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dimanche 12 juin 2011

James Matthew Barrie : Le Petit oiseau blanc




Le petit oiseau blanc de James Matthew Barrie est un roman qui, au-delà de de la féérie et de la fantaisie propres à Barrie, est imprégné d'une mélancolie douloureuse par ce qu'il nous laisse entrevoir des sentiments et de la personnalité de l'auteur. J'ai été très sensible au climat particulier de cette oeuvre  qui semble devoir être lue à plusieurs degrés. Il m'est apparu qu'une simple lecture ne suffisait pas et qu'il fallait toujours essayer de lire autre chose que ce qui était écrit.. un peu comme si les mots imprimés en recouvraient d'autres. En particulier l'étrange humour de Barrie qui dit toujours le contraire de ce qui est écrit.
Ce livre a d'abord été célèbre par les chapitres qui sont consacrés à l'histoire de Peter Pan dans les jardins de Kensington dont JM Barrie tirera une pièce de théâtre qui le rendra célèbre. Nous savons tous, en effet, que Peter Pan est ce petit garçon qui a cessé de grandir et est parti vivre avec les fées, dans un pays où les enfants ne vieillissent pas. Peter Pan est donc le frère d'Alice au pays des Merveilles. Mais alors qu'Alice échappe à Wonderland pour retrouver le réel, sortir de l'enfance, devenir femme, donc accepter la vie, Peter Pan reste à jamais prisonnier de ce monde féerique, à jamais petit garçon avec tout ce que cela représente de renoncement et de souffrances. Si bien que lorsque l'on débarrasse Peter Pan des oripeaux dont la nunucherie Waltdysnéenne l'a affublé, l'on s'aperçoit que son histoire n'est peut-être bien qu'une métaphore de la mort. Et il faut lire pour s'en persuader une scène très belle mais terriblement triste où Peter Pan essaie de revenir près de sa mère après l'avoir quittée. Dans le livre, en effet, nous apprenons que les enfants, avant de naître, sont de petits oiseaux qui conservent quelque temps le pouvoir de voler après être devenus humains; c'est pourquoi, il ne faut pas les laisser échapper en laissant les fenêtres ouvertes. Or Peter Pan s'est envolé lorsqu'il était encore un tout petit bébé, il est revenu déjà une fois chez sa mère mais est reparti pour profiter encore un peu du pays des fées; cependant, il toujours su qu'il rentrerait un jour chez lui :
 Il était si désireux de se nicher dans ses bras que, cette fois-ci, il vola tout droit jusqu'à la fenêtre qui était toujours ouverte pour lui.
Mais la fenêtre était fermée et il y avait des barreaux et, à travers eux, il vit sa mère qui dormait paisiblement, les bras enlacés autour d'un autre petit garçon.
Peter cria : "Mère! Mère!". Mais elle n'entendit pas. En vain, il frappa avec ses petits bras contre les barreaux en fer. Il dut retourner en pleurant aux jardins et il ne revit plus jamais son adorée... Ah! Peter! nous qui avons commis de grandes erreurs, comme nous agirions différemment si nous avions une seconde chance! Mais Salomon avait raison : il n'y a pas de seconde chance, pas de seconde chance pour la plupart d'entre nous. Quand nous atteignons la fenêtre, l'Heure de la Fermeture a sonné. Les barreaux de fer sont mis pour la vie.
 Une philosophie bien pessimiste pour ce maître de la fantaisie et de la féerie, cet homme dont on nous dit qu'il a toujours gardé son âme d'enfant, qui a été le compagnon de jeux, le pourvoyeur de rêves des cinq garçons de Sylvia Lleweling Davies, une jeune femme à qui il a voué un amour platonique et dont il a adopté les fils,  après sa mort... Mais être un éternel enfant est douloureux. Barrie qui, comme son personnage, n'a pas pu grandir ni physiquement, ni mentalement, ni socialement, l'a payé de l'échec de sa vie d'homme : le divorce d'avec sa femme, Mary Ansell, l'impossibilité d'être père. Il porte toujours le deuil de son frère David disparu à l'âge de treize ans, le fils préféré de sa mère, dont il est devenu l'ombre, empruntant même ses vêtements, pour essayer mais en vain de le remplacer auprès d'elle.
De là naît ce roman en marge du réel qui en dehors des passages qui font vivre Peter Pan, relate l'histoire d'un homme vieillissant, le capitaine W., amoureux de Mary, une jeune femme qu'il n'approchera jamais. Le fils de Mary, David, qui l'appelle "père", est l'enfant que Barrie n'aura jamais. Cependant, en enfantant Le Petit oiseau blanc, par la création littéraire, l'écrivain accède lui aussi à la paternité.
Transposition évidente de sa propre vie. Barrie prend pour modèle Georges Llewling Davies, le fils de Sylvia, et lui donne le nom de son frère, David. Les promenades dans le jardin de Kensington avec David nous introduisent dans un pays imaginaire qui accueille ceux qui refusent de grandir, ceux qui préfèrent le rêve à la réalité. C'est pourquoi alors même que le monde de Barrie est extrêmement séduisant, il est en même temps effrayant. Attrait-répulsion. Comment choisir entre l'enfance et l'âge adulte? Abandonner l'un, c'est obligatoirement se priver de l'autre, d'où le désenchantement, la nostalgie qui sourdent toujours sous la prose de Barrie. C'est ce que ressent David lorsque le capitaine W. l'amène, en imagination, six ans en arrière, dans la machine à remonter le temps :
En quelques bribes, je décrivis à David ce qui existait à cette époque.
"Cela ne va pas me rendre plus petit, n'est-ce pas?" demanda-t-il, avec anxiété. Et soudain, un terrible doute s'insinua en lui : "cela ne me rendra pas trop petit, n'est-ce pas, père?"...