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dimanche 25 août 2024

Rudyard Kipling : Capitaines courageux

 

Je relis pour le challenge Booktrip en mer Capitaines courageux de Rudyard Kipling que j’avais lu, enfant, dans la Bibliothèque verte.

Kipling imagine l’histoire d’une jeune garçon riche et vaniteux, Harvey Cheyne, en croisière sur un  paquebot parti de New York pour se rendre en Europe où il doit parfaire son éducation.  Harvey est le fils du propriétaire de chemins de fer américain à la tête d’une fortune colossale et d’une mère, charmante, qui le couve outrageusement mais n’a aucune autorité sur lui. Un jeune garçon qui méprise le monde du travail, se révèle volontiers arrogant et fat.

"Harvey, comme un certain nombre de jeunes gens fort à plaindre, n'avait de sa vie reçu un ordre direct, jamais, du moins, sans qu'il s'accompagnât de commentaires interminables et parfois larmoyants sur les bienfaits de l'obéissance et le bien fondé de la requête."

Alors qu’il est malade après avoir fumé un cigare qu’on lui a donné pour se moquer de ses vantardises  et le mettre à l’épreuve, il  tombe par dessus bord, déséquilibré par le roulis. Il est repêché par Manuel, un pêcheur, qui le ramène sur la goélette Sommes Ici, un terre-neuvier, venant de Gloucester. 

 

Capitaines courageux Manuel sauve Harvey

Là, Harvey fait connaissance de Dan, le mousse, fils du capitaine Disko Troop, qui a déjà une grande connaissance de la mer. Harvey, qui croit que l’argent achète tout, somme le capitaine de le ramener à ses parents lui promettant une grosse récompense. Mais il va vite déchanter ! Il est hors de question pour tous, le capitaine et  l’équipage, de sacrifier une saison de pêche pour lui. Le voilà engagé comme mousse et contraint de travailler. Heureusement, avec l’aide de Dan, il apprend le métier de pêcheur, affronte les difficultés, la fatigue, les longues heures de travail, le froid et la pluie et les tempêtes. Parfois quand ils pêchent, Dan et lui, à bord d’un doris, petite embarcation à fond plat que l’on empile sur le pont avant de les descendre de la Goélette, le brouillard les isole au risque d’être écrasé par un de ces grands paquebots qui fonce à l’aveugle dans cette purée de pois ou de se perdre loin du Sommes Ici.

"C’était un petit tintement esseulé. L’atmosphère épaisse semblait le prendre comme une pincée ; et dans les temps d’arrêt Harvey entendit le cri voilé d’une sirène de paquebot. Il en savait assez sur le Banc pour comprendre ce que cela voulait dire. Il lui revint, avec une horrible netteté, comment un jeune garçon en jersey couleur cerise — il détestait maintenant les vestons de fantaisie avec tout le mépris d’un pêcheur — comment un jeune garçon ignorant, tapageur, avait une fois déclaré que ce serait « épatant » si un steamer coulait un bateau de pêche. Ce jeune garçon-là avait une cabine particulière avec bain chaud et bain froid, et dépensait dix minutes chaque matin à faire son choix sur un menu doré sur tranche. Et ce même jeune garçon — non, son frère plus âgé de beaucoup — était en ce moment debout, à quatre heures, dans l’aurore à peine distincte, en cirés ruisselants et craquetants, en train d’agiter, littéralement pour le salut de sa vie, une cloche plus petite que celle avec laquelle le stewart annonçait le premier déjeuner, tandis que quelque part à portée de la main une proue d’acier haute de trente pieds chargeait à vingt milles à l’heure ! Et le plus amer, c’est qu’il y avait là des gens en train de dormir dans des cabines sèches et tapissées, appelés à toujours ignorer qu’ils avaient massacré un bateau avant leur petit déjeuner. Aussi Harvey agitait-il la cloche."

Il partage donc les dangers de la pêche à la morue, le vertige des profondeurs au-dessus de ces hauts-fonds sans limite au large de Canada mais il apprend aussi ses joies, lorsque le poisson mord, lorsque l’on repère avant les autres un banc de morues extrêmement dense, il découvre les rivalités entre les  Terre-Neuvas de différentes nationalités (anglaise, française, basque, portugaise) mais aussi leur rude solidarité. Il  connaît l’amitié, les chansons de marins mélancoliques que l’on chante ensemble pendant les heures de relâche.  Et c’est ainsi qu’il devient lui aussi un homme et rejoint ces capitaines courageux de la chanson à laquelle est emprunté le titre !

"Jusqu’à la fin de ses jours jamais Harvey n’oubliera le spectacle. Le soleil était juste au-dessus de l’horizon qu’ils n’avaient pas vu depuis près d’une semaine, et sa lumière rouge venait en rasant frapper les voiles de cape des trois flottilles de goélettes à l’ancre — une au nord, une vers l’ouest, et une au sud. Il devait y en avoir près d’un cent, de toutes formes et constructions possibles, avec, loin là-bas, une française aux voiles carrées, toutes s’entre-saluant et se faisant des révérences. De chaque bateau s’égrenaient les doris, telles les abeilles d’une ruche encombrée ; et la clameur des voix, le grincement des cordages et poulies, l’éclaboussement des rames, portaient à des milles sur l’ample soulèvement des houles. Les voiles prenaient toutes les couleurs, noir, gris-perle, blanc, à mesure que montait le soleil ; et des bateaux toujours plus nombreux émergeaient des brumes vers le sud.

La mer autour d’eux se couvrit comme d’un nuage et s’assombrit, puis ce fut en un friselis d’averse l’arrivée de tout petits poissons d’argent, et sur un espace de cinq ou six acres la morue commença à sauter comme la truite en mai ; derrière la morue trois ou quatre larges dos d’un gris-noir partageaient l’eau en gros bouillons."

 

Des flottilles de goélettes à l'ancre


Kipling connaît bien tous les détails de ces pêches en Terre Neuve qui est un des lieux les plus poissonneux du monde  au large du Canada,  campagnes pendant lesquelles les marins restaient éloignés de la terre et de leur famille pour de longs mois. Il décrit tous les étapes de leur travail car après la  journée de pêche il faut encore préparer les morues, les vider, trancher les têtes, couper la morue en deux,  et les saler.

"Pen et Manuel se tenaient enfoncés jusqu’aux genoux parmi la morue dans le parc, brandissant des couteaux ouverts. Long Jack, un panier à ses pieds, des mitaines aux mains, faisait face à l’oncle Salters à la table, et Harvey contemplait la fourche et le baquet.
« Hi ! » cria Manuel, en se baissant sur le poisson et en ramenant une morue, un doigt sous son ouïe et l’autre dans son œil.Il l’étendit sur le rebord du casier ; la lame du couteau jeta un éclair accompagné d’un bruit de déchirement, et le poisson fendu de la gorge à la queue, avec une entaille de chaque côté du cou, tomba aux pieds de Long Jack.
« Hi ! » fit Long Jack, recourbant en cuiller sa main emmitainée.
Le foie de la morue tomba dans le panier. Une autre torsion et les mains de nouveau en cuiller envoyèrent au diable tête et issues, et le poisson vidé glissa aux mains de l’oncle Salters qui renifla, d’un air farouche. Un nouveau déchirement, la grande arête vola par-dessus le pavois, et le poisson, sans tête, vidé, grand ouvert, tomba dans le baquet avec un « flop », envoyant de l’eau salée dans la bouche étonnée de Harvey. "

Comme on le voit, ce roman d’initiation reprend le thème du  poème de Kipling et le met en récit : «  Tu seras un homme mon fils ». Et, ma foi, si c’est un livre de morale comme l’on n’ose plus en écrire (et c’est bien dommage ! ), reconnaissons qu’il est bien écrit, pleine de vie, de diversité, et qu’il m’a plu tout autant que quand j’étais enfant... Plus, peut-être, parce que maintenant je suis plus sensible qu'avant aux descriptions d'où les longues citations !  Je les aime et elles me font lire en images !

Voir Keisha Ici