promets-moi que jamais tu ne le feras, grand-mère", supplia Kezia.
La vieille femme continuait à tricoter.
"Promets-le-moi ! dis jamais !"
Mais sa grand-mère se taisait toujours. »


Dans la Garden party  que j'ai beaucoup aimé et qui se passe aussi sur l'île, la mort est le thème central.

Une très belle écriture !

Chez Fanja


lundi 8 septembre 2025

Stephen Greenblatt : Will le Magnifique

 

Will  le magnifique de Stephen Greenblatt est un livre à ne pas manquer pour tous les amoureux de Shakespeare mais  pour les autres aussi car le livre est un puits de science à la fois sur la vie et l’oeuvre du dramaturge mais aussi sur l’histoire anglaise du XVI siècle, sous le règne d’Elizabeth 1er et de Jacques 1er.

Stephen Greenblatt part du constat que l’on connaît peu la vie du personnage ( pas de lettres alors qu’il était séparé de sa famille restée à Stratford quand il vivait à Londres, pas de journal intime, pas de mémoires écrits par ses contemporains ) mais d’abondants documents rendant compte de sa vie officielle, acquisitions de propriétés, recettes des théâtres, certificats de mariage, de baptême, procès, testament et puis… bien sûr, il y a ces œuvres !  Et  si justement celles-ci rendaient compte de sa vie, révélaient ses pensées secrètes, ses sentiments, ses idées, bref ! Et si la biographie du grand dramaturge pouvait se lire à travers et par ses écrits ? C’est ce que va étudier Greenblatt et c’est ce qui rend cette étude si passionnante.

Enfin et pour une fois un biographe, Stephen Greenblatt, qui ne remet pas en cause la paternité des œuvres de Shakespeare mais qui, au contraire, met en lumière pourquoi elle est incontestable. Non qu’il veuille aborder cette question d’ailleurs. Son intérêt est ailleurs. Il part de ce postulat :

 « L’une des caractéristiques fondamentales de l’art de Shakespeare est de ne jamais se couper du réel. Shakespeare est un poète qui remarque que le lièvre traqué est « tout trempé de sueur » ou que l’acteur victime d’opprobre peut se comparer à la main indélébilement tachée du teinturier. »

William Shakespeare est né en 1564 et est mort en 1616. Il est l’aîné des enfants de John Shakespeare et de Mary Arden et a certainement fait ses études de l’âge de sept ans à 13 ans à la Grammar school de sa ville natale Stratford-upon-Avon. Des études entièrement dispensées en latin et consacrées à l’étude de textes religieux mais aussi d’auteurs latins, comme Plaute ou Terence. Les troupes itinérantes qui s’arrêtaient à Stratford ont pu aussi lui donner le goût du théâtre. Mais il n’a pu aller à l’université car son père - qui était gantier et bailli de la ville - ruiné, n’avait plus la fortune nécessaire pour l’y envoyer. Quand il arrive à Londres pour y exercer le métier d’acteur et se mettre à écrire Shakespeare doit se faire un nom. Il fréquente alors le cercle des écrivains et dramaturges, souvent de mauvais garçons, buveurs, ripailleurs, mais aussi espions, voleurs, qui tournent autour du théâtre dont Marlowe, son plus grand rival avant sa mort violente dans une rixe. Le théâtre a cette époque est plus que jamais un commerce et la concurrence y est rude, il faut gagner la protection d’un haut personnage pour survivre et les épidémies de peste qui ferment tous les lieux de loisir plongent souvent la plupart des troupes dans la misère. Ces  poètes sont tous diplômés d’Oxford et de Cambridge forment une caste qui ne doit rien à la fortune ou à la noblesse mais bien au prestige de leurs études. Ils regardent de haut tous ceux qui ne sortent pas de l’université. Ils forment un cercle fermé et snob et sont rapidement jaloux des succès de Will. L’un d’eux, vraisemblablement Robert Greene, traite Shakespeare ainsi :

 « Oui, méfier-vous d’eux : Car il en est un parmi eux, un Corbeau parvenu qui s’embellit de nos plumes, et qui, dissimulant son coeur de tigre sous la peau d’un comédien, s’imagine qu’il est tout aussi capable que le meilleur d’entre vous de grandiloquer des vers blancs et en véritable Johannes-à- tout- faire, il se considère vaniteusement comme l’unique Shakescene (ébranleur de scène) du royaume. »

Et  c’est le même  snobisme qui, de nos jours, refuse  de reconnaître  Shakespeare comme l’auteur de ses œuvres, et pour les mêmes raisons !  Sous prétexte qu’il n’est pas sorti de l’université, qu’il est issu du peuple,  ses détracteurs attribuent ses textes à un aristocrate, un universitaire, comme si un autodidacte  doté d’une mémoire excellente, d’un don aiguisé de l’observation et d’une  grande imagination ne pouvait être capable de faire oeuvre de génie, comme si un acteur qui doit incarner toutes les classes sociales, ne pouvait pas s’identifier à un aristocrate.

« Il convient d’invoquer le pouvoir d’une imagination incomparablement  puissante, un don qui ne dépend pas du fait qu’on a, ou non, mené une vie prétenduement intéressante. De longues et fructueuses études ont démontré comment l’imagination de Shakespeare métamorphose ses sources, car dans la majorité de ses œuvres, il emprunte de matériaux qui circulent déjà et les transforme par la puissance de son énergie créatrice. »

L’érudition, certes Shakespeare peut l’acquérir par ses lectures ( j’ai noté qu’il lisait Montaigne, entre autres !). Mais pour le reste il puise dans le réel, dans ce qu’il a pu observer, dans les  traditions populaires, les coutumes solidement ancrées dans la vie campagnarde. Celle-ci est peinte dans son oeuvre, non comme une pastorale destinée à plaire à la haute société, mais avec des détails vrais. Shakespeare connaît parfaitement les travaux des champs. Son père était fils de métayer et achetait de la laine directement au producteur pour la traiter. Il décrit les conditions de vie du berger, le cycle de saisons, la vie des animaux, les noms des herbes et des fleurs.. La nature est souvent présente dans ses pièces et donne lieu à de très beaux passages lyriques tout en témoignant d’une connaissance intime du monde rural. 

« Le théâtre doit participer à la fois de cette envolée visionnaire de l’imagination et d’un enracinement dans le quotidien, ce quotidien qui constitue une partie intégrante de son imagination créatrice. Shakespeare ne devait jamais oublier le monde quotidien et provincial dont il était issu …. »

On sait peu de choses des années  qui ont précédé l’arrivée de Shakespeare à Londres. On pense qu’il a peut-être travaillé comme gantier avec son père et le biographe note l’abondance des  références relatives à ce métier du cuir dans  ses pièces.
 

« Romeo aimerait être le gant qui recouvre la main de Juliette, afin de pouvoir lui effleurer la joue. Dans Le Conte d’Hiver le colporteur transporte dans sa musette « des gants comme roses parfumées » ? Le parchemin n’est-il pas en peau de mouton  ? se demande Hamlet. « si Monseigneur et aussi de veau. » lui répond son ami Horatio.. Dans La comédie des erreurs, quant à l’officier, engoncé dans son uniforme du cuir, Shakespeare le compare à « une basse de viole dans un étui de cuir ». ( etc…) En créant le monde enchanté du Songe d’une nuit d’été, Shakespeare s’amuse même à miniaturiser l’art du cuir : la « chatoyante » peau abandonnée par le serpent qui mue est assez large pour un manteau de fée et « l’aile de cuir » des chauves-souris pour celui des elfes.

 Peut-être a-t-il aussi travaillé dans une étude d’un notaire car il il a le vocabulaire  d’un juriste et plus tard il se révélera très compétent pour gérer ses biens, acquérir des propriétés et se doter d’une solide fortune. Il a certainement commencé sa carrière théâtrale comme acteur avant de se rendre à Londres.

Tout en éclairant la vie de Shakespeare par son oeuvre, Greenblatt  brosse un tableau de  la Renaissance anglaise, ce XVI Siècle dominé par la royale figure d’Elizabeth puis Jacques 1er, un siècle tourmenté, où règne la discorde entre catholiques et anglicans et dans lequel l’héritage religieux de Henri VIII a fait de la reine le chef de l’église anglicane. Les grandes familles catholiques complotent dans l’ombre et lorsque le pape s’en mêle et excommunie la souveraine, la peur du complot, la suspicion, les rumeurs d’assassinat, font peser une chape de plomb sur la société. Beaucoup de nobles perdent la vie, leur tête exposée sur une pique à l’entrée du pont de Londres. Les puritains qui vont encore plus loin dans la répression que la reine, attaquent le théâtre qu’ils accusent de tous les vices, et sont aussi une force délétère qui ajoute encore à ce climat de peur et de tension.
 Entre une mère catholique et un père qui de par ses fonctions publiques affiche son adhésion à l'église anglicane mais est peut-être resté secrètement catholique, on comprend que William Shakespeare se soit montré discret sur sa vie privée. De même qu’il devait se montrer habile dans ses pièces pour ne pas heurter l’orgueil des nobles et des souverains surtout quand il peignait leur règne et leurs moeurs.  Et ce d’autant plus qu’il vit dans un société hiérarchisée à outrance, les hommes dominent les  femmes, les personnages  âgées les plus jeunes, les classes sociales sont extrêmement marquées et la naissance dans l’une d’elles crée un déterminisme dont il est malaisé de s’échapper. Les supérieurs attendent respect et exigent de recevoir des marques de déférence dues à leur rang, l’acteur et le dramaturge n’étant pas beaucoup plus qu’un serviteur chargé de les divertir et  ne bénéficiant pas même de l’impunité du Fou du roi. Un siècle inquiétant et pourtant riche au niveau culturel où le théâtre acquiert peu à peu et parfois difficilement ses lettres de noblesse. Un grand plaisir de lecture ! 


mardi 22 juillet 2025

Shakespeare : Le songe d'une nuit d'été

Arthur Rackham : Puck et Titania
  

Je devais aller voir Macbeth pour participer au challenge de Cléanthe mais je n'ai pas pu. Par contre j'ai assisté à deux représentations de le Songe d'une nuit d'été  qui m'ont particulièrement déçue. Je reprends ici tout en le complétant ce que j'avais déjà écrit sur cette pièce pour le challenge Shakespeare il y a quelques années pour mieux faire comprendre ma déception.


La  pièce de Shakespeare Le songe d'une nuit d'été était à l'origine intitulée Le songe de la nuit de la Saint Jean. Une bizarrerie puisque Shakespeare place le déroulement de sa pièce au mois de Mai (mid summer).
 L'universitaire Ernest Schanzer donne une explication : il s'agit de la date de la première représentation du Songe donnée pour célébrer la nuit de la Saint-Jean. Ce qui reste étonnant, pourtant, c'est que le dramaturge ait tenu à placer l'action la veille du premier Mai. Certes, ces deux nuits, dans les croyances élizabéthaines, étaient toutes deux considérées comme propices à la magie, à l'apparition des êtres surnaturels. Cependant c'est à la Saint Jean que les fleurs cueillies cette nuit-là ont un pouvoir magique capable de susciter des rêves amoureux et de frapper les gens de folie. Or, constate Ernest Schanzer  "la folie amoureuse n'est-elle pas, en effet, le thème essentiel du songe d'une nuit d'été ?".
Quoi qu'il en soit, la pièce est bien nommée puisque toutes les scènes se déroulent la nuit sauf peut-être la première scène de l'acte 1 et encore est-elle placée aussi sous le signe de la lune..

L'intrigue 

La scène se passe à Athènes et dans un bois voisin.

Thésée, le duc d'Athènes et Hippolita vont fêter leur mariage dans quatre nuits, à la nouvelle lune.  Mais Egée, un vieux courtisan,  vient se plaindre de sa fille Hermia qui refuse d'épouser Démetrius, le prétendant qu'il lui a choisi. Hermia aime Lysandre et veut se marier selon son coeur.  Héléna, la fille de Nedar, elle, aime Démetrius qui lui préfère Hermia. Telle est la situation, inextricable, lorsque les deux amoureux, Hermia et Lysandre décident de fuir.  Ils seront suivis, contre leur gré, par Héléna et Démétrius. Les quatre jeunes gens se perdent dans la forêt pendant cette nuit de folie et vont être les jouets des fées.

Pendant ce temps, des gens du peuple, artisans de la ville, décident de monter une pièce sur la mort de Thisbée et de Pyrame pour la représenter au mariage de Thésée et Hippolita. Ils espèrent s'attirer les bonnes grâces du roi. Ils s'éloignent dans la forêt guidé par Lecoin, le charpentier qui s'est improvisé metteur en scène. La troupe à l'intention de répéter à l'abri des regards et il va leur arriver à eux aussi bien des mésaventures.

Dans la forêt vit le peuple des fées : La reine Titania, entourée de ses elfes, est en rivalité avec Obéron, le roi des fées. Il lui réclame un enfant qu'elle lui a volé. Elle refuse et Obéron jure de se venger avec l'aide de Puck ; il demande à ce dernier d'aller cueillir une fleur magique dont le suc déposé sur la paupière d'une personne la rend amoureuse du premier visage aperçu lors de son réveil.

Avec cette fleur commence la folie amoureuse de cette nuit d'été : Titania tombera amoureuse de Bottom (Navette), le tisserand, affublé d'une tête d'âne ; les quatre jeunes gens eux aussi vont changer de soupirants et voir se nouer et dénouer leurs amours, au gré des caprices des fées.


Une comédie tragique : l'Homme est-il libre ?


Le songe d'une nuit d'été est une comédie. Elle présente effectivement des personnages franchement comiques, en particulier la troupe de théâtre des artisans, ridicules à souhait dans leurs prétentions. Les personnages vont jouer une tragédie en se prenant très au sérieux; c'est ce qui va provoquer le rire car nous assistons à une parodie sans que les acteurs en soient conscients. Ils craignent même de faire peur aux dames ! Ce sont des personnages de farce et celle-ci est à son comble quand Bottom se retrouve avec une tête d'âne. Shakespeare a toujours aimé mener une réflexion sur le théâtre dans ses pièces, soit pour révéler la vérité comme dans Hamlet, soit pour rappeler que la vie, le monde entier, est un théâtre comme dans Macbeth ou Le marchand de Venise.  Ici, le théâtre dans le théâtre permet de jouer sur le grotesque tout en dénonçant la sottise et la vanité humaines. Il est aussi frappant de constater que le thème de Pyrame et Thisbé répond à l'intrigue du Songe, une histoire d'amour contrarié et d'amants séparés. A l'astre de la lune qui veille sur la pièce, répond la lune factice, une lanterne, des comédiens amateurs.

Cependant la pièce a un fond tragique et même si le spectateur rit, il reste conscient de la cruauté des jeux amoureux qui se déroulent devant lui. Quand le suc de la fleur magique détourne l'amour de Lysandre et de Démétrius vers Héléna, Hermia devient pour eux un objet de mépris. Il n'y aucune compassion pour la jeune fille qui doit essuyer des insultes :

"Moi me contenter d'Hermia ! Jamais ! Comme je regrette les heures d'ennui passées auprès d'elle. C'est Héléna que j'aime, non Hermia !  Qui ne voudrait changer une corneille contre une colombe ?(...)

"Va-t-en tartare moricaude, va t'en ! au diable médecine répugnante, au diable vomitif dégoûtant!"

Les rapports entre  hommes et femmes sont donc d'une grande violence  même si leur caractère excessif nous rappelle que nous sommes dans la comédie. Il n'en reste pas moins que Hermia soudainement délaissée est désemparée, humiliée et malheureuse. Héléna qui ne peut croire au revirement des deux jeunes gens, est tout aussi blessée par ce qu'elle croit être une raillerie. La souffrance des deux femmes est bien réelle.

Hermia : Jamais si fatiguée, jamais si malheureuse, trempée par la rosée, déchirée par les ronces, je ne puis me traîner ni avancer d'un pas.

Mais les relations entre femmes ne sont pas meilleures même si elles sont parfois plus subtiles. Hermia se fâche lorsque Héléna dit et répète qu'elle est "petite" ! Est-elle trop susceptible ? La "gentille" Héléna  a-t-elle une intention blessante ou, au contraire, dit-elle cela innocemment ?  Nous restons ainsi dans la comédie mais Shakespeare nous montre une nature humaine bien noire. 

Il est vrai que les personnages magiques eux-mêmes ne sont pas plus sages, témoins la dispute entre Titania et Obéron, les facéties de Puck, et ils ont, comme jadis les dieux de l'Olympe, tous les défauts des humains, à moins que ce ne soit le contraire ! Cependant leur guerre, leur colère ou leurs décisions, s'ils peuvent nous faire rire, ont un retentissement sur l'ordre du monde et sur la destinée des hommes. 

Le pauvre laboureur voyait ses champs croupis,
Et dans les prés noyés le parc est sans troupeaux,
Car le bétail malade a nourri les corbeaux.
Le mail où l’on jouait ? La fange l’a couvert !
Nos yeux, sans la trouver, cherchent la place où fut
Le sentier qui courait sous les gazons touffus.]
Les hommes ont perdu leurs saintes nuits d’hiver ;
Plus d’hymnes de Noël ! Et, pâle et refroidie,
La lune, reine de la mer,
Répand partout les maladies !
Voilà ce qu’ont fait nos querelles !
Les saisons se battent entre elles ! 

Le givre aux lèvres froides pose
Ses baisers sur le cœur des roses,
Et, misérable moquerie,
L’hiver grelottant a placé
Sur son crâne glacé
Des couronnes fleuries !]
Oui, l’été, le printemps et l’hiver et l’automne
Échangent leur livrée ! Et le monde s’étonne
Du désordre des éléments !
Telle est notre œuvre !…  

La pièce est donc aussi une réflexion et pas des moindres sur la liberté de l'homme face à la divinité. Ce sont les Fées qui tirent les ficelles et les êtres humains apparaissent bien vite comme des marionnettes soumises à leurs caprices. Obéron tout puissant et Puck, en commettant des erreurs, tiennent entre leurs mains la clef de leurs sentiments et décident de leur avenir. Doit-on penser que Shakespeare penche vers le déterminisme voire la prédestination dans cette Angleterre qui a rompu avec le catholicisme? Ce serait peut-être aller bien loin et encore une fois, comme il s'agit d'une comédie, Shakespeare nous invite à ne pas trop nous poser de questions et à considérer tout cela comme un rêve ! (même si celui-ci vire parfois au cauchemar !). Pourtant l'on peut avoir de sérieux doutes quant à la liberté de l'Homme en voyant Le Songe d'une nuit d'été, même si ce dernier est persuadé du contraire !


La folie amoureuse 

 

Titania et Bottom

Car le pessimisme de Shakespeare s'exprime dans cette peinture de la folie amoureuse. Lysandre peut passer de l'amour d'Hermia à celui d'Hélène puis revenir à Hermia ; Titiana s'énamoure d'un monstre à tête d'âne et le tient pour le plus beau des êtres.  Si l'on peut changer ainsi de partenaire, si l'on peut s'aveugler sur les mérites de celui qu'on aime, si le caprice préside au choix, si les êtres sont interchangeables, alors l'amour réel existe-t-il ?
Il faut remarquer que c'est au moment où Lysandre agit avec le plus d'inconséquence qu'il invoque la raison pour expliquer qu'il n'est plus amoureux d'Hermia mais de Héléna : 

C'est la raison qui gouverne la volonté de l'homme et la raison me dit que vous êtes la plus précieuse.
 

On voit l'ironie de Shakespeare ! Et la conclusion paraît évidente. L'amour n'est qu'une création de l'esprit, il s'apparente à la folie et l'un ne va pas sans l'autre.
 

La féérie, la fantaisie

Obéron et Titania dans la belle représentation de Le songe et the Fairy Queen de Purcell 

 

Enfin la pièce est magnifique par sa poésie et sa beauté lyrique. Elle peint les sortilèges de la nuit :

Il nous faut nous hâter, seigneur des elfes, car les rapides dragons de la nuit fendent les nuages en plein vol et voyez briller là-bas la messagère de l'aurore. A son approche les fantômes qui errent çà et là s'assemblent pour regagner les cimetières..

Elle est éclairée dès le début par un clair-obscur onirique, celui de la lune et la nuit; des ombres s'agitent, éphémères, dans l'obscurité. Rien n'est solide, rien n'est vrai et les fées qui peuplent la forêt sont "des esprits" qui s'évanouiront à l'approche du jour à l'exception, peut-être, d'Obéron, le Seigneur des elfes qui peut braver les rayons de l'aurore.

La fantaisie de la pièce est remarquable dans la façon de traiter le thème féérique avec ses personnages majestueux comme Titania ou Obéron,
 

"Je connais un tertre où fleurit le thym sauvage, où croissent les primevères et les tremblantes violettes, le foisonnant chèvrefeuille, l'églantine, les douces roses musquées le recouvrent d'un dais; C'est là, parmi ces fleurs, que Titania s'endort un moment la nuit bercée par les danses et les délices avec ses  elfes au nom délicieux, entités de la Nature et qui participent à son entretien et à sa survie :  Toile d'araignée, Phalène, Graine de moutarde, Fleur de pois... 
Puis vous partirez durant le tiers d'une minute, les uns pour aller tuer les vers dans les boutons des roses musquées; les autres pour guerroyer contre les chauves-souris ."

et avec Puck, ce Robin le diable, malicieux, farceur et parfois un peu redoutable pour les pauvres êtres humains égarés dans la forêt :

Tu dis vrai? Je suis ce joyeux vagabond nocturne. J'amuse Obéron et le fais sourire quand métamorphosé en jeune pouliche, je hennis pour tromper le gros cheval bourré de fèves…"

Puck est un personnage de la mythologie celte, et s'il n'est pas entièrement méchant, il est tout de même  capable de farces cruelles.

 La Fée à Puck

Si vos manières ne m’abusent,
Galopin,
Cervelle matoise,
Vous êtes le fameux Robin
Bon Enfant qui s’amuse
À lutiner les villageoises !

C’est vous qui répandez le lait des cruches pleines ;
Détraquez le moulin au milieu du labeur ;
Mettez la vieille hors d’haleine
Quand elle bat son beurre ;
C’est par vous que s’évente
Et que s’aigrit la bière...

 

Puck : Reynolds
  

 Le théâtre dans le théâtre : le burlesque

 

Les artisans qui jouent la pièce de Pyrame et Thisbé sont les personnages grotesques, des acteurs qui ne se rendent pas compte de leur nullité et qui sont très fiers d'eux-mêmes.  Réflexion sur le théâtre, sur les mauvais comédiens ? Le plus vaniteux - qui se croit capable de jouer tous les rôles - est bien sûr Bottom et ce n'est pas étonnant que ce soit lui qui soit puni, devenu un monstre à tête d'âne.  Si sa mésaventure fait rire, Ann Witte dans son article sur Shakespeare et le folklore de l'âne écrit que parmi les métamorphoses de la pièce "le symbolisme érotique de l'âne se retrouve dans des traditions qui mettent en valeur les rites de fécondité liés à ce animal, tantôt emblème de sottise et de paresse, tantôt symbole du "bas matériel et corporel"( bottom) ) qui incarnait la puissance maléfique."

Ainsi même dans la partie comique de la pièce, nous sommes donc toujours dans le registre de la féérie  et des personnages inquiétants avec l'âne Bottom.


Une pièce très riche dont on ne peut épuiser le sujet.  Je l'ai déjà vue plusieurs fois dans des mises en scène très différentes. C'est la première pièce que j'ai vue au théâtre à l'âge de 13 ans. Et j'en garde un souvenir ébloui. Elle fait partie de mes comédies shakespeariennes préférées avec La nuit des rois et Beaucoup de bruit pour rien.

 

C'est pourquoi j'ai été très déçue par les deux représentations que j'ai vues cette année; l'une où le metteur en scène a simplifié l'action pour la mettre à la portée de ses comédiens qui paraissaient tout juste sortis de l'école.

Une autre interprétée par de jeunes comédiens qui remplacent par leur énergie ce qu'ils ne sont pas capables de rendre par leur talent. Tout est joué sur le même registre, comique, si bien que l'on distingue à peine ce qui est du domaine de la parodie théâtrale donnée par les artisans, du reste de la pièce. Bien sûr, un spectateur qui ne connaît pas la pièce peut rire et s'en satisfaire puisqu'il n'attend rien de plus. Je le comprends. Mais il n'est pas étonnant, ensuite, qu'il la considère comme une comédie légère et mineure dans l'oeuvre de Shakespeare. Toute réflexion est écartée et où est passé le beau texte lyrique de l'écrivain ? Cela me fait mal de voir comment l'on appauvrit un texte si riche !


Participation  à Escapades en Europe (avec un mois de retard pour le  thème de Shakespeare) chez Cléanthe


samedi 19 juillet 2025

SHAKESPEARE

 

 

SHAKESPEARE : Elsa Robinne - Mise en scène

Une traversée de sa vie en suivant le flot de son œuvre.
Somme hétéroclite d’aspect kaléidoscopique espérant synthétiser partiellement l’ensemble des accomplissements remarquables de l’éponyme a pour acronyme SHAKESPEARE. Et c’est précisément sa vie que ce spectacle traverse, porté par le flot considérable de son œuvre.

Ses contemporains - sa femme, sa troupe, Marlowe, ses protecteurs, la Reine Elisabeth, le Roi Jacques… - se confondent avec les figures de son théâtre et racontent, avec les morceaux familiers de ses pièces, celui que la postérité appellera « le divin barde » mais qui fut avant tout cet excellent William.

Le monde entier est un théâtre, écrit Shakespeare, et c’est dans son théâtre que trois comédien-nes et un musicien s’élancent pour imaginer son monde, avec pour seul espoir le souffle de vos bienveillants murmures. Sinon, ils auront manqué leur but : vous plaire.
« Une épopée fantaisiste qui n’égratigne en rien la pertinence et l’intemporalité de ce théâtre. »
ARTS-CHIPELS

« Cette approche un brin déjantée de son œuvre aurait certainement plu à William. »
COUP DE THEATRE

« On est dans des sommets d’humour et on rit beaucoup. »
SNES

« Le spectacle est fort bien interprété. »
A2S

« Une épopée inattendue à la rencontre de cette figure majeure…L’ensemble est plein d’inventivité, d’humour, de générosité. »
L’INFO TOUT COURT


Mon avis

Les bonnes critiques de presse sur ce spectacle m'ont encouragée à aller le voir d'autant plus que ma petite-fille, Léonie, l'amoureuse de Shakespeare, était là ! Donc aller voir la vie de Shakespeare "en suivant le flot de l'oeuvre" me paraissait être une bonne idée ! Je savais que le spectacle ne serait pas classique et même qu'il serait "déjanté "selon le mot adoré (pour ne pas dire le poncif) des critiques de théâtre ! Un mot qui me fait peur et qui peut cacher tout et  n'importe quoi.
Non, finalement, ce n'était pas du n'importe quoi!  Les comédiens savent très bien ce qu'ils font, c'est un choix de leur part que beaucoup de spectateurs semblent aimer : ils présentent la vie de Shakespeare en insistant sur les aspects parodiques des personnages (la reine Elizabeth, par exemple !) sans occulter certains aspects tragiques de la vie de l'auteur comme la mort de son fils Hamnet. Mais voilà, cela ne me fait pas rire. C'est vrai qu'il y a des connaissances certaines sur le vie de l'auteur mais c'est une sorte d'humour que je n'aime pas. De plus, je trouve que les textes du "divin barde" ne sont pas assez mis en valeur, Roméo et Juliette lui aussi escamoté en plaisanterie : "William pourquoi es-tu William." Je n'ai apprécié que lorsque le comédien qui interprète le rôle du dramaturge dit lui-même le texte malheureusement souvent trop peu et trop rapide.  Dans l'ensemble je suis restée sur ma faim ! Bref ! ce n'était pas un spectacle pour moi ni pour Léonie qui n'a pas aimé !


SHAKESPEARE

du 5 au 26 juillet relâche les 9, 16, 23 juillet
15h25 1h20
LUCIOLES (THÉÂTRE DES)
Salle : Salle Fleuve - 
D'après William Shakespeare
équipe artistique
Elsa Robinne - Mise en scène
Tristan Le Goff - Interprétation
Etienne Luneau - Interprétation
Malvina Morisseau - Interprétation
Joseph Robinne - Interprétation
Emmanuelle Dandrel - Diffusion
Elodie Kugelmann - Presse
Anne Lacroix - Scénographie
Emilie Nguyen - Création lumière
Tiphaine Vézier - Administration
GRAND TIGRE
Compagnie française
Compagnie professionnelle
Description :
Implantée en Région Centre-Val-de-Loire, la Compagnie Grand Tigre, dirigée par Elsa Robinne et Etienne Luneau, doit sa pérennité au soutien des partenaires institutionnels et à la variété de ses réseaux de diffusion.
 

 Participation  au challenge Escapades en Europe  de Cléanthe (sur Shakespeare mois de juin)

dimanche 9 mars 2025

Marcel Théroux : Au nord du monde

 

Au nord du monde est un roman post-apocalyptique de Marcel Théroux que l’écrivain, documentariste, a imaginé à la suite d’un reportage dans la zone d’exclusion de Tchernobyl.

Quand elle était enfant, les parents de Makepeace, quakers, désirant vivre en harmonie avec leur foi et la nature, ont abandonné les Etats-Unis pour coloniser des terres accordées par les Russes en Sibérie dans le pays des Toungouses. Une ville s’est vite dressée dans cette région rude et gelée et qui est tout sauf idyllique !  Mais Makepeace se souvient de son enfance comme une période somme toute agréable, si ce n’est, à l’école, à cause des moqueries au sujet de son prénom. Puis tout a commencé à se déliter.  Maintenant, après la catastrophe qui semble avoir atteint le monde entier, elle vit seule dans une ville déserte où les rares apparitions humaines loin d’être les bienvenues sont dangereuses. Comme elle est grande et  forte, elle passe aisément pour un homme. De plus, elle a toujours une arme à la main pour se protéger et n’hésite pas à s’en servir. C’est ainsi qu’elle blesse Ping, un jeune chinois, le soigne et le recueille. Il faut encore savoir qu’après avoir vu un avion, elle part sur les routes dans l’espoir de retrouver des vestiges de la civilisation. Mais je ne veux pas en dévoiler plus et vous laisse la surprise de la découverte.

Le roman de Marcel Théroux décrit avec poésie la nature de ce pays nordique. La beauté qu’il nous révèle fait d’autant plus ressentir la perte de ce monde unique.

« La première nuit de gel au clair de lune, j’ai vu une aurore boréale tournoyer dans le ciel comme si Dieu étendait sa lessive à supposer que le Tout-Puissant dorme sur de  la mousseline verte. Plus tard, dans la saison, les aurores boréales seraient plus bigarrées mais je trouvais celle-là déjà belle. Il y a quelque chose de rassurant dans le mouvement, et le calme et la fluidité de ce motif de lumières dans le ciel me donnaient l’impression qu’on me caressait les cheveux. »

Plus tard, dans la zone contaminée, Makepeace prend conscience de la sottise de l’homme qui n’a pas su protéger la nature, qui n’a pas compris combien ce savoir accumulé au cours des millénaires était précieux.

« Tous ces petits faits arrachés à la terre. Le nom des plantes et des métaux, des pierres, des animaux et des oiseaux; le mouvement des planètes et des vagues. Tout cela réduit à néant, comme les mots d’un message primordial qu’un idiot aurait mis à laver avec son pantalon et aurait récupéré tout  brouillés. »

Le roman de Marcel Théroux est noir, très noir ! Déjà, dans un monde civilisé, la loi du plus fort est souvent la meilleure - selon la Fontaine (qui le déplore) ou Trump (qui s’en glorifie)- alors, on imagine sans peine combien la violence domine un monde où il n’y a plus de frein au mal, plus d’éthique, plus de solidarité et où il faut se battre pour survivre. Dans le camp de concentration où elle est prisonnière, Makepeace se lie d’amitié avec Chamsoudine, ancien chirurgien, homme jadis fortuné :

«Je lui ai dit que, d’après mes observations, il ne fallait pas plus de trois jours avant que le désespoir et la faim sapent tout instinct civilisé chez une personne. Il a souri et répondu que j’avais une vision sombre de la nature humaine et que, d’après son expérience, c’était plutôt quatre. »

Si pour les critiques, le roman de Marcel Théroux s’apparente à un western des pays froids, chevauchée dans des régions inhospitalières, rencontres, aventures, bagarres et coups de feu, violence et mort, il y a bien sûr, la dimension post-apocalyptique du roman qui domine et à laquelle on ne peut échapper.  Au nord du monde décrit, malgré le courage et la ténacité de l’héroïne, un monde définitivement perdu pour l'être humain. La civilisation a disparu et l’homme ne peut en vouloir qu’à lui-même. Pourtant dans cette noirceur absolue, Marcel Théroux laisse subsister un espoir. Il faut tout reprendre à zéro, semble-t-il dire, tout recommencer à la base, comme le fera peut-être la fille de Makepeace, partant à cheval vers le nord ! Un beau roman qui ne fait pas toujours plaisir tant il pose un regard pessimiste et sans concession sur un univers qui va à sa perte mais dont la lecture est prenante.


  



lundi 20 janvier 2025

Sally Page : La collectionneuse de secrets

 


 

Je me méfie toujours un peu des romans qualifiés (en bon français) de « Feel good », aussi, c’est avec un peu de méfiance que j’ai abordé ce livre, La collectionneuse de secrets de Sally Page.  Et finalement ce livre ne manque pas d’intérêt. Alors après la lecture du dernier volume de Proust, un roman facile, optimiste, pourquoi pas ? C'est ce que je me suis dit !
 

Le personnage principal, Janice, un petit bout de bonne femme, active, intelligente et curieuse, est femme de ménage. Sa vie, pense-t-elle n’est pas intéressante, elle se considère comme une petite souris sans importance. D’ailleurs, son mari ne cesse de lui renvoyer cette image dévalorisante d’elle-même, lui qui n’est pas capable de conserver un travail et a honte que son épouse fasse du ménage !

 Aussi collectionne-t-elle la vie des autres, celle de ses clients, des gens croisés dans la rue, du chauffeur de bus … Et les histoires qu’elle nous raconte font vivre toutes sortes de personnages avec leurs difficultés, leurs chagrins, leurs inquiétudes. Ces femmes et ces hommes pris dans leur vie quotidienne sont vrais et  attachants. Un jour, une de des clientes, lui demande de faire des ménages chez Madame B, sa belle-mère, âgée de 92 ans.  La rencontre avec cette vieille dame peu commode est assez épique mais peu à peu les deux femmes s’apprivoisent et s’apprécient grâce à une histoire que madame B raconte à notre collectionneuse.

La lecture de ce roman qui présente des qualités est agréable même si je n’ai pas tout aimé : le côté résolument optimiste qui aplanit toutes les difficultés rencontrées par Janice me paraît trop loin de la réalité. Si une femme de ménage sans le sou, à la rue, pouvait s’émanciper aussi facilement, en rencontrant autant de gens prêts à l’aider, un patron prêt à lui prêter un appartement, un chevalier servant sans peur et sans reproche prêt à la défendre et à l’aimer… Bref ! si c’était aussi facile, la vie serait bien faite !  Je n’ai pas aimé, non plus, l’histoire racontée par Madame B  qui a été inspirée par une femme qui a réellement existé et a eu une liaison avec Edward III alors futur roi d’Angleterre. Je lui ai préféré les récits des personnages fictifs, plus simples, qui sont paradoxalement plus justes et plus intéressants que le personnage  réel.

Cependant, c’est un roman que j’ai eu plaisir à lire même s’il n’est pas parfait. Je suppose qu’il faut le lire un peu comme un conte et retenir ce que veut dire l’auteur : que tout être, même le plus humble en apparence, mérite d’être reconnu en tant que personne et respecté, que la vie serait plus facile avec plus de solidarité et d’amitié... 

lundi 25 novembre 2024

Eleanor Shearer : La liberté est une île lointaine

  

1834. L’esclavage vient d’être aboli à La Barbade. C’est ce que le maître de la plantation La Providence, annonce à ses esclaves mais il ajoute qu’ils ont l’obligation de travailler comme apprentis chez lui pendant six ans. Ils sont libres mais ne peuvent s’en aller, travail harassant dans le champ de cannes à sucre, le contremaître, fusil en bandoulière, les sifflets, le fouet, les coupas, la fatigue, le chagrin :  « Liberté est le nom de la vie qu’ils avaient toujours connue. ».

C’est alors que Rachel décide de fuir. Elle veut retrouver ses enfants qui ont été vendus les uns après les autres, à des âges différents, et dont elle conserve le souvenir précieusement dans son coeur : Micah, Mary Grace, Mercy, Cherry Jane, Thomas Augustus sans compter ceux qui sont morts en bas âge. Rachel n’ignore pas le sort que l’on réserve aux esclaves fugitifs, les risques qu’elle encourt si on la rattrape et le fait qu’elle soit libre n’y changera rien.  

Cette longue route semée de dangers à la recherche de ses enfants est jalonnée par de belles rencontres, comme celle de Mama B, une vieille femme, généreuse et forte, qui la conduit à Bridgetown, la capitale de la Barbade où elle retrouve Mary Grace. Mais sa recherche l’amène plus loin encore en Guyane Britannique et à Trinidad. Les descriptions des paysages donnent une idée de la grandeur de la nature sauvage que cette mère courage doit affronter.

 Dès qu'ils furent sur l'eau, Rachel eut l'impression qu'ils avaient perdu le contrôle des choses. Elle en avait senti les prémices à Georgetown et les plantations - cette sensation que les arbres, le fleuve, les buissons, les oiseaux, les insectes, et même le ciel commençaient à reprendre le pouvoir. Mais lorsqu'ils se furent éloignés de la berge et commencèrent à dériver, Rachel comprit qu'il étaient à la merci de la nature."

 Les retrouvailles avec ses joies mais aussi ses peines, de nouvelles séparations, les enfants adultes ayant choisi une autre direction, le deuil aussi, accompagnent Rachel dans ce roman qui tout en décrivant l’horreur de l’esclavage, les souffrances physiques et morales infligées, montrent la profondeur des séquelles que la privation de liberté laissent dans l’âme. Pourtant la fin porte un message d’espoir. 

Avec La liberté est une île lointaine Eleanor Shearer écrit un premier roman intéressant et plein d'émotion.
 

Eleanor Shearer est une écrivaine britannique, petite-fille d'immigrants caribéens venus au Royaume Uni en 1948.

Issue de la génération Windrush, Eleanor Shearer a toujours été fascinée par l’histoire des Caraïbes et s'est rendue à Sainte Lucie et à la Barbade pour interviewer des militants, des historiens et des membres de sa famille.

La liberté est une île lointaine, son premier roman, est le fruit de ses recherches.

Eleanor est diplômée en sciences politiques de l'Université d'Oxford.
Elle partage son temps entre Londres et Ramsgate sur la côte du Kent.


Sur la génération windrush lire cet article ICI