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lundi 27 mai 2013

Les mystères d' Udolphe de Ann Radcliffe et Northanger abbey de Jane Austen



Depuis ma lecture de Northanger Abbey de Jane Austen où il est souvent question du livre d'Ann Radcliffe, Les mystères d'Udolphe, qui fait les délices de l'héroïne Catherine Morland, j'ai eu envie de lire ce roman gothique.

 Mais vous, ma douce Catherine, qu’avez-vous fait ce matin ? Avez-vous beaucoup lu dans Udolphe ? — Beaucoup… J’en suis au voile noir. — Déjà !… Quelle charmante lecture !… pour le monde entier, je ne vous dirais pas ce qui est derrière ce voile. Vous avez bien envie de le savoir ? — Oh oui ! j’en suis bien impatiente. Qu’est-ce que cela peut être ? Mais ne me le dites pas. Je n’aime pas à savoir les choses d’avance. Il me semble que ce doit être un squelette : je suis sûre que c’est celui de Laurencia. J’aime ce roman à la folie : je pourrais passer ma vie entière à le lire : je vous assure que si ce n’eût été pour venir avec vous, rien au monde ne me l’aurait fait quitter.

 Et voilà , c'est chose faite, bien des années après ma découverte du livre de Jane Austen. Et je dois dire que ce livre m'a surprise car il est très différent de ce que j'attendais; j'expliquerai pourquoi à la fin de ce billet. Sa lecture m'a été agréable bien que je n'aie plus l'âge de Catherine depuis longtemps et que, je dois le dire, je n'ai pas eu aussi peur qu'elle ! De plus le roman a un côté un peu désuet que j'adore!


Le récit
Emily Saint-Aubert vit avec ses parents dans le sud-est de la France en 1584. A la mort de sa mère, elle entreprend un voyage avec son père au cours duquel les voyageurs rencontrent le chevalier Valancourt, un jeune homme plein de sensibilité et d'honnêteté. Monsieur de Saint-Aubert meurt pendant leur périple et demande à être inhumé près du tombeau de la Marquise de Villeroi. Mais qui est cette femme et quels sont les liens qui l'unissent au père d'Emilie?  
Saint-Aubert a confié la tutelle de sa fille à sa soeur, Madame Chéron, veuve arrogante et fière qui n'est intéressée que par la fortune et le rang. Elle s'oppose au mariage d'Emilie avec Valancourt  et après avoir épousé un noble italien, le Signor Montoni, qu'elle croit fortuné et influent, elle amène sa nièce à Venise. Hélas! cet homme se révèle sans fortune, il n'a épousé la tante que par cupidité et veut marier de force Emilie au comte Morano. 
Il amène les deux femmes au château d'Udolphe où il vit avec une bande de pillards dans cette forteresse isolée que l'on dit hantée. Les pires rumeurs courent sur la disparition de la comtesse, ancienne propriétaire, dont a hérité Montoni.. Manifestations surnaturelles, mystères, meurtres, exactions.. Désormais, Emily est prisonnière de ce dangereux personnage. Comment échappera-t-elle à tous ces dangers? Retrouvera-t-elle Valancourt? Tous les mystères seront-ils résolus?


Les caractères gothiques du roman


 Le tableau de Fuesli intitulé Cauchemar qui  a servi d'image pour la première de couverture de l'édition de Archipoche rend bien l'atmosphère gothique du roman

Les mystères d'Udolphe d'Ann Radcliffe paraît en 1794 et est traduit en France en 1797. C'est un roman gothique, style littéraire qui a été à la mode à la fin du XVIII siècle en Angleterre et qui exercera une grande influence sur la littérature française et sur le romantisme français au début du XIX siècle.  Il présente, en effet, toutes les caractéristiques du roman gothique dit aussi "roman noir" :  le récit est complexe et long, entrecoupé d'évènements effrayants, de meurtres, de mystères, d'irruption du surnaturel,  d'histoires d'amour contrariées.

Les caractères romantiques du roman


Caspar Friedrich

Dans Les mystères d'Udolphe, le sentiment de la nature est très vif et préfigure l'engouement du romantisme pour la montagne, les paysages grandioses, majestueux ou torturés, déserts, précipices, à-pics qui frappent l'imagination, donnent le vertige. Il y a de très belles descriptions du Languedoc et de la Gascogne, de la  riche vallée de la Garonne qui promenait ses flots majestueux.., des Pyrénées, puis plus tard des Alpes, de l'Italie. Ces passages témoignent du goût du voyage et de la nature que l'on retrouvera dans les romans, les relations de voyage, les lettres des écrivains mais aussi les tableaux de nombreux peintres romantiques :


Karl Blechen : Le pont du Diable

 La route passait, tantôt le long d'affreux précipices, tantôt le long de sites les plus gracieux. (...) Il fit claquer son fouet et sans égard ni pour la difficulté du chemin ni pour la vie de ses pauvres mules, il les mit au grand galop, au bord d'un précipice dont l'aspect faisait frissonner; l'effroi  d'Emilie  la priva presque de ses sens.(…)
Tout y était solitaire et stérile; on y voyait aucune créature vivante que le bouquetin des montagnes qui, parfois, se montrait tout à coup sur la pointe élancée de quelque roche inaccessible.
  
 Caspar David Friedrich : ruines en hiver

Les ruines, les abbayes ou les châteaux sont aussi des lieux privilégiés pour nourrir le mystère.
Voilà Udolphe dit Montoni, qui parlait pour la première fois depuis des heures.
Emilie regarda le château avec une sorte d'effroi.. Quoiqu'éclairé  par le soleils couchant, la gothique grandeur de son architecture, ses antiques murailles de pierre grise, en faisait un objet imposant et sinistre.


 Carl Philipp Forth : paysage romantique italien

 Enfin l'Italie, avec ses paysages ensoleillés et ses villes artistiquement riches et florissantes constituera aussi un engouement pour le romantisme, par amour des contrastes vifs, de l'ombre et de la lumière, de l'austérité à la richesse, de la sévérité à la douceur.
Mais qui pourrait décrire le ravissement d'Emilie, lorsqu'en sortant d'une mer de vapeurs, elle découvrit, pour la première fois, l'Italie! Du bord d'un de ces précipices affreux et menaçants du Mont-Cénis, qui gardent l'entrée de ce pays enchanteur, elle promena ses regards à travers les nuages qui flottent encore à ses pieds. Elle vit les riches vallées du Piémont, les plaines de la Lombardie se perdre dans un lointain confus.

Divergences avec le romantisme

Le roman s'oppose  pourtant aux idées qui seront celles du romantisme qui chante la passion et l'amour fou, pour faire l'éloge de la raison, la patience et la vertu.
Valancourt, après avoir quitté la voie de la sagesse revient dans le droit chemin. Avec Emilie qui a toujours observé les enseignements de son père sur la supériorité de la raison, il va enfin pouvoir goûter un bonheur bien mérité :
… tendant sans cesse à la perfection de l'intelligence, ils jouirent des douceurs d'une société éclairée, des plaisirs d'une bienfaisance active, et comment les bosquets de la Vallée redevinrent le séjour de la sagesse et le temple de la félicité domestique!
On croirait entendre des accents voltairiens, la fin de Candide par exemple! Par cet aspect de son oeuvre, Ann Radcliffe est plus proche du XVIII siècle que du romantisme, tout comme Jane Austen d'ailleurs.

Jane Austen et Ann Radcliffe

En lisant le roman de Jane Austen, Northanger abbey qui parlait de Les mystères d'Udolphe, je m'étais fait une idée de ce roman très différente de la réalité.

Je pensais que le roman d'Ann Radcliffe se déroulait en Angleterre, dans un château perdu au milieu du brouillard et des landes désertes, semblable aux paysages d'Emily Brontë. Or, le récit se déroule en France, dans la région du sud-est, puis à Venise et au nord de l'Italie où se trouve le château d'Udolfo. Preuve que j'avais oublié l'enthousiasme de Catherine qui s'exclame  à propos des lieux :
Voilà midi vingt minutes, et le temps ne change pas, dit Catherine en soupirant. Que nous serions heureux si nous avions ici le climat de l’Italie ou du midi de la France ! Là il fait toujours si beau, suivant les charmantes descriptions du roman d’Udolphe : quel superbe temps il faisait la nuit de la mort du pauvre Saint-Aubin.
Quand je me promène sur le bord de la rivière, je ne vois jamais ce lieu sans penser au midi de la France, dit Catherine.
— Vous avez été en France ! reprit Henri avec surprise.
— Oh ! non : je ne la connais que par ce que j’en ai lu. J’ai toujours présent à l’imagination le voyage que, dans les Mystères d’Udolphe, Emilie fit en France avec son père…

 Jane Austen se moque gentiment de son héroïne Catherine qui cherche à revivre dans la confortable abbaye de Northanger les mêmes aventures que celles d'Emilie, prisonnière de brigands sanguinaires, dans le château Udolphe.  j'en avais déduit que Les mystères d'Udolphe était peuplé d'apparitions fantasmagoriques, effroyables, que l'irrationnel y régnait en maître or toutes les péripéties extraordinaires qui surviennent dans le récit sont expliquées par la suite d'une manière très réaliste.



Enfin, il me semblait, dans mon souvenir lointain, que Jane Austen, rationnelle elle-même, anti-romantique ne devait pas aimer Ann Radcliffe. Il n'en est rien.
Jane Austen, en tant que romancière, prend la défense du roman en général à plusieurs reprises :
Pourtant quelle branche de littérature est plus vaste et plus agréable ? Laquelle procure plus de plaisir ? Quel mortel, sachant lire, n’a parcouru quelquefois, souvent même, avec intérêt ces ouvrages qui charment la pente qui nous entraîne vers le merveilleux ?… et n’a lu avec délices ceux qui retracent si bien tous les secrets du cœur et les divers évènements de la vie… Nous ne rencontrons partout que des ennemis ; nous ne recueillons que le blâme, et nos ouvrages sont dans toutes les mains ! Et c’est dans nos productions que ces ennemis eux-mêmes viennent chercher quelques idées agréables, quelques souvenirs de bonheur, quelques moments de distraction.

Et la défense de Ann Radcliffe en particulier!  La preuve c'est qu'elle met dans la bouche de Thorpe, un personnage peu sympathique, la critique négative de ce roman (que par ailleurs il n'a pas lu) :
Avez-vous lu Udolphe, dit-elle, M. Thorpe ? — Udolphe ! Ma foi, non : je ne lis jamais de romans ; j’ai bien autre chose à faire. Catherine humiliée et honteuse allait justifier sa question, quand il la prévint. — Les romans, ajouta-t-il, sont tous pleins de sottises et d’invraisemblances ; il n’y en a pas un seul de supportable ; depuis Tom Jones, excepté le Moine, que j’ai lu l’autre jour, tous les autres sont les plus stupides productions du monde. — Je crois que vous aimeriez Udolphe, si vous le lisiez ; il est si intéressant ! — Non, ma foi : si j’en lis jamais, ce ne sera que les romans de Mistriss Radcliff ; ceux-là sont assez amusants ; il s’y trouve de la gaieté, du naturel. — Mais Udolphe est de Mistriss Radcliff, dit Catherine avec un peu d’embarras causé par la crainte de mortifier.

Par contre l'éloge du roman est fait par le sympathique et charmant Tilney dont Catherine est amoureuse  :
Je suis sûre que vous ne lisez jamais de romans ?
— Pourquoi n’en lirais-je pas ?
— Parce que ce ne sont pas des livres assez savants pour vous. Les hommes en lisent de meilleurs que les romans.
— Ce serait pour un savant comme pour une jeune dame faire preuve de peu d’esprit que de ne pas se plaire à la lecture d’un bon roman. J’ai lu tous les ouvrages de Miss Radcliff ; il en est plusieurs qui m’ont causé un grand plaisir. Pour Udolphe, quand je tenais le livre, je ne pouvais le quitter ; je me souviens de l’avoir lu tout entier en deux jours. Depuis le commencement jusqu’à la fin, je sentais mes cheveux se dresser sur ma tête.

Le cousinage entre Radcliffe et Austen 



Enfin, il est certain que l'auteur de Raison et Sentiment  devait se sentir très proche des paroles que Ann Radcliffe attribue à monsieur Saint-Aubert  : Je me suis efforcé lui dit-il de vous donner dès vos premières années, un véritable empire sur vous-même, je vous en ai représenté l'importance dans toute la conduite de la vie; c'est cette qualité qui nous soutient contre les plus dangereuses tentations du vice, et nous rappelle la vertu; c'est lui qui modère l'excès des émotions les plus vertueuses.
 Je ne voudrais pas étouffer votre sensibilité mon enfant, je ne voudrais qu'en modérer l'intensité. 


Lecture commune de : Aaliz,  Nathalie,  Shelbylee,  Claudialucia

Voir aussi Cléanthe







Les mystères d'Udolphe Folio Gallimard 
ou Les mystères d'Udolphe Archipoche 

dimanche 12 juin 2011

Jane Austen : Northanger Abbey et Bath (2)

Pulteney Bridge

Dans Northanger Abbey de Jane Austen, la jeune Catherine se rend à Bath avec ses amis, les Allen, venus prendre les bains. voir texte 1
Lors de ma visite à Bath, me voici donc partie comme bien d'autres admiratrices de Jane Austen sur les traces de son héroïne. La ville entretient une sorte de culte envers l'écrivain à qui est dédié un musée.
Dans le roman, dès son arrivée, Catherine was all eager delight quand elle passe en voiture dans les rues qui la conduisent à son hôtel situé dans Pulteney Street.

Le pont de Pulteney sur la rivière Avon mène dans la rue du même nom où vont s'installer Mr Allen, son épouse et Catherine pendant leur séjour à Bath
Arrive enfin le soir très attendu où Catherine va être introduite dans le monde par Mrs Allen. Celle-ci  l'amène au bal dans the Upper room ou Assembly Rooms qui offre tous les divertissements jugés indispensables aux curistes oisifs : la salle de bal, le salon de thé et la salle de jeu.


Hall d'entrée de Assembly Rooms
 
La première expérience de Catherine dans la salle de bal est tout sauf idyllique. La foule y est si dense que les deux femmes sont obligées de se frayer un chemin comme elles le peuvent, bousculées, écrasées, n'apercevant des danseurs que les plumes des chapeaux de ces dames. De plus, Catherine ne trouve pas de cavalier et ne peut pas danser.

The Ball room


Au salon de thé où elles ne connaissent personne, elles se sentent bien seules et très gênées. Leurs voisins de table ne leur adressent pas la parole si ce n'est l'un d'entre eux qui condescend à leur offrir du thé. Ce n'est que quelques jours après que la jeune fille sera présentée à Henry Tilney.

The Tea room


Un autre lieu rassemble la bonne société, c'est The Pump Room que l'on fréquente dans la journée pour se montrer, étrenner ses belles toilettes, retrouver des connaissances. De cette salle, l'on pouvait alors accéder aux Bains par un escalier.  De nos jours The Pump Room est un restaurant où j'ai eu le plaisir de déjeuner et un salon de thé qui a conservé le lustre des années passées.

The Pump Room

On apprend dans le roman que Mr Allen was ordered to Bath for the benefit of a gouty constitution. Les curistes se baignaient alors dans le bassin ci-dessous.




 Les thermes de Bath

Jane Austen : Northanger Abbey (1)

Bath: Bain romain

Northanger Abbey ou l'anti-romantisme

On ne peut pas visiter Bath sans relire Northanger Abbey de Jane Austen. C'est donc ce que j'ai fait et en anglais, qui plus est! Jugez de l'exploit...enfin pour moi!
Northanger Abbey est l'histoire de Catherine Morland, dix sept ans, fille de pasteur, jamais sortie de sa campagne natale, que des amis, monsieur et madame Allen, amènent à Bath. Pour la jeune fille naïve et ignorante, Bath est la ville des Merveilles.  Les bals, le théâtre, les salons de thé, les rues bondées qui offrent la richesse de leurs beaux magasins, une société aisée et brillante, tout éblouit la jeune campagnarde. Et puis il y a les rencontres, celle de l'adorable Isabella Thorpe qui aime tant sa "sweetest Catherine" et de son frère John, lourdaud et importun. Il y a aussi le beau Henry Tilney qui fait battre son coeur et Eleonor, sa soeur, réservée et discrète. Et enfin, pour couronner le tout, l'invitation miraculeuse du Général Tilney, père de Henry et d'Eleonor,  dans son domaine de Northanger Abbey. C'en est trop pour Catherine! Voilà qui lui fait tourner la tête. Une abbaye! Un vieil édifice mystérieux, rempli de secrets, de portes dérobées, de squelettes cachés, comme dans les romans d'Ann Radcliffe, par exemple, qu'elle dévore avec avidité. Quelle aventure! Mais ce qu'elle va vivre dans ce lieu la délivrera de ses rêveries gothiques et lui ôtera ses illusions romantiques!
Quand on lit Jane Austen, c'est d'abord l'humour que l'on retient car l'on s'amuse beaucoup à la lecture de ce roman, on en savoure l'ironie toute en nuances, les traits d'esprit, les portraits subtilement acides qui révèlent par un détail le ridicule ou les faiblesses d'un personnage.
Northanger Abbey est d'abord un pastiche du roman gothique et Jane Austen feint d'adopter les codes du genre pour mieux en démontrer les excès. Lorsque Catherine, dans la solitude de sa chambre, au milieu de la nuit, dans la sombre abbaye battue par la tempête, découvre, comme le lui avait prédit malicieusement Henry Tilney, un  mystérieux manuscrit, ce n'est que pour mieux s'apercevoir qu'il s'agit d'une facture de blanchisserie! De même que le jeune homme, Jane Austen rit de son héroïne et de sa vive et fertile imagination, tout en nous faisant partager la tendresse qu'elle éprouve pour elle. Ce personnage, en effet, est profondément attachant malgré ses défauts ou peut-être aussi à cause d'eux.
Car Northanger Abbey est aussi un roman d'apprentissage :  naïve, inculte, ignorante, romantique, d'une sensibilité extrême, la jeune fille a une vision simpliste de la vie. Sa franchise, sa droiture, le respect de la parole donnée, son incapacité à mentir, l'empêchent de percevoir chez les autres ce qui ressemble à de la duplicité. Et c'est pourquoi elle tombera de bien haut en découvrant le monde tel qu'il est et nul doute qu'elle aura appris beaucoup lors de cette visite à Bath! Sa vision du monde en sera radicalement transformée.
En effet, sous des dehors d'apparente légèreté, les romans de Jane Austen sont souvent très pessimistes quant à la nature humaine et la société.
Les personnages de Jane Austen sont complexes. Derrière un extérieur gracieux et plaisant, se cachent parfois les plus sordides motivations. Les paroles élégantes et policées sont souvent en désaccord avec les actes. C'est toujours avec étonnement que la sincère Catherine constate que celui qui parle pense le contraire de ce qu'il  dit.  Elle l'apprend à ses dépens lorsque sa chère et jolie Isabella, malgré l'amour qu'elle affiche pour James, le frère de Catherine, trahit son engagement pour courir après la fortune du frère aîné de Henry. Elle le découvre avec le Général Tilney, si charmant en public, qui se révèle un véritable tyran domestique exigeant et autoritaire envers ses propres enfants.
Quant à la loi qui régit cette société  hypocrite, elle peut se résumer en un mot : l'argent qui détermine la position sociale; le respect se mesure à l'aune de la fortune que l'on possède. Aussi  la première préoccupation des uns et des autres dans cette ville où l'on fait beaucoup de rencontres, est de s'enquérir des biens de ses nouvelles connaissances.  Là encore, Catherine  en fait les frais. Très courtoisement reçue par Le Général tant qu'il la croit riche, elle est chassée ignominieusement quand il la sait sans le sou.
Cette expérience bien amère la prive de sa joie de vivre et pourrait lui donner définitivement une opinion négative de l'humanité. Heureusement, la bonté et l'amour de sa famille et  de ses vrais amis la réconfortent. Il ya donc des gens capables de sentiments vrais.  Et puis, Henry  vient la rejoindre et la demande en mariage, bravant l'interdiction de son père. Tout est bien qui finit bien, donc? Oui, mais que l'on ne me parle pas du romantisme de Jane Austen si l'on sait que Henry ne s'est intéressé à Catherine que par gratitude :
I must confess that thus affection originated in nothing than gratitude; or, in another words, that a persuasion of her partiality for him had been cause of giving her a serious thought.
et qu'il se sent lié à Catherine autant par sens de l'honneur que par amour. Voilà des sentiments sincères mais très (trop) raisonnables! Anti-gothique, anti-romantique, Jane Austen affiche ainsi son refus :
It is a new circumstance in romance, I acknowledge, and dreadfully dérogatory of an heroine's dignity; but if it be as new in common life, the credit of a wild imagination will at least be all my own.
Enfin, Jane Austen n'oublie pas de nous faire rire en décochant un dernier trait acéré au Général Tilney
I leave it to be settled by whomsoever it may concern, wether the tendency of this work be altogether to recommend parental tyranny or reward filial disobedience.


Voir Northanger Abbey et la ville de Bath (2)

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