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vendredi 5 septembre 2025

Roger Vercel : La fosse aux vents Ceux de la Galatée, La peau du diable, Atalante

 

La fosse aux vents de Roger Vercel regroupe trois volumes respectivement appelés : Ceux de la Galatée, La peau du Diable, Atalante. Tous trois sont consacrés à un personnage récurrent, Pierre Rolland, la forte tête, l’orgueilleux, que l’on voit évoluer d’un roman à l’autre de simple matelot à capitaine, au cours de son embarquement sur trois voiliers différents « aux temps héroïque des Cap-Horniers. » comme l’annonce le sous-titre du roman. La trilogie s’étend de la fin du XIX siècle à la première guerre mondiale, à une époque où les splendides voiliers, fierté de leur équipage, vont être peu à peu supplantés par les bateaux à vapeur.   


 Ceux de la Galatée

En 1897, le long-courrier Galatée part du port de Dunkerque livrer du charbon au Chili et retournera en s’arrêtant à  San Francisco pour charger du grain.
Ce navire est commandé par  le capitaine Le Gaq et son second Monnard. Il y a aussi le pilotin Jean Marquet, un adolescent que son riche père oblige à embarquer pour lui forger le caractère. Pauvre gamin en butte aux railleries de l’équipage, et formé sur le tas, sans ménagement. Le marin Pierre Rolland le prend en grippe, haïssant sa faiblesse et plein de mépris pour son ignorance. Rolland  est responsable d’un accident qui risque de coûter la vie au jeune homme. Au cours du voyage au cours duquel le passage du Cap Horn se révèle être un morceau de bravoure, le second, Monnard, s'aperçoit que Pierre Rolland a l’étoffe d’un chef. Il lui propose de reprendre des études pour devenir capitaine. Il faudra vaincre l’orgueil de Rolland qui vient d’un milieu modeste, sa crainte qu’on lui fasse l’aumône, ses doutes et ses révoltes, pour que celui-ci accepte l’hospitalité du frère de Monnard, un curé, un beau personnage, et pour qu’il accepte de suivre des cours auprès du père Rémy… Mais là encore son caractère orgueilleux et peu conciliant blessent ceux qui pourtant l’ont l’aidé.


La peau du diable

Dans La peau du diable, Pierre Rolland est devenu second sur L’Antonine commandé par le capitaine Thirard. Il embarque à Port-Talbot près de Bristol, et se rend en Nouvelle-Calédonie pour charger du minerai de nickel. Le capitaine Thirard souffre d’un cancer de la gorge mais conserve jusqu’au bout sa dignité et assume ses responsabilités envers son navire malgré des souffrances atroces. Il gagne le respect de Rolland et de son équipage.


Atalante 

Le capitaine Pierre Rolland est d’abord commandant de l'Argonaute mais son second, Fourment, doit débarquer suite à un accident survenu lors du voyage aller. À l'arrivée en France, le lieutenant Gicquel qui a fait fonction de second depuis l'accident, invite le capitaine Rolland au mariage de sa soeur. C’est là que Rolland rencontre Geneviève, la soeur de la mariée. Rolland qui, jusqu’alors, n’estimait pas les femmes, est séduit par l’intelligence et la finesse de la jeune femme. Il l'épouse avant d'embarquer à bord de l'Atalante, en partance du Havre pour San Francisco. Malgré les réticences de Rolland, Geneviève embarque avec lui. Elle est persuadée que, comme sa mère l’a fait avant elle, elle pourra suivre son mari dans ses voyages au long cours et éviter les séparations et l’attente qui sont le sort habituel des femmes de marin.


Les personnages

Vercel a le don de créer des personnages complexes, vrais, rudes, parfois primitifs, et de nous faire partager leur vie, comprendre leur mentalité. 
Je dois dire que j’ai trouvé Pierre Rolland extrêmement antipathique. Il méprise les femmes tout en se servant d’elles pour ses besoins sexuels. Et même lorsqu’il trouve une femme qu’il admire assez pour l’épouser, il la méprisera dès qu'elle lui paraît en état de faiblesse, victime du mal de mer et sa santé s’étiolant. Et que dire du racisme manifesté par Rolland envers les canaques que les missionnaires s’efforcent d’instruire - en vain-  d’après lui : « Tout ce qu’ils parvenaient à loger dans ces cervelles primitives leur demeurait aussi étranger que le dressage des chiens savants ». C’est assez abject ! 

Il a, bien sûr, des qualités, sa compétence, son endurance, son courage et sa loyauté envers ses chefs, ses hommes et son navire mais comme le disent ses pairs, capitaines comme lui, même s’ils le respectent, ils ne pourront jamais se lier d’amitié avec lui.
L’épouse de Pierre Rolland qui embarque avec lui sur l’Atalante est une belle figure féminine, fine, intelligente, courageuse, qui fait ressentir d’autant plus l’incapacité de son mari à éprouver de l’empathie, et met en relief d'une manière révoltante son égoïsme, son mépris des femmes et des faibles. 


Un roman d’aventure et un hommage aux marins disparus 

Les trois volumes se lisent comme des romans d’aventures et, si l’on est parfois noyé sous le flot du vocabulaire de la navigation à voile, la narration, vivante,  nous entraîne dans des aventures  dangereuses et passionnantes.
 Vercel décrit la vie des Cap-Horniers, et la richesse de la description, la connaissance des manoeuvres complexes à effectuer, tout donne au lecteur l’impression que l’auteur est un marin chevronné, qui a vécu bien des aventures extrêmes en haute mer. Or, il n’en est rien, il n’est allé qu’une fois en mer sur un bateau de pêche et n’a jamais effectué de voyages au long cours, ce qui rend encore plus incroyable sa maîtrise de la navigation à voiles, sa documentation des conditions de travail effroyables des Caps-Horniers, sa compréhension de la mentalité des marins du bas de l’échelle à la fonction la plus haute de capitaine. C’est que pour écrire ces romans il a rencontré de vieux marins qui ont vécu la fin de ces temps héroïques, collecté leurs souvenirs, leurs aventures, il s’est nourri de leurs récits, de leurs croyances, de maintes anecdotes. Il a  vécu à travers eux les difficultés du métier mais aussi ressenti la fierté de ces hommes qui étaient conscients de la beauté et des qualités de leur navire qu’ils aimaient d’amour et qu’ils voyaient sur le point de disparaître au profit de la navigation à vapeur qui allait les remplacer. Ils étaient à la fois victimes de conditions de vie éprouvantes, de l’exploitation exercée sur eux par des armateurs qui les payaient mal et les accablaient de travail. Ils étaient parfois révoltés, ombrageux, prompts à prendre la mouche. Ils étaient aussi les héros orgueilleux d’un quotidien qui ressemblait bien à une épopée que Roger Vercel a su rendre d’une manière magistrale.


 


Chez Moka 540 pages


Chez Sibylline  540 pages


vendredi 18 juillet 2025

Nathalie Sarraute : Pour un oui ou pour un non

 

Pour un oui ou pour un non est une pièce de théâtre de Nathalie Sarraute, créée comme pièce radiophonique en décembre 1981, publiée en 1982 et représentée pour la première fois au théâtre en 1986. C'est la pièce la plus jouée de Nathalie Sarraute, avec plus de 600 représentations professionnelles depuis sa création. (Wikipedia)

Deux amis proches, pour une expression maladroitement employée, déclenchent une guerre qui met en cause leur amitié, leur partage, leur complicité. Les mots se chargent de comique, de tragique, de ridicule et d’absurde pour aboutir à un échange verbal qui fait de ce texte une tragi-comédie contemporaine unique.

J'ai décidé d'amener ma petite-fille voir Pour un oui ou pour un non, pièce que j'avais vue seule. Elle va entrer en seconde et j'ai supposé qu'elle aimerait cette pièce qui (comme le Menteur) est au programme du bac français; Et bien non, c'est raté. Elle n'a pas aimé. Moi oui. Voilà ce que j'écrivais en 2023.

 

Mon avis

 Quel plaisir de voir  pour la première fois sur scène cette pièce que j'ai lue et appréciée il y a déjà bien des années !

Imaginez deux amis d'enfance, avec tout ce que cela comporte de moments partagés, de complicité, de souvenirs communs. L'un d'eux réussit très bien socialement. Quand l'autre, qui se sent peut-être dévalorisé, se vante d'avoir réussi, le premier  lui répond : " C'est bien, ça !".

 Pas de quoi fouetter un chat, semble-t-il ! Oui, mais ... cela dépend comment la phrase est dite et comment on la reçoit. De fil en aiguille, les deux amis vont vider leur sac et mettre des  mots sur des riens, petites mesquineries, jalousies, sentiments refoulés, mais qui, une fois exprimés, se révèlent au grand jour. Et voilà comment, pour un oui ou pour un non, la belle amitié est brisée.

Les amis interprétés par Pablo Chevalier, Josselin Girard, se font face sur la scène et tiennent les spectateurs en haleine !  Tout le jeu, qui procure un vif plaisir, consiste à l'interprétation d'une phrase que le ton de la voix, les pauses,  les respirations, éventuellement le geste accompagnateur, peuvent rendre élogieuse ou péjorative. Il fallait d'excellents comédiens pour donner à entendre toutes les nuances de la langue française, de ses intonations, et il fallait Nathalie Sarraute pour jouer ainsi avec le langage et pour peindre avec tant de subtilité la psychologie de l'âme humaine 

 

Pour un oui ou pour un non
du 5 au 26 juillet
10h00 1h
CABESTAN (THÉÂTRE LE)
Salle : Théâtre Le Cabestan

auteur⸱ice
De Nathalie Sarraute
équipe artistique
Bruno Dairou - Mise en scène
Pablo Chevalier - Interprétation
Josselin Girard - Interprétation
Héléna Castelli - Création lumière
Philippe Robinet - Scénographie
Nina Dumont - Billetterie
Camille Vigouroux - Graphisme
Cie des Perspectives
Compagnie française
Compagnie professionnelle
Description :
La Compagnie des Perspectives inscrit sa démarche artistique dans la volonté de créer des pièces du répertoire contemporain. Il s’agit à la fois de mettre en valeur la richesse de l’écriture dramatique actuelle mais aussi de refuser de s’engager dans un théâtre du « politiquement correct ». S’il n’est en aucun cas question de nourrir le débat entre théâtre de divertissement et théâtre destiné aux élites averties, il nous paraît particulièrement pertinent de montrer que le théâtre peut toujours constituer un art du combat pour des valeurs.




mardi 28 janvier 2025

Robert Desnos Le dernier Poème et Louis Aragon/Jean Ferrat : Complainte de Robert le diable

Ombres et brouillard : Photographie d'Aurélia Frey
  
 
 
EN MÉMOIRE 

En 2012, j'ai publié ce poème de Desnos que je vous fais redécouvrir à l'occasion des quatre-vingts ans de l'anniversaire de la libération d'Auschwitz. Il est important de commémorer cet évènement à une époque ou les partis d'obédience nazie sont plus forts que jamais en Europe et encouragés par les dirigeants des Etats-Unis.
Je complète ce billet avec le si beau poème d'Aragon Complainte de Robert le diable chanté par Jean Ferrat.


Le dernier poème
 
 
Robert Desnos
 
 
Robert Desnos, poète résistant, est arrêté par la Gestapo le 22 février 1944 et amené à Compiègne. De là, il est envoyé d'abord à Auschwitz puis à Buchenwald et à Floha, en Saxe.  Au moment de l'arrivée des troupes alliées, il est déplacé vers Terezine dans l'ancienne Tchécoslovaquie. Une marche de 200 km à pied dans la neige, des jours de souffrance et de désespoir pour ces hommes affaiblis, sous-alimentés, malades, que l'on achève en cours de route s'ils ne parviennent pas à suivre...
Quand les alliés arrivent à  Terezine, Desnos est atteint du typhus. Il est transporté à l'hôpital militaire installé par les russes pour accueillir les malades. Ceux-ci font appel à des étudiants de la faculté de médecine de Prague pour enrayer l'épidémie.
C'est ainsi qu'un jeune tchèque, Joseph Stuna, lit dans les registres que Robert Desnos est parmi les prisonniers. Epris de poésie française, admirateur du surréalisme et de Robert Desnos, le jeune homme cherche le poète et croit le reconnaître dans les traits émaciés d'un malade et comme on demande à ce dernier s'il connaît le poète français Robert Desnos, il répond :

- Oui!  Robert Desnos, poète français, c'est moi !

Le 8 juin 1945, Robert Desnos s'éteint. Il devra à la poésie, ce langage universel, de ne pas mourir seul, inconnu, et d'avoir autour de lui des amis pour le soutenir.

On a retrouvé dans la poche de son vêtement un poème qui a pendant longtemps été considéré comme le dernier, dédié à sa femme Youki. Or, il n'en est rien. Le poème a été écrit en 1926 et dédicacé à la Mystérieuse, une autre que Youki. Voir le petit monde de Youki.

Mais le poème, devenu légende, n'a rien perdu de sa beauté.


         Le Dernier poème

J'ai rêvé tellement fort de toi,

J'ai tellement marché, tellement parlé,

Tellement aimé ton ombre,

Qu'il ne me reste plus rien de toi.

Il  me reste d'être l'ombre parmi les ombres

D'être cent fois plus ombre que l'ombre

D'être l'ombre qui viendra et reviendra

dans ta vie ensoleillée.

 
Lire aussi :  le livre de André Bessières : destination Auschwitz avec Robert Desnos

 

Louis Aragon : Complainte de Robert le diable


Doisneau : Paris : les Halles

Robert Desnos est né dans le quartier Saint Merry, près des Halles, sa mère était fille du propriétaire  d'une rôtisserie, son père était mandataire en volaille et en gibier, d'où l'importance donné à ce lieu dans le poème d'Aragon. Quand il rejoint les surréalistes, Robert Desnos s'essaye à l'écriture automatique et au langage hypnotique. Il devient le prophète du groupe qui compte Breton, Aragon, Eluard, Soupault, Vitrac... et ses visions souvent déréglées, exaltées, violentes, sont teintées de sang comme, nous dit Aragon,  s'il avait vu le destin qui l'attendait lui et les millions de victimes des camps de concentration. Il est aussi le poète de Paris et de la nuit.


Tu portais dans ta voix comme un chant de Nerval
Quand tu parlais du sang jeune homme singulier
Scandant la cruauté de tes vers réguliers
Le rire des bouchers t'escortait dans les Halles

Parmi les diables chargés de chair tu noyais
Je ne sais quels chagrins Ou bien quels blue devils
Tu traînais au bal derrière l'Hôtel-de-Ville
Dans les ombres koscher d'un Quatorze-Juillet

Tu avais en ces jours ces accents de gageüre
Que j'entends retentir à travers les années
Poète de vingt ans d'avance assassiné
Et que vengeaient déjà le blasphème et l'injure

Tu parcourais la vie avec des yeux royaux
Quand je t'ai rencontré revenant du Maroc
C'était un temps maudit peuplé de gens baroques
Qui jouaient dans la brumes à des jeux déloyaux

Debout sous un porche avec un cornet de frites
Te voilà par mauvais temps près de Saint-Merry
Dévisageant le monde avec effronterie
De ton regard pareil à celui d'Amphitrite

Énorme et palpitant d'une pâle buée
Et le sol à ton pied comme au sein nu l'écume
Se couvre de mégots de crachats de légumes
Dans les pas de la pluie et des prostituées

Et c'est encore toi sans fin qui te promènes
Berger des longs désirs et des songes brisés
Sous les arbres obscurs dans les Champs-Elysées
Jusqu'à l'épuisement de la nuit ton domaine

Tu te hâtes plus tard le long des quais Robert
Quand Paris se défarde et peu à peu s'éteint
Au geste machinal que fait dans le matin
L'homme bleu qui s'en va mouchant les réverbères

Oh la Gare de l'Est et le premier croissant
Le café noir qu'on prend près du percolateur
Les journaux frais les boulevards pleins de senteur
Les bouches du métro qui captent les passants

La ville un peu partout garde de ton passage
Une ombre de couleur à ses frontons salis
Et quand le jour se lève au Sacré-Coeur pâli
Quand sur le Panthéon comme un équarissage

Le crépuscule met ses lambeaux écorchés
Quand le vent hurle aux loups dessous le Pont-au-Change
Quand le soleil au Bois roule avec les oranges
Quand la lune s'assied de clocher en clocher

Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne

Je pense à toi Desnos et je revois tes yeux
Qu'explique seulement l'avenir qu'ils reflètent
Sans cela d'où pourrait leur venir ô poète
Ce bleu qu'ils ont en eux et qui dément les cieux
 





Voir le billet de Nathalie intitulé Mémoire : C'est elle qui recueillera vos liens.
 
 

jeudi 16 janvier 2025

Marcel Proust : Bilan final : livre 6 : Albertine disparue et livre 7 : Le temps retrouvé

 



Nous avons enfin terminé notre défi commun, nous, Miriam et Claudialucia : Lire les sept volumes de La Recherche du Temps perdu l’un après l’autre, dans la foulée… Le challenge lancé le 23 Mars 2024, commencé au mois d’Avril, s’est achevé en Décembre 2024. Une longue marche d’endurance.

Non, cette lecture n'a pas été facile pendant ces 9 mois, contrairement à ce que nous disent les inconditionnels de Proust, en tout cas pour moi !

 Ce que je n'ai pas aimé dans Proust

 Pourquoi la lecture m'a été parfois difficile ?

Plusieurs aspects de l'oeuvre m'ont déstabilisée, non la longueur de la phrase, - on s'y habitue très vite-, non le nombre de pages (plus de 3000), -  j'aime les gros livres bien épais dans lesquels on s'embarque pour un long voyage-,  mais plutôt cette impression de répétition d'un livre à l'autre ou d'un paragraphe à l'autre. Répétitions, redondances ? On a parfois envie de dire à l'écrivain : mais c'est déjà dit, on le sait, on n'est pas idiot, on a compris ! Oui, souvent je me suis ennuyée !

Ensuite il faut bien avouer que les personnages dont il parle sont odieux, que ce soit la grande noblesse ou la riche bourgeoisie, les Guermantes ou les Verdurin. Je les trouve vides, snobs, égoïstes, souvent même inintelligents et ridicules.  C'est d'ailleurs ce que dénonce Marcel Proust qui n'épargne pas la critique de ce milieu qu'il admire d'abord pour ensuite en constater la superficialité même s'il conserve malgré tout une certaine connivence avec eux  ! Après tout, c'est son milieu et quand il fréquente des gens du peuple, cela ne peut-être que ses chauffeur, cuisinière ou valet pour qui il a une certaine condescendance.  Quand vous passez des heures et des heures à lire Proust comme nous l'avons fait, cela signifie que vous passez des heures et des heures en compagnie de gens peu fréquentables, terriblement déplaisants ! Et cela ne paraît jamais finir !

Et puis même les personnages principaux ne sont pas tous sympathiques. Marcel, en particulier,  avec son mépris des femmes, ses caprices d'enfant gâté odieux envers sa mère (à Venise); le sentiment qu'il a de sa supériorité (envers Albertine), son incapacité à aimer les autres, sa manière de décrier l'amitié et l'amour. Il n'aime et il ne s'intéresse qu'à lui-même ! Et que dire de Charlus ou de Saint Loup qui, imbus de leur noblesse, satisfont leur sexualité avec des enfants des classes pauvres  !


Ce que j'ai aimé dans Proust

 Ceci dit, je suis bien heureuse de les connaître tous ces personnages même si cela peut paraître paradoxal par rapport à ce qui précède. Ils sont tellement célèbres qu'ils font partie de notre patrimoine littéraire, si je puis dire, et même de notre quotidien. L'autre jour, en regardant une photographie prise par ma fille d'un mineur péruvien au regard fier et au port de tête hautain, je me suis dit spontanément : "Le duc de Guermantes  ne pourrait avoir un air plus altier ! ". Les personnages de Proust comme référence !

 Et puis j'aime Tante Léonie et "ce grand renoncement de la vieillesse qui se prépare à la mort", Françoise,  le Michel Ange de notre cuisine et son boeuf aux carottes en gelée, son franc parler, la grand-mère si aimante, si dévouée et son grand amour pour Madame de Sévigné, Albertine, l'enfant orpheline et pauvre et pour cela jeune fille méprisée qui a le désir d'apprendre, qui lit, se cultive, prisonnière d'un homme malade, jaloux, égoïste,  incapable d'aimer ! Et, bien sûr, je me suis sentie concernée, touchée par ces personnages qui nous font éprouver des émotions et nous renvoient à nous-mêmes.

 Ce que j'aime dans Proust ? C'est aussi le témoin de son temps, l'électricité, le téléphone, l'aviation, le train, la vogue des bains de mer,  l'impressionnisme, l'affaire Dreyfus, la guerre de 14 à Paris...

 Proust et la  nature, la mer, les fleurs et ces magnifiques descriptions de Combray, de Balbec. Proust l'écrivain des fleurs et ses fameuses aubépines : "leur parfum s’étendait aussi onctueux, aussi délimité en sa forme que si j’eusse été devant l’autel de la Vierge, et les fleurs, aussi parées, tenaient chacune d’un air distrait son étincelant bouquet d’étamines, fines et rayonnantes nervures de style flamboyant comme celles qui à l’église ajouraient la rampe du jubé ou les meneaux du vitrail et qui s’épanouissaient en blanche chair de fleur de fraisier. "

J'adore lorsque Marcel Proust parle de l'art, la peinture, la musique et la littérature. J'aime que certaines scènes ou certains personnages soient décrits comme des oeuvres d'art, que Swann voit  Odette  comme une fresque de Boticelli, que le docteur ressemble à un Tintoret , que Bloch soit un Gentile Bellini, ou que "sous les couleurs d’un Ghirlandajo" soit peint le nez de M. de Palancy.

Proust et l'humour :  A de nombreuses reprises j'ai noté l'humour de Proust avec, par exemple, la vieille madame de Cambremer si mélomane qu'elle bat la mesure "avec sa tête transformée en métronome"; la première rencontre avec Bloch et les parents de Marcel m'ont bien fait rire, de même le baron Charlus et ses ruses pour retenir l'attention de Morel, ou encore les tics de madame Verdurin... pour ne citer que ceux-là.

La Recherche offre des pages admirables au style splendide, au thème fort, qui marquent à la fois par leur beauté et par leur sens, des pages entières qui se détachent des autres et que l'on peut lire à part tant elles ont de force :  "Longtemps, je me suis couché de bonne heure", la page des madeleines et de la tisane, celle des pavés inégaux, de l'aquarium à Balbec, de la robe et des chaussures rouges, du petit pan de mur jaune lors de la mort de Bergotte et bien d'autres encore.

Enfin, j'ai aimé cette recherche sur le temps, sur la mémoire et le souvenir qui est notre quête à tous. Et je pense que nous avons tous éprouvé cette remontée du passé grâce à une impression sensorielle, sensation olfactive, auditive... c'est le goût de la madeleine pour Proust, la triste petite phrase musicale de Vinteuil pour Swann, le chant de la grive pour Chateaubriand, l'odeur du pays qui est dans une pomme...

Nous publions ici la récapitulation des deux derniers livres : Albertine disparue et Le temps retrouvé.


BILAN 7


Miriam


Le temps retrouvé Tansonville

Le temps retrouvé : Monsieur de Charlus pendant la guerre

Le temps retrouvé : Dans la bibliothèque du prince de Guermantes, méditation sur la mémoire et littérature



Claudialucia


Le temps retrouvé (1) Proust, Cendrars et Céline

Marcel Proust : Le temps retrouvé (2)



BILAN 6


Miriam

Marcel Proust : Albertine disparue

 une lecture annexe : Le Lièvre aux yeux d'ambre d'Emund de Waal où j'ai trouvé un personnage ayant peut être inspiré Swann
 


Claudialucia

Marcel Proust :  Albertine disparue


 Bilan 5 : La prisonnière 

 


 claudialucia

La prisonnière : Marcel (1)

La prisonnière Albertine (2)

La prisonnière : Le mythe de Pygmalion

Normandie Calvados Caen : Exposition : Le spectacle de la marchandise, Ville, art et commerce avec Zola et Proust (2)

Marcel Proust et la mode : Mariano Fortuny et Jacques Doucet

Miriam  

 La prisonnière : Emprise, jalousie et mensonges

La prisonnière : mais qui est donc Albertine ?

La prisonnière :  Une soirée musicale chez madame Verdurin

  

  Bilan 4  Sodome et Gomorrhe

 


Claudialucia


Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe : Le Baron Charlus et l’homosexualité (1)

Marcel Proust: Sodome et Gomorrhe : Albertine et l’homosexualité (2)

Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe l’humour (3)

 

Keisha 

 Marcel Proust : lettres à sa voisine

Keisha a déniché une correspondance rare de Proust


Miriam
 

Sodome et Gomorrhe : Le baron Charlus et Jupien

Sodome et Gomorrhe : La soirée chez la princesse de Guermantes

Sodome et Gomorrhe : Autour de Balbec et les noms des villages normands

Miriam est partie à Balbec découvrir les lieux qui ont inspiré Marcel Proust
le Grand Hôtel, la promenade sur la digue et la plage

La villa du Temps retrouvé : Marcel Proust (l'écrivain) et Marcel, le narrateur, n'ont jamais vécu dans la belle villa du Temps Retrouvé transformé en musée Belle Epoque qui contient des autographes et des tableaux des personnes ayant inspiré Proust.


Si vous avez fait d'autres lectures vous pouvez coller les liens en commentaires ici.


 Marcel Proust Bilan 3  Le côté de Guermantes

Claudialucia

Proust Le côté de Guermantes :  lucidité et pessimisme

Miriam

Proust Le côté de Guermantes :(1ère partie) Le téléphone

Proust Le Côté de Guermantes :(2ème partie) L’Affaire Dreyfus dans le salon de madame de Villeparisis

Proust Le côté de Guermantes :  (3ème partie) Un dîner chez la Duchesse de Guermantes

La Maison de tante Léonie (Musée Proust) à Illiers-Combray

 

 Marcel Proust Bilan 2 : A l'ombre des jeunes filles en fleurs

 

 

Nathalie :

Chloé Cruchaudet, d'après Céleste Albaret, « Bien sûr, monsieur Proust », 2022, édité chez Noctambule.

Chloé Cruchaudet, Céleste, tome 2 Il est temps Monsieur Proust

Laure Murat : Proust, roman familial


Marcel Proust : Bilan 1 Du côté de chez Swann

 




Aifelle


Claudialucia

 
 
Le jeudi avec Marcel Proust :  billets sur Combray
 
 
 
 

Le jeudi avec Marcel Proust :  billets sur Un amour de Swann

Evelyne Bloch Dano une jeunesse de Proust

Céleste Albaret : Monsieur Proust

Laure Murat : Proust roman familial


Dominique

Laure Murat, roman familial

Bribes et conseils aux réfractaires


Fanja

Céleste : Bien sûr, monsieur Proust BD  Chloé Cruchaudet


Keisha

Laure Murat : Proust roman familial

Brassaï : Marcel Proust sous l’emprise de la photographie


Luocine

Laure Murat, roman familial


Miriam

Présentation du challenge Marcel Proust

Du côté de chez Swann : Marcel Proust lecture gourmande

Du côté de chez Swann : l’amour de la lecture/écriture

Du côté de chez Swann :  Combray En famille

Un amour de Swann Marcel Proust


Sandrine

Du côté de chez Swann






 

lundi 13 janvier 2025

Marcel Proust : Le temps retrouvé (2)



La troisième partie de Le temps Retrouvé s'intitule : Matinée chez la princesse de Guermantes

"Rien qu’un moment du passé ? Beaucoup plus, peut-être ; quelque chose qui, commun à la fois au passé et au présent, est beaucoup plus essentiel qu’eux deux." 

  

Pour retrouver le temps perdu

 

Venise Le baptistère de Saint-Marc

Marcel s'est éloigné de Paris pendant plusieurs années pour se faire soigner dans une maison de santé. Il éprouve de la tristesse en pensant qu'il n'a pas de dons littéraires et qu'il doit renoncer à être écrivain. Lorsqu'il revient dans la capitale il est tout de suite invité dans des soirées mondaines. C'est alors qu'il va avoir une ultime révélation !  Ce qui va lui permettre d'aller jusqu'au bout de l'analyse des sensations qu'il a éprouvées à maintes reprises et, en particulier, la première fois, à Combray, avec le goût des madeleines trempées dans une infusion. La compréhension va se faire en trois étapes :

1) Les pavés inégaux

Alors qu'il se rend chez la princesse de Guermantes, son pied bute contre des pavés mal équarris et au  contact de ces pavés inégaux, il ressent une félicité inexplicable :

  Comme au moment où je goûtais la madeleine, toute inquiétude sur l’avenir, tout doute intellectuel étaient dissipés. Ceux qui m’assaillaient tout à l’heure au sujet de la réalité de mes dons littéraires, et même de la réalité de la littérature, se trouvaient levés comme par enchantement.

 Mais cette fois, il est décidé  à comprendre ce qu'il éprouve et il reste un moment en suspens au-dessus de ces deux pavés, refaisant le même pas et chaque fois "la vision éblouissante et indistincte" réapparait "comme si elle m'avait dit. : « Saisis-moi au passage si tu en as la force et tâche à résoudre l’énigme du bonheur que je te propose. » Et presque tout de suite, je le reconnus, c’était Venise, dont mes efforts pour la décrire et les prétendus instantanés pris par ma mémoire ne m’avaient jamais rien dit et que la sensation que j’avais ressentie jadis sur deux dalles inégales du baptistère de Saint-Marc m’avait rendue avec toutes les autres sensations jointes ce jour-là à cette sensation-là, et qui étaient restées dans l’attente, à leur rang, d’où un brusque hasard les avait impérieusement fait sortir, dans la série des jours oubliés. De même le goût de la petite madeleine m’avait rappelé Combray."  

Marcel se pose alors cette question :   Mais pourquoi les images de Combray et de Venise m’avaient-elles, à l’un et à l’autre moment, donné une joie pareille à une certitude et suffisante sans autres preuves à me rendre la mort indifférente ?"

2) Le bruit de la cuiller

Dans la bibliothèque de l'hôtel de Guermantes où il est introduit, il entend le tintement d'une cuillère sur une assiette. Et c'est à nouveau le même sentiment de bonheur associé à une réminiscence.

 "Le même genre de félicité que m’avaient donné les dalles inégales m’envahit ; les sensations étaient de grande chaleur encore, mais toutes différentes, mêlées d’une odeur de fumée apaisée par la fraîche odeur d’un cadre forestier ; et je reconnus que ce qui me paraissait si agréable était la même rangée d’arbres que j’avais trouvée ennuyeuse à observer et à décrire, et devant laquelle, débouchant la canette de bière que j’avais dans le wagon, je venais de croire un instant, dans une sorte d’étourdissement, que je me trouvais, tant le bruit identique de la cuiller contre l’assiette m’avait donné, avant que j’eusse eu le temps de me ressaisir, l’illusion du bruit du marteau d’un employé qui avait arrangé quelque chose à une roue de train pendant que nous étions arrêtés devant ce petit bois."

 3) La serviette empesée

En attendant que se termine la partition musicale qui se joue dans le salon de réception, un maître d'hôtel apporte à Marcel une collation et il s'essuie la bouche avec un serviette raide et empesée  qui lui rappelle celle qu'il avait employée pour se sécher le premier jour de son arrivée à Balbec.

 " et maintenant, devant cette bibliothèque de l’hôtel de Guermantes, elle déployait, réparti dans ses plis et dans ses cassures, le plumage d’un océan vert et bleu comme la queue d’un paon. Et je ne jouissais pas que de ces couleurs, mais de tout un instant de ma vie qui les soulevait, qui avait été sans doute aspiration vers elles, dont quelque sentiment de fatigue ou de tristesse m’avait peut-être empêché de jouir à Balbec, et qui maintenant, débarrassé de ce qu’il y a d’imparfait dans la perception extérieure, pur et désincarné, me gonflait d’allégresse."

Par trois fois et dans l'espace de quelques minutes, donc, Marcel expérimente cette sensation de bonheur parfait qui ressuscite le passé non par un effort conscient de la mémoire mais par une perception sensorielle qui s'exerce involontairement et en dehors de lui. Car chaque geste, chaque acte que nous avons accomplis dans le passé porte sur lui le reflet des choses qui logiquement ne tenaient pas à lui, en ont été séparées par l’intelligence, qui n’avait rien à faire d’elles pour les besoins du raisonnement, mais au milieu desquelles — ici reflet rose du soir sur le mur fleuri d’un restaurant champêtre, sensation de faim, désir des femmes, plaisir du luxe ; là volutes bleues de la mer matinale enveloppant des phrases musicales qui en émergent partiellement comme les épaules des ondines — le geste, l’acte le plus simple reste enfermé comme dans mille vases clos dont chacun serait rempli de choses d’une couleur, d’une odeur, d’une température absolument différentes ;

 La supériorité du souvenir induit involontairement par la résurgence d'une sensation paraît évidente car "il nous fait tout à coup respirer un air nouveau, précisément parce que c’est un air qu’on a respiré autrefois, cet air plus pur que les poètes ont vainement essayé de faire régner dans le Paradis et qui ne pourrait donner cette sensation profonde de renouvellement que s’il avait été respiré déjà, car les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus." 

 Mais pourquoi procure-t-elle un plaisir aussi intense? En comparant entre elles ces diverses impressions heureuses, Marcel trouve la réponse dans leur ressemblance. Toutes sont éprouvées à la fois dans le temps actuel et dans le temps passé, l'un empiétant sur l'autre, autrement dit hors du temps, faisant de lui un être extra-temporel, donc dégagé du Temps.

"... au vrai, l’être qui alors goûtait en moi cette impression la goûtait en ce qu’elle avait de commun dans un jour ancien et maintenant, dans ce qu’elle avait d’extra-temporel, un être qui n’apparaissait que quand, par une de ces identités entre le présent et le passé, il pouvait se trouver dans le seul milieu où il pût vivre, jouir de l’essence des choses, c’est-à-dire en dehors du temps. ". Or le souvenir goûté ainsi dans un espace extra-temporel délivre de la crainte de l'avenir et de la peur de la mort, d'où cette impression de félicité.

 Après cette découverte Marcel se sent alors capable d'écrire et de devenir écrivain. Suit un long développement sur le travail de l'écriture à partir de ces impressions vraies qui garantissent l'authenticité de l'écriture.


La matinée chez les Guermantes : un monde finissant
 
 
Quand Marcel est introduit dans la salon des Guermantes, il constate le passage du temps sur les personnes qu'ils n'a plus vues depuis des années.
 
"Alors la vie nous apparaît comme la féerie où l’on voit d’acte en acte le bébé devenir adolescent, homme mûr et se courber vers la tombe. Et comme c’est par des changements perpétuels qu’on sent que ces êtres prélevés à des distances assez grandes sont si différents, on sent qu’on a suivi la même loi que ces créatures qui se sont tellement transformées qu’elles ne ressemblent plus, sans avoir cessé d’être — justement parce qu’elles n’ont pas cessé d’être — à ce que nous avons vu d’elles jadis. "
 
Ce qui lui permet de prendre conscience de son propre vieillissement quand la duchesse de Guermantes le traite de son " plus vieil ami".

Et je pus me voir, comme dans la première glace véridique que j’eusse rencontrée dans les yeux de vieillards restés jeunes, à leur avis, comme je le croyais moi-même de moi, et qui, quand je me citais à eux, pour entendre un démenti, comme exemple de vieux, n’avaient pas dans leurs regards, qui me voyaient tel qu’ils ne se voyaient pas eux-mêmes et tel que je les voyais, une seule protestation. Car nous ne voyions pas notre propre aspect, nos propres âges, mais chacun, comme un miroir opposé, voyait celui de l’autre.
 
Dans cette réception où nous retrouvons Bloch, Monsieur de Cambremer, le prince et la princesse de Guermantes (ex madame Verdurin),  Gilberte que Marcel prend pour sa mère, Madame de Forcheville, (jadis Odette Swann), des ministres, des altesses, et tant d'autres,  tous semblent porter un masque, celui de la vieillesse qui les a façonnés,  chacun semble s'être fait une tête. On a l'impression dit Marcel de voir des "personnes de songe" , une sorte de bal macabre, d'un monde finissant  laissant place au monde de demain.
Il reste donc à Marcel à écrire son oeuvre et c'est ainsi que se conclut le dernier volume de La Recherche du Temps perdu :
 
Si du moins il m’était laissé assez de temps pour accomplir mon œuvre, je ne manquerais pas de la marquer au sceau de ce Temps dont l’idée s’imposait à moi avec tant de force aujourd’hui, et j’y décrirais les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant dans le Temps une place autrement considérable que celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace, une place, au contraire, prolongée sans mesure, puisqu’ils touchent simultanément, comme des géants, plongés dans les années, à des époques vécues par eux, si distantes — entre lesquelles tant de jours sont venus se placer — dans le Temps.