Dans cette troisième partie de Du côté de chez Swann : des Noms de pays : le nom, Marcel est à Paris. Il doit partir à Venise et Florence mais la joie et l’excitation ressentis à l’idée de ce voyage dont il a tant rêvé, lui donnent de la fièvre et le médecin lui interdit tout départ. Il n'est même pas autorisé à entendre la Berma au théâtre, ce qui l’aurait peut-être consolé.
La seule sortie permise est celle du parc des Champs-Elysées qu’il accomplit sous la surveillance de Françoise que ses parents ont pris à leur service après la mort de tante Léonie. Marcel s’y ennuie d’abord jusqu’au moment où il rencontre Gilberte et cherche à devenir son ami. Le sentiment amoureux qu’il développe envers elle ressemble beaucoup à celui de Swann pour Odette. Marcel vit cet amour comme une maladie et ce sentiment devient obsessionnel. Il souffre quand le jeune fille ne vient pas, il est jaloux de ses fréquentations, cherche à gagner sa préférence, à être distingué des autres dans son affection. Mais surtout il se torture pour connaître la réalité de son amour, pour savoir si l’image qu’il se fait d’elle n’a pas évolué et correspond bien à celle qu’il a emmagasiné dans son esprit :
Par exemple si depuis la veille je portais dans ma mémoire deux yeux de feu dans des joues pleines et brillantes, la figure de Gilberte m’offrait maintenant avec insistance quelque chose que précisément je ne m’étais pas rappelé, un certain effilement aigu du nez qui, s’associant instantanément à d’autres traits, prenait l’importance de ces caractères qui en histoire naturelle définissent une espèce, et la transmuait en une fillette du genre de celles à museau pointu. Tandis que je m’apprêtais à profiter de cet instant désiré pour me livrer, sur l’image de Gilberte que j’avais préparée avant de venir et que je ne retrouvais plus dans ma tête, à la mise au point qui me permettrait dans les longues heures où j’étais seul d’être sûr que c’était bien elle que je me rappelais, que c’était bien mon amour pour elle que j’accroissais peu à peu comme un ouvrage qu’on compose, elle me passait une balle….
Et bien, je l’avoue je ne me suis pas passionnée pour cette troisième partie. J’avais l’impression de relire avec des variantes ce qui précédait dans Un amour de Swann et les angoisses, les minuties, les souffrances, de l'amour de Marcel qui semble toujours hésiter entre le réel et le rêvé m’ont paru lassantes.
En même temps ce qui est dit sur les noms de pays m’a intéressée et c'est lorsque j'ai pu les relier à l'histoire avec Gilberte qu'il m'a semblé mieux comprendre le texte.
Proust établit une distinction entre les mots et les noms propres, ces
derniers ayant le pouvoir par leurs sonorités de convoquer
l'imagination.
Les
mots nous présentent des choses une petite image claire et usuelle
comme celles que l’on suspend aux murs des écoles pour donner aux
enfants l’exemple de ce qu’est un établi, un oiseau, une fourmilière,
choses conçues comme pareilles à toutes celles de même sorte. Mais les
noms présentent des personnes — et des villes qu’ils nous habituent à
croire individuelles, uniques comme des personnes — une image confuse
qui tire d’eux, de leur sonorité éclatante ou sombre, la couleur dont
elle est peinte uniformément comme une de ces affiches, entièrement
bleues ou entièrement rouges, dans lesquelles, à cause des limites du
procédé employé ou par un caprice du décorateur, sont bleus ou rouges,
non seulement le ciel et la mer, mais les barques, l’église, les
passants.
Les passages ( très beaux stylistiquement ) où Marcel Proust parle de la puissance des noms de pays et des villes qui, avec la musicalité de leurs voyelles ou de leurs consonnes, éveillent des images, des couleurs, des odeurs, des sensations, donnent une vision des lieux hautement désirable.
Mais j’avais beau les comparer, comment choisir plus qu’entre des êtres
individuels, qui ne sont pas interchangeables, entre Bayeux si haute
dans sa noble dentelle rougeâtre et dont le faîte était illuminé par le
vieil or de sa dernière syllabe ; Vitré dont l’accent aigu losangeait de
bois noir le vitrage ancien ; le doux Lamballe qui, dans son blanc, va
du jaune coquille d’œuf au gris perle ; Coutances, cathédrale normande,
que sa diphtongue finale, grasse et jaunissante, couronne par une tour
de beurre ; Lannion avec le bruit, dans son silence villageois, du coche
suivi de la mouche ; Questambert, Pontorson, risibles et naïfs, plumes
blanches et becs jaunes éparpillés sur la route de ces lieux
fluviatiles et poétiques ; Benodet, nom à peine amarré que semble
vouloir entraîner la rivière au milieu de ses algues : Pont-Aven,
envolée blanche et rose de l’aile d’une coiffe légère qui se reflète en
tremblant dans une eau verdie de canal ; Quimperlé, lui, mieux attaché
et, depuis le moyen âge, entre les ruisseaux dont il gazouille et
s’emperle en une grisaille pareille à celle que dessinent, à travers les
toiles d’araignées d’une verrière, les rayons de soleil changés en
pointes émoussées d’argent bruni ?
Et ce désir qui naît envers un pays, une ville, ressemble beaucoup, nous dit-il Proust, à l’amour que l’on éprouve pour une personne. Mais Marcel n'est pas sûr de parvenir à appréhender le réel pas ce biais. L’image qui se forme dans son imagination pour une ville, risque bien de se ternir au contact de la réalité ou tout au moins ne pas être à la même hauteur que le rêve et ceci est vrai pour l’amour qu’il éprouve pour Gilberte.
Mais rien ne ressemblait moins non plus à ce Balbec réel que celui dont j’avais souvent rêvé, les jours de tempête, quand le vent était si fort que Françoise en me menant aux Champs-Élysées me recommandait de ne pas marcher trop près des murs pour ne pas recevoir de tuiles sur la tête, et parlait en gémissant des grands sinistres et naufrages annoncés par les journaux. Je n’avais pas de plus grand désir que de voir une tempête sur la mer, moins comme un beau spectacle que comme un moment dévoilé de la vie réelle de la nature ; ou plutôt il n’y avait pour moi de beaux spectacles que ceux que je savais qui n’étaient pas artificiellement combinés pour mon plaisir, mais étaient nécessaires, inchangeables — les beautés des paysages ou du grand art.
Cette inadéquation entre le réel et l’imaginaire s’accompagne d’une vraie souffrance pour Marcel car il n'est jamais sûr de détenir l'image réelle de ce qu'il aime. Aussi les rencontres avec Gilberte qu'il désire plus que tout sont rarement heureuses. Il veut être convaincu de "la réalité" de l’imagination, ce qui est bien évidemment contradictoire et pour tout dire impossible.
LC avec Miriam
LC : La publication du billet du tome 2 A l'ombre des jeunes filles en fleurs est prévue pour le 3 Juillet. Besoin de souffler un peu ! Proust n'est pas une lecture si facile ( surtout cette troisième partie) oui, je sais, j'enfonce les portes ouvertes ! Parfois je m'ennuie parce que je trouve qu'il y a des longueurs, parfois je me fatigue et je ne peux le lire qu'en m'arrêtant souvent, parfois je m'enthousiasme et suis prise par le texte, et souvent ce texte est tellement dense que j'ai l'impression de passer à côté de beaucoup de choses.
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Ton dernier paragraphe : oui, oui, c'est tout à fait ça! ^_^
RépondreSupprimerCes "jeux" sorties aux Champs Elysées m'ont un peu désarçonnées, quel âge avait le narrateur pour aller ainsi au square? les mœurs ont bien changé avec le siècle!
RépondreSupprimerSur un de mes billets tu m'as demandé si je voulais bien faire partie du challenge autour de Proust. La réponse est oui bien sûr et je dois dire que je suis d'accord avec toi son amour pour Gilberte est un peu trop la répartitions de celui de Swann pour Odette
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