Quelle chance, pendant ce festival d’Avignon, de voir réunies, dans deux théâtres différents, la tragi-comédie de Corneille Le Cid qui a bercé mon enfance et celle de tous les élèves de ma génération et la comédie baroque Le Menteur que je ne connaissais pas et que j’ai découvert avec beaucoup de plaisir ! A l’époque on n’étudiait, outre le Cid, que les tragédies de Corneille et les comédies nous étaient inconnues. Il paraît que Le Menteur va être au programme du Bac en 2025.
Le MENTEUR
Dorante, son père et le valet |
L’argument
Alors qu’il vient de terminer ses études de droit, Dorante revient à Paris, bien résolu à profiter des plaisirs de la capitale. En compagnie de son valet Cliton, il rencontre deux jeunes coquettes, Lucrèce et Clarice, aux Tuileries et s’invente une carrière militaire pour les éblouir. S’ensuit un imbroglio diabolique mêlant : jeunes femmes, père et ami. Faisant fi de l’honneur, des serments d’amitié et d’amour, Dorante s’enferre dans un engrenage de mensonges qui déclenche d’irrésistibles quiproquos. Les jeunes femmes n’étant pas en reste de supercherie, on se demande qui sera le vainqueur de ce jeu de dupes. Ce chef d’œuvre en alexandrins ramène sur la scène le joyeux et brillant Corneille, auteur de L’Illusion comique.
Alexandre Bierry Dorante et son Valet Cliton Benjamin Boyer |
Mon avis
L’action de la comédie de Corneille Le Menteur se déroule dans un décor mobile figurant les maisons des jeunes filles qui s’ouvrent pour suggérer de larges espaces comme les jardins des Tuileries et rappellent aussi un castelet, les visages des personnages apparaissant dans le cadre des fenêtres comme des marionnettes. Il faut dire que tous vont bien se laisser mener en bateau par Dorante qui tire les ficelles !
On y voit un hilarant Dorante (Alexandre Bierry excellent avec un vrai tempérament comique) se débattre dans des mensonges toujours plus énormes, toujours plus invraisemblables et l’on attend, bien sûr, qu’il s’emmêle les pinceaux et finisse par recevoir le châtiment qu’il mérite ! Et bien non ! Il retombe toujours sur ses pieds. A moins que l’obligation de se marier à la fin de la comédie ne soit une punition ! Pour un séducteur débutant, ce n’est vraiment pas de chance !
Dorante forme avec Cliton (Benjamin Boyer, lui aussi très bon, très amusant) un couple Maître-Valet qui n’est pas sans évoquer celui de Dom Juan et de Sganarelle, avec des ressorts comiques bien rôdés : la stupéfaction et la réprobation de Cliton effaré par les mensonges de Dorante qui paraît souvent en mauvaise posture mais prend de plus en plus d’assurance. Tout va crescendo ! Le reste de la distribution est au diapason.
A la manière d’une opérette, l’intrigue est rythmée par des chansons, des musiques légères, entraînantes. La mise en scène de Marion Bierry est vive, enlevée, étourdissante! Un vrai plaisir théâtral ! Une réussite
LE MENTEUR DE CORNEILLE
GIRASOLE 11H35 durée 1H30
Mise en scène : Marion BIERRY
Distribution : Alexandre BIERRY, Benjamin BOYER, Brice HILLAIRET, Marion LAHMER, Serge NOEL, Mathilde RIEY ou Maud FORGET
Assistant mise en scène : Denis LEMAITRE
Décor : Nicolas SIRE
Adaptation : Marion BIERRY
Costumes : Virginie HOUDINIERE, Virginie H.
Création lumière : Laurent CASTAINGT
Le CID
Présentation par la compagnie
Chimène aime Rodrigue et Rodrigue aime Chimène… jusqu’à ce que cet amour ne devienne impossible au regard de l’honneur et que ne s’insinue dans leurs jeunes âmes ce dilemme insondable.
Le Cid est un sujet narratif et exalté qui parle avant tout du cœur, dans les sens multiples du terme : il est le siège du courage, mais aussi le lieu dynamique de l’action, des passions, du désespoir. La pièce explore une véritable cartographie de cet organe, épicentre d’une vaste étendue de sentiments, de ce territoire complexe fait de labyrinthes, d’écueils et d’abîmes.
Et elle a en son temps emporté celui du public qui a fait savoir, lors de sa création en 1637, que c’était la première fois qu’il ne s’ennuyait pas : actions, suspens, combats, l’histoire est invraisemblable, romanesque et les spectateurs sont plongés dans le feu de l’intrigue.
Le Cid fait aujourd’hui partie de nous et de notre inconscient collectif. Nous avons un rapport presque fusionnel avec ses vers et ses conflits…
Frédérique Lazarini en propose une version dynamique, baroque, poignante et profondément méditerranéenne qui fait la part belle aux rites et à l’action, à un personnage féminin, Chimène, affirmé et audacieux, à l’initiation de ces jeunes héros qui embrassent leurs fonctions, conjurant la mort, choisissant l’honneur, défiant l’autorité de l’état et appelant l’amour sans pouvoir jamais en contrôler toute la dimension passionnelle.
Le classique le plus enflammé de notre répertoire théâtral !
Le Cid : Arthur Guezennec photo Arthur Enard |
Mon avis
J’ai beaucoup aimé cette mise en scène de Frédérique Lazarini car la pièce, enfin débarrassée des règles du théâtre classique du XVII siècle qui l’a toujours entravée, peut être ce qu’elle est réellement, pleine de bruits et de querelles, bouillonnante sous la fureur des sentiments amoureux et du désespoir, farouche avec ses combats à l’épée qui ont lieu sur scène, fière et belliqueuse avec ces guerriers au sens de l’honneur exacerbé qui les pousse à la violence. Si l’on est loin, de nos jours, des idéaux de la société du XVII siècle et de ces thèmes, le combat entre l’amour et l’honneur, la vengeance, l’on est complètement pris dans ce tourbillon de passions et l’on y adhère sans se poser de questions.
Rodrigue et Chimène : photo Arthur Enard |
Deux surprises au niveau de la conception des personnages :
Chimène ( Lara Tavella) que, dans la tragédie classique l’on voit noble, hiératique, solennelle, est ici vue comme une petite fille à peine sortie de l’enfance, primesautière, amoureuse, rêvant devant sa robe de mariée, semblable à une autre héroïne, la Juliette de 15 ans, fragile, gâtée, rêveuse et gaie. Cette interprétation n’a pas été du goût de tout le monde tant elle tranche avec la tradition mais personnellement j’ai beaucoup aimé. On la voit peu à peu se transformer et mûrir sous le coup du chagrin et du deuil et réclamer vengeance mais toujours éprise, luttant contre sa passion. C’est un parti-pris vraiment intéressant !
Deuxième surprise : Jusqu’à maintenant j’ai toujours cru que Don Gomes (Cedric Colas qui incarne un comte hautain, orgueilleux et sans pitié) avait été vaincu par le Cid parce que celui-ci était le plus fort au combat. La scène du duel montre que Don Gomes, trop sûr de lui, trop arrogant, a montré de la négligence devant son jeune adversaire et que celui-ci en a justement profité ! Rodrigue l'emporte sur Don Gomes parce que celui-ci l'a sous estimé !
Toute la distribution est parfaite avec un Rodrigue, beau, courageux, ardent en amour et au combat. Arthur Guezennec excelle dans ce rôle. L’amour des jeunes gens ne s’expriment pas platoniquement selon la règle du théâtre classique (de la bienséance), les deux jeunes gens sont emportés dans des embrassements fougueux et l’on ressent le déchirement qui est le leur face à une situation tragique dont ils sont les victimes.
Quelques changements sont intervenus par rapport à la pièce, la suivante Elvire est remplacée par un homme (Guillaume Veyre très convaincant), le personnage de l’infante est supprimé. Par contre le prince dont Don Sanche est le précepteur prend une présence inattendue sous les traits d’une jolie marionnette manipulée avec douceur et tendresse.
LE CID DE CORNEILLE
LE CHENE NOIR
Distribution : Cédric COLAS, Arthur GUEZENNEC, Philippe LEBAS, Lara TAVELLA, Guillaume VEYRE, Hugo GIVORT
Mise en scène : Frédérique LAZARINI
Marionnette : Félicité CHAUVE
Lumière : Xavier LAZARINI, François CABANAT
Assistant lumières : Tom PEYRONY
Musiques : François PEYRONY
Costumes : Dominique BOURDE, Isabelle PASQUIER
Combats : Lionel FERNANDEZ
Scénographie : François CABANAT